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Tragédies, comédies, conspirations et indignations sur scènes africaines

Dans la « Corrida », l’allégorie du chanteur français Francis Cabrel est un morceau d’anthologie de philosophie de la vie. La réflexion d’un être considéré comme un animal guidé par son seul instinct, à savoir le taureau, est digne d’un questionnement existentiel formulé par les plus intelligents d’entre nous : « Est-ce que ce monde est sérieux ». La foule, qui s’extasie devant la douleur de la bête (pas si bête que ça dans la chanson !), est comparable à ce monde qui se mue en spectateur de ses propres tragédies, comédies, conspirations et indignations.


Rédigé par leral.net le Lundi 22 Septembre 2008 à 05:34 | | 0 commentaire(s)|

Tragédies, comédies, conspirations et indignations sur scènes africaines
Ici, l’indignation est inversement proportionnelle au poids de l’auteur des maux. Plus il est fort, moins la colère sera vive. Elle n’échappe pas à cette règle, la douleur de plus de 1835 personnes qui ont fini dans cet Atlantique qu’ils ont simplement cherché à traverser en cette nuit de septembre 2002. Entendons-nous bien : le drame n’est pas un fait minime à jeter à la corbeille des accidents ordinaires dont le laxisme tout aussi ordinaire a le secret. Au contraire, dans la foule de commémorations, ne peut se perdre la responsabilité des acteurs. Devoir de rendre compte. L’introspection, expression très chic dans le voile du traumatisme, n’est pas une trouvaille de l’instant que l’on jettera très vite à la poubelle pour enfiler, à nouveau, le manteau sale de la permissivité. C’est une exigence impersonnelle et tout aussi sincère.

L’introspection ne s’arrête pas à l’apprenti de car rapide qui gambade sur le bitume au risque de rater le marchepied, du chauffeur qui prend 30 passagers là où il devait en accepter 25. « Le Joola » interpelle cette turbulente mémoire du Sénégal assez souvent oublieuse de la règle universelle qui voudrait que tout puisse arriver à tout le monde. Si les conditions, bonnes ou mauvaises, sont bien sûr réunies ! Il n’existe pas de peuple plus beau que la nécessaire discipline. Il n’existe pas de symbole plus authentique que la relation de cause à effet sur notre environnement, nos infrastructures, donc nos vies. La « volonté de Dieu » est un verrou à l’autocritique en ce qu’elle offre une porte dérobée à la mauvaise conscience d’un monde qui s’illusionne dangereusement sous le vernis de la foi. Le naufrage est aussi, il faut le dire, celui d’une communauté inapte à faire régner la paix au Sud du pays, à faire observer les règles de discipline et à offrir des voies de communications suffisamment sécurisées à des milliers de voyageurs. A ce titre, les morts sénégalais ne sont pas ordinaires, les disparus français non plus. Le Sénégal, pays de droit, a pris des mesures conservatoires. Il ne faut pas l’oublier. La justice française, émanation d’un pays des « lumières », est libre de situer les responsabilités. Il faut en convenir.

Voilà pour les principes qui, bien que lisses, se heurtent à une réalité assez souvent courbe voire laide. Dans cette réalité, ces principes ont du mal à s’imposer dans la pratique mondiale. La présente polémique a enflé plus du fait d’un soupçon de mépris que d’une initiative visant à traduire en justice des Sénégalais qui ont eu à assumer de hautes responsabilités au moment d’un désastre maritime. Sous ce rapport, le juge français n’est pas mieux vu que les élites africaines qu’une certaine opinion ravale au rang de commis d’administrations incompétentes et inconséquentes dans la prise en charge des questions sociales, sécuritaires, économiques, institutionnelles, etc. De là naît une crise de confiance. Les justiciables, par-dessus les frontières, n’ont pas foi en un droit international juste et applicable à tous. Ce sentiment est porté par un fort préjugé de partialité et d’objectivité sélective. La question de l’Arche de Zoé, naufrage moral sous le couvert d’une action humanitaire au Tchad, retentit encore de cette promesse supérieure d’aller « chercher les mis en cause où qu’ils soient ». Radovan Karadzic, ancien chef politique des Serbes, au début et à la fin du massacre de Srebrenica (plus 8000 musulmans tués), a été repéré par la présidence serbe, mais n’a été arrêté qu’en juillet dernier, histoire de ménager un équilibre géopolitique. Sa fausse identité (sous le nom de Dragan Dabic et une barbe), adoptée depuis 1996, n’a pas été une parade insurmontable. Beaucoup de zèle a été mis, auparavant, pour arrêter Charles Taylor, « criminel de guerre » exhibé à la face du « monde libre ».

