« J’ai reçu un coup de fil aux alentours de 10h du matin pour m’avertir de la mort de mon ami », raconte à Jeune Afrique l’un des proches de Mouhamadou Fallou Sène. Cet étudiant en licence de Lettres modernes a été mortellement blessé mardi par un tir des forces de l’ordre dans l’enceinte de l’université Gaston Berger, à Saint-Louis. Une mort tragique à l’origine d’un spectaculaire mouvement d’humeur des étudiants dans plusieurs universités du pays.
Quatre jours avant le drame, qui a soulevé dune vague d’indignation dans le pays, la Coordination des étudiants de Saint-Louis (CESL) avait décrété 48 h de « journées sans tickets » dans les restaurants universitaires du Crous.
Un moyen d’action récurrent pour dénoncer le retard dans le versement des bourses aux étudiants. « Celles-ci doivent être versées avant le 5 de chaque mois, explique une source au sein de l’université. C’était même une promesse du chef de l’État, lors d’une réunion il y a deux mois avec les représentants des étudiants. Mais les retards persistent. »
« Sécuriser les restaurants »
Face au statu quo, la CESL acte, le lundi 14 mai, une nouvelle mobilisation de 48 h. Dans la foulée, le recteur de l’université, Baydallaye Kane, publie une note pour dénoncer un mode d’action qui entraîne « un manque à gagner pour le Crous ». Surtout, le recteur informe « que les dispositions seront prises pour sécuriser les restaurants et permettre à ceux qui le souhaitent, d’y accéder ». En d’autres termes, d’y envoyer les forces de l’ordre.
« Nous ne sommes pas des brigands, s’indigne Alexandre Sambou, président de la CESL. Dans sa note, le recteur fait fi des difficultés des étudiants pour se nourrir et se loger. Or, l’État a un contrat moral avec nous. » Après une AG organisée en urgence, les étudiants décident de veiller toute la nuit sur le campus. Objectif : empêcher les forces de l’ordre d’y pénétrer.
« Il a commencé à perdre beaucoup de sang »
Aux alentours de 6 h du matin, trois pick-up et un camion de la gendarmerie font leur apparition aux abords de l’université Gaston-Berger. Rapidement, des échauffourées éclatent avec les étudiants.
D’après deux témoins – dont Alexandre Sambou -, qui affirment avoir assisté à la scène, l’un des gendarmes a dégainé son arme de service avant de faire feu en direction de Fallou Sène. « La balle l’a atteint à la cuisse droite et il a commencé à perdre beaucoup de sang, décrit Alexandre Sambou. Et je peux vous affirmer que le gendarme auteur du tir n’était pas, à ce moment précis, en danger. »
Le blessé est rapidement conduit au service médical du Crous. « La personne présente ce soir-là a refusé dans un premier temps de le prendre en charge, explique l’un des camarades de Fallou. Nous lui avons crié dessus, en lui disant que nous avions un blessé grave. Et il a finalement accepté de le laisser monter dans l’ambulance pour aller à l’hôpital. »
Quelques heures plus tard, ils apprendront que le jeune homme a succombé à ses blessures – décédé des suites « d’une hémorragie de grande abondance avec une arme à feu », selon le rapport d’autopsie consulté par le journal L’Observateur. Fallou Sène, qui venait de fêter ses 26 ans, la veille de sa mort, était jeune marié et père d’un enfant. Il a été enterré jeudi matin à Touba.
L’intervention des gendarmes était-elle légale ?
D’après la loi de 1994 relative aux franchises et libertés universitaires, le recteur doit « recueillir l’avis de l’assemblée de l’université » avant de demander le recours aux forces de l’ordre. « Cela n’a jamais été fait », assure Alexandre Sambou, lui-même membre de l’assemblée en tant que responsable de la Coordination étudiante.
Contacté par Jeune Afrique, le recteur de l’université s’est refusé à tout commentaire.