Le président de la République vient de promulguer l’Article 15 du règlement intérieur, après avis conforme du Conseil constitutionnel. Mais, n’y a-t-il pas illégalité, si on sait que cet Article a été voté par l’Assemblée nationale avant l’avis du Conseil constitutionnel ?
D’abord, le règlement intérieur ne doit porter que sur l’organisation interne de l’Assemblée nationale, entre autres, les procédures de délibérations, Imagel’attitude des membres, etc. En d’autres termes, il peut fixer les règles du jeu, qui ne peuvent être qu’à usage interne. Le règlement intérieur n’a pas à aller au-delà du Parlement pour réguler le rapport entre l’Exécutif et le Législatif.
Ensuite, le président de l’Assemblée nationale est une autorité unipersonnelle, reconnue telle quelle par la Constitution qui anéantit son mandat depuis la dernière révision constitutionnelle. Bien sûr, le règlement intérieur doit être pris en application uniquement de cette disposition de la Constitution. Maintenant, le règlement intérieur, en tant que document d’application, devrait être tout à fait postérieur à la Constitution. Techniquement, on peut élaborer, préparer un règlement intérieur et attendre pour que la Constitution soit révisée, que cette révision constitutionnelle soit mise en application pour pouvoir introduire un recours, comme préalable de constitutionnalité. Tant que la Constitution n’est pas promulguée formellement, l’on ne saurait ou ne devrait apprécier la constitutionnalité du règlement intérieur.
Maintenant, dans le cas d’espèce, évidemment, il y a un certain nombre de problèmes. Par exemple, par rapport au contenu même du règlement intérieur. Dans la pratique parlementaire, la pratique de règlement a plus d’influence que la Constitution elle-même. Dans la pratique, sur la marche des affaires publiques, mais en Droit, le règlement intérieur est soumis au strict respect de la Constitution. Et tout écart est rigoureusement sanctionné. Si la Constitution dit que le mandat du président de l’Assemblée nationale est d’un an, le règlement intérieur, évidemment, devra appliquer cette même disposition. Elle ne peut pas, par exemple, en se servant du Bureau, contourner la volonté du constituant. La Constitution sénégalaise ne reconnaît pas de Bureau de l’Assemblée nationale, contrairement à certaines constitutions. Mais, elle reconnaît bien le président de l’Assemblée nationale qui doit être élu pour un mandat de cinq ans et le mandat court ; et il est calculé ou lui est «computé» à partir du jour ou des jours où il est installé dans les fonctions de président de l’Assemblée nationale. C’est à partir de ce jour-là qu’il faudrait commencer à calculer, donc, le délai de un an.
Autrement dit, est-ce qu’on a la possibilité aujourd’hui, constitutionnellement, de réduire le mandat de Macky Sall à un an, à la première séance de l’Assemblée nationale ?
J’ai écouté Doudou Wade (président du Groupe Libéral et démocratique, majoritaire à l’Assemblée nationale : Ndlr), lorsqu’il disait que, dans le règlement intérieur, il y a une disposition fourre-tout, en réalité. Comme quoi, à tout moment, on peut changer un membre du Bureau. Mais, le règlement intérieur est à usage interne ; le Bureau n’est pas reconnu par la Constitution ; le président de l’Assemblée nationale, lui, est reconnu carrément par la Constitution. Donc, la validité et la durée de son mandat s’apprécient justement par rapport aux prescrits de la Constitution. Maintenant, là, il y a une jurisprudence constante et même qui a été rendue par la Cour suprême sénégalaise dans un contentieux opposant Abdoulaye Wade et Abdou Diouf -je crois que c’est lors des élections de 1993-, lorsque Abdoulaye Wade disait que le mandat du président de la République expire le jour des élections. La Cour Suprême avait considéré que le mandat commence à courir à partir d’une date bien précise -cette date était, je crois le 4 ou le 5 avril- c’est à partir de cette date-là qu’il fallait commencer à calculer. Donc, il faut prendre en considération la date lors de laquelle Macky Sall a pris fonction et faire la computation à partir de ça. Cela veut simplement dire que si, par exemple, Macky a été élu président de l’Assemblée nationale, la première fois, au mois d’avril ou de mai, il faut calculer à partir de cette date. Pour les cinq ans, par exemple, c’est au mois de mai 2007, mai 2008, mai 2009 jusqu’au mois de mai 2012. On annualise les mandats, donc au mois de mai jusqu’au mois de mai de l’année