Il faut prendre en compte plusieurs secteurs d’activités, notamment la justice, la politique et surtout, l’économie. Dans cet exercice, je ne parlerai que de la « Justice ». C’est pourquoi je tenterai de faire l’état des lieux et de proposer des pistes de solutions.
Analyse ou constat de la situation actuelle
Le titre III de la constitution sénégalaise du 7 janvier 2001, sous l’égide du Président Abdoulaye Wade, fait de la justice un pouvoir judiciaire, au même titre que le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Et son article 88 stipule que le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. À l'instar de nombre de pays africains, le Sénégal a consacré l'indépendance de la Justice, à travers son érection en « Pouvoir » par la Constitution de 1963.
Or, depuis les cas Mamadou Dia sous Senghor, Abdoulaye Wade sous Abdou Diouf et aujourd’hui, les cas Karim Meïssa Wade, Ababacar Khalifa Sall, Ousmane Sonko, Bassirou Diomaye Faye et les militants du Pastef (Mille prisonniers politiques) sous Macky Sall, nous nous rendons compte sans aucune irrévérence, que les opposants ont toujours fait l’objet de poursuites, de liquidations politiques par la voie judiciaire. Le cas Ousmane Sonko depuis 2021, l’atteste sans nul conteste. Alors qu’il est reconnu au magistrat, même nommé par le président de la République, après avis consultatif du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), de n’être soumis qu’à l’autorité de la loi dans l’exercice de sa fonction ou de sa mission de rendre la justice (Cf. Art. 90 de la constitution de 2001). Et mieux, la Constitution dit que le pouvoir judiciaire est gardien des droits et libertés définis par elle.
A l’analyse de la réalité des faits et de la pratique judiciaire, l’on peut dire sans être contredit, que cela est toujours et reste un vœu pieux. En effet, il y a une rupture de confiance du peuple à l’égard de la justice, des justiciables à son égard et voire même, parfois, une défiance de la justice par le peuple, qui ne croit plus en celle-ci, quand bien même qu’il est par ailleurs dit, que la justice est rendue au nom du peuple.
L’hyper-judiciarisation de l’espace politique restera un des héritages les plus marquants de la présidence de Macky Sall. L’histoire de la magistrature sénégalaise révèle que cette dernière est plus un appareil au service du Pouvoir exécutif voire politique, qu’une institution dévouée à sa société. Le pouvoir judiciaire est en principe indépendant du pouvoir exécutif et législatif. Donc, les juges ne peuvent être soumis à une « injonction » de l'État. Bien entendu, s’il s’agit de magistrats du siège en théorie. Cette séparation du pouvoir judiciaire avec le pourvoir exécutif et législatif, constitue le fondement d'un État de droit.
L'indépendance du pouvoir judiciaire ne doit pas être entendue dans un sens absolu : les juges rendent leurs décisions sur la base des lois ou de la Constitution, bref à partir de textes qu'ils n'ont pas eux-mêmes faits ou votés. L'indépendance de la justice renvoie à sa capacité à fonctionner à l'abri de tout parti-pris, de toute pression et de toute interférence.L'indépendance de la Justice est, en effet, consubstantielle à la séparation des pouvoirs et à l'État de droit.
Sans une Justice indépendante, l'édifice de l'État de droit devient fragile et peut, à tout instant, s'écrouler. Par sa fonction d'arbitre et de protection des droits et libertés, la Justice joue tout à la fois une fonction de maintien de la cohésion sociale et de gardienne des valeurs et principes fondamentaux de la démocratie et un rôle de contrôle des actes de l’Etat par le Conseil constitutionnel.
Mais qu’en est-il dans la pratique et les faits ?
Les injonctions données au procureur par l’Exécutif dans les poursuites pénales et la violation permanente de la règle de l’inamovibilité, vidée de sa substance par le recours à deux notions, à savoir la nécessité de service et l'intérim devenues la règle, affaiblissent la justice dans son fonctionnement normal. Par ces notions, les juges peuvent être déplacés avec la même facilité que n'importe quel magistrat du Ministère public.
Certains, à peine installés, sont mutés tandis que d'autres sont affectés du siège au Parquet et vice-versa, sans aucune explication logique. En un mot, c'est l'aléa et la précarité qui règnent en maître, excluant toute possibilité de se tracer un plan de carrière.
A la violation de cette règle de l’inamovibilité, se pose le problème des nominations, surtout celles des chefs de juridictions, qui restent du domaine exclusif du Ministre de la Justice et du président de la République, de même que la prolongation de l’âge de la retraite de 65 à 68 ans. Aucun critère de transparence n’est défini à l’avance, pour justifier les choix et nomination.
L’une des critiques que l’on peut faire à l’indépendance de la justice, porte d’abord sur le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, qui dans sa composition, porte les germes de sa dépendance vis-à-vis de l'Exécutif. Ainsi, s'agissant de sa composition, le CSM est dirigé par le président de la République, qui en est le président et le Ministre de la Justice qui y fait office de vice-président. Il s'y ajoute que sur les seize magistrats qui siègent au sein de cet organe, douze (12) sont des membres de droit nommés par l'Exécutif (le président de la République).
En outre, dans la répartition des attributions, on note que la part du lion est réservée au Ministre de la Justice et au président de la République, qui exercent respectivement le pouvoir de proposition et de nomination, les magistrats se contentant de donner leur avis qui est consultatif et qui, dans certains cas, ne lient pas l'autorité de nomination. Au regard d'une telle configuration, il est clair que le CSM du Sénégal ne peut ni incarner ni assumer le rôle de sentinelle de l'indépendance que l'on est en droit d'attendre de lui .
