Maître, quel est votre avis sur les exécutions qu'il y a eu en Gambie, notamment de ressortissants sénégalais condamnés à mort ?
Ce qui s'est passé en Gambie est très regrettable. Il faut rappeler quand même que depuis 1985, la Gambie avait renoncé à la peine capitale, ce qui se traduisait dans les faits par la non exécution des condamnés à mort dans ce pays depuis au moins 27 ans. Et, plus récemment, en 2010, la Gambie avait confirmé le maintien du moratoire sur la peine de mort dans son rapport périodique au Conseil des droits de l'homme de l'Onu, à Genève. Il y avait donc un moratoire qui engageait la Gambie à suspendre toutes les exécutions. En outre, l’Etat gambien avait lui-même ratifié le moratoire des Nations Unies qui invite à l'abolition de droit de la peine de mort sur le plan universel.
C’est dire donc que le traitement qui a été réservé à ces neuf personnes exécutées est sans conteste un acte inhumain, cruel et dégradant, qu’il convient de condamner avec la plus grande fermeté. En effet, la peine de mort est une atteinte grave au droit à la vie, protégé par les pactes des Nations Unies sur les droits civils et politiques de 1966 (article 6) que la Gambie a d'ailleurs ratifiés. Ces droits sont aussi protégés par la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (articles 4 et 5) et la Gambie abrite également le siège de la Commission. Fort de tout cela, nous avons quand même cru, jusqu'à la dernière minute, que le président gambien, Yaya Jammeh, allait retrouver ses esprits et revenir à la raison.
Les autorités sénégalaises ont-elles été saisies à temps au sujet de ces exécutions ?
Oh oui ! L'information a été quand même bien relayée par des Ong réputées très sérieuses comme Amnesty international. Il y a même des documents pénitenciers qui circulent avec un nombre avancé qui était de 47 condamnés à mort dont au moins 3 citoyens sénégalais. Les Ong en ont parlé, notamment dans les médias, mais malheureusement, il a fallu commettre l'irréparable pour que le gouvernement sénégalais s'en saisisse.
Le Sénégal a-t-il fauté pour sa lenteur sur ce dossier ?
Oui, on pourrait effectivement reprocher au Sénégal de n'avoir pas été très diligent. Du moment où, quand même, c'était une information grave relayée par des Ong sérieuses, il fallait tout de suite effectuer la vérification habituelle. Le Sénégal à un consulat à Banjul et celui-ci à le devoir de vérifier avec efficacité une information de cette nature. Il fallait donc, en amont, et de façon diligente procéder à des vérifications au lieu d'attendre que l'irréparable soit commis pour réagir. C'est malheureusement le cas actuellement, et c'est assez regrettable de le constater.
A ce stade des choses, qu'est-ce que le Sénégal peut et doit faire pour empêcher l'exécution de ses ressortissants condamnés à mort en Gambie ?
En de pareilles circonstances, le droit international permet à l'Etat du Sénégal de saisir rapidement la Cour internationale de justice de La Haye (l’organe judicaire des Nations Unies) d'une requête pour demander, sur le fondement de l'article 41 du statut de ladite Cour, de prononcer des mesures conservatoires afin de préserver les droits de ses citoyens exposés à la peine de mort. C'est-à-dire que si un ressortissant sénégalais est mal traité dans un autre pays, cela porte préjudice à l'Etat du Sénégal lui-même, d'où la nécessité de prononcer des mesures conservatoires. Cela signifie tout simplement que le Sénégal doit se mettre dans une optique d'efficacité et saisir sans attendre la Cour internationale de justice de La Haye. Celle-ci pourrait ensuite faire le constat que la Gambie a effectivement exécuté des ressortissants sénégalais sans avoir respecté l'obligation d'information posée par les articles 5 et 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires conclue le 24 avril 1963.
La Convention de Vienne fait obligation à la Gambie d'informer d'abord les personnes condamnées et ensuite l'Etat du Sénégal. C'est là, déjà, une première violation. La Gambie a aussi violé les pactes des Nations Unies sur les droits civils et politiques de 1966 et dont elle est pourtant un des signataires. Ces conventions des Nations Unies posent le principe à un procès équitable si celui-ci est susceptible de conduire à une condamnation à mort. Compte tenu du risque encouru, l'Etat gambien avait pour obligation de faire respecter les standards onusiens de droit de la défense qui ont également été violés. La troisième violation faite par la Gambie porte sur les articles 4 et 5 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples qui consacrent le droit à la vie et s'oppose à l'administration du châtiment suprême qu’est la peine de mort. Donc c'est une panoplie de violations.
Pourquoi est-il si important de saisir cette Cour au lieu de jouer la carte de la diplomatie?
