Alassane Ouattara est né à Dimbokro, dans le centre de la Côte d’Ivoire, en 1942. A 20 ans, il décroche son baccalauréat dans un lycée de Ouagadougou, alors capitale de la Haute-Volta. Grâce à une bourse américaine, il poursuit ses études aux Etats-Unis. Il y obtient un doctorat en sciences économiques à l’université de Pennsylvanie à Philadelphie, puis il entre au Fonds monétaire international (FMI) à Washington, en 1968, en tant qu’économiste.
Cinq ans plus tard, le voici recruté à la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), dont le siège se trouve alors à Paris, avant d’être transféré à Dakar en 1978. Alassane Ouattara y travaillera comme chargé de mission, conseiller du gouverneur, directeur des études, puis vice-gouverneur.
Alassane Ouattara et sa femme Dominique, épousé en secondes noces, à Paris, en 1991. Femme d'affaires ayant fait fortune dans l'immobilier, elle joue un rôle important auprès de son mari, notamment à travers sa fondation Children of Africa.
AFP/Olivier Pojman
En 1984, il retourne au Fonds monétaire international dont il devient directeur du département Afrique, fonction qu’il cumule avec celle de conseiller spécial du directeur général. En octobre 1988, le président Houphouët-Boigny le choisit pour prendre la tête de la BCEAO, après la mort du gouverneur Abdoulaye Fadiga.
Son passage au FMI et les liens tissés, notamment avec les Français Michel Camdessus, alors directeur général ou encore Jean-Claude Trichet, directeur du Trésor français de l’époque et actuel président de la Banque centrale européenne (BCE), lui seront utiles lorsque, deux ans plus tard - à un moment où la région traverse une très mauvaise passe économique - Félix Houphouët-Boigny lui confie, en avril 1990, la présidence d’un « Comité interministériel chargé de l’élaboration et de la mise en application du programme de stabilisation et de relance », en Côte d’Ivoire. Derrière ce titre ronflant se cache un poste stratégique qui lui permet de superviser l’ensemble de l’action économique et financière du pays.
Le premier Premier ministre d'Houphouët-Boigny
La tâche est impopulaire. Il s’agit de mettre en place un programme d’ajustement structurel - dont il était le chantre au FMI - qui suppose une cure d’amaigrissement drastique de l’Etat. Car le pays connaît une grave crise. Le fameux « miracle ivoirien », né du développement de la production du cacao, dont le pays est le premier producteur mondial, s’est évanoui. Houphouët-Boigny lui-même est intervenu à la télévision pour informer ses concitoyens que l’Etat est en quasi-cessation de paiement. Et pour débloquer leur aide, les institutions financières internationales réclament de profondes réformes.
Félix Houphouët-Boigny pense avoir décroché la perle rare en recrutant ce haut fonctionnaire international à la réputation sans taches et rompu aux arcanes des institutions financières internationales. De fait, leur réaction est favorable. Le 7 novembre 1990, le « vieux » décide alors de faire d’Alassane Ouattara son Premier ministre, le premier depuis l’indépendance du pays.
A 48 ans, cet archétype des technocrates africains « made in Washington », très en vogue à l’époque au sud du Sahara, vient bousculer les habitudes des barons du PDCI, l’ex-parti unique. Ces derniers voient d’un mauvais œil cet outsider - cet « étranger » murmurent déjà certains - débarquer sur la scène politique. D’autant que Félix Houphouët-Boigny, déjà très âgé, lui donne carte blanche.
Le contexte est difficile. Après des manifestations de rue et des remous à l’université, le père de l’indépendance s’est résolu à instaurer le multipartisme. Et s’il a remporté haut la main la présidentielle d’octobre 1990, l’opposition ne désarme pas. A sa tête, Laurent Gbagbo, leader du Front populaire ivoirien (FPI), légalisé le 30 avril 1990. Deux ans plus tard, en février 1992, l’opposant historique sera emprisonné avec d’autres responsables de son parti et des dirigeants syndicaux, sous le gouvernement Ouattara. En outre, même si beaucoup louent son bilan et ses efforts de remise en ordre du pays - de « remise du pays au travail » dit-il - les mesures d’austérité qu’il impose suscitent du mécontentement.
Alassane Ouattara peut toutefois se targuer du soutien inconditionnel d’Houphouët-Boigny. Mais le père de l’indépendance ivoirienne, qui règne sans partage sur la Côte d’Ivoire depuis 1960, est âgé et malade. Il meurt le 7 décembre 1993. Le destin de son Premier ministre va, alors, basculer.
Les années de braise
Les jours qui suivent la disparition du père de la nation restent un inépuisable sujet de débat. Les adversaires d’Alassane Ouattara l’accusent d’avoir voulu tenter de prendre la succession d’Houphouët-Boigny, alors que, d’après l’article 11 de la Constitution, ce rôle revient au président de l’Assemblée nationale, Henri Konan Bédié. Alassane Ouattara s’en défend. « Jamais je n’ai voulu prendre sa succession, confiera-t-il plus tard à l’hebdomadaire Jeune Afrique. Cela ne correspondait pas du tout à mes principes moraux et politiques ». Il reconnaît toutefois contester la manière dont Henri Konan Bédié est devenu chef de l’Etat, sans dit-il, que soit respectée la procédure constitutionnelle selon laquelle la Cour suprême devait, d’abord, constater la vacance du pouvoir. Et pour empêcher l'avènement d'Henri Konan Bédié, certains de ses adversaires au sein du PDCI penchaient clairement, en privé, pour la solution Ouattara.
Quoiqu'il en soit, la rupture est consommée avec Henri Konan Bédié, qui devient le deuxième président la Côte d’Ivoire indépendante. Ce dernier n’aura, dès lors, de cesse de barrer la route à un rival qu’il considère désormais comme l’homme à abattre. A l’approche de l’élection présidentielle d’octobre 1995, Alassane Ouattara ayant entre-temps réintégré les rangs du Fonds monétaire international, envisage d’être candidat.
Pour l'en empêcher, le président Bédié fait voter, en décembre 1994, un code électoral sur mesure, dont une disposition stipule que tout candidat à la magistrature suprême doit « être Ivoirien de naissance, né de père et de mère eux-mêmes Ivoiriens. Il doit n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne […] et résider de manière continue en Côte d’Ivoire depuis cinq ans. »
L’initiative présidentielle déchaine les passions. Laurent Gbagbo, leader du FPI, qualifie le texte de « liberticide, raciste, xénophobe et dangereux ». Ce dernier formera même un Front républicain contre Henri Konan Bédié avec le RDR, parti fondé, en 1994, par Djeni Kobina, à la suite d’une scission au sein du PDCI au pouvoir et dont Alassane Ouattara prendra plus tard la direction. En Côte d’Ivoire, le débat fait rage sur la nationalité de l’ancien Premier ministre que certains accusent d’être Burkinabé, voire Voltaïque. Le concept d’ivoirité, promu par le président Bédié, met à mal la cohabitation traditionnellement bonne entre populations originaires du Nord, majoritairement musulmanes, et les autres peuples de Côte d’Ivoire. Les discours xénophobes s’étalent dans les journaux proches du pouvoir.
Sur le conseil, dit-il, du président togolais de l’époque, Gnassingbé Eyadema, Alassane Ouattara renonce à se présenter à la magistrature suprême.
Alassane Ouattara sur sa nationalité
« Je suis Ivoirien et ce, depuis ma naissance à Dimbokro en 1942. De plus, mon père est né à Dimbokro vers 1888 et ma mère, originaire de Glélé ban (Odiénné), est née à Dabou en 1920. Ils sont donc Ivoiriens de naissance, explique-t-il dans Jeune Afrique. Pour appuyer sa démonstration, Alassane Ouattara publie même dans l’hebdomadaire des facsimilés des cartes d’identité ivoiriennes de ses deux parents. « Pour des raisons familiales, poursuit-il, j’ai fait une partie de mes études au Burkina, à l’époque Haute-Volta. Après le baccalauréat, j’ai obtenu une bourse américaine au titre de l’aide accordée à ce pays, et je suis donc parti aux Etats-Unis avec un passeport voltaïque. Ceci ne remet nullement en cause mes droits et devoirs en tant qu’Ivoirien. »
Pour appuyer leur raisonnement, ces détracteurs lui reprochent d’avoir fait ses études aux Etats-Unis en tant que Voltaïque et d’avoir détenu un passeport voltaïque. « J’ai exercé les fonctions de vice-gouverneur de la BCEAO pour la Haute-Volta pendant deux ans. […] je l’ai fait à la suite d’un accord entre le président Houphouët et les autorités voltaïques », répond-il.
Le 30 juillet 1999, après cinq années passées au FMI en tant que directeur général adjoint, Alassane Ouattara rentre en Côte d’Ivoire. Il est élu à la tête du RDR et annonce officiellement sa candidature à la présidentielle d’octobre 2000. La Côte d’Ivoire du Président Bédié traverse alors une zone de violentes turbulences. Une campagne médiatique virulente visant à démontrer sa nationalité burkinabée, et donc son inéligibilité, est lancée. Pour faire taire les critiques, Alassane Ouattara produit deux cartes d’identité ivoiriennes datant de 1982 et 1990.
Las ! Le 22 septembre, une information judiciaire pour « faux commis dans des documents administratifs, usage de faux et complicité » est ouverte contre lui. Quelques jours plus tôt, sa mère a été entendue par des policiers qui veulent vérifier sa nationalité. Le 9 octobre, Alassane Ouattara réaffirme qu’il est de nationalité ivoirienne et estime qu’il fait l’objet de discrimination parce qu’il est musulman. Le 27 octobre, la décision d’un juge lui ayant délivré un certificat de nationalité est annulée.
