La commission nationale de reforme des institutions (CNRI), par le biais de son président Amadou Mahtar Mbow, vient de déposer sur la table du président de la république son rapport, ainsi qu’un document représentant un avant-projet de constitution devant jeter les bases de la nouvelle république dont aspire le peuple sénégalais depuis 2000. Aussitôt, une vive polémique enclenchée par d’éminents membres de l’APR, s’en est suivi, avec des invectives parfois qui frisent l’insolence. Ceci, parfois, avant même d’avoir lu l’ensemble des deux documents en question, ces anti-CNRI ont vite orchestré une campagne de diabolisation de la commission et de son chef d'équipe. Il faut saluer ici la sérénité des membres de la commission (ainsi que les personnes favorables aux conclusions de la CNRI) qui ne les ont pas suivis dans cette polémique stérile qui risquait d’ensevelir les questions de fond que soulève la commission. D'ailleurs la sortie des membres de la CNRI ce weekend a travers les medias a réussi à élucider bon nombre de questions soulevées jusque-là et espérons-le, ceci va pousser le Président et ses partisans anti-CNRI à se ressaisir pour être en phase avec le peuple.
Contexte historique et genèse de la CNRI
Pour bien saisir les enjeux soulevés par les nouvelles orientations définies dans l’avant projet de constitution de la CNRI, il faudrait d’abord situer la dynamique qui a été l’origine d’un long processus ayant débouché sur le lancement des assises nationales en juin 2008, suivi par la deuxième alternance démocratique survenue en Mars 2012, en passant par les événements tragiques du 23 Juin, et la campagne électorale chaotique de 2012 à cause du forcing d’Abdoulaye Wade pour un troisième mandat dont il n’avait pas droit.
Pourquoi l'Afrique a t-elle besoin d'institutions fortes?
D’abord, une attention particulière doit être portée sur un contexte africain difficile, marqué par un double phénomène, aux enjeux non encore bien maitrisés et qui, à terme, risque de déterminer l’avenir du continent dans les décennies à venir. En effet, la sous région en particulier et l’Afrique en général, sont au centre de convulsions importantes qui menacent la stabilité entière du continent. Au cœur de ces luttes, se retrouvent des enjeux tels que ceux liés au phénomène du narco trafic avec les nouvelles routes de la drogue en provenance de l’Amérique latine en route vers l’Europe.
Il faut noter également l’émergence de conflits de type nouveau tels que ceux en cours actuellement dans le Nord Mali ou la Centrafrique, qui menacent toute la sous région sans oublier le Sud Sénégal avec la casamance qui est toujours dans un processus de recherche de paix. Bref un phénomène de militarisation accrue avec des interventions militaires françaises à répétition et une tentative américaine de délocaliser sa base militaire d’Africom de Stuttgart (en Allemagne), vers un pays Africain pour compléter son dispositif de maillage du continent. Tout ceci dans un contexte nouveau de compétition effrénée entre l’Europe et les USA d’une part et les nouvelles forces émergentes telles que la Chine, l’Inde, le Brésil etc...d’autre part, qui risque de redéfinir la configuration géopolitique de la sous région Africaine du Sahel. Face à ces enjeux, nos jeunes état-nations ont un besoin pressant d'institutions fortes pour résister aux nuages qui s’amoncellent au-dessus de leurs têtes.
Au niveau de la sous région, on assiste selon les cas, à des flux ou reflux des processus démocratiques avec des tentatives de manipulation des institutions pour se maintenir au pouvoir (Wade en 2012 au Sénégal, Compaoré en ce moment pour un énième mandat afin de se pérenniser au pouvoir et ne pas avoir à répondre un jour de son implication dans l’assassinat de Thomas Sankara).
Ce contexte d’affaiblissement des institutions des états-nations postindépendance, s’accompagne d’enjeux se manifestant par des défis sécuritaires énormes avec de nouvelles vagues de militarisation et d’interventions de forces militaires étrangère sous l’œil souvent complice d’élites Africaines, dans un nouvel ordre mondial prédateur qui continue de marginaliser l’Afrique en ne s’intéressant qu’à ses ressources.
