Le phénomène a pris de l’ampleur, ces dernières années, dans la région de Sédhiou et notamment dans le département de Bounkiling. Le produit de la fraude est exporté vers l’Asie. Et la Gambie est la plaque tournante de ce commerce illicite qui compromet l’économie locale essentiellement focalisée sur l’agroforesterie. Avec l’insécurité liée au conflit casamançais, l’exploitation clandestine du bois est difficile à maîtriser par les agents du service national des Eaux et Forêts, peu nombreux et sous-équipés mais très dégourdis. Ils constatent leur impuissance face à une complicité manifeste des élus locaux et des populations. En partenariat avec l’Institut Panos, le journal Le Quotidien a tenté d’en savoir plus sur ce trafic international de bois pour lequel le pays de Yaya Jammeh sert de transit en toute impunité.
Les massifs forestiers de la Casa¬mance et notamment de ceux de Bounkiling vivent des moments très délicats. Ils subissent une coupe frauduleuse de bois à grande échelle. Le volume braconné est financièrement inestimable, mais le rythme de déforestation dépasse la moyenne nationale annuelle de 8%.
Dans dix ans, il sera très difficile de parler de forêts dans le département de Bounkiling, le plus vaste de la région de Sédhiou et frontalier avec la Gambie. Ce sont les espèces les plus préservées genre venne, dimb, caïcédrat, rôniers qui sont les plus prisées. Bref, du bois bon pour l’artisanat et pour l’industrie qui génère plus de valeur ajoutée. Les services des Eaux et forêts du secteur de Bounkiling ont constaté que le bois d’œuvre commence à se raréfier. L’œuvre ravageuse porte la signature d’un vaste réseau composé de Sénégalais, de Gambiens et d’Asiatiques. Ils opèrent sur tout le long de la frontière. Le braconnage du bois dans le département de Bounki¬ling est d’autant plus scandaleux que le Président gambien a suspendu l’exploitation et l’exportation des produits forestiers de son territoire depuis septembre 2012 pour une durée indéfinie. Ceci après plusieurs suspensions temporaires.
Yaya Jammeh n’a pas eu la même fermeté pour anéantir le réseau transfrontalier qui exploite le bois du sud du Sénégal et qui l’exporte dans d’autres pays à partir de Banjul. Ainsi, les industriels gambiens se sont rabattus sur les ressources provenant de la Casamance et particulièrement de la région de Sédhiou, où l’administration sénégalaise n’a encore classé aucune forêt, pour approvisionner leur marché d’exportation. Autour de Banjul et Serekunda, des milliers de jeunes recrutés par des sociétés comme le Munduk Trading Entre¬prise ou le Suso International Com¬pany sont dans le réseau. Dans un article publié par thepoint.gm, le 4 octobre 2012, ces jeunes interrogés avouent qu’ils sont des transporteurs du bois ou des chargeurs de containers. Ces travailleurs implorent l’homme fort de leur pays de reconsidérer sa position, sinon ils risqueraient de beaucoup souffrir du chômage. Ceci est d’autant plus avéré que seul le timber business (le commerce du bois) est le principal pourvoyeur d’emplois. Soit l’interdiction de Yaya Jammeh a créé des chômeurs, ou des trafiquants du bois.
En tout cas, la demande chinoise est réelle. Les personnes interrogées sont unanimes sur la destination de la marchandise qui n’est rien d’autre que la Chine. D’où la forte colonie de ressortissants de la Chine dans leur pays. Certains Gambiens ont donc pris le risque d’investir les forêts du département de Bounkiling à la recherche de bois industriel, sans le moindre effort de trouver un permis de couper auprès de l’administration sénégalaise. Et la filière gambienne a toujours ses fournisseurs.
