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Quand l’arachide sénégalaise retrouve un second souffle

« Quand l’arachide va, tout va ! » avait-on l’habitude de seriner dans notre pays, des années 60, après la mise en place du mouvement coopératif national, jusqu’à la fin de la décennie 80 grosso modo, lorsque cette monoculture irriguait l’économie nationale à laquelle elle fournissait l’essentiel de ses recettes d’exportation, avec les phosphates et la pêche. C’était l’époque où les huileries françaises comme Lesieur dominaient ce secteur, jusqu’à la nationalisation intervenue au milieu des années 70 alors que Léopold Sédar Senghor était président de la République et Babacar Bâ, tout-puissant — et très populaire — ministre des Finances. Après la parenthèse représentée par les 12 ans de règne du président Abdoulaye Wade, qui ne croyait franchement pas à l’arachide, son successeur, M. Macky Sall, entend visiblement redonner ses lettres de noblesse à la culture de cette graine. Laquelle constitue la seule source de revenus de l’écrasante majorité de la paysannerie sénégalaise. Cette dernière, on le sait, occupe les trois quarts environ de la population nationale. C’est donc dire l’importance de l’arachide dans notre économie.


Rédigé par leral.net le Dimanche 25 Novembre 2012 à 21:43 | | 0 commentaire(s)|

Quand l’arachide sénégalaise retrouve un second souffle
En décidant de porter le prix du kilogramme au producteur à 190 francs — un niveau jamais atteint depuis 52 ans que le Sénégal est indépendant —, le président de la République vise incontestablement à injecter du pouvoir d’achat dans le monde rural. Et, en même temps, faire tourner tous les autres secteurs de l’économie étant entendu que, quand les paysans disposent d’argent, ils dépensent sans compter. Au grand bonheur des industriels nationaux mais aussi, bien évidemment, des commerçants. Cette approche consistant à relancer l’économie nationale — terriblement bloquée depuis au moins un an et demi — par l’arachide est intéressante en ce sens qu’elle permet d’augmenter le niveau de vie des paysans qui constituent la couche sociale la plus défavorisée de notre pays.

Encore faudrait-il que tout cet argent parvienne effectivement aux ayants droit. Or, depuis 2000 au moins, s’il y a une catégorie sociale qui s’est enrichie dans le monde rural, c’est bien celle des intermédiaires, plus précisément les OPS (opérateurs privés stockeurs). C’est eux qui achètent les graines aux paysans avant de les revendre aux huiliers et/ou, depuis deux ans au moins, aux Asiatiques, notamment aux Chinois.

Durant les premières campagnes de commercialisation arachidière qui ont suivi l’accession au pouvoir de l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade, c’est l’affaire dite des « bons impayés » qui avait défrayé la chronique. De quoi s’agissait-il ? Ces opérateurs véreux venaient collecter les graines des paysans et, sous prétexte qu’ils attendaient de rentrer dans leurs fonds auprès des huiliers, leurs remettaient des « bons » à régulariser après. Lesdits « bons » constituaient en réalité de la monnaie de singe et n’avaient aucune valeur juridique. Bien évidemment, la plupart des OPS « oubliaient » de repasser pour payer aux paysans leur dû après s’être fait régler leurs livraisons par les huiliers.

Les paysans se retrouvaient donc sans le sou après avoir « vendu » leurs graines. Devant le tollé suscité par cette arnaque, le gouvernement avait bandé les muscles et menacé de ses foudres les opérateurs véreux. La gendarmerie nationale avait même été lancée à leurs trousses. Mais pratiquement personne n’avait été arrêté. Et pour cause : presque tous ces opérateurs étaient de très grands électeurs du pouvoir alors en place. Les grands perdants dans cette affaire avaient donc été les paysans qui n’avaient pratiquement personne pour les défendre.

Ces dernières années, les OPS véreux avaient changé de méthode. Au lieu de remettre des « bons », ils venaient acheter au comptant la production des paysans. Seulement voilà : jouant sur le fait que ces derniers, à la fin de l’hivernage, ont besoin de numéraires, ils achetaient à vil prix les graines — à 100 francs le kilo en moyenne — avant de les revendre au prix officiel — 175 francs environ — aux huiliers voire, depuis deux ou trois ans, aux Chinois. Résultat : on a assisté depuis 2000 à la constitution d’une très riche aristocratie en milieu rural, constituée justement par ces OPS véreux dont certains sont devenus des milliardaires.