Un exemple patent étant le processus agressif d’accaparement des ressources naturelles et des terres agricoles en cours, par des multinationales et fonds d’investissement des pays du Nord et du Moyen orient. Face à ces enjeux énormes, vouloir confiner le débat en profondeur sur les réformes institutionnelles proposées par la CNRI dans des polémiques et invectives, comme nous y invitent certains cercles de l’APR, relève de l’enfantillage. Les forces patriotiques et démocratiques devraient éviter ce piège et continuer à se focaliser sur les questions de fond de l'avant-projet de constitution proposée par la CNRI.
Pour le cas du Sénégal qui nous intéresse, la deuxième réélection de Wade en 2007, suivie du boycott des élections législatives de la même année par les segments significatifs de l’opposition d’alors, avait finit de matérialiser une rupture du dialogue politique porteuse de tous les dangers. C’est dans ce contexte national spécifique que des éléments de la société civile en jonction avec certaines forces politiques, avaient initié les assises nationales du Sénégal, qui ont aboutit à une nouvelle offre politique dans laquelle plusieurs candidats aux élections de 2012 vont puiser des éléments de proposition pour étoffer leurs programmes de campagne.
Il faut signaler que l'issue des élections de Février – Mars 2012 a été largement déterminée non pas par une quelconque pertinence d’un projet de société d'un candidat, mais plutôt par un rejet massif de WADE qui a voulu transmettre le pays illégalement à son fils Karim. Les résultats des deux tours au niveau de la Diaspora (Canada-France-Etats-Unis) sont largement illustratifs de ce sentiment de rejet de Wade qui a finit par profiter à Macky Sall dont les moyens colossaux de campagne électorale permanente pendant plus de trois ans ont fini par payer.
Le saut quantitatif du candidat Macky SALL entre les deux tours (de 26,58% à 65,80 %) montre à suffisance que le vote en sa faveur n’était pas en faveur du Yoonu Yokute, qui a fini par être enterré par son initiateur pour manque d'efficacité.
Le fond des Réformes de la CNRI
Les réformes soumises par la CNRI, ont été le fruit d’un long processus de consultations avec les citoyens sur la base d’un décret présidentiel n°2013-730 du 28 mai 2013 dont les termes de référence stipulaient clairement de « mener selon une méthode inclusive et participative la concertation nationale sur la réforme des institutions ; Et de formuler toutes propositions visant à améliorer le fonctionnement des institutions, à consolider la démocratie, à approfondir l’Etat de droit et à moderniser le régime politique. ».
Prétendre que la commission a outrepassé ses prérogatives en proposant un avant projet de constitution, c’est vouloir nous enfermer sur des détails et des questions de forme en occultant les questions de fonds censées apporter une réponse pertinente aux enjeux multiples décrits plus haut. Certains de ses enjeux portent sur :
- Le recentrage de l’Etat autour de ses missions régaliennes et la consolidation de l’état de droit ;
- L’équilibre des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire ;
- Le renforcement de l’indépendance de la justice et le renforcement et la protection des libertés publiques avec l’érection d’une cour constitutionnelle qui trône à la pointe de la pyramide judicaire du pays ;
- L’approfondissement de la démocratie représentative et participative
- La promotion de la bonne gouvernance, de la transparence et de l’éthique dans la gestion des affaires publiques, ainsi que la culture de l’imputabilité;
- le verrouillage de certaines dispositions de la constitution pour éviter des manipulations intempestives.
Encore une fois on ne peut promouvoir la posture d'une République moderne et démocratique sans tenir compte des innovations citées ci-dessus, autrement dit on ne peut vouloir une chose et son contraire, toute rupture demande des sacrifices (à savoir, se débarrasser des vieilles habitudes héritées d'une République de type colonial).