Interpellé sur le phénomène du trafic du bois casamançais, le 23 août 2012, le président de l’Association des exploitants et exportateurs de bois de la Gambie, Lamine Barro, s’était gardé d’avouer l’origine de la matière première. «J’en ai entendu parler, mais je dois le vérifier. Je ne peux pas vous dire que le bois exporté proviendrait de la Casamance», déclarait-t-il. Les convoyeurs brandissent des permis délivrés par individu. Il suffit du cachet rouge pour que les services de sécurité gambiens laissent passer. On ne se soucie point de l’autorisation de la Douane sénégalaise. En terre sénégalaise, les arrestations sont plus édifiantes que les aveux. En effet, il est courant que des citoyens gambiens soient arrêtés dans le département de Bounkiling avec des charrettes ou camions surchargés de bois d’œuvre.
2 Gambiens et un Sénégalais condamnés à Sédhiou
Le 8 mai 2013, Banjul avait certainement retenu son souffle. Le procès de trois individus, deux ressortissants gambiens et un Sénégalais, se tenait à Sédhiou. Ils étaient poursuivis pour coupe et exploitation frauduleuse. Sentence ? Cinq mois de prison assortis d’une amende de 500 mille francs Cfa à chacun des condamnés, en plus de la perte du véhicule qui transportait le bois en application de l’article L 36 du Code forestier. L’un des inculpés était un mineur que le juge avait relaxé. L’opération ayant abouti à leur arrestation a été inclusive. Le concours d’informateurs a été déterminant. Ce type de procès est récurrent au Tribunal de Kolda. Il est tout de même anecdotique par rapport à la coupe organisée de bois dans toute la partie nord de la Casamance naturelle frontalière avec la Gambie, le pays de transit.
Les dépôts se trouvent dans des villages gambiens et sénégalais. L’on cite Bourème, Saré Moussa, Soma et Bansang où les amas de troncs font partie du décor depuis une décennie. Des entrepôts plus grands sont localisés à Kamamadou, à Kampassa non loin de Serekunda, la deuxième ville de la Gambie. S’y aventurer est un risque déconseillé par les services de sécurité. Du côté du Sénégal, des dépôts existent à Boukel, dans la communauté rurale de Tankon, et à Bourouko situé dans le département de Médina Yorofoula (Kolda).
Rien que dans l’ancienne région de Kolda, 385 procès-verbaux portant sur de l’exploitation non autorisée ont été dressés par le Service régional des Eaux et forêts en 2012. Le département de Bounkiling est loin de présenter un meilleur visage. «Sur 100 pieds coupés, on peut dire que 60% le sont de manière illégale. Il y a même des zones désertiques où il faudra faire un reboisement», s’alarme le chef du secteur, le lieutenant Daniel Manga. A retenir que l’exploitation du charbon de bois et du bois de chauffe n’est pas autorisée dans cette circonscription administrative.
Pour cette année en cours, 1 500 stères de bois d’artisanat (un stère équivaut à environ un 1 m3) sont attribués à des exploitants. 300 pieds ont été attribués à trois scieries locales et à des personnes qui veulent fabriquer des pirogues. A cela, s’ajoute l’exploitation de 2 mille tiges de bambou. Quoi qu’il en soit, il faut détenir un permis de couper délivré par l’inspecteur régional des Eaux et Forêts. Ce qui n’est pas le cas pour les membres du réseau transfrontalier. Dans la cour du Service départemental des Eaux et Forêts de Bounkiling, sont immobilisés deux camions gambiens immatriculés à BJL 0521 H et BJL 2322 D, des troncs d’arbres, des tronçonneuses, des charrettes, etc.
Manque de volonté politique
Les agents des Eaux et Forêts n’ont pas souvent la logistique et l’effectif nécessaires pour assurer leur mission de sécurisation. Les pistes qui mènent vers la Gambie sont innombrables et éparses. Il faut oser pénétrer la forêt. Le phénomène a besoin d’être pris à bras le corps au niveau central. Il s’agit de préserver les dernières réserves forestières d’un pays où le désert avance de 80 000 ha tous les ans, si on se fie aux statistiques de la Direction des Eaux, Forêts et chasse.
