Contrairement au philosophe Allemand c’est à croire que la poésie est devenue un genre mineur. Du moins au Sénégal. Tout le monde se met à la poésie, même un diseur de poèmes comme Pape Faye. Il vient de publier un recueil, il est dans son droit puisqu’il ne manque pas talent, dit-on. Le feu Lucien Lemoine qui nous a fait pleurer en déclamant divinement « A Villequier » et « Elégie à Philippe Maguilen Senghor » ne s’est jamais perdu en fanfaronnades et autres prétentions « poétiques ». Suffit-il d’avoir une diction travaillée à force de hurlements et d’ahanements à vomir au bord de la mer pour se déclarer poète avec fort menaces et justifications lancées (à priori) aux critiques comme pour dire : « Tenez-vous bien à l’écart messieurs les critiques ! Personne ne m’empêchera d’entrer dans le cercle prestigieux des poètes ». Oh mon Dieu ! Où irons-nous avec le succès ? Voilà un signe et même un symptôme de peur panique, un réel manque de confiance en soi. Un écrivain a-t-il besoin t’anticiper la critique. Si vous êtes sûr de votre métier, écrivez, et les critiques feront le reste ! La critique est d’ailleurs un prolongement de l’œuvre. Elle fonctionne à rebours, à rebrousse-poil ou dans le sens du poil. Elle est « au service » de l’œuvre et non de l’auteur.
Un diseur au talent immense comme Raymond Devos ne s’est jamais mépris sur sa voie, certains textes qui étaient de son propre cru ont même contribué à enrichir la langue française, il était bien meilleur que beaucoup de poètes. Un autre diseur comme Fabrice Lucini occupe une place insigne dans les milieux littéraires français par son talent à déclamer des textes difficiles comme ceux de Derrida, Céline ou Nietzsche. Autant dire que le rôle de déclameur de poèmes n’est pas dévalorisant. Il y a de la « baraka » dans la littérature, lorsqu’elle est sincère. Des hommes comme Bernard Pivot en France ou Sada Kane au Sénégal n’ont pas fait œuvre d’écrivain mais ils sont devenus importants grâce à leur rôle de découvreur littéraire. A chacun son rôle même si l’on peut passer du rôle de découvreur à auteur. Certains l’ont réussi avec brio.
Quant au « poétique », il tient de la substance, c’est une flamme secrète qui brûle et se consume au-delà des mots, des images et des métaphores. La poésie c’est l’au-delà de la forme. C’est une autre forme différente de la forme des mots. L’immense Victor Hugo l’a compris, qui a dit en substance « est poétique tout ce qui est intime en tout ».
Le travail, la sculpture et le polissage des mots n’est que la voie, indispensable certes, pour s’élancer, s’élever gaiement vers « l’immensité profonde».La poésie « permet » de parler de toutes choses parce qu’elle est au-delà de toute chose. Mais lorsqu’elle s’arrête en chemin, lorsqu’elle n’est pas suffisamment vigoureuse pour aller « Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées/ Des montagnes, des bois, des nuages, des mers » bref au-delà des choses, elle devient un simple procédé, une répétition. Comme pour pasticher le grand cinéaste Jean Luc Godard, nous dirons que la poésie est un moyen d’expression majeur, dont l’expression a disparu, il est resté le moyen. A lire « Pourquoi des poètes ? » de Martin Heidegger, un texte dans lequel le philosophe discute et prolonge l’élégie du grand poète romantique allemand Hölderlin intitulée « Pain et Vin » nous serons définitivement convaincus que la poésie « c’est autre chose », elle ne part pas de rien. En temps de détresse les poètes naissent de la terreur puisqu’en temps de détresse le temps est long. La poésie a donc affaire au temps et à la longueur. Prenez votre temps messieurs les poètes ! Heidegger estime que la terreur « prise pour elle-même comme cause possible d’un virage, ne peut rien tant qu’il n’ya pas de revirement des mortels. Mais le revirement des mortels n’est pas évident. Autrement dit il ne suffit pas de souffrir pour être poète, il faut un revirement, une sorte de vacillement après la terreur. C’est un processus étrange, une ignition qui tient de « la cuisine » intérieure.