Enfin, le 29 novembre, alors qu’il se trouve à l’étranger un mandat d’arrêt est lancé contre lui. Entre-temps, plusieurs dirigeants du RDR, dont la numéro deux Henriette Diabaté, ont été arrêtés, jugés en urgence et condamnés à deux ans de prison à la suite de violences lors d’une manifestation.
Le procès de la secrétaire générale du RDR, Henriette Diabaté, et d'une vingtaine de membres du parti s'ouvre à Abijan ce 10 novembre 1999.
AFP/Jean-Philippe Ksiazek
La situation est particulièrement tendue. Mais rares sont ceux qui imaginent ce qui va se dérouler moins de quatre semaine plus tard…
Le 24 décembre, une mutinerie éclate à Abidjan et se transforme rapidement en coup d’Etat, portant au pouvoir le général Robert Gueï, ancien chef d’état major des armées, tombé en disgrâce quelques années plus tôt. Il est placé à la tête d’un Comité national de salut public (CNSP). Le président Bédié fuit le pays. Les prisonniers du RDR sont libérés et Alassane Ouattara reçoit du nouvel homme fort l’assurance qu’il peut rentrer en toute tranquillité à Abidjan. Ce qu’il fait dès le 29 décembre.
L’ancien Premier ministre a-t-il été l’instigateur du coup d’Etat ? Le fait que les numéros deux et trois du CNSP, les généraux Palenfo et Coulibaly, soient des proches et que figure parmi les « mutins » un de ses anciens garde du corps, le sergent Ibrahim Coulibaly, sert de base à ceux qui instruisent son procès. L’intéressé nie vigoureusement, en se disant opposé à la prise de pouvoir par la force. Laurent Gbagbo aura beau jeu d’utiliser l’argument lors de la campagne du deuxième tour de la présidentielle de 2010, pour inciter les électeurs d’Henri Konan Bédié à lui apporter leurs voix : « Si vous aimez Bédié, vous devez voter pour celui qui l’a fait revenir d’exil plutôt que pour celui qui l’a fait partir en exil », martèle-t-il.
Les deux leaders de l'opposition ivoirienne : Alassane Dramane Ouattara (g) président du Rassemblement des républicains (RDR) et Laurent Gbagbo (d) président du Front Populaire Ivoirien (FPI) au siège du RDR, le 18 septembre 1999.
Dès le début de la transition militaire, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo ont d’ailleurs clairement pris leurs distances. Exit le Front républicain. Les deux hommes sont désormais rivaux. Au fil des mois, les relations entre l’ancien Premier ministre et le général Gueï, tournent également au vinaigre. En mai, le chef de la junte affirme avoir réuni des preuves d’atteinte à la sureté de l’Etat contre le RDR.
Les 23 et 24 juillet, une nouvelle Constitution est soumise à référendum, dont un article précise que tout candidat à la magistrature suprême doit être de père et de mère ivoirien et ne s’être jamais prévalu d’une autre nationalité. Alassane Ouattara, bien que critique sur les conditions d’éligibilité, appelle tout de même à voter « oui ».
Dans les semaines qui suivent la tension augmente. En septembre, le chef de la junte l’accuse d’avoir trempé dans un complot contre sa personne. Les généraux Palenfo et Coulibaly sont accusés d’avoir commandité une « tentative d’assassinat ». Quelques jours plus tard, la Cour suprême rend son verdict.
Alassane Ouattara
La candidature d’Alassane Ouattara à la candidature d’octobre 2000 est invalidée pour cause de « nationalité douteuse ». Celle d’Henri Konan Bédié l’est tout autant, car l’ancien président déchu a passé sa visite médicale de candidat en France et non en Côte d’Ivoire.
Le 22 octobre suivant, Laurent Gbagbo est alors le seul poids lourd politique en piste face au général Gueï. Le leader du FPI est finalement déclaré vainqueur, le 26 au soir, au terme de trois journées de violentes manifestations contre une tentative de coup de force électoral du général Gueï, puis entre partisans du FPI et du RDR. Alassane Ouattara, pour qui Laurent Gbagbo est illégitime, réclame la tenue d’une nouvelle élection présidentielle. Non seulement, il n’obtient pas gain de cause, mais le 1er décembre 2000, la Cour suprême rejette une nouvelle fois sa candidature, cette fois aux élections législatives. Son parti choisit le boycott. Des affrontements opposent ses partisans aux forces de l’ordre. Malgré tout, le 25 mars 2001, le RDR participera aux élections municipales où il devancera le PDCI et le FPI.
judiciaires compétentes de délivrer à monsieur Ouattara un certificat de nationalité conformément aux lois et règlements en vigueur ». En janvier 2002, le chef de l’Etat ivoirien réunit autour de lui Alassane Ouattara, Robert Gueï et Henri Konan Bédié, à Yamoussoukro. La question de l’article 35 reste toutefois suspendue à un projet de colloque visant à «préciser» certaines dispositions de la loi fondamentale. Mais le 28 juin 2002, la justice délivre finalement à Alassane Ouattara un certificat de nationalité. Et le 5 août, le RDR entre au gouvernement.
Le 19 septembre 2002, la Côte d’Ivoire connaît une tentative de coup d’Etat et le début d’une rébellion armée, menée par des militaires pour majorité originaires du nord de la Côte d’Ivoire et se réclamant d’un Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI). Le général Gueï est assassiné ainsi que le ministre de l’Intérieur Emile Boga Doudou. La résidence d’Alassane Ouattara est incendiée. Craignant pour sa vie, il se réfugie à l'ambassadeur de France. Une nouvelle fois, il quitte la Côte d’Ivoire pour le Gabon puis la France. Une nouvelle fois, il est pointé du doigt par ses adversaires, à commencer par le président Gbagbo qui l’accuse d’être le « cerveau » de la rébellion, évoquant notamment les liens entre certains rebelles et le RDR ou encore les déclarations du porte-parole du MPCI demandant la tenue de nouvelles élections.
Huit ans plus tard, Alassane Ouattara nie toujours avec la plus grande fermeté toute responsabilité dans la guerre. « Je condamne cela. Cela n’aurait jamais dû arriver. […] Ces jeunes gens pensant peut-être bien faire, épousant peut-être les mêmes objectifs que j’avais par rapport à une société de justice et d’équité, ont pris les armes. Mais j’espère qu’ils ont compris que ce n’est pas avec des armes et des fusils qu’on doit régler les problèmes de la Côte d’Ivoire », expliquait-il fin octobre 2010 lors de l’émission politique « Face aux électeurs » à la télévision nationale ivoirienne. Ses propos ne convainquent bien entendu pas son adversaire qui en fera un de ses principaux arguments durant la campagne du second tour.
Quoi qu’il en soit le problème de sa candidature est définitivement réglé le 6 avril 2005 à Pretoria. Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié et Guillaume Soro, secrétaire général du MPCI (et actuel Premier ministre), signent un accord de paix.
Parmi les dispositions clé, figure l’amendement du controversé article 35 de la Constitution qui avait exclu Alassane Ouattara des précédentes élections.
Quelques jours plus tard, ce dernier laisse entendre qu’il se présentera à la présidentielle. En mai suivant, à Paris, il signe, ironie de l’histoire, un accord avec son ennemi juré d’hier, Henri Konan Bédié, pour faire front commun contre Laurent Gbagbo. Il rentre à Abidjan le 6 décembre, après trois ans d’exil, pour les obsèques de sa mère.
Son retour définitif se fera plus tard, mais l’ancien Premier ministre a désormais l’assurance qu’il pourra, cette fois, briguer la magistrature suprême. Le 28 novembre 2010, vingt ans après être entré en politique, après une campagne très dure, Alassane Ouattara se retrouve enfin face à Laurent Gbagbo pour un combat à la loyale. L'enjeu est double. Il s'agit bien sûr pour lui d'accéder enfin à ce qu'il désire depuis plus de 15 ans, diriger la Côte d'Ivoire, mais aussi savoir si oui ou non, la majorité des Ivoiriens le soutient, comme il le martèle depuis une décennie.
Cinq ans plus tard, le voici recruté à la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), dont le siège se trouve alors à Paris, avant d’être transféré à Dakar en 1978. Alassane Ouattara y travaillera comme chargé de mission, conseiller du gouverneur, directeur des études, puis vice-gouverneur.
Alassane Ouattara et sa femme Dominique, épousé en secondes noces, à Paris, en 1991. Femme d'affaires ayant fait fortune dans l'immobilier, elle joue un rôle important auprès de son mari, notamment à travers sa fondation Children of Africa.
AFP/Olivier Pojman
En 1984, il retourne au Fonds monétaire international dont il devient directeur du département Afrique, fonction qu’il cumule avec celle de conseiller spécial du directeur général. En octobre 1988, le président Houphouët-Boigny le choisit pour prendre la tête de la BCEAO, après la mort du gouverneur Abdoulaye Fadiga.
Son passage au FMI et les liens tissés, notamment avec les Français Michel Camdessus, alors directeur général ou encore Jean-Claude Trichet, directeur du Trésor français de l’époque et actuel président de la Banque centrale européenne (BCE), lui seront utiles lorsque, deux ans plus tard - à un moment où la région traverse une très mauvaise passe économique - Félix Houphouët-Boigny lui confie, en avril 1990, la présidence d’un « Comité interministériel chargé de l’élaboration et de la mise en application du programme de stabilisation et de relance », en Côte d’Ivoire. Derrière ce titre ronflant se cache un poste stratégique qui lui permet de superviser l’ensemble de l’action économique et financière du pays.
Le premier Premier ministre d'Houphouët-Boigny
La tâche est impopulaire. Il s’agit de mettre en place un programme d’ajustement structurel - dont il était le chantre au FMI - qui suppose une cure d’amaigrissement drastique de l’Etat. Car le pays connaît une grave crise. Le fameux « miracle ivoirien », né du développement de la production du cacao, dont le pays est le premier producteur mondial, s’est évanoui. Houphouët-Boigny lui-même est intervenu à la télévision pour informer ses concitoyens que l’Etat est en quasi-cessation de paiement. Et pour débloquer leur aide, les institutions financières internationales réclament de profondes réformes.
