El Hadj Alioune Moussa Samb, Imam Ratib et Cadi de Dakar
« Le vrai perdant est celui qui a perdu sa vie l’ayant passé dans les distractions inutiles, jeux, palabres et controverses interminables dans les assemblées où l’on rit et discute toujours sans profit religieux. »
Feu Serigne Same Mbaye, Grand Maître Soufi
En ce début de mois d’abstinence, de prière et de méditation, je voudrais partager avec les musulmans et tous les citoyens de ce pays, en guise de « suukeru koor », cette humble réflexion sur la vie de l’homme sur terre. À vrai dire, il s’agit d’un simple rappel, d’une vérité que tout le monde connait et que chacun a eu à expérimenter, mais que l’on a tendance à oublier, emportés que nous sommes par le traintrain, les plaisirs des jeux et les bruits de ceux-là « qui doivent se taire », comme le dit l’Imam Ratib de Dakar. Et pourtant, rappelle le Coran, « La rivalité mutuelle (pour la conquête des biens de ce monde) vous distrait jusqu’à ce que vous descendiez dans les tombeaux ». Puis cet enseignement : « La vie d’ici bas n’est qu’une jouissance trompeuse ». Enfin cette injonction : « Rivalisez dans l’accomplissement des bonnes actions »
Mon père disait que la vie de l’homme sur terre est une route qui dure une journée ; une journée pour gagner l’éternité ou bien perdre, dans les cavernes obscures et profondes de la géhenne, ce qui fait la dignité humaine. Elle peut être droite ou tortueuse, « la route-vie », large ou sinueuse, mais elle est toujours éphémère. Il disait aussi que vivre, pour l’homme, c’est la parcourir, c’est faire l’expérience des « jouets » qu’elle offre à ses différentes stations que sont l’enfance, l’adolescence, la jeunesse, l’âge adulte, la vieillesse… Sans oublier les stations intermédiaires. La droiture, la tortuosité, la largesse ou la sinuosité changeante de la « route-vie », disait encore mon père, dépendent du choix des « jouets », du « jeu » ainsi que du sens, de la cadence et de la forme de notre cheminement.
Aussi la vie offre- t- elle, en guise de « jouets », des appétits, des faims, des soifs et des satisfactions ; des occasions d’amitié, d’amour, de haine et d’indifférence ; des séparations et des retrouvailles ; des guerres et des réconciliations ; des sourires, des rires et des pleures. Elle offre la voie lactée et le silence des étoiles ; des mers à traverser, des montagnes à escalader et des fleurs à cueillir, à perdre ou à retrouver ; des déserts à vaincre et des oasis à conquérir. Elle offre des émotions, des extases et des folies ; des poèmes à composer ou à chanter, des danses à danser et des larmes à pleurer. Elle offre des énigmes …
Tout commence dans le sein maternel, « une triple obscurité », enseigne le Coran. Puis, « lorsque l’enfant parait »1, débute l’enfance, l’aube de la vie, la genèse avec ses couleurs, ses saveurs et ses fraicheurs. C’est l’heure magique où le soleil se lève, où la nuit se retire et où la nature se réveille et soupire.
Ensuite, vient l’adolescence, le petit matin et ses ivresses. L’air pur. La respiration facile. Une lumière toute neuve qui inonde le monde. L’on éprouve des envies : envie de faire comme font les adultes, de braver les interdits, de défier l’autorité. Envie d’essayer…
Après, c’est la jeunesse, l’heure ensoleillée où le monde sourit, où les envies deviennent des appétits dévorantes et où l’on rêve de « Midi au mille rayons dansants », comme dit un personnage de « Yaay Kan ? ». C’est « yoor-yoor »2, c’est « ndjolor »3, heures interdites où toutes les portes sont entrouvertes et où retentissent les chants des sirènes et les complaintes des amantes et où, entre autres, la route offre un tam tam qui invite au rythme et à la danse.
Une alternative s’offre à la personne qui atteint cette station bien aimée.
