Le débat sur le statut spécial de Touba s’intensifie. La tournure qu’il prend ainsi que les convictions qui sous-tendent les différentes interventions doivent faire l’objet de la plus grande attention auprès des autorités politiques. Le président de la République s’est engagé, lors du Conseil des ministres décentralisé du 15 juin 2012 à Kaolack1 à accorder un statut spécial à Touba. Un engagement passé presque inaperçu. Pourtant, il ne devrait pas car étant d’une profonde gravité au regard des multiples implications qui peuvent en découler et du problème de stabilité, d’équilibre et de justice sociale qu’il pose. Considérant le temps qui le sépare de la date de prise de fonction du Président, un tel engagement est à la limite de la précipitation. Et tout porte à croire à un favoritisme au bénéfice de la puissante Touba, à du clientélisme pour entrer dans les bonnes grâces du khalife. J’ai presque envie de croire que le Président, devant ce dernier, lisait un texte résultant de la plume d’un proche conseiller et qu’il n’aurait pas eu, personnellement, tout le temps et tout le recul pour considérer toutes les dimensions que peut avoir son engagement sur une question aussi sensible. Et Touba attend. Abdoul Aziz Mbacké Majalis, jeune marabout et brillant intellectuel, à la fin d’une contribution fouillée, le lui rappelle en ces termes : « La forfaiture méritant le plus d’être dénoncée et qui serait de loin plus grave serait le reniement de la parole et de l'engagement solennel du chef de cet État lui-même, Macky Sall, qui a officiellement promis, devant le Khalife des mourides, d'accorder un statut spécial formel à la ville de Touba (qui ne pourra se faire qu’à travers une loi organique). »3 défendue par une argumentation soutenue. Mais la vraie question n’est la faisabilité dans une parfaite symbiose avec nos institutions. Elle est plutôt dans le traitement partial d’une question globale pouvant introduire un précédent qui ne rend aucun service au pays. Il est évident que « diversité ne signifie nullement dissidence », mais une diversité mal gérée peut conduire à la dissidence. Lui enjambant le pas plus récemment, l’ancien premier ministre Idrissa Seck apostrophe le Président en disant : « C’est le Président de la République qui, à deux reprises, s’est formellement engagé à l’occasion d’un Magal de Touba et à l’occasion d’un Conseil des puis devant le Khalife général des mourides le 22 décembre 20122 http://www.seneweb.com/news/Economie/conseil-des-ministres-decentralise-macky-sall-annonce-un-statut- special-pour-touba_n_69507.html http://www.youtube.com/watch?v=X15WcA5GknQ http://majalis.seneweb.com/la-republique-face-au-statut-special-de-touba-macky-doit-respecter-son- engagement-par-a-aziz-mbacke-majalis_b_19.html ministres à accorder à Touba un statut spécial… mais il s'est assis dessus… Les gens sont en droit d’imaginer qu’un président de la République doit honorer sa parole et ses engagements, mais ce qui a été fait a été fait. Donc, il ne faut pas négliger cette question et j’attends qu’il se prononce sur la question mais en tout état de cause la volonté du marabout doit primer sur tout »4 Thiès devrait le lui interdire. Je ne m’attendais pas à une telle attitude de sa part surtout, il faut le reconnaitre, qu’il a soulevé depuis son récent retour au pays des questions d’une rare pertinence à tel point de nous faire croire qu’une opposition sérieuse commençait à naître. Parce qu’une vraie opposition pousse le pouvoir dans ses derniers retranchements et l’oblige à donner le meilleur de lui-même. Donc l’opposant qui s’oppose par la force des idées et des propositions est aussi respectable que le Président qui se donne entièrement pour tirer son peuple vers le haut. Cet opposant rend donc service à la nation et doit être traité avec déférence quelles que soient ses positions et ses idées discordantes. Mais pousser trop le bouchon de l’opposition