Des questions aussi importantes telles :
que l‘érection d’une Cour Constitutionnelle (à la place de l’actuel conseil constitutionnel), dont le mode de désignation de ses 7 membres pour un seul mandat de 6 ans, est encadré, et procède de tous les pouvoirs institutionnels : Le Président de la République (qui nomme 3 magistrats proposés par le Conseil Supérieur de la Magistrature), Le Président de l’Assemblée nationale (qui nomme 1 professeur titulaire de droit et 1 personnalité désigné par le collectif des associations de défense des droits humains et de promotion de la démocratie) , Le Premier Ministre (qui nomme 1 ancien haut fonctionnaire de l’Etat), Le Bureau du Conseil de l’ordre des Avocats (qui désigne 1 ses membres). Tous les membres de la cour constitutionnelle devant avoir 25 ans d’expérience au minimum. Le président de la république ne présidant plus le conseil Supérieur de la Magistrature etc…
Toutes ces innovations majeures qui tendent à renforcer notre démocratie et à consolider un Etat de droit, sont occultées par des thuriféraires du régime actuel pour se focaliser sur l’interdiction de cumul des fonctions de président de la république et de président de parti politique, même si cette disposition n’entre en vigueur en réalité qu’en 2017, grâce à une des dispositions transitoires prévue dans l’avant-projet de constitution de la CNRI (Article 151 – Alinéa 1). Preuve une fois de plus que ceux qui hurlent, n’ont, parfois, pas pris le temps de lire les documents, devenus publics.
Une autre innovation de taille réside dans la possibilité de saisine directe de la Cour Constitutionnelle par les citoyens (pétition d’un groupe de dix mille citoyens régulièrement inscrits sur les listes électorales).
Enfin c’est terminé les temps où la plus haute juridiction de notre pays pouvait se déclarer incompétente. La Cour Constitutionnelle connaît la constitutionnalité des lois et les engagements internationaux, les conflits de compétence entre l'Exécutif et le Législatif, les conflits de compétence entre le Conseil d'Etat et la Cour de Cassation, ainsi que les exceptions d'inconstitutionnalité soulevées devant la Cour d’Appel, le Conseil d'Etat ou la Cour de Cassation. Elle est compétente pour statuer sur toute question d’interprétation et d’application de la Constitution.
Un Conseil supérieur de la magistrature à la composition variée et hors de contrôle de l’exécutif.
Les mécanismes de lutte contre l’impunité des crimes économiques avec un réaménagement du dispositif de contrôle autour de la Cour des Comptes, de la Vérification Générale d’Etat -VGE-, de l’Office National de lutte contre la fraude et la corruption –OFNAC-, de l’Autorité de régulation des marchés publics –ARMP-, de la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières –CENTIF-, et une meilleure coordination avec les systèmes de contrôle.
L’Autorité de Régulation de la Démocratie qui contrôle et supervise l’ensemble du processus électorale ou référendaire, de l’inscription sur les listes électorales à la proclamation des résultats provisoires en passant par le scrutin. Elle assure également le contrôle de la régularité de fonctionnement et du financement des partis politiques ainsi que la vérification du financement des campagnes électorales.
Un Conseil Consultatif des Sénégalais de l’Extérieur dont les membres seront directement élus par leurs compatriotes et qui devra être consulté sur toutes les décisions majeures qui vont impacter la vie des émigrés.
La systématisation de la déclaration de patrimoine à l’entrée et à la fin de la fonction pour plusieurs personnalités gérant des deniers publiques.
Afin d’éviter l’abus de majorité mécanique à l’assemblée nationale, la CNRI propose la mise en place des conditions de participation effective de l’opposition parlementaire au travail législatif.
La mise en place des mécanismes de reddition des comptes et de contrôle citoyen, notamment la systématisation des budgets participatifs au niveau des collectivités locales, et le suivi-évaluation des politiques publiques.
Bref, c’est dire qu’il n’y a point besoin de polémiquer sur tel ou tel aspect des conclusions de la CNRI.
La pertinence ou non de n’importe quelle proposition de la CNRI peut être prouvée en répondant à une question simple: « la proposition en question, va-t-elle oui ou non à l’encontre de l’intérêt général de nos populations? ».
Le professeur Amadou Mahtar Mbow a été au service du Sénégal et mérite toute notre admiration et notre respect pour la qualité du travail qu’il a offert au Sénégal pour les générations à venir. Les hommes et femmes qui l’ont accompagné tout au long du processus, sont connus pour la qualité de leur expertise, leur probité morale et leur patriotisme.
En plafonnant l’âge pour être candidat à la présidentielle à 70 ans, les membres de la CNRI se sont volontairement auto-exclus de toute compétition présidentielle et montrent si besoin en était qu’ils ne sont mus que par la volonté d’offrir a notre peuple les fondements d’une république démocratique, solidaire, arc-boutée sur les valeurs ancestrales de solidarité, de justice sociale, d’équité, d’égalité de tous les citoyens devant la loi.
