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Papa Amadou Sarr (AFD) : « L’aide au développement n’est plus une priorité, nous devons innover »


Rédigé par leral.net le Samedi 8 Mars 2025 à 12:40 | | 0 commentaire(s)|

Longtemps considérée comme un pilier du financement international, l’aide publique au développement (APD) traverse une zone de turbulences. Aux États-Unis, l’USAID est mise en pause, tandis qu’en Europe, les restrictions budgétaires se multiplient. Le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la France ont réduit leurs engagements, entraînant un resserrement des ressources disponibles pour les pays du Sud. Dans ce contexte, comment l’Agence française de Développement (AFD) adapte-t-elle sa stratégie ? Quels leviers actionne-t-elle pour maintenir son niveau d’intervention ? Lors du 5ᵉ Forum Finance en Commun à Cape Town, Papa Amadou Sarr, directeur exécutif Mobilisation, Partenariats et Communication de l’AFD et ancien ministre sénégalais chargé de l’Entrepreneuriat des femmes et des jeunes, revient sur les défis actuels, la montée des cofinancements et la nécessité d’un nouveau modèle d’investissement solidaire.
Papa Amadou Sarr (AFD) : « L’aide au développement n’est plus une priorité, nous devons innover »
Agence Ecofin : L’aide au développement est en baisse ces dernières années. Quels sont, selon vous, les principaux facteurs qui expliquent cette tendance et quelles sont les implications pour l’AFD ?

Papa Amadou Sarr : Aujourd’hui, plus que jamais, l’aide au développement n’est plus vendeuse. Ce n’est plus une priorité politique pour de nombreux gouvernements donateurs. Que ce soit en Europe ou aux États-Unis, son attrait s’est considérablement réduit. Nous l’avons vu récemment avec la mise en pause de l’USAID, qui affecte de nombreux projets en Afrique, en Asie et en Amérique latine. De plus, les coupes budgétaires sont massives : le Royaume-Uni a réduit son budget d’aide de plus de 4 milliards de livres sterling, les Pays-Bas d’un tiers, et la France a dû revoir à la baisse certaines enveloppes, notamment sur le programme 209, qui finance les projets de l’AFD.

Deux facteurs expliquent cette tendance. Le premier est ce que l’on appelle la fatigue de l’aide. Depuis plus d’une décennie, des voix critiques, comme celle de Dambisa Moyo dans Dead Aid, dénoncent une aide inefficace, qui bénéficierait plus aux pays donateurs qu’aux populations locales. Cette perception a influencé l’opinion publique et certains décideurs.

Le second facteur est politique. La montée des gouvernements conservateurs et populistes en Europe et en Amérique du Nord a accentué le repli sur soi. Ces gouvernements, souvent hostiles à la solidarité internationale, remettent en question l’intérêt même de l’aide publique au développement. 
 
« L’aide au développement n’est plus une priorité politique pour de nombreux gouvernements donateurs. »
 
Ajoutons à cela les conséquences économiques de la pandémie de Covid-19, qui ont poussé les États à resserrer leurs budgets et à prioriser les dépenses nationales. Naturellement, cela affecte directement les agences comme l’AFD, dont les financements dépendent en partie des enveloppes budgétaires votées par les parlements nationaux.

Cette situation a des conséquences directes sur nos activités, notamment dans les pays où nous ne pouvons pas accorder de prêts directs. Notre modèle économique repose sur deux piliers principaux : d’une part, les prêts souverains, qui nous permettent d’accompagner des pays comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal, la Jordanie, la Colombie ou le Maroc dans le financement d’infrastructures, de réseaux d’eau ou d’éducation ; et d’autre part, les subventions, qui complètent ces prêts et permettent aussi de soutenir la société civile française et celle des pays du Sud, sur des thématiques comme l’égalité des genres, l’accès à l’énergie, la gouvernance et la liberté d’expression.

Cependant, l’AFD ne travaille pas seule. Nous nous appuyons sur des partenaires stratégiques – fondations, banques multilatérales, banques bilatérales – pour compenser cette pression budgétaire et maintenir notre capacité d’action. 

Agence Ecofin : Face à cette tendance baissière, comment l’AFD adapte-t-elle sa stratégie pour maintenir son niveau d’intervention et répondre aux besoins des pays partenaires ? On voit que vous avez fait plus de 12 milliards $ d’engagements l’année dernière.