Lors d’une visite dans les régions de Sédhiou, Kolda et Ziguinchor, le ministre de l’Environnement Haïdar El Aly a été ému par les saisies de bois et de matériels effectuées par les services des Eaux et Forêts. Le ministre de se désoler : «En Gambie, des jeunes échangent 30 billes de bois contre une moto Jakarta». Les Chinois et les Indiens entretiennent ce troc qu’ils ont désormais promu au détriment de la commercialisation de la pomme d’acajou, la raison initiale de leur présence dans le Sud du pays, en Guinée-Bissau et en Gambie. Ce dernier pays sert de transit pour le produit forestier illicite tiré du nord de la Casamance.
Malgré tout, Dakar peine à manifester une réelle volonté politique pour endiguer le mal. La crise casamançaise aidant, Banjul tient toujours son instrument de chantage. Pour preuve, en juin 2007, douze camions gambiens chargés de bois de venne, une espèce protégée au Sénégal, ont été interceptés dans le département de Bignona. Les convoyeurs avaient été jugés et déclarés coupables par le Tribunal de Ziguinchor. Ils ont été condamnés à six mois de prison avec sursis. Les camions ont été confisqués et transférés à Dakar.
Chantage de Jammeh
Atteint dans son orgueil, le Président gambien avait déroulé sa stratégie de chantage : «Si le Président Wade veut la paix, il n’a qu’à libérer mes compatriotes et nous restituer, dans un court délai, les véhicules immobilisés ainsi que leur matériel».
Tout nouveau ministre de l’Envi¬ron¬nement, Souleymane Ndéné Ndiaye avait apporté la réplique : «Nous allons vendre le bois et les véhicules. Nos forêts font l’objet d’agressions souvent par des individus qui viennent le plus souvent de la sous-région. La Gambie ne peut pas parler comme ça du Sénégal». Peu de temps après, les 12 camions avaient été ensuite libérés sans aucune autre forme d’explication. A l’instar des rebelles libérés, ces actes des autorités sénégalaises sont frustrants. Ils démotivent. «Finalement, on se dit pourquoi arrêter des individus suspects aux périls de nos vies, sachant qu’ils seront libérés», informe un sous-officier de l’Armée sénégalaise en mission dans le secteur de Bounkiling.
Des élus locaux complices
En dépit des moyens limités, les élus locaux ne sont pas moins conscients de leur rôle en ce sens que la préservation des ressources forestières et de l’environnement est une compétence transférée. A travers un rapport intitulé : «La poudrière environnementale», le Conseil rural de Kandion Mangana a accablé des élus locaux et des chefs de village. «La communauté rurale de Kandion Man¬gana, sise au Nord ouest du département de Bounkiling, est une corniche frontalière à la République de Gambie qui est dotée de potentialités forestières énormes. Elle est au bord du chaos écologique à cause de la destruction forestière. Après l’extermination des peuplements de rôniers et des caïcédrats, aujourd’hui, ce sont les espèces appelées venne qui payent le plus lourd tribut», mentionne-t-on dans le document. Les auteurs pointent du doigt des Gambiens et la complicité de populations autochtones «qui pénètrent dans les forêts casamançaises armés d’engins destructeurs appelés tronçonneuses». Le rapport a été juste indicatif : «Une enquête menée auprès de certains chefs de village nous a permis de déceler que certains conseillers ou responsables au sommet des institutions locales se font passer pour des agents des Eaux et Forêts uniquement pour s’enrichir à travers le trafic de bois».
Les agents des Eaux et Forêts s’appuient sur leur réseau d’informateurs pour les appréhender et établir le flagrant délit. La démarche avait payé dans la communauté rurale de Tan¬kon où des élus locaux ont été arrêtés. En effet, le 25 janvier 2011, ont été interpellés la dame Sana Diao dit Boumel du village de Saré Amath Samba I, Lamine Diallo de Saré Amath Samba II, Samba Cissé de Ghoutou et Birane Doussouba Diallo du village de Saré Bocar. Ils ont été placés en garde à vue à la Brigade de gendarmerie de Bounkiling avant d’être relaxés. Le 6 octobre 2011, 36 personnes interpellées pour leur implication dans le trafic de bois à destination de la Gambie avaient écopé d’un mois de prison ferme assorti d’une amende de 300 mille francs Cfa.