Ensuite, l’autre manque d'indépendance de la Justice correspond à la situation du Parquet. Les magistrats du parquet jouent un rôle important dans l'administration de la justice. Étant chargé de l'exercice de l'action publique, le Ministère public est la vitrine de la justice pénale.
Sous ce rapport, le Parquet conditionne pour une large part, l’idée que le peuple se fait de la justice. Or, au Sénégal, le Ministère public reste subordonné au pouvoir exécutif.
Ainsi, l'article 28 du Code de procédure pénale précise que « le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, peut dénoncer au Procureur général, les infractions à la loi pénale dont il a connaissance, lui enjoindre d'engager ou de faire engager les poursuites, ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le Ministre juge opportunes ».
Aux termes de l'article 25 du même Code, « le Ministère public est tenu de prendre des réquisitions écrites conformes aux instructions qui lui sont données dans les conditions prévues aux articles 28 et 29 ». D'autre part, le ministère public, qui peut recevoir des instructions écrites de la part du Ministre, dispose d'énormes pouvoirs. Cette subordination hiérarchique du parquet, permet indirectement, au Ministre de la Justice, de s'immiscer dans le traitement des affaires pénales.
Surtout que dans certains cas, le juge d’instruction, un magistrat du siège, est tenu de placer sous mandat de dépôt si le ministère public le requiert sans pourvoir d’appréciation (Art. 139 CPP et Art. 50 à 155 et 255 CP). Ce qui, à l'évidence, pose un sérieux problème pour l'indépendance institutionnelle du magistrat du siège par rapport au magistrat du parquet.
En définitive, force est de constater que si l'indépendance du pouvoir judiciaire est consacrée par la Constitution, son effectivité reste tributaire des insuffisances ci-dessus énumérées, qui gagneraient à être corrigées. D'où l'urgence qu'il y a à mettre en œuvre des réformes susceptibles de renforcer l'indépendance de la Justice.
Il convient alors de se poser la question pertinente : quelles réformes pour notre justice ?
Les réformes institutionnelles, fonctionnelles et organisationnelles
La justice pour répondre à sa mission et pour être bien perçue par le peuple, doit faire l’objet d’une réforme profonde. D’où les réformes pertinentes proposées dans ce sujet de réflexion.
Première réforme : Mise en place d’une autorité judiciaire, renforcement de CSM et création d’un organe de contrôle du CSM appelé HCM (Haut conseil de la magistrature)
Il s’agit de faire de la justice, non plus un pouvoir, mais une autorité judiciaire. En effet, le pouvoir judiciaire ne peut dépendre ni de l’Exécutif ni du Législatif, car la séparation de pouvoir fait qu’ils sont d’égale dignité. Être indépendant, c'est n'avoir « rien à craindre ni à désirer de personne » (Thierry Renoux). La Constitution ne reconnaît explicitement que l'indépendance de l'autorité judiciaire. Il faut faire de la justice, une autorité réellement indépendante dans son fonctionnement et dans son organisation.
Pour cela il faut que :
Le CSM soit un organe délibérant, avec un secrétariat exécutif et un secrétariat général géré par les Magistrats eux-mêmes, notamment les hauts magistrats ;
le CSM dispose d’un organe de gestion des carrières et d’un organe de sanction disciplinaire ;
les membres du CSM soient élus par leurs pairs et non plus nommés par le président de la République;
le pouvoir de proposition du Ministre de la justice soit supprimé et revienne aux magistrats eux-mêmes ;
un appel à candidatures ou une postulation pour chaque poste de chef de juridiction ; cette proposition à l’heur de mettre en concurrence ou en compétition les magistrats entre eux, selon leur grade et ancienneté. Par ailleurs, on peut utiliser deux systèmes :
la sélection de trois dossiers à soumettre au président pour leur nomination, ou l’élection par leurs pairs, puis confirmation par le Président, par décret, après avis favorable du HCM.
L’avantage de ce système serait de fixer une durée ou un mandat pour chaque chef de juridiction et pour cela, j’estime que 5 ans suffisent. L’autre avantage serait que le chef de juridiction est tenu de travailler avec les magistrats nommés dans sa juridiction, sans être en mesure de choisir ses collaborateurs, ce qui diminuerai largement la redevabilité ou le lien de subordination entre magistrats.
A côté du CSM, il faut mettre en place un Haut Conseil de la Magistrature (HCM), qui comprendrait le CSM représenté par le bureau exécutif d’une part, et le président de la République, le Ministre de la justice, le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats ou son représentant, le Responsable du syndicat des travailleurs de la justice et éventuellement, un ou deux membres de la société civile, d’autre part. Ce Haut conseil de la magistrature jouera le rôle d’organe de contrôle de la régularité des actes pris par le CSM concernant la carrière, les nominations et les sanctions disciplinaires des magistrats.
Remarque : Il faut à ce niveau faire attention à la promesse donnée lors de la campagne électorale par les gouvernants actuels : sortir du CSM. Le premier désamour de Macky Sall avec le peuple, fut son dédit sur le fait de ramener son mandat de 7 à 5 ans.
Le même cas s’est produit avec Me Wade sur la question du troisième mandat. Les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. C’est pourquoi le Président doit respecter sa parole donnée : Gor thia wokh ba. L’idée de la création d’un HCM et de renforcement du CSM me parait plus adéquate que de lui suggérer d’y rester. Ce serait une erreur politique d’y rester. Si la modification ne porte pas les fruits escomptés, là, sans honte, il pourra revenir à l’ancienne méthode. Mais il faut éviter le wokh wokhète.