Papa Amadou Sarr : La baisse de l’aide publique ne signifie pas la fin des financements pour le développement. L’AFD a adapté son modèle en renforçant ses cofinancements avec des institutions comme la Banque mondiale, la BAD, la BID ou des banques bilatérales comme la KfW allemande et la Caisse des Dépôts en France et en Italie. Nous mobilisons également des fonds via des partenariats avec des fondations privées, telles que la Fondation Bill & Melinda Gates ou la Rockefeller Foundation.

Nous développons aussi des outils financiers innovants, comme les obligations durables et les mécanismes de financement mixte, qui combinent subventions et prêts pour attirer plus d’investisseurs privés.

De plus, nous avons intensifié nos mécanismes de financement mixte (blended finance), qui combinent prêts concessionnels, garanties et financements innovants. Ces approches nous permettent de maintenir un haut niveau d’investissement malgré les contraintes budgétaires.

Agence Ecofin : Concrètement comment se structure aujourd’hui la mobilisation des ressources et quels sont les leviers que vous utilisez pour compenser la pression budgétaire ?

Papa Amadou Sarr : La mobilisation est devenue un axe stratégique et transversal du plan d’orientation de l’AFD. Après mon arrivée en septembre 2022, nous avons mis en place une feuille de route dès janvier 2023, qui a été concrétisée et validée pour les cinq prochaines années. Elle repose sur trois axes principaux : mobilisation financière, mobilisation partenariale et mobilisation citoyenne et de l’expertise.
Sur le volet mobilisation financière, nous avons renforcé nos mécanismes de financement en collaborant avec des banques multilatérales et bilatérales, des fondations philanthropiques et la société civile pour maximiser l’impact de nos investissements et combler les déficits là où les ressources publiques se raréfient.

Un exemple concret : aujourd’hui, nous travaillons avec des financements à effet de levier. L’AFD cofinance ainsi des projets avec la Banque européenne d’investissement, la Banque mondiale, la Banque africaine de développement ou encore la KfW allemande et la Fondation Bill & Melinda Gates. Actuellement, entre 35 et 45 % des financements de l’AFD sont issus du cofinancement, soit environ 3 milliards d’euros prévus d’ici fin 2025.

Grâce à Proparco, notre filiale dédiée au secteur privé, nous avons également renforcé nos capacités d’investissement. Pour 1 euro investi, Proparco mobilise 4 euros supplémentaires, notamment via des fonds de garantie de l’Union européenne. Cela nous permet d’élargir notre portefeuille de bénéficiaires et d’accompagner davantage de projets dans le secteur privé à travers le monde.
Nous avons aussi Expertise France qui, en lien avec l’AFD, réalise des missions d’assistance technique, de sécurité et de gouvernance, en appui aux gouvernements partenaires. Ce dispositif nous permet d’agir directement sur le terrain et de mettre en œuvre des projets d’envergure.

Depuis 2017, nous avons reçu 4 milliards d’euros de fonds délégués, mis en œuvre avec nos partenaires – qu’il s’agisse de banques multilatérales, de gouvernements ou de fondations. Nous bénéficions d’un réseau de plus de 50 agences à travers le monde, qui nous permet d’être un acteur de référence en matière d’exécution des projets.

Un partenaire clé dans cette dynamique est l’Union européenne, qui est aujourd’hui notre premier bailleur. L’UE nous alloue environ 1 milliard d’euros par an. En 2024, nous avons ainsi mobilisé plus de 850 millions d’euros pour financer des projets à travers le monde.
Grâce à ces financements, nous pouvons utiliser des outils innovants comme le blended finance ou encore des garanties financières permettant d’attirer davantage d’investisseurs et de sécuriser le financement des projets auprès des banques commerciales et de développement.

Un point souvent méconnu : l’AFD est aujourd’hui le premier partenaire global de la Banque mondiale en nombre de projets exécutés. L’année dernière, nous avons mobilisé 2,7 milliards d’euros pour dix projets réalisés conjointement avec la Banque mondiale.
Enfin et surtout, nous finançons nos opérations en levant des fonds sur les marchés financiers. Nous nous endettons sur les marchés européens pour refinancer les prêts accordés aux États bénéficiaires. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit pas uniquement d’obligations sociales. Nous émettons également des obligations vertes, qui permettent de financer des projets environnementaux et de transition écologique.

Agence Ecofin : L’AFD est soutenue par une notation financière relativement solide, basée sur celle de la France, avec un accès au guichet de la BCE, ce qui rend vos obligations plus liquides. Cependant, ces dernières années, les notes financières de la France et de l’AFD se sont dégradées. Quel impact cela a-t-il sur votre activité ?