Le Tribunal départemental de Kolda avait notamment déclaré coupables le président du conseil rural de Badion, Maguel Baldé, et trois autres conseillers ruraux «d’exploitation frauduleuse de bois sans autorisation» destinée à la Gambie. Si ce ne sont pas les élus, ce sont des chefs de village.
Lors d’une récente décente dans les villages frontaliers, les services de sécurité ont mis la main sur une dizaine de cachets de l’administration forestière détenus par des chefs de village et des individus anonymes. «Les agents de sécurité gambiens ne font pas la différence entre les ca¬chets», souligne le lieutenant Manga.
Une économie de guerre
Pour mettre fin à la fraude, l’administration des Eaux et Forêts a adopté le cachet sec. Cette trouvaille prendra du temps pour avoir effet sur le trafic. D’autant que les zones où il est particulièrement plus marquant sont difficiles d’accès à l’exemple des villages de la vaste Communauté rurale de Kandion Mangana, peu peuplée avec ses 400 habitants. Le chef-lieu de communauté rurale est situé à vingtaine de kilomètres de Bounkiling. Pis, les rebelles sont très présents dans les forêts qui l’entourent. Les accrochages entre éléments du Mfdc et l’Armée y sont devenus fréquents. L’école élémentaire du village est désertée par les enseignants. Un seul chargé d’école a le courage d’assurer des cours pour toutes les classes. Une source militaire de confier que «les rebelles envoient des messages aux soldats par téléphone pour leur informer de leur prochaine attaque».
Chacun côtoie pratiquement son ennemi. «La forêt est occupée par les rebelles. Et on peut marcher jusqu’à entrer en territoire gambien sans en rendre compte», avertit un soldat. Le trafic de bois est fortement encouragé par les combattants du Mfdc. Outre le chanvre indien, ils exploitent le bois au même titre que les autres acteurs de cette économie de guerre. La Gambie est le principal marché à partir duquel le produit est exporté. Le chef du secteur des Eaux et Forêts confirme : «Parfois, ils chargent des camions et des charrettes qu’ils accompagnent de la forêt jusqu’à Kandion Mangana (localité située à une vingtaine de kilomètres de Bounkiling) pour les lâcher. Quand nous sommes informés, nous descendons sur le terrain pour interpeller les convoyeurs. D’ailleurs, nous ne sommes jamais sur place». Ce travail de renseignement n’est pas toujours évident, car le réseau téléphonique ne fonctionne guère à Kandion Mangana. «Il faut monter sur les arbres pour appeler», se désole un sous-officier de l’Armée.
Le trafic de bois vers la Gambie est un phénomène plus ou moins récent ou inconnu de l’opinion nationale dans le département de Bounkiling. Il y a commencé à prendre de l’ampleur à la fin des années 2000. En effet, ceci n’est que le prolongement d’une pratique illicite très encrée dans le département le Bignona avec lequel il partage la façade frontalière. La forte présence des bases du Mdfc ne facilite pas le travail des forces de sécurité.
Mais les multiples opérations militaires dans cette zone ont poussé les rebelles à migrer dans le Kabada, l’appellation locale du secteur de Kandion Mangana. En un moment, le chef rebelle Salif Sadio a voulu s’ériger en gendarme qui veille sur les forêts. Alors que le phénomène avait pris de l’ampleur dans le département de Bignona, le chef de guerre du Mfdc avait imposé aux Gambiens, en août 2006, un arrêt du trafic du bois. Cette mesure du chef rebelle avait fait du bruit en Gambie comme l’avait relevé le quotidien The Gambian Journal. Le chef-rebelle venait de s’installer au nord de la Gambie, après avoir été chassé du front sud par l’Armée sénégalaise.