Félix Houphouët-Boigny pense avoir décroché la perle rare en recrutant ce haut fonctionnaire international à la réputation sans taches et rompu aux arcanes des institutions financières internationales. De fait, leur réaction est favorable. Le 7 novembre 1990, le « vieux » décide alors de faire d’Alassane Ouattara son Premier ministre, le premier depuis l’indépendance du pays.
A 48 ans, cet archétype des technocrates africains « made in Washington », très en vogue à l’époque au sud du Sahara, vient bousculer les habitudes des barons du PDCI, l’ex-parti unique. Ces derniers voient d’un mauvais œil cet outsider - cet « étranger » murmurent déjà certains - débarquer sur la scène politique. D’autant que Félix Houphouët-Boigny, déjà très âgé, lui donne carte blanche.
Le contexte est difficile. Après des manifestations de rue et des remous à l’université, le père de l’indépendance s’est résolu à instaurer le multipartisme. Et s’il a remporté haut la main la présidentielle d’octobre 1990, l’opposition ne désarme pas. A sa tête, Laurent Gbagbo, leader du Front populaire ivoirien (FPI), légalisé le 30 avril 1990. Deux ans plus tard, en février 1992, l’opposant historique sera emprisonné avec d’autres responsables de son parti et des dirigeants syndicaux, sous le gouvernement Ouattara. En outre, même si beaucoup louent son bilan et ses efforts de remise en ordre du pays - de « remise du pays au travail » dit-il - les mesures d’austérité qu’il impose suscitent du mécontentement.
Alassane Ouattara peut toutefois se targuer du soutien inconditionnel d’Houphouët-Boigny. Mais le père de l’indépendance ivoirienne, qui règne sans partage sur la Côte d’Ivoire depuis 1960, est âgé et malade. Il meurt le 7 décembre 1993. Le destin de son Premier ministre va, alors, basculer.
Les années de braise
Les jours qui suivent la disparition du père de la nation restent un inépuisable sujet de débat. Les adversaires d’Alassane Ouattara l’accusent d’avoir voulu tenter de prendre la succession d’Houphouët-Boigny, alors que, d’après l’article 11 de la Constitution, ce rôle revient au président de l’Assemblée nationale, Henri Konan Bédié. Alassane Ouattara s’en défend. « Jamais je n’ai voulu prendre sa succession, confiera-t-il plus tard à l’hebdomadaire Jeune Afrique. Cela ne correspondait pas du tout à mes principes moraux et politiques ». Il reconnaît toutefois contester la manière dont Henri Konan Bédié est devenu chef de l’Etat, sans dit-il, que soit respectée la procédure constitutionnelle selon laquelle la Cour suprême devait, d’abord, constater la vacance du pouvoir. Et pour empêcher l'avènement d'Henri Konan Bédié, certains de ses adversaires au sein du PDCI penchaient clairement, en privé, pour la solution Ouattara.
Quoiqu'il en soit, la rupture est consommée avec Henri Konan Bédié, qui devient le deuxième président la Côte d’Ivoire indépendante. Ce dernier n’aura, dès lors, de cesse de barrer la route à un rival qu’il considère désormais comme l’homme à abattre. A l’approche de l’élection présidentielle d’octobre 1995, Alassane Ouattara ayant entre-temps réintégré les rangs du Fonds monétaire international, envisage d’être candidat.
Pour l'en empêcher, le président Bédié fait voter, en décembre 1994, un code électoral sur mesure, dont une disposition stipule que tout candidat à la magistrature suprême doit « être Ivoirien de naissance, né de père et de mère eux-mêmes Ivoiriens. Il doit n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne […] et résider de manière continue en Côte d’Ivoire depuis cinq ans. »
L’initiative présidentielle déchaine les passions. Laurent Gbagbo, leader du FPI, qualifie le texte de « liberticide, raciste, xénophobe et dangereux ». Ce dernier formera même un Front républicain contre Henri Konan Bédié avec le RDR, parti fondé, en 1994, par Djeni Kobina, à la suite d’une scission au sein du PDCI au pouvoir et dont Alassane Ouattara prendra plus tard la direction. En Côte d’Ivoire, le débat fait rage sur la nationalité de l’ancien Premier ministre que certains accusent d’être Burkinabé, voire Voltaïque. Le concept d’ivoirité, promu par le président Bédié, met à mal la cohabitation traditionnellement bonne entre populations originaires du Nord, majoritairement musulmanes, et les autres peuples de Côte d’Ivoire. Les discours xénophobes s’étalent dans les journaux proches du pouvoir.
Sur le conseil, dit-il, du président togolais de l’époque, Gnassingbé Eyadema, Alassane Ouattara renonce à se présenter à la magistrature suprême.
Alassane Ouattara sur sa nationalité
« Je suis Ivoirien et ce, depuis ma naissance à Dimbokro en 1942. De plus, mon père est né à Dimbokro vers 1888 et ma mère, originaire de Glélé ban (Odiénné), est née à Dabou en 1920. Ils sont donc Ivoiriens de naissance, explique-t-il dans Jeune Afrique. Pour appuyer sa démonstration, Alassane Ouattara publie même dans l’hebdomadaire des facsimilés des cartes d’identité ivoiriennes de ses deux parents. « Pour des raisons familiales, poursuit-il, j’ai fait une partie de mes études au Burkina, à l’époque Haute-Volta. Après le baccalauréat, j’ai obtenu une bourse américaine au titre de l’aide accordée à ce pays, et je suis donc parti aux Etats-Unis avec un passeport voltaïque. Ceci ne remet nullement en cause mes droits et devoirs en tant qu’Ivoirien. »
Pour appuyer leur raisonnement, ces détracteurs lui reprochent d’avoir fait ses études aux Etats-Unis en tant que Voltaïque et d’avoir détenu un passeport voltaïque. « J’ai exercé les fonctions de vice-gouverneur de la BCEAO pour la Haute-Volta pendant deux ans. […] je l’ai fait à la suite d’un accord entre le président Houphouët et les autorités voltaïques », répond-il.
Le 30 juillet 1999, après cinq années passées au FMI en tant que directeur général adjoint, Alassane Ouattara rentre en Côte d’Ivoire. Il est élu à la tête du RDR et annonce officiellement sa candidature à la présidentielle d’octobre 2000. La Côte d’Ivoire du Président Bédié traverse alors une zone de violentes turbulences. Une campagne médiatique virulente visant à démontrer sa nationalité burkinabée, et donc son inéligibilité, est lancée. Pour faire taire les critiques, Alassane Ouattara produit deux cartes d’identité ivoiriennes datant de 1982 et 1990.
Las ! Le 22 septembre, une information judiciaire pour « faux commis dans des documents administratifs, usage de faux et complicité » est ouverte contre lui. Quelques jours plus tôt, sa mère a été entendue par des policiers qui veulent vérifier sa nationalité. Le 9 octobre, Alassane Ouattara réaffirme qu’il est de nationalité ivoirienne et estime qu’il fait l’objet de discrimination parce qu’il est musulman. Le 27 octobre, la décision d’un juge lui ayant délivré un certificat de nationalité est annulée.
Enfin, le 29 novembre, alors qu’il se trouve à l’étranger un mandat d’arrêt est lancé contre lui. Entre-temps, plusieurs dirigeants du RDR, dont la numéro deux Henriette Diabaté, ont été arrêtés, jugés en urgence et condamnés à deux ans de prison à la suite de violences lors d’une manifestation.
Le procès de la secrétaire générale du RDR, Henriette Diabaté, et d'une vingtaine de membres du parti s'ouvre à Abijan ce 10 novembre 1999.
AFP/Jean-Philippe Ksiazek
La situation est particulièrement tendue. Mais rares sont ceux qui imaginent ce qui va se dérouler moins de quatre semaine plus tard…
Le 24 décembre, une mutinerie éclate à Abidjan et se transforme rapidement en coup d’Etat, portant au pouvoir le général Robert Gueï, ancien chef d’état major des armées, tombé en disgrâce quelques années plus tôt. Il est placé à la tête d’un Comité national de salut public (CNSP). Le président Bédié fuit le pays. Les prisonniers du RDR sont libérés et Alassane Ouattara reçoit du nouvel homme fort l’assurance qu’il peut rentrer en toute tranquillité à Abidjan. Ce qu’il fait dès le 29 décembre.
L’ancien Premier ministre a-t-il été l’instigateur du coup d’Etat ? Le fait que les numéros deux et trois du CNSP, les généraux Palenfo et Coulibaly, soient des proches et que figure parmi les « mutins » un de ses anciens garde du corps, le sergent Ibrahim Coulibaly, sert de base à ceux qui instruisent son procès. L’intéressé nie vigoureusement, en se disant opposé à la prise de pouvoir par la force. Laurent Gbagbo aura beau jeu d’utiliser l’argument lors de la campagne du deuxième tour de la présidentielle de 2010, pour inciter les électeurs d’Henri Konan Bédié à lui apporter leurs voix : « Si vous aimez Bédié, vous devez voter pour celui qui l’a fait revenir d’exil plutôt que pour celui qui l’a fait partir en exil », martèle-t-il.
Les deux leaders de l'opposition ivoirienne : Alassane Dramane Ouattara (g) président du Rassemblement des républicains (RDR) et Laurent Gbagbo (d) président du Front Populaire Ivoirien (FPI) au siège du RDR, le 18 septembre 1999.
Dès le début de la transition militaire, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo ont d’ailleurs clairement pris leurs distances. Exit le Front républicain. Les deux hommes sont désormais rivaux. Au fil des mois, les relations entre l’ancien Premier ministre et le général Gueï, tournent également au vinaigre. En mai, le chef de la junte affirme avoir réuni des preuves d’atteinte à la sureté de l’Etat contre le RDR.