Le grand poète Serigne Cheikh Tidiane Sy a dit fort justement « le désert fabrique soit des poètes ou des soufis » ; une conception atmosphérique de la poésie qui n’est pas sans relations avec le temps. Ah ! N’est pas poète qui veut. Lorsque les mortels sont sur les traces de la divinité ils produisent de la poésie « il n’ya de revirement des mortels que lorsqu’ils prennent site dans leur propre être » a-dit Martin Heidegger. Pensez-vous que tout ceci est facile ?
Parmi ceux qui publient aujourd’hui il y en a un ou deux qui promettent de la poésie. La poésie n’est pas morte. Mais penser qu’il suffit de rêvasser, rimailler ou faire de ridicules concordances internes pour faire œuvre de poète relève de « la complicité ». C’est se rendre complice de la décadence contemporaine. Aujourd’hui la verbosité et la grandiloquence tiennent lieu de poésie. L’on ne sait pas que chez de grands poètes comme Senghor, Arthur Rimbaud ou même Adrienne Rich on trouve des « choses » qui s’apparentent à la naïveté ou la simplicité alors qu’il n’en est rien. Un vers peut être narratif et atteindre les cimes de la poésie. Du reste « le poétique » n’est pas l’apanage des rimailleurs. Qui est plus poète que le romancier japonais, prix Nobel de littérature Yasunari Kawabata ? Lisez le sublime « La beauté tôt vouée à se défaire » ou son étrange texte intitulé « Le bras »vous serez « déchirés » de plaisir poétique. Il écrit: « Plus que toute autre chose, ils me faisaient penser à des larmes de tragédie. Jour après jour, nuit après nuit, la fille s’appliquait à polir une beauté tragique. Cela imprégnait ma solitude, et c’était peut-être ma solitude qui, en gouttant sur les ongles de la jeune fille, y formaient ces larmes tragiques ». Ceci vous donne une idée de l’écriture de Kawabata et c’est la moindre des remarques. A lire certains recueils de poèmes lancés sur le marché littéraire au Sénégal, on ne peut s’empêcher de dire : « Ont-ils vu une séquence d’un film de Djibril Diop Mambéty ». Aussi incongrue que cette question puisse être. Ils ne comprennent pas que les effluves poétiques viennent de la culture en général. Un poète est forcément un homme cultivé. La puissance poétique exhalée par le cinéma underground de Mambéty Diop, le mysticisme panthéiste du grand cinéaste Térence Malick ou l’ambiance gothique, funèbre et cauchemardesque des films de Tim Burton aideraient peut-être bons nombres de poètes à s’éclater. Ne savent-ils pas que de l’éclatement du cœur nait la poésie ? Regardez « les moissons du ciel » avec la subtile photographie de Nestor Almendros ou « The tree of life », vous saurez que « le poétique » n’est souvent pas là où on le cherche. Certes les écritures cinématographique et littéraire sont différentes mais l’exemple historique de la rencontre esthétique entre Marguerite Duras et Alain Resnais a produit un film inoubliable comme « Hiroshima mon amour ». Le fameux « Garde à vue » est à vrai dire une œuvre commune à Claude Miller et Michel Audiard qui est un véritable écrivain.
On oublie souvent que le grand musicien Bop Dylan est pressenti pour le prix Nobel de littérature depuis des années. Beaucoup de poètes ont à apprendre de la verve torrentielle de mots sortis de la bouche d’un musicien « anarchiste » comme Georges Brassens. Que dire de Jacques Brel aux textes larmoyants et évocateurs ? Quant à Serge Gainsbourg il a confessé que son courage à chanter lui vient de l’écrivain Boris Vian lorsque ce dernier a chanté « Le déserteur » avec cette désinvolture légendaire qu’on retrouve au Sénégal chez Souleymane Faye et Wasis Diop particulièrement à plusieurs variantes près. Qui ose dire que des musiciens étranges comme Miles Davis ou bien aujourd’hui Jim Jarmush, Iggy Pop et Brigitte Fontaine ne sont pas des poètes ? Autrefois Sarah Vaughan, Billie Holiday, Bessie Smith et Ella Fitzgerald ont été les voies féminines les plus hautes de l’histoire du Jazz. Elles ont déclamé le texte jazzique et l’ont emmené un niveau d’explosion poétique inégalé. La plus part des musiciens ne sont pas des poètes. Mais il y en a certainement une bonne poignée qui dépasse des auteurs proclamés. Même une musique incandescente comme l’Afro-beat de Fela Anikulapo Kuti et son héritier de fils Fémi Kuti est une source intarissable de poésie par sa puissance incendiaire.
