Dis-moi ce qui se passe avec El Hadj Ousseynou Diouf. Weuz (sobriquet d’Ousseynou) a-t-il définitivement pris le dessus sur le pèlerin (El Hadj) de nos rêves foot ? Cela aurait pu être Kader Boye ou Sémou, Mamoussé ou Pathé Diagne, Amadou Aly, Marie Angélique ou Fatou Sow. Qui encore ? Mamadou Ablaye Ndiaye ou Alpha Sy, Moussa Paye ou Malick Ndiaye, Massamba ou Mademba, Jean ou Paul, Bathie ou Yaaxam. Mais c’est toi que j’ai choisi d’indexer sans frais pour moi, en tant que référent intellectuel. Cependant, loin de moi de mettre qui que ce soit à l’index. Ta générosité et ton indulgente sollicitude t’obligeront, non pas à être simplement réactif, mais également proactif. Trêves d’élucubrations. Je me lance sans péril. Voici mes considérations. El Hadj Diouf est-il un héros malgré lui (et tant que tel, incompris ?) devenu un anti-modèle en voie d’être sacrifié sur l’autel de nos ambitions déléguées ? Qu’est-ce qu’il tient de nous pour que nous tenions tant à lui ?
(Voir page 2)
Le Héros, l’Anti-modèle et le Bouc
El Hadj Diouf, Héros, Anti-modèle, Bouc émissaire. A priori, le trublion du foot sénégalais serait tout cela à la fois. Le héros, enfant de la balle, tombé dans le pétrin de la planète foot, malaxé par la baguette magique d’un génie bienveillant. Coqueluche des médias et du public, formaté pour séduire, reluire et passionner, il fascine, dérange, déroute, irrite et dope son monde. Icône, entre Maradona et Casanova, il fleure bon le pays, l’enfant du terroir, sauvé des eaux du fleuve tutélaire de Ndar, la fée berceuse et des vagues impétueuses de l’embouchure, veillé par Mame Coumba Bang. Le garnement de la rue, petit chenapan, chapardeur symbole de l’enfance déshéritée, inadaptée, tiré des griffes de la déviance par l’amour cocon d’une grand-mère préservant du sort et de l’infortune la coccinelle, cette bête à bon Dieu de coléoptère, si fragile de ses voilures ailées. A quoi bon se voiler la face quand la bonne fortune se conjuge avec la reconnaissance de tout un peuple et l’onction au plus haut niveau du temporel et du spirituel en osmose, tout et rien à la fois titille l’Ego.
L’Un et le Multiple sédimentent un être de fusion étranger à ce qui l’a engendré et à ce qu’il a engendré ? Un état de delirium post partum convulsif provoqué par le pouvoir de faire et de défaire ? La ruine grève la conscience perdue dans les écorchures d’un inconscient altéré par l’Idée de Soi, de son Moi. Cet état de perversion du modèle, tient à la fois d’une historicité originelle et de déterminants psycho-sociaux et environnementaux de l’individu, selon certains auteurs versés dans l’art d’ausculter la psyché. Placé dans une situation de pouvoir et de jeu de rôles, la bride lâchée à la faveur d’une posture de conquête et de domination, l’Etre révèle l’hydre refoulée par l’impuissance de jadis et l’inexistence de reconnaissance du Moi double longtemps refoulé, refreiné ou réprimé selon les circonstances et les conditions. Ce profil de l’Etre et du Néant intègre et dépasse la personnalité d’un El Hadj Diouf, héros déboulonné par ses propres turpitudes, confiné à l’errance jouissive d’une gloire évanescente, sauf à
considérer l’idolâtrie fallacieuse des fils de la meute que rien n’ébranle sinon la peur de perdre des privilèges et des positions d’influence.
Vaincu par sa propre force, ravagé par son talent, lâché par son incroyable baraka, l’idole fruit et objet de toutes nos passions, de tous nos fantasmes différés, de nos peurs décalées, de nos angoisses collectives, de nos imaginations débridées, est immolé par la coalition des adeptes de la mythification mystificatrice.
Fuite en avant ou exorcisme, la démarche collective, dans ce qu’il est convenu d’appeler le cas El Hadj Diouf, s’apparente à un jeu de miroir aux alouettes.