Ce qui précède n’est pas une carte blanche donnée aux élites africaines pour agir selon leurs propres intérêts. Sous beaucoup d’aspects, Boubacar Boris Diop, intellectuel sénégalais de renommée, avait raison de nous dire, dans une interview publiée dans ces colonnes : « L’Afrique est malade de ses élites ». Ce continent sortait de la tragédie du Rwanda. Mais il en a gardé encore les blessures. Il garde encore les blessures d’une aphonie seulement brisée par les éclats d’indignations ayant accueilli le « Discours de Dakar » de Nicolas Sarkozy. Une réaction d’« éminents historiens » qui se sont rappelés leur devoir permanent d’écrire l’histoire de l’Afrique à la place de ces autres qui leur ont fait porter trois siècles de domination. Pour autant, Boris, dans son texte « passeur d’un racisme ordinaire », n’a pas donné acte au journaliste Stephen Smith de ses retentissantes « Négrologies » soutenues par des intellectuels. Avec Odile Tobner et François-Xavier Verschave, il a démonté, dans « Négrophobie », « piège » consistant à « convaincre le monde entier - y compris les Africains eux-mêmes - de l’innocence de l’Occident ».

Morceaux choisis : « la colonisation vaut mieux que l’analphabétisme », « les routes et ponts mieux que la brousse » et, comble du mépris, que la vie sur quelque arbre. Il faut se garder de tomber dans l’autre travers qui consiste à sublimer les tares des modes de gouvernance post-indépendance. Le « compliment hypocrite du maître » (David Diop, dans « le Renégat ») a inventé à ce continent un sergent devenu maréchal, Mobutu. Le monde, de Paris à Washington, lui a servi du « mon cher ami », dans les palaces les plus luxueux, avant de le déclarer « dictateur »... lorsque les bruits de bottes ont mis Kinshasa aux pieds de Kabila père. L’Empereur Bokassa, caricature des « africaneries » hideuses, a été le champion de démocrates déclarés par la magie de ses diamants scintillants et purificateurs. En Orient, Saddam Hussein, après avoir été une « digue » contre les vagues du « fondamentalisme » musulman dans la guerre contre l’Iran, a fini à la potence, quelques heures après les moutons sacrifiés pour la fête religieuse musulmane. L’accident cardiaque qui a emporté Eyadéma, alors qu’il voyageait à bord de son avion, a apporté, le même soir, une couronne peu glorieuse au disparu : autocrate. C’est vrai, en Afrique, certains dirigeants choisissent leur parcours personnel à la place de l’intérêt des peuples. Quitte à aller au chaos. Leur discours est celui de partage du pouvoir. Le Kenya par exemple. Le Zimbabwe ensuite. Chaos, morts puis... partage du pouvoir. Scénario classique de l’irresponsabilité politique. Qui paie les notes ? Les peuples ! Ce monde est-il moins sérieux que celui qui, en 2005, a consacré 1204 milliards de dollars à des dépenses militaires, soit douze fois le montant de l’aide publique au développement ? Les chiffres sont publiés dans le rapport de l’Institut international de Stockholm de la recherche sur la paix (Sipri). L’économie de la guerre, avec ses putschistes impunis et ses mercenaires célèbres, a enfoncé l’Angola dans le chaos et, paradoxalement, sur un matelas de ressources naturelles. Libéré de ses démons (on croise les doigts !), ce pays réalise le meilleur taux de croissance au monde en 2007, avec 23,4%. Plus de 2400 kilomètres de routes, 230 ponts, 233 postes de santé et 30.000 salles de classe ont été construits et 90.000 enseignants formés.

La Côte d’Ivoire a compris, elle qui a mis des pare-feu pour sceller la réconciliation qui, même précaire, vaut mieux que mille partitions d’une locomotive qui, à elle seule, pesait pas moins de 33% du Pib de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) avant la crise. En 2002, elle pointait au dernier rang en termes de performances économiques, derrière le Togo. C’est vrai, « l’Ivoirité » a été une gangrène au coeur du système institutionnel ivoirien. Mais, pourquoi donc ce haut responsable politique de cet Etat d’Afrique de l’Ouest, dans une confidence reprise par Jeune Afrique, confessait-il dormir sur ses deux oreilles depuis qu’un haut responsable d’un pays européen n’est plus au pouvoir ? Allons, l’irresponsabilité internationale ne peut être jugulée que par l’égalité de tous, sous toutes les latitudes, devant le droit international.

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