Les 23 et 24 juillet, une nouvelle Constitution est soumise à référendum, dont un article précise que tout candidat à la magistrature suprême doit être de père et de mère ivoirien et ne s’être jamais prévalu d’une autre nationalité. Alassane Ouattara, bien que critique sur les conditions d’éligibilité, appelle tout de même à voter « oui ».
Dans les semaines qui suivent la tension augmente. En septembre, le chef de la junte l’accuse d’avoir trempé dans un complot contre sa personne. Les généraux Palenfo et Coulibaly sont accusés d’avoir commandité une « tentative d’assassinat ». Quelques jours plus tard, la Cour suprême rend son verdict.
Alassane Ouattara
La candidature d’Alassane Ouattara à la candidature d’octobre 2000 est invalidée pour cause de « nationalité douteuse ». Celle d’Henri Konan Bédié l’est tout autant, car l’ancien président déchu a passé sa visite médicale de candidat en France et non en Côte d’Ivoire.
Le 22 octobre suivant, Laurent Gbagbo est alors le seul poids lourd politique en piste face au général Gueï. Le leader du FPI est finalement déclaré vainqueur, le 26 au soir, au terme de trois journées de violentes manifestations contre une tentative de coup de force électoral du général Gueï, puis entre partisans du FPI et du RDR. Alassane Ouattara, pour qui Laurent Gbagbo est illégitime, réclame la tenue d’une nouvelle élection présidentielle. Non seulement, il n’obtient pas gain de cause, mais le 1er décembre 2000, la Cour suprême rejette une nouvelle fois sa candidature, cette fois aux élections législatives. Son parti choisit le boycott. Des affrontements opposent ses partisans aux forces de l’ordre. Malgré tout, le 25 mars 2001, le RDR participera aux élections municipales où il devancera le PDCI et le FPI.
judiciaires compétentes de délivrer à monsieur Ouattara un certificat de nationalité conformément aux lois et règlements en vigueur ». En janvier 2002, le chef de l’Etat ivoirien réunit autour de lui Alassane Ouattara, Robert Gueï et Henri Konan Bédié, à Yamoussoukro. La question de l’article 35 reste toutefois suspendue à un projet de colloque visant à «préciser» certaines dispositions de la loi fondamentale. Mais le 28 juin 2002, la justice délivre finalement à Alassane Ouattara un certificat de nationalité. Et le 5 août, le RDR entre au gouvernement.
Le 19 septembre 2002, la Côte d’Ivoire connaît une tentative de coup d’Etat et le début d’une rébellion armée, menée par des militaires pour majorité originaires du nord de la Côte d’Ivoire et se réclamant d’un Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI). Le général Gueï est assassiné ainsi que le ministre de l’Intérieur Emile Boga Doudou. La résidence d’Alassane Ouattara est incendiée. Craignant pour sa vie, il se réfugie à l'ambassadeur de France. Une nouvelle fois, il quitte la Côte d’Ivoire pour le Gabon puis la France. Une nouvelle fois, il est pointé du doigt par ses adversaires, à commencer par le président Gbagbo qui l’accuse d’être le « cerveau » de la rébellion, évoquant notamment les liens entre certains rebelles et le RDR ou encore les déclarations du porte-parole du MPCI demandant la tenue de nouvelles élections.
Huit ans plus tard, Alassane Ouattara nie toujours avec la plus grande fermeté toute responsabilité dans la guerre. « Je condamne cela. Cela n’aurait jamais dû arriver. […] Ces jeunes gens pensant peut-être bien faire, épousant peut-être les mêmes objectifs que j’avais par rapport à une société de justice et d’équité, ont pris les armes. Mais j’espère qu’ils ont compris que ce n’est pas avec des armes et des fusils qu’on doit régler les problèmes de la Côte d’Ivoire », expliquait-il fin octobre 2010 lors de l’émission politique « Face aux électeurs » à la télévision nationale ivoirienne. Ses propos ne convainquent bien entendu pas son adversaire qui en fera un de ses principaux arguments durant la campagne du second tour.
Quoi qu’il en soit le problème de sa candidature est définitivement réglé le 6 avril 2005 à Pretoria. Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié et Guillaume Soro, secrétaire général du MPCI (et actuel Premier ministre), signent un accord de paix.
Parmi les dispositions clé, figure l’amendement du controversé article 35 de la Constitution qui avait exclu Alassane Ouattara des précédentes élections.
Quelques jours plus tard, ce dernier laisse entendre qu’il se présentera à la présidentielle. En mai suivant, à Paris, il signe, ironie de l’histoire, un accord avec son ennemi juré d’hier, Henri Konan Bédié, pour faire front commun contre Laurent Gbagbo. Il rentre à Abidjan le 6 décembre, après trois ans d’exil, pour les obsèques de sa mère.
Son retour définitif se fera plus tard, mais l’ancien Premier ministre a désormais l’assurance qu’il pourra, cette fois, briguer la magistrature suprême. Le 28 novembre 2010, vingt ans après être entré en politique, après une campagne très dure, Alassane Ouattara se retrouve enfin face à Laurent Gbagbo pour un combat à la loyale. L'enjeu est double. Il s'agit bien sûr pour lui d'accéder enfin à ce qu'il désire depuis plus de 15 ans, diriger la Côte d'Ivoire, mais aussi savoir si oui ou non, la majorité des Ivoiriens le soutient, comme il le martèle depuis une décennie.
Pour ses partisans, il est « l’homme courage », celui qui a résisté au néocolonialisme de la France et à la rébellion qui a voulu diviser la Côte d’Ivoire. Pour ses pourfendeurs, il est au contraire celui qui a mis le pays à genoux et provoqué la guerre en reprenant à son compte le thème de l’ivoirité. A 65 ans, admiré ou honnis, l’ex-opposant historique à Houphouët-Boigny, puis Henri Konan Bédié, a en tous cas démontré une capacité peu commune de survie politique.
Laurent Koudou Gbagbo est né le 31 mai 1945, à Mama, près de Gagnoa, dans le centre-ouest de la Côte d’Ivoire. Après un passage par le petit séminaire de Gagnoa, il obtient son baccalauréat au lycée classique d’Abidjan. Il décroche une licence d’histoire à l’université d’Abidjan en 1969, après un court séjour à l’université de Lyon où il rencontre sa première épouse française, puis une maîtrise d’histoire à l’université de Paris-Sorbonne.
En Côte d’Ivoire, c’est le « mai 1968 à l’ivoirienne ». La contestation gronde à l’université d’Abidjan. Des étudiants et élèves sont emprisonnés pendant 15 jours au camp militaire d’Akouédo à Abidjan. Parmi eux, Laurent Gbagbo, déjà actif au sein de l’Union nationale des étudiants et élèves de Côte d’Ivoire (UNEECI). En 1970 et 1971, il enseigne l’histoire au lycée classique d’Abidjan. Mais il est à nouveau pris dans la tourmente qui secoue son pays.
Le 31 mars, Laurent Gbagbo, toujours dans les activités syndicales, est contraint « aux fins de redressement » d’effectuer près de deux ans de service militaire dans des conditions très dures, aux côtés notamment de Djeni Kobena, qui fondera 25 ans plus tard le Rassemblement des républicains (RDR).
A son retour à la vie civile, Laurent Gbagbo devient chercheur à l’Institut d’histoire d’art et d’archéologie de l’université d’Abidjan (IHAA), puis soutient une thèse de doctorat, en 1978, à l’université Paris VII sur le thème « La Côte d’Ivoire : économie et société à la veille de l’indépendance ». En 1980, il devient directeur de l’IHAA.
A ces quelques années de calme, succède une nouvelle période agitée. En 1981 et 1982, les mondes scolaires et universitaires sont à nouveau en ébullition. Laurent Gbagbo est au cœur du mouvement à la direction du SYNARES (Syndicat national de la recherche et de l’enseignement supérieur), avec notamment Simone Ehivet, sa future épouse en seconde noce, et Pierre Kipré, actuel ambassadeur de Côte d’Ivoire à Paris. Laurent Gbagbo émerge alors comme celui qui ose résister à Houphouët-Boigny. En 1982, il fonde dans la clandestinité le Front populaire ivoirien (FPI), puis part en exil en France.
Pendant six ans, il mène une vie spartiate, hébergé à plusieurs reprises par son ami Guy Labertit, qui sera plus tard « monsieur Afrique » du Parti socialiste français. A cette époque, avoir sur son territoire l’opposant au « meilleur ami de la France » n’arrange ni le président socialiste François Mitterand, ni Jacques Chirac. D'autant que devenu Premier ministre en 1986, ce dernier fait revenir Jacques Foccart, célèbre conseiller aux affaires africaines du général de Gaulle et proche d’Houphouët-Boigny.
Le « vieux » tentera à plusieurs reprises de gagner à sa cause le bouillant opposant. En 1986, le quotidien Libération, révèle ainsi comment un commissaire de police français fait part à Laurent Gbagbo d’une proposition de rentrer en Côte d’Ivoire sans représailles en échange de son ralliement. Ce qu’il refuse. Il profite, par ailleurs, de ces années en France pour écrire, notamment Côte d’Ivoire : pour une alternative démocratique (L’Harmattan, 1983).
Le 13 septembre 1988, il rentre tout de même en Côte d’Ivoire, mais refuse la traditionnelle cérémonie de pardon télévisée, à laquelle se sont soumis d’autres opposants à leur arrivée. Et il entend bien continuer à combattre le parti unique.