Dans un pays où l’indiscipline, le laxisme et le laisser-aller, laisser-faire n’ont de répondants que le laisser-dire et un ponce-pilatisme collectivement pris en charge, El Hadj Diouf est davantage un échantillon représentatif, parfois caricatural de ce que nous sommes devenus. Par notre faute, nous avons laissé croître la bête qui a fini par distiller son venin dans tous les pores de notre société. Le naufrage du Joola, le lourd tribut en vies humaines payé sur nos routes, dans nos marchés, dans nos maisons n’ont pas pour théâtre ce pays fervent adepte de la nécromancie, où l’évocation des morts, des bonnes âmes dont les bienfaits protecteurs ici-bas ont une vertu rédemptrice sur les dépositaires autoproclamés des tables de la Loi et leurs ouailles.
Les comportements qui jurent d’avec l’hygiène sociale et la discipline compromettent notre santé physique et morale. Et notre sécurité. On n’en a cure ! L’hydre aux sept têtes a la vie dure puisque celles-ci repoussent sitôt coupées.
Qui fait la police ? Le peuple «souverain», force matérielle informe, massive et définitive. Qui est-il réellement, ce bon peuple ? Comment se présente-t-il, à grands traits ?
Profil chahuté. Il sait se faire beau, faire le beau. Gentil. Sympa. Il peut être généreux. Génial. Ange ou démon. Intelligent et «caaxan». Brutal et cassant. Dévot et bigot. Hypocrite et mesquin. Permissif, festif, ludique et prodigue, cultivant l’apparence, ne se
préoccupant nullement d’essence ou de substance. Ni de consistance. Peut briller de mille feux, étinceler de mille éclats tout en vendant la mèche qui provoquera l’étincelle propre à mettre le feu à la plaine. Velléitaire, tel un feu de paille, qui s’éteint aussitôt allumé ; il dispose de la parole qu’il pose en acte. S’oppose à l’acte. Tout pour soi, tant pis pour les autres. Quitte à saupoudrer, à balancer dans l’illusionnisme ; pour épater, amuser la galerie où «badaudent» de gros malins se croyant sortis de la cuisse de Jupiter, plus intelligents que le mot, ayant privatisé à leur profit Dieu et apprivoisé ses saints, ses marabouts et ses vicaires, pasteurs transhumants transbordés sur une galère au long cours avec au gouvernail, des barreurs de petit temps navigant à l’estime. Qui jette la pierre le premier ? Et El Hadj Diouf dans tout cela ? Un vrai bouc, celui-là. Seulement, il n’entre dans aucune catégorie à force d’être psycho-compatible avec toutes les catégories allégoriques de «l’homo senegalensis», notamment sa frange la plus huppée. Celle qui a pignon sur rue et se réclame du «mainstream». De l’Elite.
Les héritiers des évolués de la coloniale ayant mal négocié le virage des indépendances et éblouis par les mirages d’une mondialisation réductrice, qui écume et écrème, la fine fleur de nos intelligences et dévitalise les énergies, organise la capitulation et la fuite des cerveaux domestiqués. Le potentiel humain n’est plus un capital tant la matière grise est ravalée au rang de matière première, primitive tout juste apte à une production d’ouvrages spécialisés, délocalisés pour une reproduction, (à l’identique ?) de modèles de comportements et de consommation, propres à entretenir le système dominant. Avec le zèle participatif des dominés qui à leur tour en imposent à d’autres dominés une sorte de castration à l’échelle sociétale, civilisationnelle. L’exemple vient de loin et de très haut. Cependant personne ne semble échapper à la fulgurance et à la virulence de la contamination. Pas même ce petit peuple, de petites gens, trop vite paré de toutes les vertus, exonéré de tout et au nom de qui les pouvoirs établis prétendent agir. Société de connivence («masla») et d’évitement de confrontations salvatrices et de contradictions fécondantes, sommes-nous condamnés à subir la force de l’inertie ?
Après avoir procuré «rien que du bonheur» à un peuple en délire, le héros, mutant, fait la moue, boude à la moindre incartade sur ses écarts, ses excès, ses frasques qui contreviennent à la fresque de l’épopée, que les pages, les troubadours et les saltimbanques, les médias chauds et de masse rivalisent d’ardeur à peindre en chœur. Contrefaçon. Alors, nous serions tous des El Hadj Diouf ?
