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Rien ne justifie l'outing, mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas analyser les liens entre politique et sexualité

Rédigé par leral.net le Mercredi 17 Décembre 2014 à 12:46 | | 0 commentaire(s)|

Le traitement des questions qui joignent l’intime et le politique est délicat, mais peut éclairer les stratégies au sein des partis –dans le respect de la vie privée des élus.


Rien ne justifie l'outing, mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas analyser les liens entre politique et sexualité

En 36 heures, trois informations se sont télescopées à propos des gays et de la droitisation: la condamnation d’Eva Joly pour diffamation à l’encontre de Christian Vanneste, le ralliement au Front national de Sébastien Chenu, ex-cadre gay de l’UMP, et la publication par Closer de photographies de Florian Philippot avec son compagnon. Il s’agit, certes, d’un hasard. Mais les hasards peuvent être significatifs.

Polémique du «lobby gay»

Précisons-le d’emblée, pour être tout à fait clairs: nous ne sommes pas totalement disjoints de cette affaire. Avec Joseph Beauregard, nous avions publié fin 2012 un ouvrage qui, dans son dernier chapitre, s’intéressait à la place prise par les homosexuels au sein du FN ces dernières années. En janvier 2013, l’hebdomadaire d’extrême droite Minute s’en était saisi pour faire un dossier et une couverture  sur «le lobby gay» au sein du FN, enclenchant une polémique publique et la dénonciation du titre par Marine Le Pen.

Le traitement des questions qui joignent l’intime et le politique est délicat. Avec Joseph Beauregard, nous avions estimé que l’on ne pouvait faire l’impasse sur une question qui agitait le parti. Néanmoins, nous avions choisi de ne citer aucun nom de ces responsables frontistes gays, en privilégiant l’analyse des tensions internes –nous expliquions ainsi que le départ du cadre historique Roger Holeindre s’expliquait par son refus de voir des cadres gays au sein de la direction du FN. Nous traitions d’une question politique, non de l’intimité des personnes.

Ce qui est intéressant dans la proportion des gays au sein du FN, c’est que, contrairement aux clichés, elle ne signifie pas une opposition entre anciens et modernes. Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen ne sont pas homophobes. Nombre de cadres frontistes qui s’agaçaient de ce qu’ils percevaient comme un «lobby gay» au FN ne le faisaient pas pour des raisons de jugement moral quant à la sexualité, mais parce qu’ils estimaient que se constituaient des réseaux communautaires au sein d’un parti dénonçant les communautarismes et considéraient qu’une tentative d’accaparement de sa présidente était en cours.

 

 
 

Au niveau des militants «de base», la présence gay était intéressante à noter vis-à-vis des mutations de la société française (cette question a également été analysée  par le sociologue Sylvain Crépon). Ces militants font leur marché idéologique, estimant qu’ils n’ont pas à adopter certains points de vue présents à l’extrême droite. Ils sont motivés par la représentation d’une hostilité entre gays européens et populations originaires des mondes arabo-musulmans. Le lien entre leur orientation sexuelle et leur choix politique a été souligné dans une formule du politiste Gaël Brustier«l’hédonisme sécuritaire».

Gays et marché politique

Il y a donc de vraies problématiques. Aucune ne légitime l’outing. Le journaliste politique David Doucet a fait remarquer  à raison que des cadres gays du FN ont été diverses fois victimes d’un outing par des personnalités de la «gauche morale». Le procédé est indéfendable, et l’expérience prouve qu’il est sans incidence électorale.

A dire vrai, le seul élément qui ait un quelconque sens dans la livraison de Closer tient de la mise au jour de la réalité sociologique du vice-président du FN: en couple avec un homme de média, énarque, ayant un frère très bien placé dans l’univers politico-médiatique, il est fort ressemblant à ceux qu’il admoneste en les qualifiant de membres de «la caste». Cela souligne qu’il est un élément de la technostructure se positionnant dans le cadre du renouvellement des élites auquel semble aspirer une part essentielle de nos concitoyens, et que le FN espère réussir à son bénéfice. Peut-être certains lecteurs qui auront appris à cette occasion l’homosexualité de l’eurodéputé se diront que le traitement de complaisance médiatique dont il a tant bénéficié s’explique aussi par cela: pour certains journalistes, un énarque gay ne pouvait pas être un cadre d’extrême droite…

C’est aussi là que le lien entre sexualité et politique redevient intéressant. De nombreux articles ont été consacrés au ralliement de Sébastien Chenu au FN: or, ce dernier est également un produit de la technostructure, par ailleurs proche des dirigeants de Bygmalion.  C’est dire si lui non plus ne représente pas une quelconque rupture quant à nos élites actuelles.

Lorsqu’il se lance à l’avant-scène, c’est pour occuper le segment gay de droite. Le groupe qu’il fonde à l’UMP a un nom parfaitement étudié pour servir de hashtag: GayLib. Segment sociologique défini, identité idéologique correspondante synthétisée en six  caractères: c’est là la quintessence de la présente génération politique.

Pour autant, il est bien évident que l’essentiel de l’opinion ne connaissait pas Sébastien Chenu il y a deux jours, mais son ralliement au FN est présenté comme un fait important, une nouvelle prise de Marine Le Pen, alors que rejoindre un parti en ascension n’a rien de transgressif, mais tout du positionnement intéressant en termes d’accession à des capitaux. La segmentation identitaire permet une transaction sur le marché politique: marqueur sociétal contre capital social.

Confusions

Toutefois, dans ce jeu de rôles permanent des buzz destinés à des segments commerciaux et/ou électoraux, chacun fait semblant de parler de morale. Nous voici au cas Eva Joly. Elle a été condamnée pour diffamation, ayant fustigé le négationnisme qu’elle prêtait à Christian Vanneste car celui-ci avait évoqué «la légende de la déportation des homosexuels». Il s’avère que Vichy n’était pas le IIIe Reich et qu’il est historiquement effectivement inexact que Vichy ait organisé des déportations d’homosexuels, et donc juridiquement exact que les propos d’Eva Joly constituent une diffamation.

Pour autant, sur des bases aussi claires en termes historiques et juridiques, chacun a pu constater quel chaos de commentaires déferle sur ces questions. J’ai le souvenir personnel d’avoir entendu feu Georges Frêche tenir un grand discours quant aux mémoires à honorer à propos des internés au camp de Rivesaltes. Parlant de la concentration des juifs, des républicains espagnols et des Gitans, il passa à celle des homosexuels et s’époumona, avec le lyrisme qu’on lui connaissait, sur la nécessité qu’enfin les tabous soient brisés et que les pouvoirs publics rendent hommage à ces hommes et femmes. Au milieu de politiques et journalistes très enthousiastes quant à ce «tabou brisé» et ce «courage d’en parler», je me sentis un peu ennuyé: ayant effectué les recherches historiques et statistiques sur les catégories susdites dans ce camp, je me demandais si quelqu’un voulait bien se rendre compte que nulle catégorie d’internés pour homosexualité n’y avait jamais existé...

Cette anecdote personnelle me paraît souligner l’effarante confusion où nous sommes. Quand l’espace public se mêle de l’intimité dans une société libérale comme la nôtre, c’est au détriment de l’éthique. La société de la transparence et des identités segmentées au détriment des individus concernés constitue une régression démocratique et une faute envers l’humanisme. Elle prétend défendre ce dernier, mais en fait défend la concentration de capitaux sociaux.