Mais papy Wade aura tout de même eu la délicatesse d’informer qui de droit de sa décision : bien sûr, le président tchadien, Idriss Itno, mais aussi le chef de l’Etat équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema, président en exercice de l’Union africaine, ainsi que Jean Ping, le président de la commission de l’UA. Dans la foulée, le ministre sénégalais de l’Intérieur, Maître Ousmane N’Gom, a signé le décret d’expulsion du « Pinochet » africain, rendant son renvoi des plus légaux.
Si les choses devaient rester en l’état, il n’y aurait plus qu’à conduire Hissène Habré, très officiellement, jusqu’à la passerelle du Jet dont le plan de vol est tout tracé, et à assister à son décollage pour enfin se dire que ce long feuilleton de l’affaire Hissène Habré s’achève ; du moins pour la partie sénégalaise de son décor. Et voici une épine que Gorgui aura réussi à enlever de son pied ; péniblement, peut-être, mais sans doute définitivement.
Car, à vrai dire, ils étaient peu nombreux, ceux qui osaient croire que le long exil doré de cet homme, réfugié au pays de la Teranga depuis sa chute en 1990, s’achèverait de la sorte.
C’est qu’il y a un hic à ce coup de tête de papy Wade. La quasi- concomitance des évènements conduit inexorablement à la conclusion que le Vieux donne dans la diversion ; alors que les Sénégalais lui jettent au visage un ras-le-bol dont ils ne décolèrent pas, Gorgui répond en renvoyant aux Tchadiens leur dictateur, jusque-là aux petits soins à Ouakam. Quel rapport, quel lien logique unit les deux faits ? On peine à le trouver. On le savait bien que Wade maîtrisait à la perfection le jeu de la pirouette habile, mais, il faut le reconnaître, ici, il fait du grand art : la prestidigitation politique. C’est que le lapin qu’il a décidé de sortir de son chapeau est en papier et tout cousu de fil blanc. Il risque de ne faire rire personne !
Car, enfin, ce n’est pas tant la décision de renvoi, mais plus le moment ainsi que la destination du renvoi qui causent problème. Déjà, en décembre 2010, le président sénégalais avertissait ainsi tout ceux qui voulaient l’entendre : le moment venu, il se « débarrasserait » de son hôte encombrant. On se rappelle tout l’imbroglio politico-judiciaire qui entoura cette affaire Habré et toutes les polémiques qui la caractérisèrent ; Hissène Habré, réfugié au Sénégal depuis son renversement en 1990, a régulièrement été la cible des familles des victimes de son règne de terreur sur le Tchad et qui dura de 1982 à sa chute.
Face à l’inflexibilité du Sénégal, ces dernières portèrent plainte en Belgique en vertu de la loi de compétence universelle. Toutes ces pressions produisirent leur effet : l’UA finit par donner mandat au Sénégal pour juger l’ancien dictateur « au nom de l’Afrique ». Wade, qui avait répondu tout d’abord que la loi sénégalaise ne l’y autorisait pas, fera la pirouette nécessaire pour accéder à la demande, mais souleva toutefois la question des contraintes financières indispensables : près d’une vingtaine de milliards de nos pauvres francs dévalués étaient jugés nécessaires ; mais malgré tout, le dossier tardait à être ficelé ; il y a un an, nouvelle passe d’armes entre la Cour de justice de l’UEMOA et les autorités sénégalaises ; et plus récemment, une UA agacée qui, à Malabo, enjoignait Gorgui de juger l’ancien dictateur ou de l’extrader « dans un autre pays ». On sentait venir donc le début de la fin du séjour sénégalais de Hissène Habré ; ce qu’on n’avait pas prévu, c’est que Gorgui, maintenant, renverrait l’ex-maître de N’Djamena chez lui.
Car, après tout, pour caricaturer, la chose se présente ainsi : les Sénégalais demandent la démission de Karim, et Gorgui leur propose de convoyer Hissène à N’Djamena. Il chercherait à botter en touche qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Sans compter que l’homme y est attendu de pied ferme : on l’y a déjà condamné à mort par contumace. Peut-on s’attendre à ce que les autorités en place au Tchad révisent le procès et réservent un sort plus clément à cet homme dont la seule ombre hante le sommeil de bien de familles qui se souviennent toujours ? Rien n’est moins certain.