L’année 1990 est décisive pour Laurent Gbagbo. Un grand nombre de pays africains sont secoués par une vague de revendication démocratique. La Côte d’Ivoire n’y échappe pas. L’agitation sociale bat son plein. L’opposant réclame plus que jamais la fin du parti unique. Félix Houphouët-Boigny fait d’abord la sourde oreille, qualifiant cette demande de « vue de l’esprit ». Mais le 30 avril, il finit par accepter l’instauration du multipartisme. Le 16 septembre, une fois son parti légalisé, Laurent Gbagbo annonce qu’il sera candidat contre Félix Houphouët-Boigny à la présidentielle du 28 octobre. A l’époque, la démarche est un défi, tant l’idée de tenir tête au « vieux » semble incroyable pour de nombreux Ivoiriens.
Le leader du FPI n’obtient que 18, 3% des suffrages, mais sa réputation d’opposant irréductible est faite, ce qui lui vaudra une grande popularité dans la jeunesse. Il obtient, par la suite, une tribune de choix en étant élu député, avec huit autres membres de son parti. Pour autant, le discours ne s’adoucit pas. Mais Laurent Gbagbo a face à lui un nouvel interlocuteur, un certain Alassane Dramane Ouattara. Ce technocrate de 48 ans, gouverneur de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest, a été nommé Premier ministre - le premier depuis l’indépendance - le 7 novembre 1990.
Tout les sépare. Alassane Ouattara est un libéral, formé aux Etats-Unis, chantre des réformes du Fonds monétaire international, dont il est issu, et est de surcroît choyé par Houphouët-Boigny. Laurent Gbagbo est un enseignant, baigné depuis des années dans le militantisme syndical, social-démocrate certes, mais hostile aux privatisations, et, bien sûr, adversaire infatigable du « père de l’indépendance ». Leurs relations seront houleuses. Le 18 février 1992, une manifestation, à l’appel du FPI et d'autres organisations, dégénère. Laurent Gbagbo est arrêté et condamné à deux ans de prison avec d’autres personnes, dont son épouse Simone, en vertu d’une nouvelle loi « anti-casseurs », élaborée par Alassane Ouattara. Ils seront finalement libérés au mois d’août suivant.
Le 7 décembre 1993, Félix Houphouët-Boigny meurt. Le contexte politique va, pendant un temps, rapprocher Gbagbo et Ouattara. Henri Konan Bédié a succédé au père de l’indépendance. Alassane Ouattara est désormais l’ennemi numéro 1 du nouveau chef de l’Etat et le leader du FPI le soutient lorsque, fin 1994, un code électoral est voté pour écarter l’ancien Premier ministre de la présidentielle de 1995. Laurent Gbagbo noue, d'autre part, une alliance - le Front républicain - avec son vieil ami Djeni Kobena, qui a fondé le Rassemblement des Républicains (RDR). Né d’une scission au sein du PDCI, l’ex-parti unique, Alassane Ouattara en deviendra plus tard le président. Celui-ci renonce finalement à être candidat et Laurent Gbagbo décide, pour sa part, de boycotter la présidentielle d’octobre 1995 qu’Henri Konan Bédié, privé de véritable adversaire, remporte avec 96,44% des voix.
Le 24 décembre 1999, Henri Konan Bédié est renversé, à la suite d’une mutinerie qui tourne au coup d’Etat. Le général Robert Gueï, ancien chef d’état-major de l’armée tombé en disgrâce, est porté à la tête d’un Conseil national de salut public (CNSP). Laurent Gbagbo « prend acte » même s’il se dit « opposé aux coups de force ». Le 12 janvier suivant, le FPI fait son entrée, aux côtés du RDR, au sein d’un gouvernement de transition, chargé d’organiser l’élection présidentielle d’octobre 2000. A mesure que les relations entre le général Gueï et Alassane Ouattara se tendent, s’effritent aussi les liens avec Laurent Gbagbo. Le nouveau leader du Rassemblement des républicains devient, en effet, son plus sérieux concurrent dans la course à la magistrature suprême.
Comme Alassane Ouattara, le leader du FPI appelle à voter « oui » au référendum constitutionnel des 23 et 24 juillet. Mais contrairement à son adversaire, il ne proteste pas contre le controversé article 35 de la nouvelle loi fondamentale qui exige que les candidats à la présidence de la République soient de père et de mère Ivoiriens d’origine et ne se soient jamais prévalus d’une autre nationalité. Alassane Ouattara l'accusera, du coup, de surfer, au même titre d’ailleurs que le général Gueï, sur le concept d’ivoirité et la xénophobie, développés sous le régime du président Bédié.
« L'opposant historique » au pouvoir
Quoi qu’il en soit, lorsque les candidatures d’Alassane Ouattara, comme Henri Konan Bédié, sont rejetées par la Cour suprême le 6 octobre, « l’opposant historique » maintient la sienne et se retrouve, de facto, seul réel challenger du général Gueï. Au soir du vote du 22 octobre, il sait qu’il est aux portes du pouvoir. Mais le lendemain, alors que la Commission électorale indépendante (CEI) a commencé à livrer les premiers résultats à la radio et à la télévision, le décompte est brusquement interrompu. Le soir même, Robert Gueï intervient à la télévision nationale pour s’autoproclamer vainqueur.
Le lendemain, de son siège de campagne dans le quartier Deux-Plateaux, le leader du FPI se déclare vainqueur et appelle les Ivoiriens à descendre dans la rue pour faire tomber le général Gueï. Dès le milieu de l’après-midi, une marée humaine envahit le centre d’Abidjan. Des manifestant armés de simples lance-pierres s’attaquent à la garde rapprochée du chef de la junte près de la présidence et tombent sous les balles. Les manifestations se poursuivent le lendemain, alors que la gendarmerie, puis l’armée, commencent à basculer en faveur de Laurent Gbagbo.
Mais à son tour, le RDR, lance ses militants dans la rue. Des affrontements meurtriers entre manifestants des deux bords se déroulent jusqu’au jeudi 26 octobre. Ils feront plus de 300 morts. Un charnier contenant 57 corps est découvert en bordure d’une forêt dans le quartier de Yopougon.
Entre-temps, l’armée a définitivement basculé dans le camp du chef du FPI. La CEI reprend son décompte et déclare Laurent Gbagbo vainqueur avec près 60% des suffrages contre environ 33% à Robert Gueï, mais une participation d’à peine 37%. Le soir même, le nouveau chef de l’Etat prête serment au palais présidentiel d’Abidjan. « Nous ne réécrirons pas une nouvelle Constitution, et nous ne ferons pas une autre élection présidentielle », précise-t-il lors de son discours, à l'attention d'Alassane Ouattara qui réclame un nouveau scrutin.
Le 1er décembre suivant, la candidature d’Alassane Ouattara aux législatives du 10 décembre est invalidée par la Cour suprême. Le RDR choisit le boycott et appelle à une manifestation violemment réprimée, tandis que des membres du parti sont arrêtés. La tension ne retombe pas. Dans la nuit du 7 au 8 janvier 2001, une tentative de coup de force est déjouée, dont la responsabilité est attribuée à mots à peine couverts par le camp présidentiel à des partisans d'Alassane Ouattara. Le RDR nie catégoriquement.
Le 14 janvier, des élections législatives partielles se tiennent dans plusieurs circonscriptions où elles n’avaient pu avoir lieu en décembre. L’abstention est très forte. Au final, le FPI détient 96 sièges de députés sur 225, le PDCI 94. Dans ce contexte, la France annonce, le 31 janvier, la reprise de sa coopération avec la Côte d’Ivoire, interrompue pendant la transition militaire. Une bouffée d'oxygène pour un chef de l'Etat qui peine à s'imposer en Afrique de l'Ouest.
Pour faire baisser la tension, Laurent Gbagbo organise un Forum de réconciliation nationale, censé réunir tous les acteurs de la vie politique ivoirienne du 9 octobre au 18 décembre 2001. Au terme de longues tractations, il obtient la participation d’Alassane Ouattara, Robert Gueï et Henri Konan Bédié, même si le président déchu et son tombeur s'évitent soigneusement. Le Forum s’en remet à un « comité de juriste » pour régler le contentieux sur l’article 35 de la Constitution, il recommande qu’un certificat de nationalité soit délivré à Alassane Ouattara.
En janvier 2002, Laurent Gbagbo rencontre les trois leaders à Yamoussoukro. Chose inimaginable, quelques mois plus tôt, Henri Konan Bédié et Robert Gueï se serrent la main. La question de l’article 35 reste toutefois suspendue à un projet de colloque visant à « préciser » certaines dispositions de la loi fondamentale.
Le 29 juin, la justice ivoirienne délivre un certificat de nationalité à Alassane Ouattara et le 5 août, le RDR fait son entrée au gouvernement. Pour autant, le contexte reste très tendu. Des rumeurs de coup d’Etat courent depuis plusieurs mois. Le 1er août, de nombreuses spéculations accompagnent l’assassinat à Ouagadougou de Balla Keita, ancien ministre de l’Education d’Houphouët-Boigny, devenu l’un des conseillers de Robert Gueï. Le 27 août, 2 milliards de francs CFA sont volés au cours d'un casse spectaculaire dans l’enceinte de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest, à Abidjan.
Laurent Gbagbo face à la guerre
Les 19 et 20 septembre 2002, une tentative de coup d’État, en l’absence du président Gbagbo en voyage en Italie, dégénère en soulèvement armé. Dès les premières heures, le général Robert Gueï et le ministre de l’intérieur Emile Boga Doudou sont assassinés, Alassane Ouattara, craignant pour sa vie, se réfugie à l’ambassade de France. Le président ivoirien rentre précipitamment en Côte d’Ivoire. « Mon pays est attaqué, mon devoir est de faire front », déclare-t-il.