L’exploitation des ressources forestières est mieux contrôlée dans le Bignona.19% des forêts de ce département sont classées, donc mieux surveillées, pendant que toute la région de Sédhiou n’en compte pas une seule. Ceci est une aubaine pour les exploitants
Source: lequotidien
Les massifs forestiers de la Casa¬mance et notamment de ceux de Bounkiling vivent des moments très délicats. Ils subissent une coupe frauduleuse de bois à grande échelle. Le volume braconné est financièrement inestimable, mais le rythme de déforestation dépasse la moyenne nationale annuelle de 8%.
Dans dix ans, il sera très difficile de parler de forêts dans le département de Bounkiling, le plus vaste de la région de Sédhiou et frontalier avec la Gambie. Ce sont les espèces les plus préservées genre venne, dimb, caïcédrat, rôniers qui sont les plus prisées. Bref, du bois bon pour l’artisanat et pour l’industrie qui génère plus de valeur ajoutée. Les services des Eaux et forêts du secteur de Bounkiling ont constaté que le bois d’œuvre commence à se raréfier. L’œuvre ravageuse porte la signature d’un vaste réseau composé de Sénégalais, de Gambiens et d’Asiatiques. Ils opèrent sur tout le long de la frontière. Le braconnage du bois dans le département de Bounki¬ling est d’autant plus scandaleux que le Président gambien a suspendu l’exploitation et l’exportation des produits forestiers de son territoire depuis septembre 2012 pour une durée indéfinie. Ceci après plusieurs suspensions temporaires.
Yaya Jammeh n’a pas eu la même fermeté pour anéantir le réseau transfrontalier qui exploite le bois du sud du Sénégal et qui l’exporte dans d’autres pays à partir de Banjul. Ainsi, les industriels gambiens se sont rabattus sur les ressources provenant de la Casamance et particulièrement de la région de Sédhiou, où l’administration sénégalaise n’a encore classé aucune forêt, pour approvisionner leur marché d’exportation. Autour de Banjul et Serekunda, des milliers de jeunes recrutés par des sociétés comme le Munduk Trading Entre¬prise ou le Suso International Com¬pany sont dans le réseau. Dans un article publié par thepoint.gm, le 4 octobre 2012, ces jeunes interrogés avouent qu’ils sont des transporteurs du bois ou des chargeurs de containers. Ces travailleurs implorent l’homme fort de leur pays de reconsidérer sa position, sinon ils risqueraient de beaucoup souffrir du chômage. Ceci est d’autant plus avéré que seul le timber business (le commerce du bois) est le principal pourvoyeur d’emplois. Soit l’interdiction de Yaya Jammeh a créé des chômeurs, ou des trafiquants du bois.
En tout cas, la demande chinoise est réelle. Les personnes interrogées sont unanimes sur la destination de la marchandise qui n’est rien d’autre que la Chine. D’où la forte colonie de ressortissants de la Chine dans leur pays. Certains Gambiens ont donc pris le risque d’investir les forêts du département de Bounkiling à la recherche de bois industriel, sans le moindre effort de trouver un permis de couper auprès de l’administration sénégalaise. Et la filière gambienne a toujours ses fournisseurs.
Interpellé sur le phénomène du trafic du bois casamançais, le 23 août 2012, le président de l’Association des exploitants et exportateurs de bois de la Gambie, Lamine Barro, s’était gardé d’avouer l’origine de la matière première. «J’en ai entendu parler, mais je dois le vérifier. Je ne peux pas vous dire que le bois exporté proviendrait de la Casamance», déclarait-t-il. Les convoyeurs brandissent des permis délivrés par individu. Il suffit du cachet rouge pour que les services de sécurité gambiens laissent passer. On ne se soucie point de l’autorisation de la Douane sénégalaise. En terre sénégalaise, les arrestations sont plus édifiantes que les aveux. En effet, il est courant que des citoyens gambiens soient arrêtés dans le département de Bounkiling avec des charrettes ou camions surchargés de bois d’œuvre.
