Les réformes présumées de la Justice, n’annoncent-elles pas une nouvelle inversion dans le processus de judiciarisation, une inversion où les juges-vedettes d’hier risquent de devenir ou de redevenir les juges-réprouvés d’aujourd’hui face aux politiques et à l’opinion publique mis en évidence par la VAR ? Peut-on dire que la rupture en matière de justice est pour maintenant tant que le pouvoir utilise l’appareil judiciaire soit pour renforcer et conforter des partisans soit pour écarter, marginaliser, affaiblir et anéantir des adversaires politiques ? Peut-on, pour de nouveaux dirigeants, parler de rupture, tant que la parole d’honneur est discréditée et désacralisée par des revirements et des reniements ? Pourquoi le politicien sénégalais est-il si inconstant et si versatile ? Pourquoi est-il si peu attaché à la probité, à la droiture et à l’exemplarité tant prônées ? Pourra-t-on engager des ruptures tant qu’il y aura continuité ou aggravation du clientélisme, du népotisme, du parti avant la patrie ? Les ruptures vertueuses ne sont-elles pas ajournées à plus tard ? L’application des conclusions des Assises Nationales et de la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI) n’est-elle pas toujours attendue ? Ne faudrait-il pas réformer de manière systémique la gouvernance politique, institutionnelle, économique, sociale et environnementale ?
Peut-on sereinement engager en profondeur des telles ruptures lorsqu’on est constamment rattrapé, contredit et confondu par ses propres déclarations ? Le vent annonciateur d’un Sénégal nouveau, juste et prospère soufflera-t-il tant que le système si bruyamment décrié du bout des lèvres se perpétuera en se renforçant si inéquitablement ?
Ne parlait-on pas au départ de fonctionnaire ou de soldat d’une nation et non d’une région ? Pourquoi s’entêter dans la politisation de l’administration, des syndicats et de l’armée ? La sphère politique et la sphère judiciaire ne seraient-elles pas devenues des sœurs siamoises où la complexité juridique se manifeste plus par une rhétorique de la judiciarisation ? En effet, la majorité parlementaire est devenue ou redevenue non seulement une arme de destruction massive, mais une arme privilégiée dans le combat politique pour briser, casser et anéantir les adversaires. N’est-ce pas d’ailleurs ce que rejetaient les actuels tenants du pouvoir et opposants d’hier ? Ne conviendrait-il pas de constater, de noter et de clamer haut et fort, qu’avec tous les différents régimes sénégalais issus des trois alternances, il y a toujours eu beaucoup de difficultés dans la politique de réforme de la justice ? Combien de révisions constitutionnelles le Sénégal a-t-il déjà connues ? Ne devons-nous pas convenir qu’il y a une pente glissante sur laquelle le pouvoir juridictionnel est dangereusement engagé ? Pourquoi cette pratique classique de toujours voir le gouvernement en place se servir du parquet pour se faire justice et non pour une justice équitable ?
Le Sénégal est-il vraiment attaché aux principes ? Pourquoi autant d’alliances contre nature des politiciens ? Pourquoi les interprétations des versatiles politiciens doivent-elles primer sur la généralité et l’impersonnalité de la loi ? L'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et des citoyens ne dispose-t-il pas que « la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ? Le droit est-il véritablement considéré comme un instrument de régulation ? La décision de justice n’a-t-elle pas pour fonction de trouver la solution aux conflits d’intérêts qui surgissent dans la société ? Le justicier rend-il toujours des décisions conformes à la loi par respect au justiciable ? Pourquoi le récurrent débat sur juridictionnalisation/judiciarisation ou juridicisation du pouvoir politique par ricochet sur l’action politique et sur la vie publique ? Est-il normal que le pouvoir politique puisse tant soit peu intervenir par l’intermédiaire du parquet dans le traitement de dossiers à caractère judiciaire ? Le ministère de la justice, un ministère public et donc du peuple doit-il faire des injonctions dans les dossiers judiciaires ? Le gouvernement doit-il donner des instructions/ordres aux parquets ? Ne faudrait-il pas désormais procéder à une collégialité de l’instruction ? La loi n’est-elle pas obscure ? Les juges mais surtout les politiques ne s’accrochent-ils pas à l’obscurité-absurdité de la loi à travers une interprétation tendancieuse à leur profit ?