prochaine. Théoriquement, cela devrait se passer ainsi. Mais quoiqu’il en soit, l’on ne saurait utiliser le règlement intérieur pour contourner la volonté du constituant. Eux (les députés), dans leur document interne, qui n’a aucune valeur constitutionnelle, apprécient la régularité du règlement intérieur par rapport à la Constitution, mais le règlement intérieur, -c’est une jurisprudence constante-, n’a aucune valeur constitutionnelle ; c’est un document à usage interne concernant l’organisation interne de l’Assemblée. Donc, pourquoi utiliser ce document interne de l’Assemblée nationale pour remettre en cause une disposition de la Constitution ? Le mandat du président de l’Assemblée est réglé par la Constitution. Dans leur règlement intérieur, ils (les députés) peuvent bien parler du Bureau, parce qu’il n’est pas reconnu tel quel par la Constitution. Et comme c’est le règlement intérieur qui a été établi par leur Bureau (il insiste sur ce mot : Ndlr), ils peuvent parfaitement déterminer les règles du jeu concernant la composition, la durée de ce Bureau, mais quoiqu’il en soit, ces règles du jeu-là devaient écarter carrément le président de l’Assemblée nationale, parce que, lui, son mandat est réglé par la Constitution. Dire qu’on peut le changer à tout moment, là on violerait la Constitution qui dit qu’il est élu pour un an, par exemple.
Il a été dit que le Bureau est renouvelable à la première session de la première séance de l’Assemblée nationale. Or, cette première session de la première séance de l’Assemblée s’est déjà réunie. Est-ce que, dans ce cas-là, Macky Sall n’échappe pas à une procédure de destitution ?
En fait, comme tout le monde le sait, malheureusement, on relève une manipulation du Droit et de la Constitution pour un règlement de comptes ; ce qui n’agrandit pas du tout notre démocratie. Malheureusement, on a cherché à pousser le bouchon trop loin en cherchant à l’avoir (il s’agit de Macky Sall : Ndlr) par tous les moyens. Maintenant, les dispositions sont claires : ils peuvent renouveler au début de la séance, à l’ouverture. Evidemment, si on ne renouvelle pas à cette ouverture, cela veut dire qu’il faudrait attendre, car implicitement ou explicitement, le Bureau a été reconduit. La Constitution a été violée manifestement. Ils ont violé manifestement l’Etat du Droit existant encore, en s’abstenant de renouveler le Bureau. Là, il ne faudrait pas qu’il profite de leurs propres turpitudes pour régler ces comptes-là.
Le président de la République, interrogé sur la question en marge du Sommet de la Francophonie, a déclaré que l’affaire Macky Sall est politique. Qu’en pensez-vous ?
C’est une affaire éminemment politique ! Ce n’est pas du tout une affaire constitutionnelle ; c’est pourquoi, c’est la première fois que je fais des observations, parce que, encore une fois, le Droit se contente de réguler les situations normales. Lorsque la situation est anormale, là, on ne saurait faire prévaloir ou faire jouer les principes fondamentaux du Droit. Dans ce cas précis, tout le monde sait que c’est un problème de règlement de comptes politiques, qu’on a utilisé la Constitution pour se débarrasser d’un adversaire ; ce qui est loin, d’ailleurs, de constituer un précédent au Sénégal. Il y a eu le précédent de 1984. Ce sont des pratiques qu’il faut carrément condamner. J’y ajoute qu’une grande part de responsabilité, malheureusement, incombe à l’opposition boycotteuse. J’avais dénoncé, en ce moment-là, le boycott, parce que je savais exactement ce qui allait se passer. Donc, ils (les leaders de l’opposition ayant boycotté les élections législatives de 2007 : Ndlr) ont balisé la voie, permettant la majorité qui est en place de faire tout ce qu’elle veut de la Constitution. Ce qui est encore plus grave -je n’ai pas lu la disposition fonctionnelle en question ; je n’ai pas lu le règlement intérieur-, mais j’ai lu quelque part que le Conseil constitutionnel a exercé un contrôle de la conformité du règlement intérieur à la Constitution. Soit. Mais, si demain il y a un forcing pour constater l’arrache de Macky, quels seront alors les voies de recours qui lui seront offertes ? Est-ce qu’il pourra attaquer légalement ce coup de force ? Devant quelle juridiction ? Le Président (Wade) avait dit qu’il n’a qu’à saisir le Conseil constitutionnel ou que lui-même allait saisir le Conseil d’Etat. Et deuxièmement, ce n’est pas un problème de légalité administrative, mais carrément de respect des Droits constitutionnels