2 Gambiens et un Sénégalais condamnés à Sédhiou
Le 8 mai 2013, Banjul avait certainement retenu son souffle. Le procès de trois individus, deux ressortissants gambiens et un Sénégalais, se tenait à Sédhiou. Ils étaient poursuivis pour coupe et exploitation frauduleuse. Sentence ? Cinq mois de prison assortis d’une amende de 500 mille francs Cfa à chacun des condamnés, en plus de la perte du véhicule qui transportait le bois en application de l’article L 36 du Code forestier. L’un des inculpés était un mineur que le juge avait relaxé. L’opération ayant abouti à leur arrestation a été inclusive. Le concours d’informateurs a été déterminant. Ce type de procès est récurrent au Tribunal de Kolda. Il est tout de même anecdotique par rapport à la coupe organisée de bois dans toute la partie nord de la Casamance naturelle frontalière avec la Gambie, le pays de transit.
Les dépôts se trouvent dans des villages gambiens et sénégalais. L’on cite Bourème, Saré Moussa, Soma et Bansang où les amas de troncs font partie du décor depuis une décennie. Des entrepôts plus grands sont localisés à Kamamadou, à Kampassa non loin de Serekunda, la deuxième ville de la Gambie. S’y aventurer est un risque déconseillé par les services de sécurité. Du côté du Sénégal, des dépôts existent à Boukel, dans la communauté rurale de Tankon, et à Bourouko situé dans le département de Médina Yorofoula (Kolda).
Rien que dans l’ancienne région de Kolda, 385 procès-verbaux portant sur de l’exploitation non autorisée ont été dressés par le Service régional des Eaux et forêts en 2012. Le département de Bounkiling est loin de présenter un meilleur visage. «Sur 100 pieds coupés, on peut dire que 60% le sont de manière illégale. Il y a même des zones désertiques où il faudra faire un reboisement», s’alarme le chef du secteur, le lieutenant Daniel Manga. A retenir que l’exploitation du charbon de bois et du bois de chauffe n’est pas autorisée dans cette circonscription administrative.
Pour cette année en cours, 1 500 stères de bois d’artisanat (un stère équivaut à environ un 1 m3) sont attribués à des exploitants. 300 pieds ont été attribués à trois scieries locales et à des personnes qui veulent fabriquer des pirogues. A cela, s’ajoute l’exploitation de 2 mille tiges de bambou. Quoi qu’il en soit, il faut détenir un permis de couper délivré par l’inspecteur régional des Eaux et Forêts. Ce qui n’est pas le cas pour les membres du réseau transfrontalier. Dans la cour du Service départemental des Eaux et Forêts de Bounkiling, sont immobilisés deux camions gambiens immatriculés à BJL 0521 H et BJL 2322 D, des troncs d’arbres, des tronçonneuses, des charrettes, etc.
Manque de volonté politique
Les agents des Eaux et Forêts n’ont pas souvent la logistique et l’effectif nécessaires pour assurer leur mission de sécurisation. Les pistes qui mènent vers la Gambie sont innombrables et éparses. Il faut oser pénétrer la forêt. Le phénomène a besoin d’être pris à bras le corps au niveau central. Il s’agit de préserver les dernières réserves forestières d’un pays où le désert avance de 80 000 ha tous les ans, si on se fie aux statistiques de la Direction des Eaux, Forêts et chasse.
Lors d’une visite dans les régions de Sédhiou, Kolda et Ziguinchor, le ministre de l’Environnement Haïdar El Aly a été ému par les saisies de bois et de matériels effectuées par les services des Eaux et Forêts. Le ministre de se désoler : «En Gambie, des jeunes échangent 30 billes de bois contre une moto Jakarta». Les Chinois et les Indiens entretiennent ce troc qu’ils ont désormais promu au détriment de la commercialisation de la pomme d’acajou, la raison initiale de leur présence dans le Sud du pays, en Guinée-Bissau et en Gambie. Ce dernier pays sert de transit pour le produit forestier illicite tiré du nord de la Casamance.