Papa Amadou Sarr : L’Agence française de Développement est une institution publique, détenue à 100 % par l’État français. Par conséquent, lorsque la notation de la France baisse, celle de l’AFD suit mécaniquement. Ce n’est pas une surprise ni un phénomène propre à l’AFD, puisque nous ne sommes pas une banque privée comme la Société Générale.
Cela dit, cette dégradation de la note n’a pas d’impact direct sur notre capacité à lever des fonds. Nous continuons à lever des ressources sur le marché chaque trimestre. Bien sûr, le coût des financements a augmenté, et cela a été un sujet de débat lors des discussions budgétaires en France. Mais cela ne remet pas en cause la solidité de notre modèle ni notre capacité à financer des projets de développement.
 
« L’AFD ne distribue pas de l’argent sans contrepartie. Nous finançons des projets ciblés, avec un retour sur investissement mesurable. »
 
L’AFD s’appuie sur un modèle solide et fiable, reconnu par les investisseurs et les marchés financiers. Nous prévoyons même d’augmenter notre volume d’activités pour atteindre 15 milliards d’euros, notamment grâce aux cofinancements avec nos partenaires. Nous ne cessons pas d’aller sur le marché sous prétexte que les taux montent. Au contraire, nous maintenons notre engagement, car nous avons la confiance des investisseurs et des banques. La France reste une des premières puissances économiques mondiales, ce qui garantit la crédibilité de nos obligations.

Concernant les prêts que nous accordons aux pays en développement, nous veillons à maintenir des taux concessionnels. Pour les pays émergents comme la Chine, nous appliquons des taux plus élevés, mais nous adaptons toujours nos conditions aux réalités économiques des pays partenaires.

Agence Ecofin : La France continue réellement de prêter à la Chine ?

Papa Amadou Sarr : Mon directeur général l’a d’ailleurs mentionné dans une interview récente. Nous avons accordé entre 140 et 150 millions d’euros à la Chine pour financer des projets liés à la biodiversité et à l’environnement. Nous faisons de même pour l’Inde, la Colombie ou le Maroc.

Ce sont des prêts, bien sûr, et non des subventions. L’AFD ne distribue pas de l’argent sans contrepartie. Nous finançons des projets ciblés, avec un retour sur investissement mesurable.
 
« Entre 80 et 85 % de nos interventions sont des prêts, tandis que le reste est constitué de subventions. »
 
Agence Ecofin : Justement, il y a des polémiques autour du déploiement de vos financements. Pouvez-vous nous expliquer concrètement comment ils se déploient aujourd’hui ? Et comment répondez-vous à ces critiques ?

Papa Amadou Sarr : C’est très simple. L’Agence française de développement (AFD) est une banque publique française, détenue à 100 % par l’État français. Nos financements prennent principalement la forme de prêts souverains accordés aux États, ce qui la différencie de Proparco, notre filiale qui s’occupe du secteur privé.

Le processus est le suivant : un gouvernement – qu’il soit ivoirien, sénégalais, togolais, béninois, jordanien – nous soumet une requête de financement. Nous étudions la demande et structurons un prêt adapté aux besoins du pays.

Ces prêts sont assortis de taux concessionnels et de maturité pouvant aller jusqu'à 15 à 20 ans, bien plus avantageux que les prêts commerciaux des banques traditionnelles. Ils sont généralement accordés avec des taux d’intérêt compris entre 3 et 5 %, et des périodes de grâce pouvant aller jusqu’à 5 ou 6 ans, selon la nature du financement.

Dans ce modèle, c’est le ministre des Finances du pays concerné qui signe l’accord, car il engage l’État dans le remboursement du prêt. Ce type de financement est souvent mobilisé pour des projets de politiques publiques, d’infrastructures, de santé ou d’assainissement.

Par ailleurs, l’AFD ne fait pas que des prêts. Nous accordons aussi des subventions, qui viennent compléter les financements concessionnels. Entre 80 et 85 % de nos interventions sont des prêts, tandis que le reste est constitué de subventions.

Agence Ecofin : Pourquoi avoir gardé l’appellation Agence française de Développement alors que, même à taux bonifiés, vos financements restent avant tout des prêts en majorité ?

Papa Amadou Sarr : C’est une question légitime. Je suis bien conscient du débat autour de la notion d’aide au développement.
D’ailleurs, le terme d’aide au développement est voué à disparaître. Nous préférons parler d’investissement solidaire, car il ne s’agit pas d’une simple aide, mais bien d’un mécanisme financier structuré où chaque partie y trouve un intérêt.