En chacun de nous, se planquerait un voyou sympathique, tire au flanc, roublard et iconoclaste ? Oui et Non ? El Hadj Ousseynou Diouf vaut certainement beaucoup mieux que la caricaturale esquisse du cavalier de l’instant et de l’instinct à qui il prête des traits aux antipodes de l’idole transfiguré d’il n’y a guère.
Il est infiniment cohérent avec les normes d’une société gouvernée par des paradigmes hors du temps où le «debeul debeul» et le «Taf yeungeul» (débrouille) et autres artifices font office de paramètres d’efficacité et de réussite, en appoint à la chance, «weurseug » et aux «bénédictions» en tous genres et de toutes origines. El Hadj Diouf n’expiera pas pour tout le monde. Il le refuse et réfute les arguments de bon sens et de bonne conduite de ses contempteurs du jour en qui il se reconnaît et leur reconnaît des traits si typés, à force d’être atypiques. C’est l’un des nôtres, (basta !) qui refuse la procuration, la délégation d’irresponsabilité que veulent bien lui concéder ceux qui n’ont cure de spolier leurs concitoyens, de transgresser toutes les règles, toutes les procédures, toutes les convenances d’un Etat moderne, d’une société soucieuse d’un développement équilibré. Organisation et Méthode avait prescrit le Poète surgi de l’opacité émotionnelle de son peuple à qui il ambitionnait d’inculquer une dose vitalisante de raison hellène, source, à ses yeux, de progrès et d’efficacité.
Vois-tu Hamidou, Diouf n’est pas le propos. Il est plutôt le prétexte de cette sommation interpellative, sur fond de dérive spéculativement introspective (ouf !) sur les dérapages incontrôlés qui ne choquent même plus, ne provoquent même pas de réactivité indignée. Le prétexte ne donne pas l’impression de comprendre ce qui lui arrive. Le texte et le
prétexte pourraient subir la même la loi, celle de l’inintelligibilité. Il a fallu Stephan. Il nous a fallu un breton de Bretagne pour entrevoir une lueur.
C’est sans doute pourquoi, El Hadj Ousseynou Diouf pourrait bien être un accoucheur de changement dans notre manière de nous regarder et de ne pas nous voir à travers l’autre.
Il est vrai que lui, tout comme tous les autres agresseurs-transgresseurs peuvent et doivent tomber sous le coup de la sanction punitive, corrective ou dissuasive. Le bon peuple, ses élites, ses hérauts et ses ténors, ses relais, tout ce beau monde a certainement mille fois raison de tomber à bras raccourcis sur celui qui risque de mettre du sable dans le couscous de nos rêves. Qui menace de nous priver d’échappatoire à un ordinaire morose. Puisque les autres ont failli, qu’on n’attend plus rien d’eux, il nous faut onze gars et un coach, magiciens infaillibles pour combler, compenser, panser nos meurtrissures quotidiennes, combler nos défauts et nos défaillances, compenser nos manquements, et mourir symboliquement ou matériellement pour que nous puissions vivre à nouveau. C’est connu, nous autres Sénégalais souhaitons atterrir au paradis sans mourir, accueillis par nos saints devanciers dans les jardins célestes.
J’ai choisi de t’apostropher toi, singulier pluriel, parce que j’ai toujours en mémoire une de tes rafraîchissantes productions au lendemain du naufrage du Joola. Sur la société sénégalaise ; sur «l’homo senegalensis». Dis-moi, Vainqueur, ce qui frappe à la porte des générations après nous. Qu’est-ce qui va leur échoir ? Qu’est-ce que nous leur transmettrons ?
Tu comprendras, comme Birago, que «quand la mémoire s’en va chercher du bois mort, elle ramène le fagot qui lui plait». Vois donc mon fagot, expression concentrée de mes errances ressassées.
Il se fait tard et la flamme vacille. Les veilleurs, un moment assoupis, s’apprêtent au sursaut en méditant cette phrase de Cocteau : «Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images». Hamidou, au fait où en es-tu ? Ne me donnes pas d’indications de lieu. Il s’agit de temps, de moments, et d’espaces.