amène à se tromper de combat. C’est le cas sur cette question. En tout état de cause, il s’agit de deux interventions de brillants cerveaux, deux positions des plus argumentées et des plus incitatives sur la question : l’un partisan, l’autre clientéliste pour sommer le Président de passer à l’acte en lui rappelant la parole donnée. Passer outre serait assimilable à du « wax waxeet » qui nous rappelle des souvenirs que d’aucuns regretteront sans nul doute. Et quel homme politique actuel oserait déplaire au calife des mourides ! Mais l’enjeu est-il de gouverner le Sénégal, tout le Sénégal, ou de chercher à plaire à de puissantes communautés au risque de compromissions coupables ? Pour notre part nous affirmons que le Président, de tout son magistère, ne saurait commettre une erreur plus fatale que celle de la précipitation à promulguer une loi sur cette question. Mieux, celle-ci est d’une gravité telle qu’en reconsidérer son engagement ou en revoir la forme ne serait aucunement un « déni de la parole donnée », car une raison supérieure le justifierait. Le président a tout le temps sur cette question. Il a le temps de l’histoire et la sérénité du recul pour bâtir l’avenir. Touba bénéficiant de fait d’un statut quasi spécial, que peut lui apporter son officialisation ? Dans quoi engage-t-on le pays en formalisant un statut spécial à Touba en laissant en rade les autres foyers religieux? Quel argument de légitimité pourrait-on brandir devant les fidèles ou les califes des autres foyers religieux qui en souhaiteraient de même pour leur « ville sainte » ? A-t-on médité sur les possibles rivalités, frustrations ou réclamations susceptible de naitre d’un traitement partiel ? A-t-on médité sur les conflits entre confréries au 18ème voire 20ème grande culture des cheikhs, et ayant abouti à la cohérence d’ensemble et quasi unique dans notre pays. La spécificité confrérique au Sénégal de la même manière qu’elle est source de stabilité peut être cause de division mortelle. L’approche ne peut être que global de conférer des statuts spéciaux. http://www.leral.net/Audio-Probleme-du-statut-special-de-Touba-Idy-charge-tout-haut-Macky-a- Touba_a114392.html . Position populiste et clientéliste ! La culture religieuse et politique du maire de siècle, sur la façon harmonieuse de les gérer découlant de la foi et de la Touba n’est pas la seule exception à laquelle il conviendrait un statut spécial. Car, ce que peut légitimement réclamer Touba, Tivaouane le peut aussi. Et il en est de même pour Médina Gounasse, Médina Baye Niasse, Yoff et Cambérène, Ndiassane, Halwaar, Dimat, Ganguel, etc. L’argument du titre foncier ne suffit pas parce que la question est d’abord d’essence religieuse et communautaire. Donc poser le problème en termes de statut spécial de Touba serait faire fausse route ou preuve d’attitude partisane, de communautarisme, de populisme ou encore de clientélisme politique. Et pour cause ! La vraie question, s’il en est réellement besoin, est celle du statut spécial des tous les foyers religieux et de leurs représentants officiels. Le Sénégal ne peut se permettre de poser et de résoudre uniquement le cas spécifique de Touba. La question doit être envisagée dans sa globalité et, seulement après, envisager de faire ou de ne pas faire. C’est uniquement en posant la question dans cette perspective que l’on se rend compte de toute sa profondeur, de sa complexité et de toute la gravité de le traiter sous la dictature de l’urgence, de l’incitation partisane ou du délit de la légèreté. Un travail de profonde érudition doit être le préalable à toute décision et seulement après envisager la question sous l’angle de la faisabilité technique parce que, relativement à la sensibilité confrérique, elle est une question d’avenir pour le Sénégal et ne saurait par conséquent être traitée sous la dictature des préoccupations politiques du moment ou des incitations