Pour éviter de se payer de mots, il faut tout d'abord voir que, depuis l'élection de Nicolas Sarkozy en 2007, la dynamique géopolitique mondiale s'est considérablement accélérée. Les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pèsent désormais moins que le reste du monde sur le plan économique. Comment desserrer l'étau qui se resserre sur nous ?
Commençons par le cercle européen. Au sein de ce cercle, la relation franco-allemande reste fondamentale. Mais il faut bien admettre qu'au cours de ces cinq dernières années, notre position face à l'Allemagne s'est affaiblie. En 2007, notre taux de chômage était de 2,5 points inférieur à celui de l'Allemagne. Il est aujourd'hui supérieur de 4 points. Le solde de nos comptes courants, un indicateur plus favorable à la France parce qu'il inclut les services contrairement à la balance commerciale, représente désormais - 3,3 % du produit intérieur brut français alors qu'il est de + 4,4 % pour l'Allemagne.
L'absence de réformes structurelles a privé la France d'un levier politique décisif sur Berlin. Or, si notre économie ne se redresse pas, la France ne pourra rien imposer à l'Allemagne. Le fait que le ministre polonais des affaires étrangères ait en novembre dernier appelé à un leadership allemand en Europe sans mentionner la France montre que le regard des Européens sur le couple franco-allemand a changé.
Faut-il pour autant singer l'Allemagne, ou au contraire s'efforcer de la contenir ? Au-delà de la règle d'or, ce qui se joue, c'est l'avènement d'un fédéralisme budgétaire. A cet égard, l'engagement de Nicolas Sarkozy à renforcer la gouvernance économique de l'Europe sans transfert de souveraineté ne mène nulle part. Car, si la crise de l'euro a révélé une chose, c'est bel et bien l'inefficacité de la gestion intergouvernementale.
Ce qu'il faut, au contraire, c'est un transfert de souveraineté budgétaire précis et limité conforme d'ailleurs en tout point à l'esprit de la construction européenne depuis 1950. Ce transfert de souveraineté doit cependant s'accompagner d'un contrôle démocratique qui pourrait et devrait logiquement s'exercer par l'intermédiaire de délégations parlementaires nationales spécialisées et accréditées auprès de la commission. Voilà le chantier auquel François Hollande, s'il venait à être élu, devrait prioritairement se consacrer. Un chantier qui n'a de sens que s'il s'accompagne d'une réduction de nos dépenses publiques et pas seulement de nos déficits.
Le deuxième cercle de la diplomatie est le cercle atlantique. Le débat sur notre présence dans l'alliance est derrière nous. Nous partageons l'essentiel avec les Etats-Unis, même s'il est préférable de continuer à traiter avec Barack Obama qu'avec son éventuel successeur républicain. Mais convergence ne signifie pas passivité.
En mai, à Chicago, au sommet de l'Alliance atlantique, sera débattue la question du retrait d'Afghanistan. Il y a trois ans, le président Sarkozy nous expliquait que nous défendions là-bas notre civilisation. Peut-être. Mais dans ce cas, pourquoi se retirer aujourd'hui ? La vraie question n'est donc pas de savoir si nous nous retirerons d'ici la fin de l'année ou l'année prochaine. Cette différence de calendrier est dérisoire. La vraie question est de savoir quelle leçon nous tirons de cet engagement. Est-ce que nous nous retirons parce que les Américains ont décidé de le faire ? Considérons-nous que la négociation engagée avec les talibans est une bonne chose ? Avons-nous les moyens ou l'envie de peser sur ces négociations ?
Pourtant, la question afghane sera probablement reléguée au second plan par une autre, beaucoup plus importante : celle de l'Iran. Là encore, il ne suffit pas de dire que nous sommes favorables à des sanctions et à des négociations. Nous devons nous prononcer de manière beaucoup plus précise sur ce qui risque d'être la première grande crise diplomatique pour le nouveau président : le bombardement des installations nucléaires iraniennes par Israël. Y sommes-nous favorables ? Nous y opposerons-nous ? Qu'avons-nous à proposer en échange ? Sommes-nous favorables à une négociation globale avec Téhéran ? Acceptons-nous le fait que l'Iran accède au rang de "pays du seuil" sans développer l'arme nucléaire, ou considérons-nous d'emblée que le simple fait d'atteindre le seuil nucléaire constitue en soi un acte inacceptable ? Les Américains ont évolué sur la question. Sommes-nous sur la même ligne ?
Si nous ne répondons pas à ces questions, nous laisserons à d'autres, et donc naturellement aux Etats- Unis, le soin d'apporter des réponses à notre place. Nous devons mobiliser notre créativité en évitant d'apparaître soit comme la mouche du coche soit comme le petit enfant sage qui rougit à l'idée même de poser une question.
Reste le troisième cercle de notre diplomatie : celui de la Méditerranée. Depuis janvier 2011, nous sommes confrontés à une tectonique politique sans précédent qui va nous obliger à de profondes remises en cause. Un certain monde arabe est bel et bien mort. Ceux qui en prennent les rênes entretiennent une proximité avec la France beaucoup moins forte que leurs prédécesseurs. Et parce que ces nouvelles élites se sentiront confortées par des mandats populaires, elles se montreront plus exigeantes et moins complexées. Il faudra donc apprendre à gérer la fin du pacte du silence, celui qui contraignait la France à se taire sur la nature peu enviable des régimes arabes en même temps que ceux-ci faisaient preuve d'une certaine docilité.
Pour ce faire, il faut impérativement relancer l'Union pour la Méditerranée. Mais il faut le faire sur des bases nouvelles. Il faut commencer par tisser des liens avec tous les acteurs sociaux, économiques et culturels de la Méditerranée en leur posant une question simple : que pouvons-nous attendre les uns des autres ? Naturellement, il ne s'agit pas de contourner la souveraineté des Etats. Mais à partir du moment où ces derniers se prévalent de la démocratie, rien ne fait désormais obstacle à ce que nous entrions en relation directe avec les sociétés civiles de la Méditerranée.
Sans préjuger de la réponse, il faut en matière de développement privilégier un seul et unique axe : les projets locaux créateurs d'emplois. Car sans création d'emplois dans ces pays, le changement politique sera pulvérisé et l'échec économique poussera ces régimes dans une fuite en avant politique terrible. A cet égard, ceux qui condamnent le choix de Renault à Tanger montrent une fois de plus qu'ils n'ont rien compris à la marche du monde.