Premier terme de l’alternative : répondre positivement à l’invitation. C'est-à-dire, s’arrêter quelques temps, se détendre, battre le tam tam, danser et se réjouir. Puis poursuivre son chemin. Hélas, il y a des hommes qui ambitionnent de faire d’une station leur demeure. D’avoir goutté au plaisir du tam tam et de la danse, ils veulent en vivre, insatiables tels des junkies. Ainsi refusent-ils d’avancer, de poursuivre leur chemin. C’est pourquoi, le fruit pourrira dans leurs mains. Ce qui a fait leur grandeur fera leur déchéance. Ce qui a fait leur beauté fera leur laideur. La vie les expulsera de cette halte qu’ils squattent et qu’ils quitteront en rampant, semblables à des vers de terre.
Deuxième terme de l’alternative : répondre négativement à l’invitation du tam tam. En effet, il y a des hommes qui, dotés d’une qualité de vie intérieure supérieure à la moyenne et préoccupés par leur rêve (au sens noble du terme, s’entend) dédaignent le tam tam et la danse. Ils passent leur chemin sans s’arrêter, sans regarder en arrière, les yeux fixés sur leur étoile. Hélas, il y a parmi eux des imposteurs qui, bien après, bien trop tard souvent regrettent de n’avoir pas joué le tam tam et dansé. Ils regardent envieusement les « batteur-danseurs », et rebroussent chemin pour aller leur disputer la place. Ainsi voguent ils, tels des navires fous, en contre courant de la vie. Leur laideur égale celle des Albatros de Baudelaire, « ces rois de l’azur » qui « déposés sur les planches (…) maladroits et honteux, laissent piteusement leurs grandes ailes blanches comme des avirons trainer à coté d’eux. »
Après la jeunesse, l’âge adulte, la station de la pleine responsabilité. La balance est en équilibre. Le soleil décline à peine, et s’enclenche le compte à rebours. Tout est encore possible. Car, les intelligents le savent, il reste un après midi entier pour le labeur, le repentir, l’amour du beau et du bien, et la prière. Malheureusement, comme disait Serigne Same M’baye, « L’homme blanchit et deux grands défauts blanchissent avec lui : le désir ardent (des biens de ce bas monde) et les projets lointains, (c’est-à-dire les rêves grandioses). » L’imam Ratib de Dakar, d’affirmer : « Le changement des comportements n’est pas chose aisée. Il faut pour le réaliser, de la sincérité. Il faut de la volonté. Il faut surtout revenir à Dieu.» Et Jacques Brel de chanter, avec raison : « Plus ils sont vieux, plus ils sont bêtes »
En dernier, vient la vieillesse et ses lassitudes, « marax »4, le crépuscule qui, comme pour suggérer ses richesses aux âmes avisées, habille d’or et de pourpre le monde. Le soleil prépare sa couchette. Les oiseaux rentrent. La nuit arrive à grand pas. On mesure le chemin parcouru. On éprouve des regrets et des nostalgies. Les signaux de la séparation clignotent. « J’arrive ! »5, chuchote à nos oreilles, l’ange de la mort, « j’arrive ! ». L’on se souvient alors de Dieu qui va solder les comptes.