Perspectives de mise en œuvre :
Compte tenu de l’ampleur des propositions, et la multitude d’innovations apportées par rapport aux constitutions passées, il est évident que la méthode la plus appropriée pour adopter les propositions issues des travaux de la CNRI demeure le referendum populaire ou les citoyens vont se prononcer en toute connaissance de cause pour ou contre ce projet de constitution. Nul ne peut se substituer au peuple, fût-il le Président de la république, car la souveraineté appartient au peuple et nul ne peut prétendre connaitre mieux que lui ce qui est bon pour lui ou pas.
Le président dans sa première sortie depuis la Chine sur les propositions de la CNRI, semble insinuer qu’il va prendre son temps. Certes la notion de temps est relative, mais en réalité il ne lui reste plus que trois ans sur son mandat actuel, et jusqu’à preuve du contraire, il n’a aucune garantie de renouvellement de son mandat. En fait, ces réformes devraient être en principe les premiers jalons de sa gouvernance juste, après son élection de Mars 2012. Donc le temps file et le peuple attend patiemment, mais résolument, l’avènement de ruptures suffisamment profondes pour ouvrir la voie à une gouvernance nouvelle complètement différente de l’hyper-présidentialisme que nous avons connu ces 50 dernières années.
Nous invitons par ailleurs tous les citoyens, à l’intérieur du Sénégal et dans la Diaspora (militants ou pas de formations politiques, du pouvoir comme de l’opposition, la société civile dans ses diverses composantes, l’intelligentsia du pays, et les acteurs des assises nationales …) à participer au débat public sur le contenu de l’avant-projet de constitution proposé par la CNRI, en exprimant leurs sentiments et points de vue sur ces propositions, et ne pas laisser le monopole du débat à certaines forces mues que par des intérêts personnels ou claniques. Car en définitive, c’est le peuple qui doit décider et personne d’autre à sa place.
Chers citoyens, arrêtons d'indexer les membres de la CNRI, ils ont accompli la mission que le Président de la République leur avait confiée au nom du peuple sénégalais et avec notre argent. A notre tour maintenant, d'accomplir notre devoir, c'est à dire s'approprier le fruit de ce travail, afin de mieux le valoriser pour nous-mêmes et pour les générations à venir. Mais concernant l'avant-projet de constitution, restons tous debout pour que personne n’en dénature la portée et que sa validation en projet ne se fasse en catimini dans l'hémicycle d'une majorité mécanique; mais plutôt par la voie référendaire afin que chaque citoyen s'exprime librement en son nom propre.
Citoyens, citoyennes du Sénégal, vigilance et encore vigilance!
Ameth LO – Toronto (Canada)
Mansour Gueye – Paris (France)
Denis Ndour – New-York (U.S.A)
Contexte historique et genèse de la CNRI
Pour bien saisir les enjeux soulevés par les nouvelles orientations définies dans l’avant projet de constitution de la CNRI, il faudrait d’abord situer la dynamique qui a été l’origine d’un long processus ayant débouché sur le lancement des assises nationales en juin 2008, suivi par la deuxième alternance démocratique survenue en Mars 2012, en passant par les événements tragiques du 23 Juin, et la campagne électorale chaotique de 2012 à cause du forcing d’Abdoulaye Wade pour un troisième mandat dont il n’avait pas droit.
Pourquoi l'Afrique a t-elle besoin d'institutions fortes?
D’abord, une attention particulière doit être portée sur un contexte africain difficile, marqué par un double phénomène, aux enjeux non encore bien maitrisés et qui, à terme, risque de déterminer l’avenir du continent dans les décennies à venir. En effet, la sous région en particulier et l’Afrique en général, sont au centre de convulsions importantes qui menacent la stabilité entière du continent. Au cœur de ces luttes, se retrouvent des enjeux tels que ceux liés au phénomène du narco trafic avec les nouvelles routes de la drogue en provenance de l’Amérique latine en route vers l’Europe.