Je sais que l’intellectuel rigoureux et créatif que tu incarnes appréhende l’impératif de créer des espaces, de provoquer des rencontres et des discussions et de les transformer en autant de passerelles. Cela autorise l’élaboration et l’affinement des outils de la connaissance et de la réflexion compréhensive. Penser l’autonomie intellectuelle reviendrait alors à favoriser la participation dans le procès de production des idées, des biens de l’esprit, de la saisie des évolutions en cours. Est-ce la «critique de la critique critique» de notre jeunesse, la cooptation – captation ou la fréquentation de la marge qui nous sortira du tunnel ? Excuses-moi de t’avoir distrait un moment mais l’attractivité était forte et irradiante. Dis-moi ce qu’il en est, de tout cela. Dia, aide à comprendre ce qui nous arrive, de partout. Et pourquoi Nous ? Surtout, n’oublions pas que le Sénégal reste le plus beau pays au monde. Qu’il y fait bon vivre. Et mourir. Ci sutura ak Teranga.
A toi, Infiniment…
Babacar TOURE
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Le Héros, l’Anti-modèle et le Bouc
El Hadj Diouf, Héros, Anti-modèle, Bouc émissaire. A priori, le trublion du foot sénégalais serait tout cela à la fois. Le héros, enfant de la balle, tombé dans le pétrin de la planète foot, malaxé par la baguette magique d’un génie bienveillant. Coqueluche des médias et du public, formaté pour séduire, reluire et passionner, il fascine, dérange, déroute, irrite et dope son monde. Icône, entre Maradona et Casanova, il fleure bon le pays, l’enfant du terroir, sauvé des eaux du fleuve tutélaire de Ndar, la fée berceuse et des vagues impétueuses de l’embouchure, veillé par Mame Coumba Bang. Le garnement de la rue, petit chenapan, chapardeur symbole de l’enfance déshéritée, inadaptée, tiré des griffes de la déviance par l’amour cocon d’une grand-mère préservant du sort et de l’infortune la coccinelle, cette bête à bon Dieu de coléoptère, si fragile de ses voilures ailées. A quoi bon se voiler la face quand la bonne fortune se conjuge avec la reconnaissance de tout un peuple et l’onction au plus haut niveau du temporel et du spirituel en osmose, tout et rien à la fois titille l’Ego.
L’Un et le Multiple sédimentent un être de fusion étranger à ce qui l’a engendré et à ce qu’il a engendré ? Un état de delirium post partum convulsif provoqué par le pouvoir de faire et de défaire ? La ruine grève la conscience perdue dans les écorchures d’un inconscient altéré par l’Idée de Soi, de son Moi. Cet état de perversion du modèle, tient à la fois d’une historicité originelle et de déterminants psycho-sociaux et environnementaux de l’individu, selon certains auteurs versés dans l’art d’ausculter la psyché. Placé dans une situation de pouvoir et de jeu de rôles, la bride lâchée à la faveur d’une posture de conquête et de domination, l’Etre révèle l’hydre refoulée par l’impuissance de jadis et l’inexistence de reconnaissance du Moi double longtemps refoulé, refreiné ou réprimé selon les circonstances et les conditions. Ce profil de l’Etre et du Néant intègre et dépasse la personnalité d’un El Hadj Diouf, héros déboulonné par ses propres turpitudes, confiné à l’errance jouissive d’une gloire évanescente, sauf à
considérer l’idolâtrie fallacieuse des fils de la meute que rien n’ébranle sinon la peur de perdre des privilèges et des positions d’influence.
Vaincu par sa propre force, ravagé par son talent, lâché par son incroyable baraka, l’idole fruit et objet de toutes nos passions, de tous nos fantasmes différés, de nos peurs décalées, de nos angoisses collectives, de nos imaginations débridées, est immolé par la coalition des adeptes de la mythification mystificatrice.
Fuite en avant ou exorcisme, la démarche collective, dans ce qu’il est convenu d’appeler le cas El Hadj Diouf, s’apparente à un jeu de miroir aux alouettes.
Dans un pays où l’indiscipline, le laxisme et le laisser-aller, laisser-faire n’ont de répondants que le laisser-dire et un ponce-pilatisme collectivement pris en charge, El Hadj Diouf est davantage un échantillon représentatif, parfois caricatural de ce que nous sommes devenus. Par notre faute, nous avons laissé croître la bête qui a fini par distiller son venin dans tous les pores de notre société. Le naufrage du Joola, le lourd tribut en vies humaines payé sur nos routes, dans nos marchés, dans nos maisons n’ont pas pour théâtre ce pays fervent adepte de la nécromancie, où l’évocation des morts, des bonnes âmes dont les bienfaits protecteurs ici-bas ont une vertu rédemptrice sur les dépositaires autoproclamés des tables de la Loi et leurs ouailles.