Les rebelles prennent Korhogo, dans le nord, puis Bouaké, deuxième ville du pays, au centre-nord. Le 21, des quartiers pauvres, peuplés majoritairement d’immigrés ouest-africains sont partiellement incendiés. Certain que l’insurrection est soutenue de l’extérieur, notamment par le Burkina Faso, Laurent Gbagbo en appelle à la France, en espérant faire jouer les accords de défense. Paris promet un soutien logistique et procède à l’évacuation de ressortissants étrangers. Mais l’armée française n’interviendra par la suite que pour s’interposer entre les belligérants, le long d’une ligne de démarcation qui sépare la Côte d’Ivoire entre une zone gouvernementale, au sud, et une zone sous contrôle rebelle, au nord, avec Bouaké pour « capitale ». Des milliers de personnes, qui deviendront autant de déplacés intérieurs, fuient le nord, tandis que de nombreux étrangers ouest-africains, victimes d’une flambée de xénophobie, quittent la Côte d’Ivoire.
Très vite les rebelles se présentent sous la bannière du MPCI, Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire. Le 1er octobre, ils posent leurs revendications : le départ du président Gbagbo et la réintégration des militaires partis en exil, en 2000 et 2001, à la suite de tentatives de coup d’Etat. Le 6 octobre, des gendarmes loyalistes et des membres de leurs familles sont massacrés par des insurgés à Bouaké. Le 17, les rebelles signent à Bouaké un accord de cessation des hostilités. Le président Gbagbo l’accepte et demande à la France de contrôler le cessez-le-feu.
Le 8 novembre, le frère de Louis Dacoury-Tabley, ancien compagnon de Laurent Ggagbo passé au MPCI, est retrouvé criblé de balles. L’opposition évoque l’existence d’escadrons de la mort, démentie par la présidence.
Le 28, dans une stratégie de contournement du cessez-le-feu, apparaissent deux nouveaux mouvements rebelles, le Mouvement populaire ivoirien du Grand Ouest (MPIGO) et le Mouvement pour la justice et la paix (MJP), qui revendiquent la prise de Man et Danané, à l’extrême ouest du pays. Le 5 décembre 2002 , un charnier de 120 cadavres est découvert par l’armée française à Monoko-Zohi, toujours dans l'ouest. Un massacre commis, selon Human Rights, par les forces gouvernementales.
Des violations des droits de l’homme dans le deux camps
Human Right Watch attribue au camp loyaliste d’autres massacres, entre 2002 et 2003, en particulier dans l'ouest du pays à Daloa et Man. Dans et autour de, Toulepleu, Bangolo et Blolékin des combattants libériens ont participé à des dizaines de meurtres, viols et autres actes de violence contre les civils. D'après Human Rights Watch, plus de 100 civils ont également été tués et une vingtaine ont disparu lors de la répression dune manifestation anti-gouvernementale à Abidjan. Mais les forces rebelles ne sont pas en reste, outre le meurtre de plus de 50 gendarmes et membres de leur famille, lors de la prise de Bouaké en octobre 2002 par le MPCI, d'autres témoignages font état de massacres, viols et pillages dans l'ouest, dans la zone frontalière du Libéria, commis par des rebelles du MPIGO et MJP et leurs recrues libériennes.
Une centaine de personnes auraient été en outre exécutées ou seraient décédées en détention à Korhogo et dans les environs dans des affrontements internes au MPCI entre partisans de Guillaume Soro et Ibrahim Coulibaly. Tous ces crimes, de même que les d’autres meurtres et disparitions non élucidées attribués aux deux camps dans tout le pays, sont restés jusqu'ici impunis.
Le 15 janvier, les belligérants et les représentants de l’ensemble des partis politiques ivoiriens se retrouvent en France à Linas-Marcoussis, en région parisienne, dans le camp de base de l’équipe nationale de Rugby. L’objectif est de réunir tout le monde à huis-clos, sous l’égide de l’ancien ministre gaulliste Pierre Mazeaud.
Le 24 janvier, est signé l’accord de Linas-Marcoussis. Il prévoit le maintien au pouvoir de Laurent Gbagbo et un gouvernement ouvert à toutes les parties, y compris les trois mouvements rebelles. Les 25 et 26 janvier, l’accord est validé à Paris, au centre de conférence Kléber, en présence de plusieurs chefs d’Etats. Le président Gbagbo nomme Seydou Diarra Premier ministre, déjà à ce poste sous la transition militaire et ancien président du Forum de réconciliation nationale.
Mais la machine se grippe. Le secrétaire général des Forces nouvelles, Guillaume Soro, annonce que son mouvement a obtenu les portes-feuilles clés de la Défense et de l’Intérieur. La nouvelle provoque la fureur des partisans du président Gbagbo. Des manifestations anti-françaises éclatent à Abidjan, à l’appel des « Jeunes patriotes », partisans inconditionnels du chef de l’Etat menés par Charles Blé Goudé. Laurent Gbagbo dément avoir accepté un tel compromis. Guillaume Soro assure qu’il l'a fait devant témoins. Le président laisse entendre qu’on lui a forcé la main. « Ne vous inquiétez pas à Marcoussis ce qui s’est dit ce sont des propositions », déclare-t-il devant ses partisans.
A partir de ce moment, Laurent Gbagbo se présente comme un résistant face à une ancienne puissance coloniale cherchant à le renverser. « Je n’ai jamais fait mystère de l’implication de l’Etat français, à travers les personnes de Jacques Chirac et Dominique Villepin, de leur implication dans la tentative de renversement de mon régime », répétera-t-il, sept ans plus tard, sur RFI.
Dès lors, les accords se succèdent (Accra, Pretoria), comme les Premiers ministres (Charles Kona Banny, après Seydou Diarra), mais Laurent Gbagbo veillera toujours jalousement à conserver ses prérogatives. L’élection présidentielle, prévue pour 2005, sera reportée à six reprises. Ses adversaires, qui le surnomment « le boulanger », lui en font porter la responsabilité, estimant qu’il « roule dans la farine» l’opposition et la communauté internationale pour éviter une confrontation électorale avec Alassane Ouattara. Le président ivoirien dément et renvoie la faute aux rebelles, accusés de refuser de désarmer et de vouloir conserver les privilèges et les prébendes acquises dans la zone nord.
Au bout du compte, c’est le jour où le président ivoirien prendra langue directement avec son homologue Burkinabé Blaise Compaoré, qu'il considére comme le « parrain des rebelles », qu’une solution à la crise deviendra possible. Le 4 mars 2007, le camp présidentiel et les Forces nouvelles signent un accord politique à Ouagadougou, sous l’égide du chef de l’Etat burkinabé devenu médiateur. Chose inimaginable, Laurent Gbagbo nomme ensuite Guillaume Soro au poste de Premier ministre qui forme un nouveau gouvernement de transition. Ce sont des retrouvailles, puisque les deux hommes ont été proches lorsque Guillaume Soro était leader de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (1994 à 1998). Entre-temps, bien sûr, Soro est passé par le RDR avant de prendre la tête du MPCI puis des Forces nouvelles. La cohabitation est un exercice d’équilibrisme. A plusieurs reprises, l’improbable couple exécutif semble au bord de l’éclatement. Mais il tient.
Laurent Gbagbo savoure aussi une autre victoire. Lui à qui, en septembre 2002, personne ne donnait plus de quelques mois de survie face aux pressions internes et externes, voit Jacques Chirac quitter le pouvoir avant lui, en mai 2007. En outre, le président ivoirien rompt peu à peu son isolement diplomatique. Ses adversaires ont beau rappeler les crimes commis en zone loyaliste, les émeutes anti-françaises de novembre 2004 ou les accusations contre son entourage dans le meurtre du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, Laurent Gbagbo redevient « fréquentable ». La realpolitik, la cohabitation avec Guillaume Soro, mais aussi les révélations sur les nombreuses dérives également constatées dans les zones tenues par les ex-rebelles y sont pour quelque chose.
Pour Laurent Gbagbo, il reste alors à remporter la présidentielle du 28 novembre 2010 pour obtenir une légitimité incontestable, dix ans après être arrivé au pouvoir lors d’une élection qu’il décrit lui-même comme « calamiteuse ».
Rfi
Laurent Koudou Gbagbo est né le 31 mai 1945, à Mama, près de Gagnoa, dans le centre-ouest de la Côte d’Ivoire. Après un passage par le petit séminaire de Gagnoa, il obtient son baccalauréat au lycée classique d’Abidjan. Il décroche une licence d’histoire à l’université d’Abidjan en 1969, après un court séjour à l’université de Lyon où il rencontre sa première épouse française, puis une maîtrise d’histoire à l’université de Paris-Sorbonne.
En Côte d’Ivoire, c’est le « mai 1968 à l’ivoirienne ». La contestation gronde à l’université d’Abidjan. Des étudiants et élèves sont emprisonnés pendant 15 jours au camp militaire d’Akouédo à Abidjan. Parmi eux, Laurent Gbagbo, déjà actif au sein de l’Union nationale des étudiants et élèves de Côte d’Ivoire (UNEECI). En 1970 et 1971, il enseigne l’histoire au lycée classique d’Abidjan. Mais il est à nouveau pris dans la tourmente qui secoue son pays.
Le 31 mars, Laurent Gbagbo, toujours dans les activités syndicales, est contraint « aux fins de redressement » d’effectuer près de deux ans de service militaire dans des conditions très dures, aux côtés notamment de Djeni Kobena, qui fondera 25 ans plus tard le Rassemblement des républicains (RDR).
A son retour à la vie civile, Laurent Gbagbo devient chercheur à l’Institut d’histoire d’art et d’archéologie de l’université d’Abidjan (IHAA), puis soutient une thèse de doctorat, en 1978, à l’université Paris VII sur le thème « La Côte d’Ivoire : économie et société à la veille de l’indépendance ». En 1980, il devient directeur de l’IHAA.