partisanes ou encore populistes. En vérité, en lieu et place de s’engager le Président ne devrait même pas entamer une réflexion sur la question sans avoir requis au préalable des avis documentés et argumentés de nos plus grands spécialistes sur les études confrériques en l’occurrence le Pr. Elhadj Rawane Mbaye et le Pr Khadim Mbacké entre autres. Ce travail d’érudition doit être également requis chez des historiens comme le Pr. Mamadou Diouf et le Pr. Iba Der Thiam, des philosophes comme Pr. Souleymane Bachir Diagne et Ousseynou Kane, des économistes comme le doyen Amady Aly Dieng et le jeune Felwine Sarr, des sociologues comme Pr. Malick Ndiaye et Boubacar Ly, des juristes comme le Pr Ibrahima Fall et Masser Diallo, des intellectuels comme Boubacar Boris Diop et l’Ambassadeur Babacar Samb pour ne citer que ceux-là. Je ne suis pas dans le secret du Président ou de ses conseillers. Tant mieux si une telle perspective est déjà envisagée. J’en formule le vœu et la prière. De tels avis auraient dû précéder tout engagement du Président. Et mieux vaut tard que jamais. Ils renseignent avec hauteur et distance sur les différents aspects de la question. Le président ne peut pas s’en passer. Et c’est seulement après qu’il peut personnellement se faire une opinion éclairée et décider de la voie où il engage le pays. Il n’a aucun droit de nous engager dans une voie sans issue. C’est aussi cela une démarche de rupture loin de toute volonté d’instrumentaliser les confréries et leurs adeptes, de toute attitude de politique politicienne où l’immédiat est privilégié sur l’avenir. La république tiendrait-elle face à une pluralité de statuts spéciaux ? Rien n’est moins sûr. Les statuts spéciaux de collectivités à vocation religieuse n’ouvriraient-ils la voie aux velléités de statuts spéciaux à vocation régionale ? Tout porte à le croire. Quelle cohérence pour préserver l’intégrité et la primauté de la République le cas échéant ? Quel contenu donner à chaque collectivité à statut spécial? Auquel cas comment réussir à maintenir l’unité dans la diversité ? Est-ce vraiment là la priorité dans notre pays tant au plan religieux, économique et social ? Peut-on traiter toutes ces questions dans l’urgence ? Un second mandat en vaut-il la peine ? Cinq années suffisent largement pour marquer l’histoire pourvue que les bonnes décisions soient prises au bon moment. Que vaut dix ans dans le temps d’un pays, dans le temps de l’histoire ? Encore une fois et nous le réitérons, le Président doit prendre son temps sur la question du statut spécial de Touba. Son engagement ne l’engage pas à agir dans l’urgence. Y renoncer pour l’avenir ne serait pas du « wax waxeet ». Aucune volonté que celle de la nécessité de construire un avenir pour le peuple et pour le pays ne doit primer sur tout. Et cette nécessité répond à la volonté de Dieu si besoin est de l’invoquer dans ce contexte. Le Président de le République est élu par le peuple et pour le peuple. La forfaiture et la trahison seraient d’engager ce peuple dans une voie ne prenant en compte que ses préoccupations du moment. Plaire pour être réélu. Traiter toutes les communautés avec égalité et équilibre ne peut aucunement affaiblir le Président qui se dit de la rupture et issu du 23 juin. Ma conviction est que son vrai second mandat ne passera pas par les compromissions coupables. Moralité du 23 juin. Il doit céder ni à la peur, ni à la terreur. Rester à l’écoute du peuple et des défis de l’émergence, se mobiliser pour y faire face est le meilleur moyen de conforter la confiance du peuple. Saliou DRAME saliou.drame@gmail.com Chef d’entreprise/Chercheur Auteur du livre ‘’Le musulman sénégalais face à l’appartenance confrérique’’, Paris, L’Harmattan, 2011.
STATUT SPECIAL DE TOUBA L’engagement du Président en questionRédigé par leral.net le Samedi 31 Mai 2014 à 07:48 commentaire(s)|
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