reconnus à une institution de la République qui est l’institution législative. Or, dans notre système juridictionnel, il y a énormément de niches d’impunités, de dénis de Justice, qui veulent que, des fois, l’Assemblée peut, en toute impunité, violer la Constitution, sans qu’on reconnaisse la possibilité pour un citoyen, un député ou une victime d’attaquer cette décision. Un député, par exemple, qui est exclu de l’Assemblée nationale -ce qui était le cas des frondeurs qui étaient menacés d’exclusion-, devant quelle juridiction porterait-il son appel ? Ce n’est pas devant le Conseil d’Etat. Pas devant le Conseil constitutionnel parce qu’il dira : «Moi, je ne suis que juge de la Constitution.» Demain, si Macky Sall se retrouve devant la même situation, il ne pourra pas saisir la Cour Suprême. Il peut saisir le Conseil constitutionnel, mais celui-ci va encore une fois se déclarer incompétent ; d’où la nécessité de revoir ce Conseil constitutionnel et d’en faire une véritable Cour chargée de protéger, effectivement, les Droits constitutionnels, des institutions, mais aussi des citoyens.
Autrement dit, vous plaideriez pour une Cour constitutionnelle à l’exemple de celle du Bénin ?
Oui, la Cour constitutionnelle du Bénin, celles du Mali, du Togo, de la République démocratique du Congo. Le Conseil constitutionnel nous vient de la France et ne remonte qu’en 1958. La France a d’éminents juristes qui savaient exactement ce qu’ils voulaient en l’instituant. Ils auraient pu créer une Cour constitutionnelle, un Tribunal constitutionnel comme en Allemagne, mais ils ont préféré la dénomination de Conseil constitutionnel. C’est donc une juridiction qui ne l’est pas réellement ; une juridiction que certains auteurs ont considéré comme étant le chien de garde de l’Exécutif. Mitterrand lui-même disait que le Conseil constitutionnel, dans le «Coup d’Etat permanent 64», était le garçon de course du Général De Gaulle. C’est une institution qui a des compétences extrêmement limitées qui font que des pans entiers de la légalité constitutionnelle ne sont pas protégés avec le Conseil constitutionnel. S’il y a une Cour constitutionnelle, là le juge serait autorisé de statuer en toute circonstance. Dès lors qu’il y a violation de la légalité constitutionnelle, le juge, comme c’est le cas en République démocratique du Congo, pourrait connaître certains actes, tels que la mise en accusation d’un Premier ministre ou de certains ministres… Donc, les Cours constitutionnelles ont plus de possibilités en matière de procédures des Droits fondamentaux, constitutionnels, que les Conseils constitutionnels dont les compétences sont limitées, qui sont simplement chargés de veiller au respect de la répartition des compétences entre l’Exécutif et le Législatif.
Vous êtes constitutionnaliste et, en huit ans, cela fait 13 ou 14 fois que la Constitution est modifiée. Que ressentez-vous face à cela ?
Beaucoup de frustrations. Heureusement que, également, je suis trop éloigné des problèmes politiques et constitutionnels du pays. Je suis au Congo depuis 2001, d’une part ; et d’autre part, en tant que juriste classique, orthodoxe, je ne peux me mouvoir que le cadre d’une normalisation de la légalité. Cela veut dire simplement que s’il faut utiliser sa légalité à des fins purement instrumentales, là le juriste est complètement perdu (…) La Constitution reconnaît des Droits aux citoyens, surtout aux institutions. Avec le phénomène majoritaire, on peut contourner la visibilité de la Constitution, la changer quand et comme on veut. Evidemment avec les faillites qu’il y a dans la Constitution, il y a des atteintes quotidiennes et permanentes aux droits de l’Homme. Beaucoup connaissent ma position. La légitimité de départ, je l’ai contestée. J’ai dit que la Constitution n’était pas bonne, bien avant Talla Sylla, le doyen Mamadou Dia, Amath Dansokho. Je savais ce que cela allait donner. Depuis lors, en tant que démocrate, je me soumets à la volonté du peuple même s’il se trompe. Je ne suis pas du tout surpris de ces excès, de ces abus.
source le quotidien
D’abord, le règlement intérieur ne doit porter que sur l’organisation interne de l’Assemblée nationale, entre autres, les procédures de délibérations, Imagel’attitude des membres, etc. En d’autres termes, il peut fixer les règles du jeu, qui ne peuvent être qu’à usage interne. Le règlement intérieur n’a pas à aller au-delà du Parlement pour réguler le rapport entre l’Exécutif et le Législatif.