Il faut noter également l’émergence de conflits de type nouveau tels que ceux en cours actuellement dans le Nord Mali ou la Centrafrique, qui menacent toute la sous région sans oublier le Sud Sénégal avec la casamance qui est toujours dans un processus de recherche de paix. Bref un phénomène de militarisation accrue avec des interventions militaires françaises à répétition et une tentative américaine de délocaliser sa base militaire d’Africom de Stuttgart (en Allemagne), vers un pays Africain pour compléter son dispositif de maillage du continent. Tout ceci dans un contexte nouveau de compétition effrénée entre l’Europe et les USA d’une part et les nouvelles forces émergentes telles que la Chine, l’Inde, le Brésil etc...d’autre part, qui risque de redéfinir la configuration géopolitique de la sous région Africaine du Sahel. Face à ces enjeux, nos jeunes état-nations ont un besoin pressant d'institutions fortes pour résister aux nuages qui s’amoncellent au-dessus de leurs têtes.
Au niveau de la sous région, on assiste selon les cas, à des flux ou reflux des processus démocratiques avec des tentatives de manipulation des institutions pour se maintenir au pouvoir (Wade en 2012 au Sénégal, Compaoré en ce moment pour un énième mandat afin de se pérenniser au pouvoir et ne pas avoir à répondre un jour de son implication dans l’assassinat de Thomas Sankara).
Ce contexte d’affaiblissement des institutions des états-nations postindépendance, s’accompagne d’enjeux se manifestant par des défis sécuritaires énormes avec de nouvelles vagues de militarisation et d’interventions de forces militaires étrangère sous l’œil souvent complice d’élites Africaines, dans un nouvel ordre mondial prédateur qui continue de marginaliser l’Afrique en ne s’intéressant qu’à ses ressources.
Un exemple patent étant le processus agressif d’accaparement des ressources naturelles et des terres agricoles en cours, par des multinationales et fonds d’investissement des pays du Nord et du Moyen orient. Face à ces enjeux énormes, vouloir confiner le débat en profondeur sur les réformes institutionnelles proposées par la CNRI dans des polémiques et invectives, comme nous y invitent certains cercles de l’APR, relève de l’enfantillage. Les forces patriotiques et démocratiques devraient éviter ce piège et continuer à se focaliser sur les questions de fond de l'avant-projet de constitution proposée par la CNRI.
Pour le cas du Sénégal qui nous intéresse, la deuxième réélection de Wade en 2007, suivie du boycott des élections législatives de la même année par les segments significatifs de l’opposition d’alors, avait finit de matérialiser une rupture du dialogue politique porteuse de tous les dangers. C’est dans ce contexte national spécifique que des éléments de la société civile en jonction avec certaines forces politiques, avaient initié les assises nationales du Sénégal, qui ont aboutit à une nouvelle offre politique dans laquelle plusieurs candidats aux élections de 2012 vont puiser des éléments de proposition pour étoffer leurs programmes de campagne.
Il faut signaler que l'issue des élections de Février – Mars 2012 a été largement déterminée non pas par une quelconque pertinence d’un projet de société d'un candidat, mais plutôt par un rejet massif de WADE qui a voulu transmettre le pays illégalement à son fils Karim. Les résultats des deux tours au niveau de la Diaspora (Canada-France-Etats-Unis) sont largement illustratifs de ce sentiment de rejet de Wade qui a finit par profiter à Macky Sall dont les moyens colossaux de campagne électorale permanente pendant plus de trois ans ont fini par payer.
Le saut quantitatif du candidat Macky SALL entre les deux tours (de 26,58% à 65,80 %) montre à suffisance que le vote en sa faveur n’était pas en faveur du Yoonu Yokute, qui a fini par être enterré par son initiateur pour manque d'efficacité.
Le fond des Réformes de la CNRI
Les réformes soumises par la CNRI, ont été le fruit d’un long processus de consultations avec les citoyens sur la base d’un décret présidentiel n°2013-730 du 28 mai 2013 dont les termes de référence stipulaient clairement de « mener selon une méthode inclusive et participative la concertation nationale sur la réforme des institutions ; Et de formuler toutes propositions visant à améliorer le fonctionnement des institutions, à consolider la démocratie, à approfondir l’Etat de droit et à moderniser le régime politique. ».