Y aura-t-il véritablement rupture en matière de justice tant que le pouvoir utilisera l’appareil judiciaire pour écarter et affaiblir des adversaires politiques ? Les acteurs de la justice sont-ils suffisamment respectueux de leurs devoirs pour rendre des décisions de justice de qualité et d’équité ? Leurs responsabilités déontologiques et disciplinaires doivent-elles faiblir, s’affaiblir et faillir face aux incursions et ingérences du pouvoir politique ? Pourquoi constate-t-on un glissement de plus en plus fréquent et gênant de l’arène politique vers l’arène judiciaire quand il s’agit de traiter des problèmes-chefs de la société ? Les magistrats et les avocats ne sont-ils pas quotidiennement confrontés à l’aléa judiciaire ? Le justiciable est-il assuré de l’impartialité totale des juges ? N’y a-t-il pas une politisation de la justice, et donc du pouvoir judiciaire, et une judiciarisation du pouvoir politique ? Cette union incestueuse entre la justice politisée et le pouvoir judiciarisé n’affaiblit-elle pas considérablement les institutions (pouvoir exécutif, pouvoir législatif, pouvoir judiciaire ? Ces institutions déjà fortement handicapées par les agissements et agitations de ceux qui les incarnent, ne se ridiculisent-elles pas à force de faire soit naitre/renaitre ou à faire soit disparaitre aux aléas de leurs humeurs d’autres institutions comme le conseil économique, social et environnemental et le haut conseil des collectivités territoriales ? Les libertés en droits et devoirs ne sont-elles pas arbitrairement censurées, confisquées, bornées et inféodées au hasard des intérêts de l’exécutif du moment ? L’amertume d’une décision de justice ne résulte-t-elle pas toujours d’un sentiment de justice mal rendue ? Une justice mal rendue n’est-elle pas la conséquence d’une instrumentalisation-politisation de l’appareil judiciaire ? N’y a-t-il pas une ingérence illégale et illégitime de l’Etat dans l’intimité du juge-instructeur ou du juge-plaideur ? Les vainqueurs ou actuels tenants du pouvoir doivent-ils s’inscrire dans une posture de justiciers ? N’y aurait-il pas déjà une justice des vainqueurs et une justice des vaincus ? Quelles-en seraient les dangers et les conséquences sur l’état de droit ? Quel que soit le régime en place, le Sénégal n’a-t-il pas la même famille judiciaire ? Alors pourquoi tant de frictions et de contradictions ? Cela n’affaiblit-il pas la justice ?
Le Général Jean-Baptiste Tine qui avait semble-t-il refusé de réprimer les manifestations en 2021 ne s’est-il pas discrédité à travers sa protection tendancieuse des personnes et des biens des proches du pouvoir ? Pourquoi les services de la police peinent-ils encore à démasquer les auteurs du saccage du siège de Sam sa kaddu ? De plus, la police avait-elle besoin de défoncer les portes de la mairie de Dakar pour neutraliser Barthélémy Dia? Quand est-ce que le Sénégal réussira-t-il à concilier pouvoir déconcentré et pouvoir décentralisé pour un fonctionnement holistique de ses institutions ?
Le droit, à défaut de triompher, de rayonner et de régner par sa splendeur et par sa beauté finit, hélas, par s'éclipser dans sa laideur la plus hideuse et la plus ignoble. Puissent donc les juges et juristes, toujours lire et dire le droit, pour qu'à chaque fois, la beauté et la splendeur de la vérité l’emporte sur la répugnance du mensonge ! Puisse le Seigneur Dieu, lui le Juge par excellence, ordonner qu’en tout lieu et en tout temps, le charme de la lumière libératrice dissipe l'horreur des ténèbres de l’enfermement et du naufrage collectif !
Source : https://www.seneplus.com/opinions/quelle-rupture-d...