Si, au début, c’est à dire après la première Alternance, ces OPS vendaient les graines collectées selon le système dit « carreau-usine », c’est-à-dire paiement dès livraison des graines à l’usine, ces dernières années, ils ont choisi carrément d’exporter leurs arachides, ce qui leur rapporte plus encore ! Résultat : les huiliers éprouvent de plus en plus de difficultés pour faire tourner leurs usines. Ainsi, l’année dernière, alors qu’ils s’attendaient à triturer au moins 250.000 tonnes, ils ont eu droit au dixième seulement, une industrie comme la Suneor ayant même dû se contenter de 17.000 tonnes seulement, soit de quoi faire tourner ses usines pendant à peine un mois…

Pour la prochaine campagne agricole, justement, les huiliers, appuyés par le Gouvernement, ont choisi d’essayer de court-circuiter les OPS. En quoi faisant ? En payant les paysans « bord champ », c’est-à-dire dès qu’ils auront livré leurs graines au point de collecte. Et ce cash. Ils seront payés selon le système de transfert d’argent « W. » et n’auront donc plus à courir désespérément derrière des opérateurs escrocs.
Officiellement, le Gouvernement attend une production record de 800.000 tonnes mais, selon les meilleurs spécialistes du monde rural, il faudrait s’attendre tout au plus à une récolte de 400.000 tonnes. En effet, si la pluviométrie a été abondante, les intrants n’ont pas toujours été au rendez-vous. Et là où ils l’ont été, la qualité a fait faux bond. Sans compter que le phosphatage des sols promis a été une vaste arnaque…

Les huiliers s’attendent donc à collecter quelque 300.000 tonnes, la différence par rapport aux 400.000 tonnes escomptées représentant l’auto-consommation des paysans, l’arachide de bouche, la trituration artisanale et l’exportation vers des pays frontaliers comme la Gambie. Ce dernier pays, par exemple, exportant plus qu’il ne produit ! Cherchez l’erreur…

Cela dit, l’huile d’arachide semble connaître une nouvelle jeunesse sur le plan international. En effet si, dans les années 80, du fait d’une campagne médiatique nuisible menée par des producteurs d’autres types d’huiles prétendant qu’elle contiendrait de l’aflatoxine, une substance présentée comme cancéreuse, la consommation de cette huile s’était effondrée au profit de celles végétales, aujourd’hui, elle a de nouveau le vent en poupe. Et la demande redevient très forte. Ainsi, en plus des Chinois qui viennent acheter nos graines, les groupes français sont de nouveau là.

Ainsi, le groupe Castel, qui n’est pas seulement un des plus grands brasseurs mondiaux puisqu’il est aussi dans l’agro-business, vient de racheter dans la plus grande discrétion la Novasen, une huilerie appartenant à Abdoulaye Diop, qui fut pendant une vingtaine d’années le tout-puissant directeur général de la Sonacos. Pierre Castel, le richissime propriétaire de ce groupe, voulait d’abord racheter la Suneor (anciennement Sonacos) mais les négociations avec M. Abass Jaber n’ont pas abouti. Le prix d’acquisition de Novasen tournerait autour de cinq milliards de francs. M. Abdoulaye Diop qui a décidément fait de très bonnes affaires puisque, dans la foulée, il a aussi vendu Oleosen, son usine qui fabriquait de l’huile végétale cette fois-ci, au géant français Sofiproteol présenté comme étant l’ « acteur industriel et financier français de la filière des huiles et protéines végétales ».

Bref, que de bonnes nouvelles, finalement, pour le monde rural sénégalais ! Reste à savoir si cela réussira à relancer l’économie sénégalaise dans son ensemble. Une économie plongée dans un coma profond depuis un an et demi au moins…


Mamadou Oumar NDIAYE

Le Témoin N° 1105 –Hebdomadaire Sénégalais (NOVEMBRE 2012)