L’aide au développement, telle qu’on l’a connue, est amenée à évoluer. Il est temps de basculer vers un modèle plus structurant et plus durable, qui repose sur des mécanismes d’investissement et de financement innovants, plutôt que sur des dons à perte.
L’objectif est de permettre aux pays bénéficiaires de se développer par eux-mêmes, grâce à des financements adaptés à leurs besoins et à leur capacité d’absorption.

L’AFD continuera de jouer un rôle clé dans cette transition, en mobilisant des capitaux intelligents, en renforçant les capacités locales et en accompagnant la transformation économique des pays partenaires.

Il faut comprendre que ces prêts sont rentables pour la France. Ils sont remboursés avec des taux d’intérêt qui assurent une rentabilité pour l’AFD, ce qui en fait un véritable modèle d’investissement. En parallèle, ils permettent aussi de renforcer la présence économique de la France dans les pays partenaires.

Par exemple, lorsque l’AFD finance un projet au Bénin, en Côte d’Ivoire ou au Maroc, il est courant que des entreprises françaises soient sélectionnées à travers des appels d’offres pour la mise en œuvre des travaux. C’est ainsi que ces financements s’inscrivent dans une logique de politique étrangère, en soutenant à la fois le développement des pays bénéficiaires et les intérêts économiques français.
 
« L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche ne changera pas cette réalité. Les banques de développement ont précédé Trump et elles existeront après lui. La vraie question est plutôt celle de l’efficacité de ces banques. » 
 
Agence Ecofin : L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, combinée aux récentes critiques sur le soutien américain aux BMD, pourrait fragiliser la confiance des marchés vis-à-vis de ces institutions. Si les États-Unis réduisent leur engagement, cela pourrait non seulement affecter le financement des BMD, mais aussi renchérir leur coût d’emprunt sur les marchés. Craignez-vous un impact sur la perception du risque des investisseurs ? Comment l’AFD anticipe-t-elle cette situation pour sécuriser ses propres ressources et éviter un effet domino sur le financement du développement ?

Papa Amadou Sarr : Nous sommes ici au sommet Finance en Commun, où plus de 2 500 participants se réunissent, notamment les 500 banques publiques de développement mondiales. On y retrouve la Banque mondiale, la Banque asiatique de développement, la CAF d’Amérique latine, l’AFD, mais aussi des institutions comme la BOAD, la Caisse des Dépôts du Sénégal ou encore la South African Development Bank (DBSA).

Ces institutions jouent un rôle contracyclique essentiel. Elles ne sont pas des banques commerciales et ne vont pas disparaître en fonction des décisions politiques conjoncturelles. Elles sont des outils stratégiques pour les pays en développement, et leur permettent de financer des infrastructures, l’énergie, la santé, l’éducation ou encore l’agriculture.

L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche ne changera pas cette réalité. Les banques de développement ont précédé Trump et elles existeront après lui. La vraie question est plutôt celle de l’efficacité de ces banques.

L’USAID, par exemple, n’est pas une banque, mais une agence de développement américaine qui distribue de l’aide. Le Président Trump dit vouloir mener des audits pour rationaliser les dépenses publiques, éviter les gaspillages et maximiser l’impact de chaque dollar investi. Ce débat sur l’efficacité se posera aussi pour la Banque mondiale et d’autres institutions.
 
« Les contribuables français, américains ou canadiens veulent savoir comment est utilisé chaque euro investi en Afrique, en Asie ou en Amérique latine. Il faut leur montrer des résultats concrets […]. »
 
Agence Ecofin : Vous anticipez donc une remise en question généralisée de l’efficacité des banques de développement ?

Papa Amadou Sarr : Absolument. J’ai moi-même été de l’autre côté, en tant que gouvernant ayant emprunté auprès de la Banque mondiale, du FMI, de la BAD et de l’AFD. Il est légitime de se poser des questions sur les procédures administratives, les délais d’exécution des projets et les taux d’absorption des financements.

Parfois, on a l’impression que les pays donateurs retardent le déblocage des fonds, alors que dans d’autres cas, ce sont les pays bénéficiaires qui tardent à consommer les crédits alloués. Il existe ainsi des restes à verser, c’est-à-dire des projets financés, mais dont l’exécution ne suit pas le calendrier prévu.