Les comportements qui jurent d’avec l’hygiène sociale et la discipline compromettent notre santé physique et morale. Et notre sécurité. On n’en a cure ! L’hydre aux sept têtes a la vie dure puisque celles-ci repoussent sitôt coupées.
Qui fait la police ? Le peuple «souverain», force matérielle informe, massive et définitive. Qui est-il réellement, ce bon peuple ? Comment se présente-t-il, à grands traits ?
Profil chahuté. Il sait se faire beau, faire le beau. Gentil. Sympa. Il peut être généreux. Génial. Ange ou démon. Intelligent et «caaxan». Brutal et cassant. Dévot et bigot. Hypocrite et mesquin. Permissif, festif, ludique et prodigue, cultivant l’apparence, ne se
préoccupant nullement d’essence ou de substance. Ni de consistance. Peut briller de mille feux, étinceler de mille éclats tout en vendant la mèche qui provoquera l’étincelle propre à mettre le feu à la plaine. Velléitaire, tel un feu de paille, qui s’éteint aussitôt allumé ; il dispose de la parole qu’il pose en acte. S’oppose à l’acte. Tout pour soi, tant pis pour les autres. Quitte à saupoudrer, à balancer dans l’illusionnisme ; pour épater, amuser la galerie où «badaudent» de gros malins se croyant sortis de la cuisse de Jupiter, plus intelligents que le mot, ayant privatisé à leur profit Dieu et apprivoisé ses saints, ses marabouts et ses vicaires, pasteurs transhumants transbordés sur une galère au long cours avec au gouvernail, des barreurs de petit temps navigant à l’estime. Qui jette la pierre le premier ? Et El Hadj Diouf dans tout cela ? Un vrai bouc, celui-là. Seulement, il n’entre dans aucune catégorie à force d’être psycho-compatible avec toutes les catégories allégoriques de «l’homo senegalensis», notamment sa frange la plus huppée. Celle qui a pignon sur rue et se réclame du «mainstream». De l’Elite.
Les héritiers des évolués de la coloniale ayant mal négocié le virage des indépendances et éblouis par les mirages d’une mondialisation réductrice, qui écume et écrème, la fine fleur de nos intelligences et dévitalise les énergies, organise la capitulation et la fuite des cerveaux domestiqués. Le potentiel humain n’est plus un capital tant la matière grise est ravalée au rang de matière première, primitive tout juste apte à une production d’ouvrages spécialisés, délocalisés pour une reproduction, (à l’identique ?) de modèles de comportements et de consommation, propres à entretenir le système dominant. Avec le zèle participatif des dominés qui à leur tour en imposent à d’autres dominés une sorte de castration à l’échelle sociétale, civilisationnelle. L’exemple vient de loin et de très haut. Cependant personne ne semble échapper à la fulgurance et à la virulence de la contamination. Pas même ce petit peuple, de petites gens, trop vite paré de toutes les vertus, exonéré de tout et au nom de qui les pouvoirs établis prétendent agir. Société de connivence («masla») et d’évitement de confrontations salvatrices et de contradictions fécondantes, sommes-nous condamnés à subir la force de l’inertie ?
Après avoir procuré «rien que du bonheur» à un peuple en délire, le héros, mutant, fait la moue, boude à la moindre incartade sur ses écarts, ses excès, ses frasques qui contreviennent à la fresque de l’épopée, que les pages, les troubadours et les saltimbanques, les médias chauds et de masse rivalisent d’ardeur à peindre en chœur. Contrefaçon. Alors, nous serions tous des El Hadj Diouf ?
En chacun de nous, se planquerait un voyou sympathique, tire au flanc, roublard et iconoclaste ? Oui et Non ? El Hadj Ousseynou Diouf vaut certainement beaucoup mieux que la caricaturale esquisse du cavalier de l’instant et de l’instinct à qui il prête des traits aux antipodes de l’idole transfiguré d’il n’y a guère.