Encore un peu et s’ouvre la tombe, un autre commencement, où peut être un recommencement. Survient l’heure du jugement. Et les aveugles recouvrent la vue, et les sourd entendent,… C’est là « qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents », enseigne l’Evangile. Le Coran de confirmer : « Ce jour là celui qui a fait le poids d’un atome de bien, le verra. Celui qui a fait le poids d’un atome de mal, le verra. »
ABDOU KHADRE GAYE
Ecrivain/ Président de l’EMAD
Tel : 33 842 67 36
Mail : emad_association@yahoo.fr
1/ C’est le titre d’un poème de Victor Hugo
2/ Espace de temps entre 10 et 11 heure
3/ Espace de temps entre 12 et 14 heure
4/ Heure de couché du soleil
5/C’est le titre d’une chanson de Jacques Brel
« Le vrai perdant est celui qui a perdu sa vie l’ayant passé dans les distractions inutiles, jeux, palabres et controverses interminables dans les assemblées où l’on rit et discute toujours sans profit religieux. »
Feu Serigne Same Mbaye, Grand Maître Soufi
En ce début de mois d’abstinence, de prière et de méditation, je voudrais partager avec les musulmans et tous les citoyens de ce pays, en guise de « suukeru koor », cette humble réflexion sur la vie de l’homme sur terre. À vrai dire, il s’agit d’un simple rappel, d’une vérité que tout le monde connait et que chacun a eu à expérimenter, mais que l’on a tendance à oublier, emportés que nous sommes par le traintrain, les plaisirs des jeux et les bruits de ceux-là « qui doivent se taire », comme le dit l’Imam Ratib de Dakar. Et pourtant, rappelle le Coran, « La rivalité mutuelle (pour la conquête des biens de ce monde) vous distrait jusqu’à ce que vous descendiez dans les tombeaux ». Puis cet enseignement : « La vie d’ici bas n’est qu’une jouissance trompeuse ». Enfin cette injonction : « Rivalisez dans l’accomplissement des bonnes actions »
Mon père disait que la vie de l’homme sur terre est une route qui dure une journée ; une journée pour gagner l’éternité ou bien perdre, dans les cavernes obscures et profondes de la géhenne, ce qui fait la dignité humaine. Elle peut être droite ou tortueuse, « la route-vie », large ou sinueuse, mais elle est toujours éphémère. Il disait aussi que vivre, pour l’homme, c’est la parcourir, c’est faire l’expérience des « jouets » qu’elle offre à ses différentes stations que sont l’enfance, l’adolescence, la jeunesse, l’âge adulte, la vieillesse… Sans oublier les stations intermédiaires. La droiture, la tortuosité, la largesse ou la sinuosité changeante de la « route-vie », disait encore mon père, dépendent du choix des « jouets », du « jeu » ainsi que du sens, de la cadence et de la forme de notre cheminement.
Aussi la vie offre- t- elle, en guise de « jouets », des appétits, des faims, des soifs et des satisfactions ; des occasions d’amitié, d’amour, de haine et d’indifférence ; des séparations et des retrouvailles ; des guerres et des réconciliations ; des sourires, des rires et des pleures. Elle offre la voie lactée et le silence des étoiles ; des mers à traverser, des montagnes à escalader et des fleurs à cueillir, à perdre ou à retrouver ; des déserts à vaincre et des oasis à conquérir. Elle offre des émotions, des extases et des folies ; des poèmes à composer ou à chanter, des danses à danser et des larmes à pleurer. Elle offre des énigmes …
Tout commence dans le sein maternel, « une triple obscurité », enseigne le Coran. Puis, « lorsque l’enfant parait »1, débute l’enfance, l’aube de la vie, la genèse avec ses couleurs, ses saveurs et ses fraicheurs. C’est l’heure magique où le soleil se lève, où la nuit se retire et où la nature se réveille et soupire.
Ensuite, vient l’adolescence, le petit matin et ses ivresses. L’air pur. La respiration facile. Une lumière toute neuve qui inonde le monde. L’on éprouve des envies : envie de faire comme font les adultes, de braver les interdits, de défier l’autorité. Envie d’essayer…
Après, c’est la jeunesse, l’heure ensoleillée où le monde sourit, où les envies deviennent des appétits dévorantes et où l’on rêve de « Midi au mille rayons dansants », comme dit un personnage de « Yaay Kan ? ». C’est « yoor-yoor »2, c’est « ndjolor »3, heures interdites où toutes les portes sont entrouvertes et où retentissent les chants des sirènes et les complaintes des amantes et où, entre autres, la route offre un tam tam qui invite au rythme et à la danse.
Une alternative s’offre à la personne qui atteint cette station bien aimée.