Ce débat a le mérite de poser de véritables questions sur l’avenir de l’aide publique au développement. Plutôt que de se contenter de donner des fonds, il vaudrait mieux cibler les secteurs à fort impact économique, comme l’investissement productif, l’entrepreneuriat, l’innovation et l’accès aux financements pour les PME. La clé est de mieux utiliser les financements disponibles, en les concentrant sur les secteurs qui génèrent de la croissance et de l’emploi. Cela permettrait de mieux justifier ces financements auprès des citoyens des pays donateurs.

Les contribuables français, américains ou canadiens veulent savoir comment est utilisé chaque euro investi en Afrique, en Asie ou en Amérique latine. Il faut leur montrer des résultats concrets : combien d’hôpitaux ont été construits, combien de routes ont été réhabilitées, combien d’écoles ont été ouvertes grâce à ces fonds. C’est là que le concept de Value for money prend tout son sens.
Aujourd’hui, ce débat inquiète de nombreux professionnels du secteur du développement, car la remise en cause de certaines agences de coopération pourrait entraîner des suppressions de postes massives, comme on l’a vu aux États-Unis.
Mais cette discussion est nécessaire, car elle force tous les acteurs à repenser leur approche et à chercher des mécanismes plus efficaces et plus transparents.

Agence Ecofin : Le président de la BOAD, Serge Ekué, disait récemment dans une interview que la BOAD n’a pas besoin que l’AFD “vienne intervenir directement sur son terrain”, mais qu’elle lui accorde plutôt des garanties et certains types de financements qui lui permettraient d’amplifier ses effets de levier. En d’autres termes, la BOAD veut pouvoir mobiliser elle-même ses ressources en tant qu’institution qui maîtrise parfaitement son environnement. Que pensez-vous de cette approche ?

Papa Amadou Sarr : Je suis totalement d’accord avec Serge Ekué. Il est non seulement un ami et un partenaire clé, mais aussi le président du club IDFC, une initiative lancée sous l’impulsion de notre directeur général, Rémy Rioux. La BOAD est un acteur majeur du financement du développement en Afrique de l’Ouest. Elle a des équipes dynamiques et compétentes dans tous ses pays membres et mène efficacement ses projets. C’est également le cas de la Banque africaine de développement (BAD) qui a une forte présence sur le continent.

Si nous pouvons mettre à leur disposition des garanties financières, comme le fait l’Union européenne avec nous et avec Proparco, cela leur permettrait d’accroître leur capacité d’intervention. Imaginez que nous leur accordions une ligne de garantie de 500 millions d’euros. Grâce à l’effet de levier, la BOAD pourrait ainsi lever 2, 3 voire 4 milliards d’euros pour financer des projets de développement.
 
« Parfois, on a l’impression que les pays donateurs retardent le déblocage des fonds, alors que dans d’autres cas, ce sont les pays bénéficiaires qui tardent à consommer les crédits alloués. »
 
C’est une approche gagnant-gagnant. D’un côté, l’AFD monétiserait cette garantie, ce qui représenterait une source de revenus pour nous. De l’autre, la BOAD augmenterait la taille de son bilan, toucherait plus de bénéficiaires et aurait un impact plus important sur le terrain.

Cette idée est déjà en discussion, non seulement avec nous, mais aussi avec les Italiens et même les Américains. Ils réfléchissent à des financements en equity et en garanties, ce qui pourrait leur offrir une plus grande marge de manœuvre.

Nous partageons totalement cette vision : plutôt que de venir concurrencer les banques régionales de développement sur leur propre terrain, nous devons les outiller pour qu’elles puissent agir efficacement avec les bonnes ressources.

Agence Ecofin : La recanalisation des Droits de Tirage Spéciaux (DTS) a été largement débattue ces dernières années comme un levier potentiel pour renforcer les capacités des banques de développement. La France ne peut pas directement allouer des DTS aux BMD.  Quel rôle l’AFD peut-elle jouer dans ce processus ?

Papa Amadou Sarr : La France a été un acteur majeur dans la promotion de cette initiative. Dès 2021, le président Emmanuel Macron a plaidé pour une réallocation des DTS dans le cadre du Sommet sur le financement des économies africaines. En 2023, lors du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial à Paris, la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, a annoncé une réallocation de 100 milliards de dollars de DTS vers les pays les plus vulnérables.

Notre rôle est avant tout un rôle de plaidoyer. Nous ne sommes pas directement impliqués dans l’attribution des DTS, mais nous soutenons activement cette initiative.