Deuxième réforme : la spécialisation des juridictions et des magistrats, pour une bonne qualité des décisions de justice
S’agissant de la spécialisation des juridictions, à l’image du tribunal du commerce, il faut des juridictions spécialisées dans tous les domaines, notamment administrative, civile, pénale, correctionnelle, criminelle, sociale, pétrolière, gazière et minière etc… Il faut également des juridictions spécialisées, pour la poursuite du blanchiment, du détournement des deniers publics et des crimes connexes, notamment des crimes économiques, financiers, cybercriminels et de terrorisme…
Concernant les magistrats, dans une société au fonctionnement de plus en plus complexe aujourd’hui, les juges doivent se spécialiser. Cela est une nécessité. La non prise en compte de la spécialisation du juge, entraîne une conséquence fâcheuse dans la qualité des décisions. C’est pourquoi, leur recrutement doit se faire en fonction des besoins des juridictions spécialisées et ce, dès le CFJ. Ce qui suppose la réforme des modes de recrutement et du mode de formation au CFJ.
La spécialisation des juridictions et des juges conduit à une plus grande compétence et efficacité de la justice. L’avantage principal de la spécialisation, est de faire juger les litiges par… des spécialistes ! C’est-à-dire par des magistrats ou des juges rompus à certains contentieux, car certains contentieux sont techniques. Elle conduira à une bonne qualité des décisions de justice, donc moins de contestations.
Pour exemple, un tribunal de Dakar (TGI) a jugé une affaire de droit maritime en tenant compte du COCC, alors que cette matière est régie par la convention de Hambourg et le Code de la marine marchande du Sénégal. Il méconnaissait que le « connaissement » ou le « bill of lading » est à la fois titre de voyage et titre de propriété de la marchandise. D’où l’importance de la spécialisation.
Troisième réforme : Le mode de nomination des magistrats
La première règle de transparence est « un appel à candidatures » ou « une postulation », puis une élection par les pairs, sur une liste de trois candidats arrêtée par le CSM ou une commission indépendante et enfin, une enquête de moralité. Le juge ainsi élu par ses pairs, sera nommé par le CSM au poste. Le second arrivé sur la liste des élus, sera le vice-président ou l’adjoint ou le procureur adjoint.Par ailleurs, il faut fixer une durée de mandat et un an avant la fin du mandat, faire une autre élection pour permettre au nouvel entrant, de se préparer comme le dauphin chez les avocats.
Quatrième réforme : Le mode d’affectation
La pratique a montré qu’à chaque nouvelle nomination, le chef de juridiction vient avec ses hommes (parfois de paille ou de main ou à tout faire).
L’affectation ne dépendra plus du ministre ou du président mais du Conseil supérieur de magistrature, après avis du Bâtonnier (Conseil de l’Ordre), de l’UMS, du syndicat des travailleurs de la justice et du HCM. Il faut bannir l’affectation des magistrats hors des juridiction, notamment les ministères, les ONG et surtout, les sociétés nationales, comme PDG ou DG. Cette interdiction se justifierait par le nombre non suffisant -déficit- de magistrats dans les juridictions de jugements. Pour optimiser les ressources humaines, il faut réduire au maximum, le détachement des magistrats – comme c’est le cas actuellement à l’AJE avec une pléthore de magistrats – ou le supprimer. En effet, le statut de magistrat est incompatible avec le statut de subalterne ou de subordonné à une quelconque autorité administrative.
Cinquième réforme : L’introduction de l’opinion dissidente ou contraire ou séparée des juges, pour une sécurité juridique des décisions rendues
C’est quoi une opinion dissidente ? En formation au centre de formation des avocats d’Afrique francophones au Bénin appelé CIFAF, en août et septembre 2006, j’avais appris que pour une sécurité des décisions de justice, le Canada avait institué l’opinion dissidente.
En effet, lorsqu’un juge de la collégialité n’est pas du même avis que les autres (2), il le fait mentionner dans la décision de justice. Les opinions judiciaires dissidentes sont les motivations des juges qui n’arrivent pas à la majorité des voix. Elles ne constituent donc pas le droit. Le premier bienfait est de favoriser la motivation des décisions de justice.
Le second bienfait des opinions séparées, lié au précédent, est de favoriser l’acceptabilité de la décision de justice. Juger, disait Paul Ricoeur, est un acte de distribution, dans lequel, chaque partie doit pouvoir se reconnaître, celle qui a gagné, mais aussi celle qui a perdu, parce qu’elle a pu entendre et qu’elle peut lire, dans l’opinion séparée, que ses prétentions avaient une valeur juridique reconnue et discutée au moment de la délibération ou du délibéré. L’opinion dissidente (au Canada) ou séparée (en France) affecte la sécurité juridique, en offrant des perspectives nouvelles et en remettant en question le raisonnement de la décision unanime du président qui préside.
Cela a pour effet de mettre en place une sécurité juridique, mais aussi de pousser les juges à rendre de façon responsable, une décision en âme et conscience, parce que connue et lue de tous. En sus, en raison de la collégialité, même si le délibéré est secret, celui-ci doit se faire en présence d’un greffier qui prend note de toutes les positions dans un plumitif signé à la fin, par chaque juge ayant participé au délibéré.
Sixième réforme : La responsabilité pénale des magistrats
Le principe voudrait que « Les magistrats ne sont responsables que de leurs fautes personnelles ». Ce qui sous-entend qu’ils ne sont pas responsables des décisions qu’ils rendent au nom du peuple. « Ce que vous deviez désirer le plus, ce qui pouvait rendre surtout à votre ordre, sa gloire, et aux tribunaux, la considération, vous est accordé, vous est offert aujourd’hui, non par les hommes, mais j’ose le dire, par les dieux (le peuple au nom duquel ils jugent) mêmes, dans les circonstances les plus décisives pour la République. »
C’est en ces termes que Cicéron s’adressait aux juges en prenant la défense de citoyens siciliens contre Verrés, un ancien gouverneur de l’île mis en cause dans des affaires de corruption (70 av. J-C.) Rendre la justice, décider du sort d’un justiciable, d’un citoyen, doit être non pas un métier, mais un « sacerdoce » : serviteur du droit. C’est pourquoi lorsqu’ un juge au-delà de ses privilèges et malgré eux, cause un trouble manifeste par les décisions qu’il rend, doit voir sa responsabilité personnelle engagée et doit être sanctionné à la hauteur de la faute commise.