Prétendre que la commission a outrepassé ses prérogatives en proposant un avant projet de constitution, c’est vouloir nous enfermer sur des détails et des questions de forme en occultant les questions de fonds censées apporter une réponse pertinente aux enjeux multiples décrits plus haut. Certains de ses enjeux portent sur :
- Le recentrage de l’Etat autour de ses missions régaliennes et la consolidation de l’état de droit ;
- L’équilibre des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire ;
- Le renforcement de l’indépendance de la justice et le renforcement et la protection des libertés publiques avec l’érection d’une cour constitutionnelle qui trône à la pointe de la pyramide judicaire du pays ;
- L’approfondissement de la démocratie représentative et participative
- La promotion de la bonne gouvernance, de la transparence et de l’éthique dans la gestion des affaires publiques, ainsi que la culture de l’imputabilité;
- le verrouillage de certaines dispositions de la constitution pour éviter des manipulations intempestives.
Encore une fois on ne peut promouvoir la posture d'une République moderne et démocratique sans tenir compte des innovations citées ci-dessus, autrement dit on ne peut vouloir une chose et son contraire, toute rupture demande des sacrifices (à savoir, se débarrasser des vieilles habitudes héritées d'une République de type colonial).
Des questions aussi importantes telles :
que l‘érection d’une Cour Constitutionnelle (à la place de l’actuel conseil constitutionnel), dont le mode de désignation de ses 7 membres pour un seul mandat de 6 ans, est encadré, et procède de tous les pouvoirs institutionnels : Le Président de la République (qui nomme 3 magistrats proposés par le Conseil Supérieur de la Magistrature), Le Président de l’Assemblée nationale (qui nomme 1 professeur titulaire de droit et 1 personnalité désigné par le collectif des associations de défense des droits humains et de promotion de la démocratie) , Le Premier Ministre (qui nomme 1 ancien haut fonctionnaire de l’Etat), Le Bureau du Conseil de l’ordre des Avocats (qui désigne 1 ses membres). Tous les membres de la cour constitutionnelle devant avoir 25 ans d’expérience au minimum. Le président de la république ne présidant plus le conseil Supérieur de la Magistrature etc…
Toutes ces innovations majeures qui tendent à renforcer notre démocratie et à consolider un Etat de droit, sont occultées par des thuriféraires du régime actuel pour se focaliser sur l’interdiction de cumul des fonctions de président de la république et de président de parti politique, même si cette disposition n’entre en vigueur en réalité qu’en 2017, grâce à une des dispositions transitoires prévue dans l’avant-projet de constitution de la CNRI (Article 151 – Alinéa 1). Preuve une fois de plus que ceux qui hurlent, n’ont, parfois, pas pris le temps de lire les documents, devenus publics.
Une autre innovation de taille réside dans la possibilité de saisine directe de la Cour Constitutionnelle par les citoyens (pétition d’un groupe de dix mille citoyens régulièrement inscrits sur les listes électorales).
Enfin c’est terminé les temps où la plus haute juridiction de notre pays pouvait se déclarer incompétente. La Cour Constitutionnelle connaît la constitutionnalité des lois et les engagements internationaux, les conflits de compétence entre l'Exécutif et le Législatif, les conflits de compétence entre le Conseil d'Etat et la Cour de Cassation, ainsi que les exceptions d'inconstitutionnalité soulevées devant la Cour d’Appel, le Conseil d'Etat ou la Cour de Cassation. Elle est compétente pour statuer sur toute question d’interprétation et d’application de la Constitution.
Un Conseil supérieur de la magistrature à la composition variée et hors de contrôle de l’exécutif.
Les mécanismes de lutte contre l’impunité des crimes économiques avec un réaménagement du dispositif de contrôle autour de la Cour des Comptes, de la Vérification Générale d’Etat -VGE-, de l’Office National de lutte contre la fraude et la corruption –OFNAC-, de l’Autorité de régulation des marchés publics –ARMP-, de la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières –CENTIF-, et une meilleure coordination avec les systèmes de contrôle.
L’Autorité de Régulation de la Démocratie qui contrôle et supervise l’ensemble du processus électorale ou référendaire, de l’inscription sur les listes électorales à la proclamation des résultats provisoires en passant par le scrutin. Elle assure également le contrôle de la régularité de fonctionnement et du financement des partis politiques ainsi que la vérification du financement des campagnes électorales.
Un Conseil Consultatif des Sénégalais de l’Extérieur dont les membres seront directement élus par leurs compatriotes et qui devra être consulté sur toutes les décisions majeures qui vont impacter la vie des émigrés.
La systématisation de la déclaration de patrimoine à l’entrée et à la fin de la fonction pour plusieurs personnalités gérant des deniers publiques.