Notre directeur général, Rémy Rioux, a plaidé auprès d’Akinwumi Adesina, président de la BAD, pour que les banques de développement puissent bénéficier de ces ressources. Nous considérons que les DTS sont un levier important pour renforcer le capital des banques de développement, augmenter leur capacité de prêt et surtout accroître leur impact sur les populations vulnérables, à des taux d’intérêt moindres.

Dans un contexte où l’atteinte des Objectifs de Développement Durable (ODD) d’ici 2030 semble de plus en plus compromise, comme l’a souligné la vice-secrétaire générale des Nations Unies, Amina Mohammed, il est essentiel d’explorer toutes les sources de financement innovantes.

Agence Ecofin : Quel rôle joue alors le secteur privé ?

Papa Amadou Sarr : Les banques publiques de développement seules ne suffiront pas à combler le déficit de financement pour le développement. Il est impératif de mobiliser le secteur privé.
Les Partenariats Public-Privé (PPP) sont un levier essentiel pour attirer les grandes entreprises, les investisseurs institutionnels et les multinationales vers les économies en développement.
L’environnement des affaires doit être optimisé pour faciliter ces investissements. Cela passe par : des garanties financières pour sécuriser les investisseurs, une meilleure transparence dans l’allocation des ressources et une simplification des procédures administratives.

Le secteur privé doit être au cœur des stratégies de développement, et non simplement un complément aux financements publics.

Agence Ecofin : Vous opérez dans 150 pays et gérez plusieurs devises. Comment gérez-vous le risque de change ? Et surtout, lorsque ces pays, et notamment les entrepreneurs, cherchent à réduire leurs coûts, ils préfèrent souvent des prêts en monnaie locale plutôt qu’en devises étrangères. Comment répondez-vous à cette demande ?

Papa Amadou Sarr : Nous faisons du financement en monnaie locale, mais uniquement dans les pays où il existe une stabilité financière et où la volatilité est limitée. Dans ces marchés, nous pouvons structurer des prêts directement dans la devise locale, afin d’éviter aux emprunteurs des risques de change trop importants.

Dans les autres pays, où le marché financier est plus fragile et où les fluctuations monétaires sont plus marquées, nous passons par des agences spécialisées comme TCX (The Currency Exchange Fund).  TCX est une structure qui s’occupe de l’atténuation du risque de change en couvrant la volatilité des taux de change pour les institutions qui financent en monnaie locale.

Selon la situation du pays, nous alternons entre financement en devises et financement en monnaie locale, en nous appuyant sur des mécanismes de couverture pour assurer la pérennité des investissements.

Agence Ecofin : Pour conclure, quelle est globalement la stratégie de l’AFD pour les prochaines années ?

Papa Amadou Sarr : Comme je l’ai mentionné, mon rôle à l’AFD couvre trois grandes missions : la mobilisation financière, le développement des partenariats et la communication.
La mobilisation financière consiste à lever et structurer des fonds pour financer les projets dans nos pays d’intervention. Cela passe par des cofinancements, des garanties, des subventions et des solutions de financement adaptées à chaque contexte.

Les partenariats sont essentiels, car aucune institution ne peut agir seule. Nous travaillons avec des banques multilatérales, des fondations, le secteur privé et la société civile pour bâtir des coalitions et maximiser notre impact. 

La communication, enfin, est un volet clé. Il s’agit de rendre nos actions visibles et compréhensibles aussi bien en France, où nous devons rendre compte aux citoyens des ressources publiques utilisées, que dans les pays bénéficiaires, où nous devons être transparents sur l’impact de nos interventions.

Notre plan stratégique 2026-2027 repose sur trois axes majeurs : soutenir l’atteinte des Objectifs de Développement Durable (ODD), accélérer le financement du climat et de la biodiversité à travers des investissements durables et décarbonés, et renforcer les capacités des pays partenaires dans la lutte contre la pauvreté, en priorisant l’éducation, la santé, l’agriculture, les infrastructures et l’énergie.

Notre mission est de produire des biens publics mondiaux tout en garantissant un développement économiquement viable, socialement inclusif et écologiquement responsable.

Je suis convaincu que si les pays d’Afrique subsaharienne, d’Asie ou d’Amérique latine se développent durablement, cela bénéficiera aussi à la France et aux pays de l’OCDE. Une croissance équilibrée et inclusive réduit les risques de crises économiques, de pandémies ou de migrations massives.

En investissant dans l’éducation, la santé et le développement économique, nous contribuons à créer des sociétés plus résilientes et prospères, ce qui réduira la vulnérabilité des populations.
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Source : https://www.lejecos.com/Papa-Amadou-Sarr-AFD-L-aid...

La rédaction