Ensuite, le président de l’Assemblée nationale est une autorité unipersonnelle, reconnue telle quelle par la Constitution qui anéantit son mandat depuis la dernière révision constitutionnelle. Bien sûr, le règlement intérieur doit être pris en application uniquement de cette disposition de la Constitution. Maintenant, le règlement intérieur, en tant que document d’application, devrait être tout à fait postérieur à la Constitution. Techniquement, on peut élaborer, préparer un règlement intérieur et attendre pour que la Constitution soit révisée, que cette révision constitutionnelle soit mise en application pour pouvoir introduire un recours, comme préalable de constitutionnalité. Tant que la Constitution n’est pas promulguée formellement, l’on ne saurait ou ne devrait apprécier la constitutionnalité du règlement intérieur.
Maintenant, dans le cas d’espèce, évidemment, il y a un certain nombre de problèmes. Par exemple, par rapport au contenu même du règlement intérieur. Dans la pratique parlementaire, la pratique de règlement a plus d’influence que la Constitution elle-même. Dans la pratique, sur la marche des affaires publiques, mais en Droit, le règlement intérieur est soumis au strict respect de la Constitution. Et tout écart est rigoureusement sanctionné. Si la Constitution dit que le mandat du président de l’Assemblée nationale est d’un an, le règlement intérieur, évidemment, devra appliquer cette même disposition. Elle ne peut pas, par exemple, en se servant du Bureau, contourner la volonté du constituant. La Constitution sénégalaise ne reconnaît pas de Bureau de l’Assemblée nationale, contrairement à certaines constitutions. Mais, elle reconnaît bien le président de l’Assemblée nationale qui doit être élu pour un mandat de cinq ans et le mandat court ; et il est calculé ou lui est «computé» à partir du jour ou des jours où il est installé dans les fonctions de président de l’Assemblée nationale. C’est à partir de ce jour-là qu’il faudrait commencer à calculer, donc, le délai de un an.
Autrement dit, est-ce qu’on a la possibilité aujourd’hui, constitutionnellement, de réduire le mandat de Macky Sall à un an, à la première séance de l’Assemblée nationale ?
J’ai écouté Doudou Wade (président du Groupe Libéral et démocratique, majoritaire à l’Assemblée nationale : Ndlr), lorsqu’il disait que, dans le règlement intérieur, il y a une disposition fourre-tout, en réalité. Comme quoi, à tout moment, on peut changer un membre du Bureau. Mais, le règlement intérieur est à usage interne ; le Bureau n’est pas reconnu par la Constitution ; le président de l’Assemblée nationale, lui, est reconnu carrément par la Constitution. Donc, la validité et la durée de son mandat s’apprécient justement par rapport aux prescrits de la Constitution. Maintenant, là, il y a une jurisprudence constante et même qui a été rendue par la Cour suprême sénégalaise dans un contentieux opposant Abdoulaye Wade et Abdou Diouf -je crois que c’est lors des élections de 1993-, lorsque Abdoulaye Wade disait que le mandat du président de la République expire le jour des élections. La Cour Suprême avait considéré que le mandat commence à courir à partir d’une date bien précise -cette date était, je crois le 4 ou le 5 avril- c’est à partir de cette date-là qu’il fallait commencer à calculer. Donc, il faut prendre en considération la date lors de laquelle Macky Sall a pris fonction et faire la computation à partir de ça. Cela veut simplement dire que si, par exemple, Macky a été élu président de l’Assemblée nationale, la première fois, au mois d’avril ou de mai, il faut calculer à partir de cette date. Pour les cinq ans, par exemple, c’est au mois de mai 2007, mai 2008, mai 2009 jusqu’au mois de mai 2012. On annualise les mandats, donc au mois de mai jusqu’au mois de mai de l’année prochaine. Théoriquement, cela devrait se passer ainsi. Mais quoiqu’il en soit, l’on ne saurait utiliser le règlement intérieur pour contourner la volonté du constituant. Eux (les députés), dans leur document interne, qui n’a aucune valeur constitutionnelle, apprécient la régularité du règlement intérieur par