Malgré tout, Dakar peine à manifester une réelle volonté politique pour endiguer le mal. La crise casamançaise aidant, Banjul tient toujours son instrument de chantage. Pour preuve, en juin 2007, douze camions gambiens chargés de bois de venne, une espèce protégée au Sénégal, ont été interceptés dans le département de Bignona. Les convoyeurs avaient été jugés et déclarés coupables par le Tribunal de Ziguinchor. Ils ont été condamnés à six mois de prison avec sursis. Les camions ont été confisqués et transférés à Dakar.
Chantage de Jammeh
Atteint dans son orgueil, le Président gambien avait déroulé sa stratégie de chantage : «Si le Président Wade veut la paix, il n’a qu’à libérer mes compatriotes et nous restituer, dans un court délai, les véhicules immobilisés ainsi que leur matériel».
Tout nouveau ministre de l’Envi¬ron¬nement, Souleymane Ndéné Ndiaye avait apporté la réplique : «Nous allons vendre le bois et les véhicules. Nos forêts font l’objet d’agressions souvent par des individus qui viennent le plus souvent de la sous-région. La Gambie ne peut pas parler comme ça du Sénégal». Peu de temps après, les 12 camions avaient été ensuite libérés sans aucune autre forme d’explication. A l’instar des rebelles libérés, ces actes des autorités sénégalaises sont frustrants. Ils démotivent. «Finalement, on se dit pourquoi arrêter des individus suspects aux périls de nos vies, sachant qu’ils seront libérés», informe un sous-officier de l’Armée sénégalaise en mission dans le secteur de Bounkiling.
Des élus locaux complices
En dépit des moyens limités, les élus locaux ne sont pas moins conscients de leur rôle en ce sens que la préservation des ressources forestières et de l’environnement est une compétence transférée. A travers un rapport intitulé : «La poudrière environnementale», le Conseil rural de Kandion Mangana a accablé des élus locaux et des chefs de village. «La communauté rurale de Kandion Man¬gana, sise au Nord ouest du département de Bounkiling, est une corniche frontalière à la République de Gambie qui est dotée de potentialités forestières énormes. Elle est au bord du chaos écologique à cause de la destruction forestière. Après l’extermination des peuplements de rôniers et des caïcédrats, aujourd’hui, ce sont les espèces appelées venne qui payent le plus lourd tribut», mentionne-t-on dans le document. Les auteurs pointent du doigt des Gambiens et la complicité de populations autochtones «qui pénètrent dans les forêts casamançaises armés d’engins destructeurs appelés tronçonneuses». Le rapport a été juste indicatif : «Une enquête menée auprès de certains chefs de village nous a permis de déceler que certains conseillers ou responsables au sommet des institutions locales se font passer pour des agents des Eaux et Forêts uniquement pour s’enrichir à travers le trafic de bois».
Les agents des Eaux et Forêts s’appuient sur leur réseau d’informateurs pour les appréhender et établir le flagrant délit. La démarche avait payé dans la communauté rurale de Tan¬kon où des élus locaux ont été arrêtés. En effet, le 25 janvier 2011, ont été interpellés la dame Sana Diao dit Boumel du village de Saré Amath Samba I, Lamine Diallo de Saré Amath Samba II, Samba Cissé de Ghoutou et Birane Doussouba Diallo du village de Saré Bocar. Ils ont été placés en garde à vue à la Brigade de gendarmerie de Bounkiling avant d’être relaxés. Le 6 octobre 2011, 36 personnes interpellées pour leur implication dans le trafic de bois à destination de la Gambie avaient écopé d’un mois de prison ferme assorti d’une amende de 300 mille francs Cfa.