Au Sénégal, le pays de Léopold Senghor, mis à part Amadou Lamine Sall, un « poète établi » à qui il reste de quitter la confrérie bruyante des écrivains pour devenir un poète solitaire , Samba N’diaye qui arrive au grand galop avec ses « marrons glacées », un ou deux autres poètes connus et peut-être une poignée de parfaits inconnus et invisibles,le tableau est morose. On nous sert une nourriture infecte de poésie depuis quelques temps. La poésie est comme le chant, elle fait vite déraper. Il est facile de chanter faut. « Pas de musique pour de grandes oreilles » a dit Mozart.
Khalifa Touré
Sidimohamedkhalifa72@gmail.com
776151166/709341367
Un diseur au talent immense comme Raymond Devos ne s’est jamais mépris sur sa voie, certains textes qui étaient de son propre cru ont même contribué à enrichir la langue française, il était bien meilleur que beaucoup de poètes. Un autre diseur comme Fabrice Lucini occupe une place insigne dans les milieux littéraires français par son talent à déclamer des textes difficiles comme ceux de Derrida, Céline ou Nietzsche. Autant dire que le rôle de déclameur de poèmes n’est pas dévalorisant. Il y a de la « baraka » dans la littérature, lorsqu’elle est sincère. Des hommes comme Bernard Pivot en France ou Sada Kane au Sénégal n’ont pas fait œuvre d’écrivain mais ils sont devenus importants grâce à leur rôle de découvreur littéraire. A chacun son rôle même si l’on peut passer du rôle de découvreur à auteur. Certains l’ont réussi avec brio.
Quant au « poétique », il tient de la substance, c’est une flamme secrète qui brûle et se consume au-delà des mots, des images et des métaphores. La poésie c’est l’au-delà de la forme. C’est une autre forme différente de la forme des mots. L’immense Victor Hugo l’a compris, qui a dit en substance « est poétique tout ce qui est intime en tout ».
Le travail, la sculpture et le polissage des mots n’est que la voie, indispensable certes, pour s’élancer, s’élever gaiement vers « l’immensité profonde».La poésie « permet » de parler de toutes choses parce qu’elle est au-delà de toute chose. Mais lorsqu’elle s’arrête en chemin, lorsqu’elle n’est pas suffisamment vigoureuse pour aller « Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées/ Des montagnes, des bois, des nuages, des mers » bref au-delà des choses, elle devient un simple procédé, une répétition. Comme pour pasticher le grand cinéaste Jean Luc Godard, nous dirons que la poésie est un moyen d’expression majeur, dont l’expression a disparu, il est resté le moyen. A lire « Pourquoi des poètes ? » de Martin Heidegger, un texte dans lequel le philosophe discute et prolonge l’élégie du grand poète romantique allemand Hölderlin intitulée « Pain et Vin » nous serons définitivement convaincus que la poésie « c’est autre chose », elle ne part pas de rien. En temps de détresse les poètes naissent de la terreur puisqu’en temps de détresse le temps est long. La poésie a donc affaire au temps et à la longueur. Prenez votre temps messieurs les poètes ! Heidegger estime que la terreur « prise pour elle-même comme cause possible d’un virage, ne peut rien tant qu’il n’ya pas de revirement des mortels. Mais le revirement des mortels n’est pas évident. Autrement dit il ne suffit pas de souffrir pour être poète, il faut un revirement, une sorte de vacillement après la terreur. C’est un processus étrange, une ignition qui tient de « la cuisine » intérieure.
Le grand poète Serigne Cheikh Tidiane Sy a dit fort justement « le désert fabrique soit des poètes ou des soufis » ; une conception atmosphérique de la poésie qui n’est pas sans relations avec le temps. Ah ! N’est pas poète qui veut. Lorsque les mortels sont sur les traces de la divinité ils produisent de la poésie « il n’ya de revirement des mortels que lorsqu’ils prennent site dans leur propre être » a-dit Martin Heidegger. Pensez-vous que tout ceci est facile ?