rapport à la Constitution, mais le règlement intérieur, -c’est une jurisprudence constante-, n’a aucune valeur constitutionnelle ; c’est un document à usage interne concernant l’organisation interne de l’Assemblée. Donc, pourquoi utiliser ce document interne de l’Assemblée nationale pour remettre en cause une disposition de la Constitution ? Le mandat du président de l’Assemblée est réglé par la Constitution. Dans leur règlement intérieur, ils (les députés) peuvent bien parler du Bureau, parce qu’il n’est pas reconnu tel quel par la Constitution. Et comme c’est le règlement intérieur qui a été établi par leur Bureau (il insiste sur ce mot : Ndlr), ils peuvent parfaitement déterminer les règles du jeu concernant la composition, la durée de ce Bureau, mais quoiqu’il en soit, ces règles du jeu-là devaient écarter carrément le président de l’Assemblée nationale, parce que, lui, son mandat est réglé par la Constitution. Dire qu’on peut le changer à tout moment, là on violerait la Constitution qui dit qu’il est élu pour un an, par exemple.
Il a été dit que le Bureau est renouvelable à la première session de la première séance de l’Assemblée nationale. Or, cette première session de la première séance de l’Assemblée s’est déjà réunie. Est-ce que, dans ce cas-là, Macky Sall n’échappe pas à une procédure de destitution ?
En fait, comme tout le monde le sait, malheureusement, on relève une manipulation du Droit et de la Constitution pour un règlement de comptes ; ce qui n’agrandit pas du tout notre démocratie. Malheureusement, on a cherché à pousser le bouchon trop loin en cherchant à l’avoir (il s’agit de Macky Sall : Ndlr) par tous les moyens. Maintenant, les dispositions sont claires : ils peuvent renouveler au début de la séance, à l’ouverture. Evidemment, si on ne renouvelle pas à cette ouverture, cela veut dire qu’il faudrait attendre, car implicitement ou explicitement, le Bureau a été reconduit. La Constitution a été violée manifestement. Ils ont violé manifestement l’Etat du Droit existant encore, en s’abstenant de renouveler le Bureau. Là, il ne faudrait pas qu’il profite de leurs propres turpitudes pour régler ces comptes-là.
Le président de la République, interrogé sur la question en marge du Sommet de la Francophonie, a déclaré que l’affaire Macky Sall est politique. Qu’en pensez-vous ?
C’est une affaire éminemment politique ! Ce n’est pas du tout une affaire constitutionnelle ; c’est pourquoi, c’est la première fois que je fais des observations, parce que, encore une fois, le Droit se contente de réguler les situations normales. Lorsque la situation est anormale, là, on ne saurait faire prévaloir ou faire jouer les principes fondamentaux du Droit. Dans ce cas précis, tout le monde sait que c’est un problème de règlement de comptes politiques, qu’on a utilisé la Constitution pour se débarrasser d’un adversaire ; ce qui est loin, d’ailleurs, de constituer un précédent au Sénégal. Il y a eu le précédent de 1984. Ce sont des pratiques qu’il faut carrément condamner. J’y ajoute qu’une grande part de responsabilité, malheureusement, incombe à l’opposition boycotteuse. J’avais dénoncé, en ce moment-là, le boycott, parce que je savais exactement ce qui allait se passer. Donc, ils (les leaders de l’opposition ayant boycotté les élections législatives de 2007 : Ndlr) ont balisé la voie, permettant la majorité qui est en place de faire tout ce qu’elle veut de la Constitution. Ce qui est encore plus grave -je n’ai pas lu la disposition fonctionnelle en question ; je n’ai pas lu le règlement intérieur-, mais j’ai lu quelque part que le Conseil constitutionnel a exercé un contrôle de la conformité du règlement intérieur à la Constitution. Soit. Mais, si demain il y a un forcing pour constater l’arrache de Macky, quels seront alors les voies de recours qui lui seront offertes ? Est-ce qu’il pourra attaquer légalement ce coup de force ? Devant quelle juridiction ? Le Président (Wade) avait dit qu’il n’a qu’à saisir le Conseil constitutionnel ou que lui-même allait saisir le Conseil d’Etat. Et deuxièmement, ce n’est pas un problème de légalité administrative, mais