Ne nous a-t-on pas appris que l’on prêche par les actes, cela sous-entend par l’exemple. Il est inconcevable que le magistrat sanctionne la corruption, la malhonnêteté et que lui-même soit à l’abri lorsqu’il est corrompu par une partie ou par l’Etat. C’est pourquoi, le juge ne doit plus bénéficier d’aucun privilège de juridiction ni d’aucune immunité en cas de corruption flagrante ou d’abus d’autorité ou de prise d’intérêt dans un procès. Le cas échéant, il faut engager sa responsabilité au pénal.
Ces infractions constituent une violation à la règle déontologique et à la dignité du magistrat. Ce qui est incongru que le magistrat soit la seule personne à n’être responsable de rien dans ce Sénégal, alors qu’il est un « fonctionnaire », là où le Président élu par le peuple ou un Député élu par le peuple, peuvent être poursuivis pénalement. C’est totalement aberrant !
Septième réforme : Revoir ou réviser tous les codes
En effet, le code pénal date de 1965 (Loi n°65-60 du 21 juillet 1965), le code de procédure pénale (Loi n°65-61 du 21 juillet 1965) etc… En effet il fait revoir le Code de la famille, le COCC dont on ne voit plus la pertinence, le code de procédure civile…
Il est urgent pour une meilleure harmonisation des textes, de réactualiser les codes et de les adapter à notre réalité sénégalaise et non aux réalités françaises. Revoir les lois pour éviter les contrariétés de textes préjudiciables aux citoyens.
Huitième réforme : Création de crimes spéciaux et de Chambres criminelles et Chambres criminelles d’appel pour juger lesdits crimes
Il faut en sus mettre en place non pas un pôle financier, mais un code de crimes spéciaux, avec une Chambre criminelle et une Chambre d’appel criminelle, chargées de juger ces crimes spéciaux. Il faut un code des crimes de droit commun et un code des crimes spéciaux.
Comme crimes spéciaux, il faut viser les crimes économiques comme DDP, Corruption de fonctionnaires…), financiers (prise d’intérêt dans les marchés publics et les marchés de gré-à-gré, fonciers (spoliation et bradage de terrains, vent illégale de terrain appartenant à autrui, du domaine national, du domaine privé de l’Etat, de modification de plan cadastral pour dépossession de propriété…), dans un dossier judiciaire par un magistrat. Faire en sorte que ces crimes dits spéciaux, soient imprescriptibles. Ce qui conduira à la reddition des comptes et à la naissance d’une nouvelle mentalité : servir et non se servir.
Ces crimes doivent être poursuivis, quelle que soit la date de commission à compter de la date de leur découverte. Il faudrait pour ces crimes, qu’aucune immunité ne puisse être opposable pour leur poursuite. Quel que soit le moment, quelle que soit la fonction, quel que soit le degré de pouvoir, la personne pourra être poursuivie par cette juridiction, à l’exception de toute autre, notamment la Haute Cour de Justice (Président de la République). Nul ne pourra invoquer une quelconque immunité ou privilège de juridiction, pour les crimes spéciaux (économiques, financiers et fonciers).
Neuvième réforme : la rupture de la primauté du magistrat du parquet sur le juge d’instruction
Il faut réviser les articles 25, 28 et 139 CPP, pour rompre le lien Ministre -Parquet d’une part et rompre la subordination Parquet-Juge d’instruction, qui oblige ce dernier à placer sous mandat de dépôt quand le premier le requiert, sans pourvoir d’appréciation.
Conclusion
Cette réflexion ne se veut pas et ne se prétend pas exhaustive. C’est juste une ébauche qu’il faudra parfaire par la réflexion et par les contributions de tout un chacun. Car je ne parle pas de l’égalité des armes entre le parquet et les avocats dans l’exploitation des pièces du dossier, où généralement, ce n’est qu’à l’audience que le parquet dévoile ses armes au grand dam des avocats et des prévenus.
Il a été bon de faire les assises de la Justice, car la Bible dit au livre aux Romains, « ce n’est pas pour leurs bonnes actions, mais pour leurs mauvaises actions que les magistrats sont à redouter. Le magistrat est serviteur de Dieu pour ton bien. Mais si tu fais le mal, crains ; car ce n'est pas en vain qu'il porte l'épée, étant serviteur de Dieu pour exercer la vengeance et punir celui qui fait le mal (Romains 13, 1-4) ».
Il est donc nécessaire d'être soumis, non seulement par crainte de la punition, mais encore par motif de conscience. Si nous devons nous soumettre à l’autorité judiciaire, encore faudrait-il que cela soit fait avec la conscience que cette autorité fait bien et, est au-dessus de toute iniquité. Nous voulons des juges à l’image de Salomon, remplis de sagesse et d’amour. Le magistrat est un serviteur de Dieu ou un ministre de Dieu, entièrement appliqué à cette fonction, un sacerdoce divin. En effet, le magistrat a une autorité, celle de juger ses semblables, mais une autorité de service.