C'est important, d'abord parce que le droit international prime sur le droit interne de l'Etat gambien. Il est évident que le principe de la souveraineté de l'Etat fait que chaque Etat a la latitude d’édicter une législation criminelle interne qui lui est propre et d’appliquer en voie de conséquence les châtiments prévus. Sauf que, ce qui limite la liberté d'action d'un Etat, ce sont ses engagements à l'international. Cela veut dire que la Gambie peut appliquer la peine de mort, mais à condition de respecter dans le cadre des procédures pénales qui vont conduire au prononcé de cette peine, les standards rigoureux du droit international qui sont prévus à cet effet. Ce qui n’a pas été le cas avec les 47 personnes condamnées. Maintenant, si la Cour internationale de justice de La Haye se prononce et que la Gambie viole son arrêt, la conséquence sera une sanction du Conseil de sécurité de l’Onu.
Qu'en est-il donc pour les ressortissants déjà exécutés ?
Pour apaiser la douleur et la souffrance des familles, le Sénégal peut aussi exercer sa protection consulaire. C'est-à-dire qu'en saisissant la Cour internationale de justice de La Haye, il donne une dimension internationale à l'affaire. A partir de là maintenant, la Cour peut constater qu'il y a effectivement des manquements et, en conséquence, condamner la Gambie pour ses actes illicites internationaux puis prononcer une indemnisation pour les familles des victimes.
Cette situation ne va-t-elle pas pourrir les relations entre le Sénégal et la Gambie?
C'est justement là l'intérêt de donner un traitement judicaire international à cette affaire. L'exemple du dossier Habré qui oppose le Sénégal et la Belgique est un bel exemple puisque, là aussi, la Cour internationale de justice de La Haye est intervenue pour demander au Sénégal de juger Hissène Habré. Il n'en demeure pas moins que le Sénégal et la Belgique sont restés en de bons termes diplomatiques. C'est ça l'esprit de la paix par le droit. C'est un idéal des Nations Unies qui regroupe tout ses membres autour de certaines valeurs et des idéaux dont le règlement pacifique des différents, quel que soit le degré de désaccords qui peuvent opposer les Etats membres.
Ça permet également de canaliser les tensions consubstantielles aux relations internationales, parce que c'est souvent aussi des jeux d'intérêts. Le Sénégal et la Gambie sont deux peuples frères, liés par l'Histoire et la Géographie et donc, qui ont un intérêt commun à vivre des relations de bon voisinage. La Gambie est un Etat certes souverain, mais capable d'entendre raison.
Entretien réalisé par notre correspondant à Paris Ousmane Noël MBAYE
Ce qui s'est passé en Gambie est très regrettable. Il faut rappeler quand même que depuis 1985, la Gambie avait renoncé à la peine capitale, ce qui se traduisait dans les faits par la non exécution des condamnés à mort dans ce pays depuis au moins 27 ans. Et, plus récemment, en 2010, la Gambie avait confirmé le maintien du moratoire sur la peine de mort dans son rapport périodique au Conseil des droits de l'homme de l'Onu, à Genève. Il y avait donc un moratoire qui engageait la Gambie à suspendre toutes les exécutions. En outre, l’Etat gambien avait lui-même ratifié le moratoire des Nations Unies qui invite à l'abolition de droit de la peine de mort sur le plan universel.
C’est dire donc que le traitement qui a été réservé à ces neuf personnes exécutées est sans conteste un acte inhumain, cruel et dégradant, qu’il convient de condamner avec la plus grande fermeté. En effet, la peine de mort est une atteinte grave au droit à la vie, protégé par les pactes des Nations Unies sur les droits civils et politiques de 1966 (article 6) que la Gambie a d'ailleurs ratifiés. Ces droits sont aussi protégés par la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (articles 4 et 5) et la Gambie abrite également le siège de la Commission. Fort de tout cela, nous avons quand même cru, jusqu'à la dernière minute, que le président gambien, Yaya Jammeh, allait retrouver ses esprits et revenir à la raison.
Les autorités sénégalaises ont-elles été saisies à temps au sujet de ces exécutions ?
Oh oui ! L'information a été quand même bien relayée par des Ong réputées très sérieuses comme Amnesty international. Il y a même des documents pénitenciers qui circulent avec un nombre avancé qui était de 47 condamnés à mort dont au moins 3 citoyens sénégalais. Les Ong en ont parlé, notamment dans les médias, mais malheureusement, il a fallu commettre l'irréparable pour que le gouvernement sénégalais s'en saisisse.
Le Sénégal a-t-il fauté pour sa lenteur sur ce dossier ?
Oui, on pourrait effectivement reprocher au Sénégal de n'avoir pas été très diligent. Du moment où, quand même, c'était une information grave relayée par des Ong sérieuses, il fallait tout de suite effectuer la vérification habituelle. Le Sénégal à un consulat à Banjul et celui-ci à le devoir de vérifier avec efficacité une information de cette nature. Il fallait donc, en amont, et de façon diligente procéder à des vérifications au lieu d'attendre que l'irréparable soit commis pour réagir. C'est malheureusement le cas actuellement, et c'est assez regrettable de le constater.