Parmi ceux qui publient aujourd’hui il y en a un ou deux qui promettent de la poésie. La poésie n’est pas morte. Mais penser qu’il suffit de rêvasser, rimailler ou faire de ridicules concordances internes pour faire œuvre de poète relève de « la complicité ». C’est se rendre complice de la décadence contemporaine. Aujourd’hui la verbosité et la grandiloquence tiennent lieu de poésie. L’on ne sait pas que chez de grands poètes comme Senghor, Arthur Rimbaud ou même Adrienne Rich on trouve des « choses » qui s’apparentent à la naïveté ou la simplicité alors qu’il n’en est rien. Un vers peut être narratif et atteindre les cimes de la poésie. Du reste « le poétique » n’est pas l’apanage des rimailleurs. Qui est plus poète que le romancier japonais, prix Nobel de littérature Yasunari Kawabata ? Lisez le sublime « La beauté tôt vouée à se défaire » ou son étrange texte intitulé « Le bras »vous serez « déchirés » de plaisir poétique. Il écrit: « Plus que toute autre chose, ils me faisaient penser à des larmes de tragédie. Jour après jour, nuit après nuit, la fille s’appliquait à polir une beauté tragique. Cela imprégnait ma solitude, et c’était peut-être ma solitude qui, en gouttant sur les ongles de la jeune fille, y formaient ces larmes tragiques ». Ceci vous donne une idée de l’écriture de Kawabata et c’est la moindre des remarques. A lire certains recueils de poèmes lancés sur le marché littéraire au Sénégal, on ne peut s’empêcher de dire : « Ont-ils vu une séquence d’un film de Djibril Diop Mambéty ». Aussi incongrue que cette question puisse être. Ils ne comprennent pas que les effluves poétiques viennent de la culture en général. Un poète est forcément un homme cultivé. La puissance poétique exhalée par le cinéma underground de Mambéty Diop, le mysticisme panthéiste du grand cinéaste Térence Malick ou l’ambiance gothique, funèbre et cauchemardesque des films de Tim Burton aideraient peut-être bons nombres de poètes à s’éclater. Ne savent-ils pas que de l’éclatement du cœur nait la poésie ? Regardez « les moissons du ciel » avec la subtile photographie de Nestor Almendros ou « The tree of life », vous saurez que « le poétique » n’est souvent pas là où on le cherche. Certes les écritures cinématographique et littéraire sont différentes mais l’exemple historique de la rencontre esthétique entre Marguerite Duras et Alain Resnais a produit un film inoubliable comme « Hiroshima mon amour ». Le fameux « Garde à vue » est à vrai dire une œuvre commune à Claude Miller et Michel Audiard qui est un véritable écrivain.
On oublie souvent que le grand musicien Bop Dylan est pressenti pour le prix Nobel de littérature depuis des années. Beaucoup de poètes ont à apprendre de la verve torrentielle de mots sortis de la bouche d’un musicien « anarchiste » comme Georges Brassens. Que dire de Jacques Brel aux textes larmoyants et évocateurs ? Quant à Serge Gainsbourg il a confessé que son courage à chanter lui vient de l’écrivain Boris Vian lorsque ce dernier a chanté « Le déserteur » avec cette désinvolture légendaire qu’on retrouve au Sénégal chez Souleymane Faye et Wasis Diop particulièrement à plusieurs variantes près. Qui ose dire que des musiciens étranges comme Miles Davis ou bien aujourd’hui Jim Jarmush, Iggy Pop et Brigitte Fontaine ne sont pas des poètes ? Autrefois Sarah Vaughan, Billie Holiday, Bessie Smith et Ella Fitzgerald ont été les voies féminines les plus hautes de l’histoire du Jazz. Elles ont déclamé le texte jazzique et l’ont emmené un niveau d’explosion poétique inégalé. La plus part des musiciens ne sont pas des poètes. Mais il y en a certainement une bonne poignée qui dépasse des auteurs proclamés. Même une musique incandescente comme l’Afro-beat de Fela Anikulapo Kuti et son héritier de fils Fémi Kuti est une source intarissable de poésie par sa puissance incendiaire.
Au Sénégal, le pays de Léopold Senghor, mis à part Amadou Lamine Sall, un « poète établi » à qui il reste de quitter la confrérie bruyante des écrivains pour devenir un poète solitaire , Samba N’diaye qui arrive au grand galop avec ses « marrons glacées », un ou deux autres poètes connus et peut-être une poignée de parfaits inconnus et invisibles,le tableau est morose. On nous sert une nourriture infecte de poésie depuis quelques temps. La poésie est comme le chant, elle fait vite déraper. Il est facile de chanter faut. « Pas de musique pour de grandes oreilles » a dit Mozart.
Khalifa Touré
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