Henri Valentin B. Gomis, Avocat à la cour
1er Secrétaire de Conférence
Maîtrise en Droit Public option Relations Internationales
Master II en Droits de l’Homme
Master II en Droit et Gestion Maritime
Master II en Management de l’Energie et des Ressources Pétrolières
Analyse ou constat de la situation actuelle
Le titre III de la constitution sénégalaise du 7 janvier 2001, sous l’égide du Président Abdoulaye Wade, fait de la justice un pouvoir judiciaire, au même titre que le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Et son article 88 stipule que le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. À l'instar de nombre de pays africains, le Sénégal a consacré l'indépendance de la Justice, à travers son érection en « Pouvoir » par la Constitution de 1963.
Or, depuis les cas Mamadou Dia sous Senghor, Abdoulaye Wade sous Abdou Diouf et aujourd’hui, les cas Karim Meïssa Wade, Ababacar Khalifa Sall, Ousmane Sonko, Bassirou Diomaye Faye et les militants du Pastef (Mille prisonniers politiques) sous Macky Sall, nous nous rendons compte sans aucune irrévérence, que les opposants ont toujours fait l’objet de poursuites, de liquidations politiques par la voie judiciaire. Le cas Ousmane Sonko depuis 2021, l’atteste sans nul conteste. Alors qu’il est reconnu au magistrat, même nommé par le président de la République, après avis consultatif du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), de n’être soumis qu’à l’autorité de la loi dans l’exercice de sa fonction ou de sa mission de rendre la justice (Cf. Art. 90 de la constitution de 2001). Et mieux, la Constitution dit que le pouvoir judiciaire est gardien des droits et libertés définis par elle.
A l’analyse de la réalité des faits et de la pratique judiciaire, l’on peut dire sans être contredit, que cela est toujours et reste un vœu pieux. En effet, il y a une rupture de confiance du peuple à l’égard de la justice, des justiciables à son égard et voire même, parfois, une défiance de la justice par le peuple, qui ne croit plus en celle-ci, quand bien même qu’il est par ailleurs dit, que la justice est rendue au nom du peuple.
L’hyper-judiciarisation de l’espace politique restera un des héritages les plus marquants de la présidence de Macky Sall. L’histoire de la magistrature sénégalaise révèle que cette dernière est plus un appareil au service du Pouvoir exécutif voire politique, qu’une institution dévouée à sa société. Le pouvoir judiciaire est en principe indépendant du pouvoir exécutif et législatif. Donc, les juges ne peuvent être soumis à une « injonction » de l'État. Bien entendu, s’il s’agit de magistrats du siège en théorie. Cette séparation du pouvoir judiciaire avec le pourvoir exécutif et législatif, constitue le fondement d'un État de droit.
L'indépendance du pouvoir judiciaire ne doit pas être entendue dans un sens absolu : les juges rendent leurs décisions sur la base des lois ou de la Constitution, bref à partir de textes qu'ils n'ont pas eux-mêmes faits ou votés. L'indépendance de la justice renvoie à sa capacité à fonctionner à l'abri de tout parti-pris, de toute pression et de toute interférence.L'indépendance de la Justice est, en effet, consubstantielle à la séparation des pouvoirs et à l'État de droit.
Sans une Justice indépendante, l'édifice de l'État de droit devient fragile et peut, à tout instant, s'écrouler. Par sa fonction d'arbitre et de protection des droits et libertés, la Justice joue tout à la fois une fonction de maintien de la cohésion sociale et de gardienne des valeurs et principes fondamentaux de la démocratie et un rôle de contrôle des actes de l’Etat par le Conseil constitutionnel.
Mais qu’en est-il dans la pratique et les faits ?
Les injonctions données au procureur par l’Exécutif dans les poursuites pénales et la violation permanente de la règle de l’inamovibilité, vidée de sa substance par le recours à deux notions, à savoir la nécessité de service et l'intérim devenues la règle, affaiblissent la justice dans son fonctionnement normal. Par ces notions, les juges peuvent être déplacés avec la même facilité que n'importe quel magistrat du Ministère public.
Certains, à peine installés, sont mutés tandis que d'autres sont affectés du siège au Parquet et vice-versa, sans aucune explication logique. En un mot, c'est l'aléa et la précarité qui règnent en maître, excluant toute possibilité de se tracer un plan de carrière.
A la violation de cette règle de l’inamovibilité, se pose le problème des nominations, surtout celles des chefs de juridictions, qui restent du domaine exclusif du Ministre de la Justice et du président de la République, de même que la prolongation de l’âge de la retraite de 65 à 68 ans. Aucun critère de transparence n’est défini à l’avance, pour justifier les choix et nomination.
L’une des critiques que l’on peut faire à l’indépendance de la justice, porte d’abord sur le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, qui dans sa composition, porte les germes de sa dépendance vis-à-vis de l'Exécutif. Ainsi, s'agissant de sa composition, le CSM est dirigé par le président de la République, qui en est le président et le Ministre de la Justice qui y fait office de vice-président. Il s'y ajoute que sur les seize magistrats qui siègent au sein de cet organe, douze (12) sont des membres de droit nommés par l'Exécutif (le président de la République).
En outre, dans la répartition des attributions, on note que la part du lion est réservée au Ministre de la Justice et au président de la République, qui exercent respectivement le pouvoir de proposition et de nomination, les magistrats se contentant de donner leur avis qui est consultatif et qui, dans certains cas, ne lient pas l'autorité de nomination. Au regard d'une telle configuration, il est clair que le CSM du Sénégal ne peut ni incarner ni assumer le rôle de sentinelle de l'indépendance que l'on est en droit d'attendre de lui .
Ensuite, l’autre manque d'indépendance de la Justice correspond à la situation du Parquet. Les magistrats du parquet jouent un rôle important dans l'administration de la justice. Étant chargé de l'exercice de l'action publique, le Ministère public est la vitrine de la justice pénale.