Le Tribunal départemental de Kolda avait notamment déclaré coupables le président du conseil rural de Badion, Maguel Baldé, et trois autres conseillers ruraux «d’exploitation frauduleuse de bois sans autorisation» destinée à la Gambie. Si ce ne sont pas les élus, ce sont des chefs de village.
Lors d’une récente décente dans les villages frontaliers, les services de sécurité ont mis la main sur une dizaine de cachets de l’administration forestière détenus par des chefs de village et des individus anonymes. «Les agents de sécurité gambiens ne font pas la différence entre les ca¬chets», souligne le lieutenant Manga.
Une économie de guerre
Pour mettre fin à la fraude, l’administration des Eaux et Forêts a adopté le cachet sec. Cette trouvaille prendra du temps pour avoir effet sur le trafic. D’autant que les zones où il est particulièrement plus marquant sont difficiles d’accès à l’exemple des villages de la vaste Communauté rurale de Kandion Mangana, peu peuplée avec ses 400 habitants. Le chef-lieu de communauté rurale est situé à vingtaine de kilomètres de Bounkiling. Pis, les rebelles sont très présents dans les forêts qui l’entourent. Les accrochages entre éléments du Mfdc et l’Armée y sont devenus fréquents. L’école élémentaire du village est désertée par les enseignants. Un seul chargé d’école a le courage d’assurer des cours pour toutes les classes. Une source militaire de confier que «les rebelles envoient des messages aux soldats par téléphone pour leur informer de leur prochaine attaque».
Chacun côtoie pratiquement son ennemi. «La forêt est occupée par les rebelles. Et on peut marcher jusqu’à entrer en territoire gambien sans en rendre compte», avertit un soldat. Le trafic de bois est fortement encouragé par les combattants du Mfdc. Outre le chanvre indien, ils exploitent le bois au même titre que les autres acteurs de cette économie de guerre. La Gambie est le principal marché à partir duquel le produit est exporté. Le chef du secteur des Eaux et Forêts confirme : «Parfois, ils chargent des camions et des charrettes qu’ils accompagnent de la forêt jusqu’à Kandion Mangana (localité située à une vingtaine de kilomètres de Bounkiling) pour les lâcher. Quand nous sommes informés, nous descendons sur le terrain pour interpeller les convoyeurs. D’ailleurs, nous ne sommes jamais sur place». Ce travail de renseignement n’est pas toujours évident, car le réseau téléphonique ne fonctionne guère à Kandion Mangana. «Il faut monter sur les arbres pour appeler», se désole un sous-officier de l’Armée.
Le trafic de bois vers la Gambie est un phénomène plus ou moins récent ou inconnu de l’opinion nationale dans le département de Bounkiling. Il y a commencé à prendre de l’ampleur à la fin des années 2000. En effet, ceci n’est que le prolongement d’une pratique illicite très encrée dans le département le Bignona avec lequel il partage la façade frontalière. La forte présence des bases du Mdfc ne facilite pas le travail des forces de sécurité.
Mais les multiples opérations militaires dans cette zone ont poussé les rebelles à migrer dans le Kabada, l’appellation locale du secteur de Kandion Mangana. En un moment, le chef rebelle Salif Sadio a voulu s’ériger en gendarme qui veille sur les forêts. Alors que le phénomène avait pris de l’ampleur dans le département de Bignona, le chef de guerre du Mfdc avait imposé aux Gambiens, en août 2006, un arrêt du trafic du bois. Cette mesure du chef rebelle avait fait du bruit en Gambie comme l’avait relevé le quotidien The Gambian Journal. Le chef-rebelle venait de s’installer au nord de la Gambie, après avoir été chassé du front sud par l’Armée sénégalaise.
L’exploitation des ressources forestières est mieux contrôlée dans le Bignona.19% des forêts de ce département sont classées, donc mieux surveillées, pendant que toute la région de Sédhiou n’en compte pas une seule. Ceci est une aubaine pour les exploitants
Source: lequotidien