Premier terme de l’alternative : répondre positivement à l’invitation. C'est-à-dire, s’arrêter quelques temps, se détendre, battre le tam tam, danser et se réjouir. Puis poursuivre son chemin. Hélas, il y a des hommes qui ambitionnent de faire d’une station leur demeure. D’avoir goutté au plaisir du tam tam et de la danse, ils veulent en vivre, insatiables tels des junkies. Ainsi refusent-ils d’avancer, de poursuivre leur chemin. C’est pourquoi, le fruit pourrira dans leurs mains. Ce qui a fait leur grandeur fera leur déchéance. Ce qui a fait leur beauté fera leur laideur. La vie les expulsera de cette halte qu’ils squattent et qu’ils quitteront en rampant, semblables à des vers de terre.
Deuxième terme de l’alternative : répondre négativement à l’invitation du tam tam. En effet, il y a des hommes qui, dotés d’une qualité de vie intérieure supérieure à la moyenne et préoccupés par leur rêve (au sens noble du terme, s’entend) dédaignent le tam tam et la danse. Ils passent leur chemin sans s’arrêter, sans regarder en arrière, les yeux fixés sur leur étoile. Hélas, il y a parmi eux des imposteurs qui, bien après, bien trop tard souvent regrettent de n’avoir pas joué le tam tam et dansé. Ils regardent envieusement les « batteur-danseurs », et rebroussent chemin pour aller leur disputer la place. Ainsi voguent ils, tels des navires fous, en contre courant de la vie. Leur laideur égale celle des Albatros de Baudelaire, « ces rois de l’azur » qui « déposés sur les planches (…) maladroits et honteux, laissent piteusement leurs grandes ailes blanches comme des avirons trainer à coté d’eux. »
Après la jeunesse, l’âge adulte, la station de la pleine responsabilité. La balance est en équilibre. Le soleil décline à peine, et s’enclenche le compte à rebours. Tout est encore possible. Car, les intelligents le savent, il reste un après midi entier pour le labeur, le repentir, l’amour du beau et du bien, et la prière. Malheureusement, comme disait Serigne Same M’baye, « L’homme blanchit et deux grands défauts blanchissent avec lui : le désir ardent (des biens de ce bas monde) et les projets lointains, (c’est-à-dire les rêves grandioses). » L’imam Ratib de Dakar, d’affirmer : « Le changement des comportements n’est pas chose aisée. Il faut pour le réaliser, de la sincérité. Il faut de la volonté. Il faut surtout revenir à Dieu.» Et Jacques Brel de chanter, avec raison : « Plus ils sont vieux, plus ils sont bêtes »
En dernier, vient la vieillesse et ses lassitudes, « marax »4, le crépuscule qui, comme pour suggérer ses richesses aux âmes avisées, habille d’or et de pourpre le monde. Le soleil prépare sa couchette. Les oiseaux rentrent. La nuit arrive à grand pas. On mesure le chemin parcouru. On éprouve des regrets et des nostalgies. Les signaux de la séparation clignotent. « J’arrive ! »5, chuchote à nos oreilles, l’ange de la mort, « j’arrive ! ». L’on se souvient alors de Dieu qui va solder les comptes.
Encore un peu et s’ouvre la tombe, un autre commencement, où peut être un recommencement. Survient l’heure du jugement. Et les aveugles recouvrent la vue, et les sourd entendent,… C’est là « qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents », enseigne l’Evangile. Le Coran de confirmer : « Ce jour là celui qui a fait le poids d’un atome de bien, le verra. Celui qui a fait le poids d’un atome de mal, le verra. »
ABDOU KHADRE GAYE
Ecrivain/ Président de l’EMAD
Tel : 33 842 67 36
Mail : emad_association@yahoo.fr
1/ C’est le titre d’un poème de Victor Hugo
2/ Espace de temps entre 10 et 11 heure
3/ Espace de temps entre 12 et 14 heure
4/ Heure de couché du soleil
5/C’est le titre d’une chanson de Jacques Brel