Sous ce rapport, le Parquet conditionne pour une large part, l’idée que le peuple se fait de la justice. Or, au Sénégal, le Ministère public reste subordonné au pouvoir exécutif.
Ainsi, l'article 28 du Code de procédure pénale précise que « le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, peut dénoncer au Procureur général, les infractions à la loi pénale dont il a connaissance, lui enjoindre d'engager ou de faire engager les poursuites, ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le Ministre juge opportunes ».
Aux termes de l'article 25 du même Code, « le Ministère public est tenu de prendre des réquisitions écrites conformes aux instructions qui lui sont données dans les conditions prévues aux articles 28 et 29 ». D'autre part, le ministère public, qui peut recevoir des instructions écrites de la part du Ministre, dispose d'énormes pouvoirs. Cette subordination hiérarchique du parquet, permet indirectement, au Ministre de la Justice, de s'immiscer dans le traitement des affaires pénales.
Surtout que dans certains cas, le juge d’instruction, un magistrat du siège, est tenu de placer sous mandat de dépôt si le ministère public le requiert sans pourvoir d’appréciation (Art. 139 CPP et Art. 50 à 155 et 255 CP). Ce qui, à l'évidence, pose un sérieux problème pour l'indépendance institutionnelle du magistrat du siège par rapport au magistrat du parquet.
En définitive, force est de constater que si l'indépendance du pouvoir judiciaire est consacrée par la Constitution, son effectivité reste tributaire des insuffisances ci-dessus énumérées, qui gagneraient à être corrigées. D'où l'urgence qu'il y a à mettre en œuvre des réformes susceptibles de renforcer l'indépendance de la Justice.
Il convient alors de se poser la question pertinente : quelles réformes pour notre justice ?
Les réformes institutionnelles, fonctionnelles et organisationnelles
La justice pour répondre à sa mission et pour être bien perçue par le peuple, doit faire l’objet d’une réforme profonde. D’où les réformes pertinentes proposées dans ce sujet de réflexion.
Première réforme : Mise en place d’une autorité judiciaire, renforcement de CSM et création d’un organe de contrôle du CSM appelé HCM (Haut conseil de la magistrature)
Il s’agit de faire de la justice, non plus un pouvoir, mais une autorité judiciaire. En effet, le pouvoir judiciaire ne peut dépendre ni de l’Exécutif ni du Législatif, car la séparation de pouvoir fait qu’ils sont d’égale dignité. Être indépendant, c'est n'avoir « rien à craindre ni à désirer de personne » (Thierry Renoux). La Constitution ne reconnaît explicitement que l'indépendance de l'autorité judiciaire. Il faut faire de la justice, une autorité réellement indépendante dans son fonctionnement et dans son organisation.
Pour cela il faut que :
Le CSM soit un organe délibérant, avec un secrétariat exécutif et un secrétariat général géré par les Magistrats eux-mêmes, notamment les hauts magistrats ;
le CSM dispose d’un organe de gestion des carrières et d’un organe de sanction disciplinaire ;
les membres du CSM soient élus par leurs pairs et non plus nommés par le président de la République;
le pouvoir de proposition du Ministre de la justice soit supprimé et revienne aux magistrats eux-mêmes ;
un appel à candidatures ou une postulation pour chaque poste de chef de juridiction ; cette proposition à l’heur de mettre en concurrence ou en compétition les magistrats entre eux, selon leur grade et ancienneté. Par ailleurs, on peut utiliser deux systèmes :
la sélection de trois dossiers à soumettre au président pour leur nomination, ou l’élection par leurs pairs, puis confirmation par le Président, par décret, après avis favorable du HCM.
L’avantage de ce système serait de fixer une durée ou un mandat pour chaque chef de juridiction et pour cela, j’estime que 5 ans suffisent. L’autre avantage serait que le chef de juridiction est tenu de travailler avec les magistrats nommés dans sa juridiction, sans être en mesure de choisir ses collaborateurs, ce qui diminuerai largement la redevabilité ou le lien de subordination entre magistrats.
A côté du CSM, il faut mettre en place un Haut Conseil de la Magistrature (HCM), qui comprendrait le CSM représenté par le bureau exécutif d’une part, et le président de la République, le Ministre de la justice, le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats ou son représentant, le Responsable du syndicat des travailleurs de la justice et éventuellement, un ou deux membres de la société civile, d’autre part. Ce Haut conseil de la magistrature jouera le rôle d’organe de contrôle de la régularité des actes pris par le CSM concernant la carrière, les nominations et les sanctions disciplinaires des magistrats.
Remarque : Il faut à ce niveau faire attention à la promesse donnée lors de la campagne électorale par les gouvernants actuels : sortir du CSM. Le premier désamour de Macky Sall avec le peuple, fut son dédit sur le fait de ramener son mandat de 7 à 5 ans.
Le même cas s’est produit avec Me Wade sur la question du troisième mandat. Les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. C’est pourquoi le Président doit respecter sa parole donnée : Gor thia wokh ba. L’idée de la création d’un HCM et de renforcement du CSM me parait plus adéquate que de lui suggérer d’y rester. Ce serait une erreur politique d’y rester. Si la modification ne porte pas les fruits escomptés, là, sans honte, il pourra revenir à l’ancienne méthode. Mais il faut éviter le wokh wokhète.