A ce stade des choses, qu'est-ce que le Sénégal peut et doit faire pour empêcher l'exécution de ses ressortissants condamnés à mort en Gambie ?
En de pareilles circonstances, le droit international permet à l'Etat du Sénégal de saisir rapidement la Cour internationale de justice de La Haye (l’organe judicaire des Nations Unies) d'une requête pour demander, sur le fondement de l'article 41 du statut de ladite Cour, de prononcer des mesures conservatoires afin de préserver les droits de ses citoyens exposés à la peine de mort. C'est-à-dire que si un ressortissant sénégalais est mal traité dans un autre pays, cela porte préjudice à l'Etat du Sénégal lui-même, d'où la nécessité de prononcer des mesures conservatoires. Cela signifie tout simplement que le Sénégal doit se mettre dans une optique d'efficacité et saisir sans attendre la Cour internationale de justice de La Haye. Celle-ci pourrait ensuite faire le constat que la Gambie a effectivement exécuté des ressortissants sénégalais sans avoir respecté l'obligation d'information posée par les articles 5 et 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires conclue le 24 avril 1963.
La Convention de Vienne fait obligation à la Gambie d'informer d'abord les personnes condamnées et ensuite l'Etat du Sénégal. C'est là, déjà, une première violation. La Gambie a aussi violé les pactes des Nations Unies sur les droits civils et politiques de 1966 et dont elle est pourtant un des signataires. Ces conventions des Nations Unies posent le principe à un procès équitable si celui-ci est susceptible de conduire à une condamnation à mort. Compte tenu du risque encouru, l'Etat gambien avait pour obligation de faire respecter les standards onusiens de droit de la défense qui ont également été violés. La troisième violation faite par la Gambie porte sur les articles 4 et 5 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples qui consacrent le droit à la vie et s'oppose à l'administration du châtiment suprême qu’est la peine de mort. Donc c'est une panoplie de violations.
Pourquoi est-il si important de saisir cette Cour au lieu de jouer la carte de la diplomatie?
C'est important, d'abord parce que le droit international prime sur le droit interne de l'Etat gambien. Il est évident que le principe de la souveraineté de l'Etat fait que chaque Etat a la latitude d’édicter une législation criminelle interne qui lui est propre et d’appliquer en voie de conséquence les châtiments prévus. Sauf que, ce qui limite la liberté d'action d'un Etat, ce sont ses engagements à l'international. Cela veut dire que la Gambie peut appliquer la peine de mort, mais à condition de respecter dans le cadre des procédures pénales qui vont conduire au prononcé de cette peine, les standards rigoureux du droit international qui sont prévus à cet effet. Ce qui n’a pas été le cas avec les 47 personnes condamnées. Maintenant, si la Cour internationale de justice de La Haye se prononce et que la Gambie viole son arrêt, la conséquence sera une sanction du Conseil de sécurité de l’Onu.
Qu'en est-il donc pour les ressortissants déjà exécutés ?
Pour apaiser la douleur et la souffrance des familles, le Sénégal peut aussi exercer sa protection consulaire. C'est-à-dire qu'en saisissant la Cour internationale de justice de La Haye, il donne une dimension internationale à l'affaire. A partir de là maintenant, la Cour peut constater qu'il y a effectivement des manquements et, en conséquence, condamner la Gambie pour ses actes illicites internationaux puis prononcer une indemnisation pour les familles des victimes.
Cette situation ne va-t-elle pas pourrir les relations entre le Sénégal et la Gambie?
C'est justement là l'intérêt de donner un traitement judicaire international à cette affaire. L'exemple du dossier Habré qui oppose le Sénégal et la Belgique est un bel exemple puisque, là aussi, la Cour internationale de justice de La Haye est intervenue pour demander au Sénégal de juger Hissène Habré. Il n'en demeure pas moins que le Sénégal et la Belgique sont restés en de bons termes diplomatiques. C'est ça l'esprit de la paix par le droit. C'est un idéal des Nations Unies qui regroupe tout ses membres autour de certaines valeurs et des idéaux dont le règlement pacifique des différents, quel que soit le degré de désaccords qui peuvent opposer les Etats membres.
Ça permet également de canaliser les tensions consubstantielles aux relations internationales, parce que c'est souvent aussi des jeux d'intérêts. Le Sénégal et la Gambie sont deux peuples frères, liés par l'Histoire et la Géographie et donc, qui ont un intérêt commun à vivre des relations de bon voisinage. La Gambie est un Etat certes souverain, mais capable d'entendre raison.
Entretien réalisé par notre correspondant à Paris Ousmane Noël MBAYE