Afin d’éviter l’abus de majorité mécanique à l’assemblée nationale, la CNRI propose la mise en place des conditions de participation effective de l’opposition parlementaire au travail législatif.
La mise en place des mécanismes de reddition des comptes et de contrôle citoyen, notamment la systématisation des budgets participatifs au niveau des collectivités locales, et le suivi-évaluation des politiques publiques.
Bref, c’est dire qu’il n’y a point besoin de polémiquer sur tel ou tel aspect des conclusions de la CNRI.
La pertinence ou non de n’importe quelle proposition de la CNRI peut être prouvée en répondant à une question simple: « la proposition en question, va-t-elle oui ou non à l’encontre de l’intérêt général de nos populations? ».
Le professeur Amadou Mahtar Mbow a été au service du Sénégal et mérite toute notre admiration et notre respect pour la qualité du travail qu’il a offert au Sénégal pour les générations à venir. Les hommes et femmes qui l’ont accompagné tout au long du processus, sont connus pour la qualité de leur expertise, leur probité morale et leur patriotisme.
En plafonnant l’âge pour être candidat à la présidentielle à 70 ans, les membres de la CNRI se sont volontairement auto-exclus de toute compétition présidentielle et montrent si besoin en était qu’ils ne sont mus que par la volonté d’offrir a notre peuple les fondements d’une république démocratique, solidaire, arc-boutée sur les valeurs ancestrales de solidarité, de justice sociale, d’équité, d’égalité de tous les citoyens devant la loi.
Perspectives de mise en œuvre :
Compte tenu de l’ampleur des propositions, et la multitude d’innovations apportées par rapport aux constitutions passées, il est évident que la méthode la plus appropriée pour adopter les propositions issues des travaux de la CNRI demeure le referendum populaire ou les citoyens vont se prononcer en toute connaissance de cause pour ou contre ce projet de constitution. Nul ne peut se substituer au peuple, fût-il le Président de la république, car la souveraineté appartient au peuple et nul ne peut prétendre connaitre mieux que lui ce qui est bon pour lui ou pas.
Le président dans sa première sortie depuis la Chine sur les propositions de la CNRI, semble insinuer qu’il va prendre son temps. Certes la notion de temps est relative, mais en réalité il ne lui reste plus que trois ans sur son mandat actuel, et jusqu’à preuve du contraire, il n’a aucune garantie de renouvellement de son mandat. En fait, ces réformes devraient être en principe les premiers jalons de sa gouvernance juste, après son élection de Mars 2012. Donc le temps file et le peuple attend patiemment, mais résolument, l’avènement de ruptures suffisamment profondes pour ouvrir la voie à une gouvernance nouvelle complètement différente de l’hyper-présidentialisme que nous avons connu ces 50 dernières années.
Nous invitons par ailleurs tous les citoyens, à l’intérieur du Sénégal et dans la Diaspora (militants ou pas de formations politiques, du pouvoir comme de l’opposition, la société civile dans ses diverses composantes, l’intelligentsia du pays, et les acteurs des assises nationales …) à participer au débat public sur le contenu de l’avant-projet de constitution proposé par la CNRI, en exprimant leurs sentiments et points de vue sur ces propositions, et ne pas laisser le monopole du débat à certaines forces mues que par des intérêts personnels ou claniques. Car en définitive, c’est le peuple qui doit décider et personne d’autre à sa place.
Chers citoyens, arrêtons d'indexer les membres de la CNRI, ils ont accompli la mission que le Président de la République leur avait confiée au nom du peuple sénégalais et avec notre argent. A notre tour maintenant, d'accomplir notre devoir, c'est à dire s'approprier le fruit de ce travail, afin de mieux le valoriser pour nous-mêmes et pour les générations à venir. Mais concernant l'avant-projet de constitution, restons tous debout pour que personne n’en dénature la portée et que sa validation en projet ne se fasse en catimini dans l'hémicycle d'une majorité mécanique; mais plutôt par la voie référendaire afin que chaque citoyen s'exprime librement en son nom propre.
Citoyens, citoyennes du Sénégal, vigilance et encore vigilance!
Ameth LO – Toronto (Canada)
Mansour Gueye – Paris (France)
Denis Ndour – New-York (U.S.A)