A ces quelques années de calme, succède une nouvelle période agitée. En 1981 et 1982, les mondes scolaires et universitaires sont à nouveau en ébullition. Laurent Gbagbo est au cœur du mouvement à la direction du SYNARES (Syndicat national de la recherche et de l’enseignement supérieur), avec notamment Simone Ehivet, sa future épouse en seconde noce, et Pierre Kipré, actuel ambassadeur de Côte d’Ivoire à Paris. Laurent Gbagbo émerge alors comme celui qui ose résister à Houphouët-Boigny. En 1982, il fonde dans la clandestinité le Front populaire ivoirien (FPI), puis part en exil en France.
Pendant six ans, il mène une vie spartiate, hébergé à plusieurs reprises par son ami Guy Labertit, qui sera plus tard « monsieur Afrique » du Parti socialiste français. A cette époque, avoir sur son territoire l’opposant au « meilleur ami de la France » n’arrange ni le président socialiste François Mitterand, ni Jacques Chirac. D'autant que devenu Premier ministre en 1986, ce dernier fait revenir Jacques Foccart, célèbre conseiller aux affaires africaines du général de Gaulle et proche d’Houphouët-Boigny.
Le « vieux » tentera à plusieurs reprises de gagner à sa cause le bouillant opposant. En 1986, le quotidien Libération, révèle ainsi comment un commissaire de police français fait part à Laurent Gbagbo d’une proposition de rentrer en Côte d’Ivoire sans représailles en échange de son ralliement. Ce qu’il refuse. Il profite, par ailleurs, de ces années en France pour écrire, notamment Côte d’Ivoire : pour une alternative démocratique (L’Harmattan, 1983).
Le 13 septembre 1988, il rentre tout de même en Côte d’Ivoire, mais refuse la traditionnelle cérémonie de pardon télévisée, à laquelle se sont soumis d’autres opposants à leur arrivée. Et il entend bien continuer à combattre le parti unique.
L’année 1990 est décisive pour Laurent Gbagbo. Un grand nombre de pays africains sont secoués par une vague de revendication démocratique. La Côte d’Ivoire n’y échappe pas. L’agitation sociale bat son plein. L’opposant réclame plus que jamais la fin du parti unique. Félix Houphouët-Boigny fait d’abord la sourde oreille, qualifiant cette demande de « vue de l’esprit ». Mais le 30 avril, il finit par accepter l’instauration du multipartisme. Le 16 septembre, une fois son parti légalisé, Laurent Gbagbo annonce qu’il sera candidat contre Félix Houphouët-Boigny à la présidentielle du 28 octobre. A l’époque, la démarche est un défi, tant l’idée de tenir tête au « vieux » semble incroyable pour de nombreux Ivoiriens.
Le leader du FPI n’obtient que 18, 3% des suffrages, mais sa réputation d’opposant irréductible est faite, ce qui lui vaudra une grande popularité dans la jeunesse. Il obtient, par la suite, une tribune de choix en étant élu député, avec huit autres membres de son parti. Pour autant, le discours ne s’adoucit pas. Mais Laurent Gbagbo a face à lui un nouvel interlocuteur, un certain Alassane Dramane Ouattara. Ce technocrate de 48 ans, gouverneur de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest, a été nommé Premier ministre - le premier depuis l’indépendance - le 7 novembre 1990.
Tout les sépare. Alassane Ouattara est un libéral, formé aux Etats-Unis, chantre des réformes du Fonds monétaire international, dont il est issu, et est de surcroît choyé par Houphouët-Boigny. Laurent Gbagbo est un enseignant, baigné depuis des années dans le militantisme syndical, social-démocrate certes, mais hostile aux privatisations, et, bien sûr, adversaire infatigable du « père de l’indépendance ». Leurs relations seront houleuses. Le 18 février 1992, une manifestation, à l’appel du FPI et d'autres organisations, dégénère. Laurent Gbagbo est arrêté et condamné à deux ans de prison avec d’autres personnes, dont son épouse Simone, en vertu d’une nouvelle loi « anti-casseurs », élaborée par Alassane Ouattara. Ils seront finalement libérés au mois d’août suivant.
Le 7 décembre 1993, Félix Houphouët-Boigny meurt. Le contexte politique va, pendant un temps, rapprocher Gbagbo et Ouattara. Henri Konan Bédié a succédé au père de l’indépendance. Alassane Ouattara est désormais l’ennemi numéro 1 du nouveau chef de l’Etat et le leader du FPI le soutient lorsque, fin 1994, un code électoral est voté pour écarter l’ancien Premier ministre de la présidentielle de 1995. Laurent Gbagbo noue, d'autre part, une alliance - le Front républicain - avec son vieil ami Djeni Kobena, qui a fondé le Rassemblement des Républicains (RDR). Né d’une scission au sein du PDCI, l’ex-parti unique, Alassane Ouattara en deviendra plus tard le président. Celui-ci renonce finalement à être candidat et Laurent Gbagbo décide, pour sa part, de boycotter la présidentielle d’octobre 1995 qu’Henri Konan Bédié, privé de véritable adversaire, remporte avec 96,44% des voix.
Le 24 décembre 1999, Henri Konan Bédié est renversé, à la suite d’une mutinerie qui tourne au coup d’Etat. Le général Robert Gueï, ancien chef d’état-major de l’armée tombé en disgrâce, est porté à la tête d’un Conseil national de salut public (CNSP). Laurent Gbagbo « prend acte » même s’il se dit « opposé aux coups de force ». Le 12 janvier suivant, le FPI fait son entrée, aux côtés du RDR, au sein d’un gouvernement de transition, chargé d’organiser l’élection présidentielle d’octobre 2000. A mesure que les relations entre le général Gueï et Alassane Ouattara se tendent, s’effritent aussi les liens avec Laurent Gbagbo. Le nouveau leader du Rassemblement des républicains devient, en effet, son plus sérieux concurrent dans la course à la magistrature suprême.
Comme Alassane Ouattara, le leader du FPI appelle à voter « oui » au référendum constitutionnel des 23 et 24 juillet. Mais contrairement à son adversaire, il ne proteste pas contre le controversé article 35 de la nouvelle loi fondamentale qui exige que les candidats à la présidence de la République soient de père et de mère Ivoiriens d’origine et ne se soient jamais prévalus d’une autre nationalité. Alassane Ouattara l'accusera, du coup, de surfer, au même titre d’ailleurs que le général Gueï, sur le concept d’ivoirité et la xénophobie, développés sous le régime du président Bédié.
« L'opposant historique » au pouvoir
Quoi qu’il en soit, lorsque les candidatures d’Alassane Ouattara, comme Henri Konan Bédié, sont rejetées par la Cour suprême le 6 octobre, « l’opposant historique » maintient la sienne et se retrouve, de facto, seul réel challenger du général Gueï. Au soir du vote du 22 octobre, il sait qu’il est aux portes du pouvoir. Mais le lendemain, alors que la Commission électorale indépendante (CEI) a commencé à livrer les premiers résultats à la radio et à la télévision, le décompte est brusquement interrompu. Le soir même, Robert Gueï intervient à la télévision nationale pour s’autoproclamer vainqueur.
Le lendemain, de son siège de campagne dans le quartier Deux-Plateaux, le leader du FPI se déclare vainqueur et appelle les Ivoiriens à descendre dans la rue pour faire tomber le général Gueï. Dès le milieu de l’après-midi, une marée humaine envahit le centre d’Abidjan. Des manifestant armés de simples lance-pierres s’attaquent à la garde rapprochée du chef de la junte près de la présidence et tombent sous les balles. Les manifestations se poursuivent le lendemain, alors que la gendarmerie, puis l’armée, commencent à basculer en faveur de Laurent Gbagbo.
Mais à son tour, le RDR, lance ses militants dans la rue. Des affrontements meurtriers entre manifestants des deux bords se déroulent jusqu’au jeudi 26 octobre. Ils feront plus de 300 morts. Un charnier contenant 57 corps est découvert en bordure d’une forêt dans le quartier de Yopougon.
Entre-temps, l’armée a définitivement basculé dans le camp du chef du FPI. La CEI reprend son décompte et déclare Laurent Gbagbo vainqueur avec près 60% des suffrages contre environ 33% à Robert Gueï, mais une participation d’à peine 37%. Le soir même, le nouveau chef de l’Etat prête serment au palais présidentiel d’Abidjan. « Nous ne réécrirons pas une nouvelle Constitution, et nous ne ferons pas une autre élection présidentielle », précise-t-il lors de son discours, à l'attention d'Alassane Ouattara qui réclame un nouveau scrutin.
Le 1er décembre suivant, la candidature d’Alassane Ouattara aux législatives du 10 décembre est invalidée par la Cour suprême. Le RDR choisit le boycott et appelle à une manifestation violemment réprimée, tandis que des membres du parti sont arrêtés. La tension ne retombe pas. Dans la nuit du 7 au 8 janvier 2001, une tentative de coup de force est déjouée, dont la responsabilité est attribuée à mots à peine couverts par le camp présidentiel à des partisans d'Alassane Ouattara. Le RDR nie catégoriquement.
Le 14 janvier, des élections législatives partielles se tiennent dans plusieurs circonscriptions où elles n’avaient pu avoir lieu en décembre. L’abstention est très forte. Au final, le FPI détient 96 sièges de députés sur 225, le PDCI 94. Dans ce contexte, la France annonce, le 31 janvier, la reprise de sa coopération avec la Côte d’Ivoire, interrompue pendant la transition militaire. Une bouffée d'oxygène pour un chef de l'Etat qui peine à s'imposer en Afrique de l'Ouest.
Pour faire baisser la tension, Laurent Gbagbo organise un Forum de réconciliation nationale, censé réunir tous les acteurs de la vie politique ivoirienne du 9 octobre au 18 décembre 2001. Au terme de longues tractations, il obtient la participation d’Alassane Ouattara, Robert Gueï et Henri Konan Bédié, même si le président déchu et son tombeur s'évitent soigneusement. Le Forum s’en remet à un « comité de juriste » pour régler le contentieux sur l’article 35 de la Constitution, il recommande qu’un certificat de nationalité soit délivré à Alassane Ouattara.