Deuxième réforme : la spécialisation des juridictions et des magistrats, pour une bonne qualité des décisions de justice
S’agissant de la spécialisation des juridictions, à l’image du tribunal du commerce, il faut des juridictions spécialisées dans tous les domaines, notamment administrative, civile, pénale, correctionnelle, criminelle, sociale, pétrolière, gazière et minière etc… Il faut également des juridictions spécialisées, pour la poursuite du blanchiment, du détournement des deniers publics et des crimes connexes, notamment des crimes économiques, financiers, cybercriminels et de terrorisme…
Concernant les magistrats, dans une société au fonctionnement de plus en plus complexe aujourd’hui, les juges doivent se spécialiser. Cela est une nécessité. La non prise en compte de la spécialisation du juge, entraîne une conséquence fâcheuse dans la qualité des décisions. C’est pourquoi, leur recrutement doit se faire en fonction des besoins des juridictions spécialisées et ce, dès le CFJ. Ce qui suppose la réforme des modes de recrutement et du mode de formation au CFJ.
La spécialisation des juridictions et des juges conduit à une plus grande compétence et efficacité de la justice. L’avantage principal de la spécialisation, est de faire juger les litiges par… des spécialistes ! C’est-à-dire par des magistrats ou des juges rompus à certains contentieux, car certains contentieux sont techniques. Elle conduira à une bonne qualité des décisions de justice, donc moins de contestations.
Pour exemple, un tribunal de Dakar (TGI) a jugé une affaire de droit maritime en tenant compte du COCC, alors que cette matière est régie par la convention de Hambourg et le Code de la marine marchande du Sénégal. Il méconnaissait que le « connaissement » ou le « bill of lading » est à la fois titre de voyage et titre de propriété de la marchandise. D’où l’importance de la spécialisation.
Troisième réforme : Le mode de nomination des magistrats
La première règle de transparence est « un appel à candidatures » ou « une postulation », puis une élection par les pairs, sur une liste de trois candidats arrêtée par le CSM ou une commission indépendante et enfin, une enquête de moralité. Le juge ainsi élu par ses pairs, sera nommé par le CSM au poste. Le second arrivé sur la liste des élus, sera le vice-président ou l’adjoint ou le procureur adjoint.Par ailleurs, il faut fixer une durée de mandat et un an avant la fin du mandat, faire une autre élection pour permettre au nouvel entrant, de se préparer comme le dauphin chez les avocats.
Quatrième réforme : Le mode d’affectation
La pratique a montré qu’à chaque nouvelle nomination, le chef de juridiction vient avec ses hommes (parfois de paille ou de main ou à tout faire).
L’affectation ne dépendra plus du ministre ou du président mais du Conseil supérieur de magistrature, après avis du Bâtonnier (Conseil de l’Ordre), de l’UMS, du syndicat des travailleurs de la justice et du HCM. Il faut bannir l’affectation des magistrats hors des juridiction, notamment les ministères, les ONG et surtout, les sociétés nationales, comme PDG ou DG. Cette interdiction se justifierait par le nombre non suffisant -déficit- de magistrats dans les juridictions de jugements. Pour optimiser les ressources humaines, il faut réduire au maximum, le détachement des magistrats – comme c’est le cas actuellement à l’AJE avec une pléthore de magistrats – ou le supprimer. En effet, le statut de magistrat est incompatible avec le statut de subalterne ou de subordonné à une quelconque autorité administrative.
Cinquième réforme : L’introduction de l’opinion dissidente ou contraire ou séparée des juges, pour une sécurité juridique des décisions rendues
C’est quoi une opinion dissidente ? En formation au centre de formation des avocats d’Afrique francophones au Bénin appelé CIFAF, en août et septembre 2006, j’avais appris que pour une sécurité des décisions de justice, le Canada avait institué l’opinion dissidente.
En effet, lorsqu’un juge de la collégialité n’est pas du même avis que les autres (2), il le fait mentionner dans la décision de justice. Les opinions judiciaires dissidentes sont les motivations des juges qui n’arrivent pas à la majorité des voix. Elles ne constituent donc pas le droit. Le premier bienfait est de favoriser la motivation des décisions de justice.
Le second bienfait des opinions séparées, lié au précédent, est de favoriser l’acceptabilité de la décision de justice. Juger, disait Paul Ricoeur, est un acte de distribution, dans lequel, chaque partie doit pouvoir se reconnaître, celle qui a gagné, mais aussi celle qui a perdu, parce qu’elle a pu entendre et qu’elle peut lire, dans l’opinion séparée, que ses prétentions avaient une valeur juridique reconnue et discutée au moment de la délibération ou du délibéré. L’opinion dissidente (au Canada) ou séparée (en France) affecte la sécurité juridique, en offrant des perspectives nouvelles et en remettant en question le raisonnement de la décision unanime du président qui préside.
Cela a pour effet de mettre en place une sécurité juridique, mais aussi de pousser les juges à rendre de façon responsable, une décision en âme et conscience, parce que connue et lue de tous. En sus, en raison de la collégialité, même si le délibéré est secret, celui-ci doit se faire en présence d’un greffier qui prend note de toutes les positions dans un plumitif signé à la fin, par chaque juge ayant participé au délibéré.
Sixième réforme : La responsabilité pénale des magistrats
Le principe voudrait que « Les magistrats ne sont responsables que de leurs fautes personnelles ». Ce qui sous-entend qu’ils ne sont pas responsables des décisions qu’ils rendent au nom du peuple. « Ce que vous deviez désirer le plus, ce qui pouvait rendre surtout à votre ordre, sa gloire, et aux tribunaux, la considération, vous est accordé, vous est offert aujourd’hui, non par les hommes, mais j’ose le dire, par les dieux (le peuple au nom duquel ils jugent) mêmes, dans les circonstances les plus décisives pour la République. »
C’est en ces termes que Cicéron s’adressait aux juges en prenant la défense de citoyens siciliens contre Verrés, un ancien gouverneur de l’île mis en cause dans des affaires de corruption (70 av. J-C.) Rendre la justice, décider du sort d’un justiciable, d’un citoyen, doit être non pas un métier, mais un « sacerdoce » : serviteur du droit. C’est pourquoi lorsqu’ un juge au-delà de ses privilèges et malgré eux, cause un trouble manifeste par les décisions qu’il rend, doit voir sa responsabilité personnelle engagée et doit être sanctionné à la hauteur de la faute commise.