carrément de respect des Droits constitutionnels reconnus à une institution de la République qui est l’institution législative. Or, dans notre système juridictionnel, il y a énormément de niches d’impunités, de dénis de Justice, qui veulent que, des fois, l’Assemblée peut, en toute impunité, violer la Constitution, sans qu’on reconnaisse la possibilité pour un citoyen, un député ou une victime d’attaquer cette décision. Un député, par exemple, qui est exclu de l’Assemblée nationale -ce qui était le cas des frondeurs qui étaient menacés d’exclusion-, devant quelle juridiction porterait-il son appel ? Ce n’est pas devant le Conseil d’Etat. Pas devant le Conseil constitutionnel parce qu’il dira : «Moi, je ne suis que juge de la Constitution.» Demain, si Macky Sall se retrouve devant la même situation, il ne pourra pas saisir la Cour Suprême. Il peut saisir le Conseil constitutionnel, mais celui-ci va encore une fois se déclarer incompétent ; d’où la nécessité de revoir ce Conseil constitutionnel et d’en faire une véritable Cour chargée de protéger, effectivement, les Droits constitutionnels, des institutions, mais aussi des citoyens.
Autrement dit, vous plaideriez pour une Cour constitutionnelle à l’exemple de celle du Bénin ?
Oui, la Cour constitutionnelle du Bénin, celles du Mali, du Togo, de la République démocratique du Congo. Le Conseil constitutionnel nous vient de la France et ne remonte qu’en 1958. La France a d’éminents juristes qui savaient exactement ce qu’ils voulaient en l’instituant. Ils auraient pu créer une Cour constitutionnelle, un Tribunal constitutionnel comme en Allemagne, mais ils ont préféré la dénomination de Conseil constitutionnel. C’est donc une juridiction qui ne l’est pas réellement ; une juridiction que certains auteurs ont considéré comme étant le chien de garde de l’Exécutif. Mitterrand lui-même disait que le Conseil constitutionnel, dans le «Coup d’Etat permanent 64», était le garçon de course du Général De Gaulle. C’est une institution qui a des compétences extrêmement limitées qui font que des pans entiers de la légalité constitutionnelle ne sont pas protégés avec le Conseil constitutionnel. S’il y a une Cour constitutionnelle, là le juge serait autorisé de statuer en toute circonstance. Dès lors qu’il y a violation de la légalité constitutionnelle, le juge, comme c’est le cas en République démocratique du Congo, pourrait connaître certains actes, tels que la mise en accusation d’un Premier ministre ou de certains ministres… Donc, les Cours constitutionnelles ont plus de possibilités en matière de procédures des Droits fondamentaux, constitutionnels, que les Conseils constitutionnels dont les compétences sont limitées, qui sont simplement chargés de veiller au respect de la répartition des compétences entre l’Exécutif et le Législatif.
Vous êtes constitutionnaliste et, en huit ans, cela fait 13 ou 14 fois que la Constitution est modifiée. Que ressentez-vous face à cela ?
Beaucoup de frustrations. Heureusement que, également, je suis trop éloigné des problèmes politiques et constitutionnels du pays. Je suis au Congo depuis 2001, d’une part ; et d’autre part, en tant que juriste classique, orthodoxe, je ne peux me mouvoir que le cadre d’une normalisation de la légalité. Cela veut dire simplement que s’il faut utiliser sa légalité à des fins purement instrumentales, là le juriste est complètement perdu (…) La Constitution reconnaît des Droits aux citoyens, surtout aux institutions. Avec le phénomène majoritaire, on peut contourner la visibilité de la Constitution, la changer quand et comme on veut. Evidemment avec les faillites qu’il y a dans la Constitution, il y a des atteintes quotidiennes et permanentes aux droits de l’Homme. Beaucoup connaissent ma position. La légitimité de départ, je l’ai contestée. J’ai dit que la Constitution n’était pas bonne, bien avant Talla Sylla, le doyen Mamadou Dia, Amath Dansokho. Je savais ce que cela allait donner. Depuis lors, en tant que démocrate, je me soumets à la volonté du peuple même s’il se trompe. Je ne suis pas du tout surpris de ces excès, de ces abus.
source le quotidien