En janvier 2002, Laurent Gbagbo rencontre les trois leaders à Yamoussoukro. Chose inimaginable, quelques mois plus tôt, Henri Konan Bédié et Robert Gueï se serrent la main. La question de l’article 35 reste toutefois suspendue à un projet de colloque visant à « préciser » certaines dispositions de la loi fondamentale.
Le 29 juin, la justice ivoirienne délivre un certificat de nationalité à Alassane Ouattara et le 5 août, le RDR fait son entrée au gouvernement. Pour autant, le contexte reste très tendu. Des rumeurs de coup d’Etat courent depuis plusieurs mois. Le 1er août, de nombreuses spéculations accompagnent l’assassinat à Ouagadougou de Balla Keita, ancien ministre de l’Education d’Houphouët-Boigny, devenu l’un des conseillers de Robert Gueï. Le 27 août, 2 milliards de francs CFA sont volés au cours d'un casse spectaculaire dans l’enceinte de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest, à Abidjan.
Laurent Gbagbo face à la guerre
Les 19 et 20 septembre 2002, une tentative de coup d’État, en l’absence du président Gbagbo en voyage en Italie, dégénère en soulèvement armé. Dès les premières heures, le général Robert Gueï et le ministre de l’intérieur Emile Boga Doudou sont assassinés, Alassane Ouattara, craignant pour sa vie, se réfugie à l’ambassade de France. Le président ivoirien rentre précipitamment en Côte d’Ivoire. « Mon pays est attaqué, mon devoir est de faire front », déclare-t-il.
Les rebelles prennent Korhogo, dans le nord, puis Bouaké, deuxième ville du pays, au centre-nord. Le 21, des quartiers pauvres, peuplés majoritairement d’immigrés ouest-africains sont partiellement incendiés. Certain que l’insurrection est soutenue de l’extérieur, notamment par le Burkina Faso, Laurent Gbagbo en appelle à la France, en espérant faire jouer les accords de défense. Paris promet un soutien logistique et procède à l’évacuation de ressortissants étrangers. Mais l’armée française n’interviendra par la suite que pour s’interposer entre les belligérants, le long d’une ligne de démarcation qui sépare la Côte d’Ivoire entre une zone gouvernementale, au sud, et une zone sous contrôle rebelle, au nord, avec Bouaké pour « capitale ». Des milliers de personnes, qui deviendront autant de déplacés intérieurs, fuient le nord, tandis que de nombreux étrangers ouest-africains, victimes d’une flambée de xénophobie, quittent la Côte d’Ivoire.
Très vite les rebelles se présentent sous la bannière du MPCI, Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire. Le 1er octobre, ils posent leurs revendications : le départ du président Gbagbo et la réintégration des militaires partis en exil, en 2000 et 2001, à la suite de tentatives de coup d’Etat. Le 6 octobre, des gendarmes loyalistes et des membres de leurs familles sont massacrés par des insurgés à Bouaké. Le 17, les rebelles signent à Bouaké un accord de cessation des hostilités. Le président Gbagbo l’accepte et demande à la France de contrôler le cessez-le-feu.
Le 8 novembre, le frère de Louis Dacoury-Tabley, ancien compagnon de Laurent Ggagbo passé au MPCI, est retrouvé criblé de balles. L’opposition évoque l’existence d’escadrons de la mort, démentie par la présidence.
Le 28, dans une stratégie de contournement du cessez-le-feu, apparaissent deux nouveaux mouvements rebelles, le Mouvement populaire ivoirien du Grand Ouest (MPIGO) et le Mouvement pour la justice et la paix (MJP), qui revendiquent la prise de Man et Danané, à l’extrême ouest du pays. Le 5 décembre 2002 , un charnier de 120 cadavres est découvert par l’armée française à Monoko-Zohi, toujours dans l'ouest. Un massacre commis, selon Human Rights, par les forces gouvernementales.
Des violations des droits de l’homme dans le deux camps
Human Right Watch attribue au camp loyaliste d’autres massacres, entre 2002 et 2003, en particulier dans l'ouest du pays à Daloa et Man. Dans et autour de, Toulepleu, Bangolo et Blolékin des combattants libériens ont participé à des dizaines de meurtres, viols et autres actes de violence contre les civils. D'après Human Rights Watch, plus de 100 civils ont également été tués et une vingtaine ont disparu lors de la répression dune manifestation anti-gouvernementale à Abidjan. Mais les forces rebelles ne sont pas en reste, outre le meurtre de plus de 50 gendarmes et membres de leur famille, lors de la prise de Bouaké en octobre 2002 par le MPCI, d'autres témoignages font état de massacres, viols et pillages dans l'ouest, dans la zone frontalière du Libéria, commis par des rebelles du MPIGO et MJP et leurs recrues libériennes.
Une centaine de personnes auraient été en outre exécutées ou seraient décédées en détention à Korhogo et dans les environs dans des affrontements internes au MPCI entre partisans de Guillaume Soro et Ibrahim Coulibaly. Tous ces crimes, de même que les d’autres meurtres et disparitions non élucidées attribués aux deux camps dans tout le pays, sont restés jusqu'ici impunis.
Le 15 janvier, les belligérants et les représentants de l’ensemble des partis politiques ivoiriens se retrouvent en France à Linas-Marcoussis, en région parisienne, dans le camp de base de l’équipe nationale de Rugby. L’objectif est de réunir tout le monde à huis-clos, sous l’égide de l’ancien ministre gaulliste Pierre Mazeaud.
Le 24 janvier, est signé l’accord de Linas-Marcoussis. Il prévoit le maintien au pouvoir de Laurent Gbagbo et un gouvernement ouvert à toutes les parties, y compris les trois mouvements rebelles. Les 25 et 26 janvier, l’accord est validé à Paris, au centre de conférence Kléber, en présence de plusieurs chefs d’Etats. Le président Gbagbo nomme Seydou Diarra Premier ministre, déjà à ce poste sous la transition militaire et ancien président du Forum de réconciliation nationale.
Mais la machine se grippe. Le secrétaire général des Forces nouvelles, Guillaume Soro, annonce que son mouvement a obtenu les portes-feuilles clés de la Défense et de l’Intérieur. La nouvelle provoque la fureur des partisans du président Gbagbo. Des manifestations anti-françaises éclatent à Abidjan, à l’appel des « Jeunes patriotes », partisans inconditionnels du chef de l’Etat menés par Charles Blé Goudé. Laurent Gbagbo dément avoir accepté un tel compromis. Guillaume Soro assure qu’il l'a fait devant témoins. Le président laisse entendre qu’on lui a forcé la main. « Ne vous inquiétez pas à Marcoussis ce qui s’est dit ce sont des propositions », déclare-t-il devant ses partisans.
A partir de ce moment, Laurent Gbagbo se présente comme un résistant face à une ancienne puissance coloniale cherchant à le renverser. « Je n’ai jamais fait mystère de l’implication de l’Etat français, à travers les personnes de Jacques Chirac et Dominique Villepin, de leur implication dans la tentative de renversement de mon régime », répétera-t-il, sept ans plus tard, sur RFI.
Dès lors, les accords se succèdent (Accra, Pretoria), comme les Premiers ministres (Charles Kona Banny, après Seydou Diarra), mais Laurent Gbagbo veillera toujours jalousement à conserver ses prérogatives. L’élection présidentielle, prévue pour 2005, sera reportée à six reprises. Ses adversaires, qui le surnomment « le boulanger », lui en font porter la responsabilité, estimant qu’il « roule dans la farine» l’opposition et la communauté internationale pour éviter une confrontation électorale avec Alassane Ouattara. Le président ivoirien dément et renvoie la faute aux rebelles, accusés de refuser de désarmer et de vouloir conserver les privilèges et les prébendes acquises dans la zone nord.
Au bout du compte, c’est le jour où le président ivoirien prendra langue directement avec son homologue Burkinabé Blaise Compaoré, qu'il considére comme le « parrain des rebelles », qu’une solution à la crise deviendra possible. Le 4 mars 2007, le camp présidentiel et les Forces nouvelles signent un accord politique à Ouagadougou, sous l’égide du chef de l’Etat burkinabé devenu médiateur. Chose inimaginable, Laurent Gbagbo nomme ensuite Guillaume Soro au poste de Premier ministre qui forme un nouveau gouvernement de transition. Ce sont des retrouvailles, puisque les deux hommes ont été proches lorsque Guillaume Soro était leader de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (1994 à 1998). Entre-temps, bien sûr, Soro est passé par le RDR avant de prendre la tête du MPCI puis des Forces nouvelles. La cohabitation est un exercice d’équilibrisme. A plusieurs reprises, l’improbable couple exécutif semble au bord de l’éclatement. Mais il tient.
Laurent Gbagbo savoure aussi une autre victoire. Lui à qui, en septembre 2002, personne ne donnait plus de quelques mois de survie face aux pressions internes et externes, voit Jacques Chirac quitter le pouvoir avant lui, en mai 2007. En outre, le président ivoirien rompt peu à peu son isolement diplomatique. Ses adversaires ont beau rappeler les crimes commis en zone loyaliste, les émeutes anti-françaises de novembre 2004 ou les accusations contre son entourage dans le meurtre du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, Laurent Gbagbo redevient « fréquentable ». La realpolitik, la cohabitation avec Guillaume Soro, mais aussi les révélations sur les nombreuses dérives également constatées dans les zones tenues par les ex-rebelles y sont pour quelque chose.
Pour Laurent Gbagbo, il reste alors à remporter la présidentielle du 28 novembre 2010 pour obtenir une légitimité incontestable, dix ans après être arrivé au pouvoir lors d’une élection qu’il décrit lui-même comme « calamiteuse ».
Rfi