Ne nous a-t-on pas appris que l’on prêche par les actes, cela sous-entend par l’exemple. Il est inconcevable que le magistrat sanctionne la corruption, la malhonnêteté et que lui-même soit à l’abri lorsqu’il est corrompu par une partie ou par l’Etat. C’est pourquoi, le juge ne doit plus bénéficier d’aucun privilège de juridiction ni d’aucune immunité en cas de corruption flagrante ou d’abus d’autorité ou de prise d’intérêt dans un procès. Le cas échéant, il faut engager sa responsabilité au pénal.
Ces infractions constituent une violation à la règle déontologique et à la dignité du magistrat. Ce qui est incongru que le magistrat soit la seule personne à n’être responsable de rien dans ce Sénégal, alors qu’il est un « fonctionnaire », là où le Président élu par le peuple ou un Député élu par le peuple, peuvent être poursuivis pénalement. C’est totalement aberrant !
Septième réforme : Revoir ou réviser tous les codes
En effet, le code pénal date de 1965 (Loi n°65-60 du 21 juillet 1965), le code de procédure pénale (Loi n°65-61 du 21 juillet 1965) etc… En effet il fait revoir le Code de la famille, le COCC dont on ne voit plus la pertinence, le code de procédure civile…
Il est urgent pour une meilleure harmonisation des textes, de réactualiser les codes et de les adapter à notre réalité sénégalaise et non aux réalités françaises. Revoir les lois pour éviter les contrariétés de textes préjudiciables aux citoyens.
Huitième réforme : Création de crimes spéciaux et de Chambres criminelles et Chambres criminelles d’appel pour juger lesdits crimes
Il faut en sus mettre en place non pas un pôle financier, mais un code de crimes spéciaux, avec une Chambre criminelle et une Chambre d’appel criminelle, chargées de juger ces crimes spéciaux. Il faut un code des crimes de droit commun et un code des crimes spéciaux.
Comme crimes spéciaux, il faut viser les crimes économiques comme DDP, Corruption de fonctionnaires…), financiers (prise d’intérêt dans les marchés publics et les marchés de gré-à-gré, fonciers (spoliation et bradage de terrains, vent illégale de terrain appartenant à autrui, du domaine national, du domaine privé de l’Etat, de modification de plan cadastral pour dépossession de propriété…), dans un dossier judiciaire par un magistrat. Faire en sorte que ces crimes dits spéciaux, soient imprescriptibles. Ce qui conduira à la reddition des comptes et à la naissance d’une nouvelle mentalité : servir et non se servir.
Ces crimes doivent être poursuivis, quelle que soit la date de commission à compter de la date de leur découverte. Il faudrait pour ces crimes, qu’aucune immunité ne puisse être opposable pour leur poursuite. Quel que soit le moment, quelle que soit la fonction, quel que soit le degré de pouvoir, la personne pourra être poursuivie par cette juridiction, à l’exception de toute autre, notamment la Haute Cour de Justice (Président de la République). Nul ne pourra invoquer une quelconque immunité ou privilège de juridiction, pour les crimes spéciaux (économiques, financiers et fonciers).
Neuvième réforme : la rupture de la primauté du magistrat du parquet sur le juge d’instruction
Il faut réviser les articles 25, 28 et 139 CPP, pour rompre le lien Ministre -Parquet d’une part et rompre la subordination Parquet-Juge d’instruction, qui oblige ce dernier à placer sous mandat de dépôt quand le premier le requiert, sans pourvoir d’appréciation.
Conclusion
Cette réflexion ne se veut pas et ne se prétend pas exhaustive. C’est juste une ébauche qu’il faudra parfaire par la réflexion et par les contributions de tout un chacun. Car je ne parle pas de l’égalité des armes entre le parquet et les avocats dans l’exploitation des pièces du dossier, où généralement, ce n’est qu’à l’audience que le parquet dévoile ses armes au grand dam des avocats et des prévenus.
Il a été bon de faire les assises de la Justice, car la Bible dit au livre aux Romains, « ce n’est pas pour leurs bonnes actions, mais pour leurs mauvaises actions que les magistrats sont à redouter. Le magistrat est serviteur de Dieu pour ton bien. Mais si tu fais le mal, crains ; car ce n'est pas en vain qu'il porte l'épée, étant serviteur de Dieu pour exercer la vengeance et punir celui qui fait le mal (Romains 13, 1-4) ».
Il est donc nécessaire d'être soumis, non seulement par crainte de la punition, mais encore par motif de conscience. Si nous devons nous soumettre à l’autorité judiciaire, encore faudrait-il que cela soit fait avec la conscience que cette autorité fait bien et, est au-dessus de toute iniquité. Nous voulons des juges à l’image de Salomon, remplis de sagesse et d’amour. Le magistrat est un serviteur de Dieu ou un ministre de Dieu, entièrement appliqué à cette fonction, un sacerdoce divin. En effet, le magistrat a une autorité, celle de juger ses semblables, mais une autorité de service.
Henri Valentin B. Gomis, Avocat à la cour
1er Secrétaire de Conférence
Maîtrise en Droit Public option Relations Internationales
Master II en Droits de l’Homme
Master II en Droit et Gestion Maritime
Master II en Management de l’Energie et des Ressources Pétrolières