Il est infiniment cohérent avec les normes d’une société gouvernée par des paradigmes hors du temps où le «debeul debeul» et le «Taf yeungeul» (débrouille) et autres artifices font office de paramètres d’efficacité et de réussite, en appoint à la chance, «weurseug » et aux «bénédictions» en tous genres et de toutes origines. El Hadj Diouf n’expiera pas pour tout le monde. Il le refuse et réfute les arguments de bon sens et de bonne conduite de ses contempteurs du jour en qui il se reconnaît et leur reconnaît des traits si typés, à force d’être atypiques. C’est l’un des nôtres, (basta !) qui refuse la procuration, la délégation d’irresponsabilité que veulent bien lui concéder ceux qui n’ont cure de spolier leurs concitoyens, de transgresser toutes les règles, toutes les procédures, toutes les convenances d’un Etat moderne, d’une société soucieuse d’un développement équilibré. Organisation et Méthode avait prescrit le Poète surgi de l’opacité émotionnelle de son peuple à qui il ambitionnait d’inculquer une dose vitalisante de raison hellène, source, à ses yeux, de progrès et d’efficacité.
Vois-tu Hamidou, Diouf n’est pas le propos. Il est plutôt le prétexte de cette sommation interpellative, sur fond de dérive spéculativement introspective (ouf !) sur les dérapages incontrôlés qui ne choquent même plus, ne provoquent même pas de réactivité indignée. Le prétexte ne donne pas l’impression de comprendre ce qui lui arrive. Le texte et le
prétexte pourraient subir la même la loi, celle de l’inintelligibilité. Il a fallu Stephan. Il nous a fallu un breton de Bretagne pour entrevoir une lueur.
C’est sans doute pourquoi, El Hadj Ousseynou Diouf pourrait bien être un accoucheur de changement dans notre manière de nous regarder et de ne pas nous voir à travers l’autre.
Il est vrai que lui, tout comme tous les autres agresseurs-transgresseurs peuvent et doivent tomber sous le coup de la sanction punitive, corrective ou dissuasive. Le bon peuple, ses élites, ses hérauts et ses ténors, ses relais, tout ce beau monde a certainement mille fois raison de tomber à bras raccourcis sur celui qui risque de mettre du sable dans le couscous de nos rêves. Qui menace de nous priver d’échappatoire à un ordinaire morose. Puisque les autres ont failli, qu’on n’attend plus rien d’eux, il nous faut onze gars et un coach, magiciens infaillibles pour combler, compenser, panser nos meurtrissures quotidiennes, combler nos défauts et nos défaillances, compenser nos manquements, et mourir symboliquement ou matériellement pour que nous puissions vivre à nouveau. C’est connu, nous autres Sénégalais souhaitons atterrir au paradis sans mourir, accueillis par nos saints devanciers dans les jardins célestes.
J’ai choisi de t’apostropher toi, singulier pluriel, parce que j’ai toujours en mémoire une de tes rafraîchissantes productions au lendemain du naufrage du Joola. Sur la société sénégalaise ; sur «l’homo senegalensis». Dis-moi, Vainqueur, ce qui frappe à la porte des générations après nous. Qu’est-ce qui va leur échoir ? Qu’est-ce que nous leur transmettrons ?
Tu comprendras, comme Birago, que «quand la mémoire s’en va chercher du bois mort, elle ramène le fagot qui lui plait». Vois donc mon fagot, expression concentrée de mes errances ressassées.
Il se fait tard et la flamme vacille. Les veilleurs, un moment assoupis, s’apprêtent au sursaut en méditant cette phrase de Cocteau : «Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images». Hamidou, au fait où en es-tu ? Ne me donnes pas d’indications de lieu. Il s’agit de temps, de moments, et d’espaces.
Je sais que l’intellectuel rigoureux et créatif que tu incarnes appréhende l’impératif de créer des espaces, de provoquer des rencontres et des discussions et de les transformer en autant de passerelles. Cela autorise l’élaboration et l’affinement des outils de la connaissance et de la réflexion compréhensive. Penser l’autonomie intellectuelle reviendrait alors à favoriser la participation dans le procès de production des idées, des biens de l’esprit, de la saisie des évolutions en cours. Est-ce la «critique de la critique critique» de notre jeunesse, la cooptation – captation ou la fréquentation de la marge qui nous sortira du tunnel ? Excuses-moi de t’avoir distrait un moment mais l’attractivité était forte et irradiante. Dis-moi ce qu’il en est, de tout cela. Dia, aide à comprendre ce qui nous arrive, de partout. Et pourquoi Nous ? Surtout, n’oublions pas que le Sénégal reste le plus beau pays au monde. Qu’il y fait bon vivre. Et mourir. Ci sutura ak Teranga.
A toi, Infiniment…
Babacar TOURE