Wade pense-t-il que les Sénégalais se satisferont de son coup de génie politico-judiciaire ? Si oui, il se peut qu’il se soit lourdement trompé. Car on ne voit pas comment les tempêtes provoquées par le projet du ticket présidentiel, qui gagnèrent les villes et les régions du pays de la Teranga, et des frustrations provoquées par les délestages intempestifs de la Sénélec s’estomperont brusquement, un peu comme par magie ; on ne voit pas comment cette foule en colère qui réclame et la tête de Karim et le départ de son père saurait se satisfaire du renvoi à N’Djamena d’un ancien dictateur qui, par ailleurs, vivait emmuré dans sa résidence de luxe, à l’instar d’un nabab en villégiature prolongée.
Une actualité en chasse une autre ; à supposer que le président sénégalais mette à exécution sa décision de renvoyer Hissène Habré comme un malpropre, dans quelques jours, on passera à autre chose, c’est certain. Mais il se pourrait aussi que cette autre chose se résume en d’autres manifestations de ces mêmes Sénégalais d’hier, aujourd’hui plus mécontents devant le constat que leur président, au lieu de considérer sérieusement leurs revendications, choisit de leur jeter de la poudre aux yeux en faisant dans la pure et simple diversion.
Et ceux qui voyaient là l’occasion rêvée de faire juger « proprement » un dictateur africain par une juridiction siégeant sur son propre continent n’auront plus que leurs yeux pour pleurer. La tentative résonne désormais comme un échec retentissant. Avec la CPI, au moins l’affaire aurait été menée rondement. On ne veut pas des méthodes d’un Moreno-Ocampo dont on affirme qu’il s’acharne sur de pauvres Africains, et en même temps on se montre incapables de juger nos dictateurs nous-mêmes sous nos Tropiques : paradoxale et comique, cette attitude très spirituelle de nombre d’intellectuels Africains !
Jean Claude Kongo — L’Observateur Paalga
Si les choses devaient rester en l’état, il n’y aurait plus qu’à conduire Hissène Habré, très officiellement, jusqu’à la passerelle du Jet dont le plan de vol est tout tracé, et à assister à son décollage pour enfin se dire que ce long feuilleton de l’affaire Hissène Habré s’achève ; du moins pour la partie sénégalaise de son décor. Et voici une épine que Gorgui aura réussi à enlever de son pied ; péniblement, peut-être, mais sans doute définitivement.
Car, à vrai dire, ils étaient peu nombreux, ceux qui osaient croire que le long exil doré de cet homme, réfugié au pays de la Teranga depuis sa chute en 1990, s’achèverait de la sorte.
C’est qu’il y a un hic à ce coup de tête de papy Wade. La quasi- concomitance des évènements conduit inexorablement à la conclusion que le Vieux donne dans la diversion ; alors que les Sénégalais lui jettent au visage un ras-le-bol dont ils ne décolèrent pas, Gorgui répond en renvoyant aux Tchadiens leur dictateur, jusque-là aux petits soins à Ouakam. Quel rapport, quel lien logique unit les deux faits ? On peine à le trouver. On le savait bien que Wade maîtrisait à la perfection le jeu de la pirouette habile, mais, il faut le reconnaître, ici, il fait du grand art : la prestidigitation politique. C’est que le lapin qu’il a décidé de sortir de son chapeau est en papier et tout cousu de fil blanc. Il risque de ne faire rire personne !
Car, enfin, ce n’est pas tant la décision de renvoi, mais plus le moment ainsi que la destination du renvoi qui causent problème. Déjà, en décembre 2010, le président sénégalais avertissait ainsi tout ceux qui voulaient l’entendre : le moment venu, il se « débarrasserait » de son hôte encombrant. On se rappelle tout l’imbroglio politico-judiciaire qui entoura cette affaire Habré et toutes les polémiques qui la caractérisèrent ; Hissène Habré, réfugié au Sénégal depuis son renversement en 1990, a régulièrement été la cible des familles des victimes de son règne de terreur sur le Tchad et qui dura de 1982 à sa chute.
Face à l’inflexibilité du Sénégal, ces dernières portèrent plainte en Belgique en vertu de la loi de compétence universelle. Toutes ces pressions produisirent leur effet : l’UA finit par donner mandat au Sénégal pour juger l’ancien dictateur « au nom de l’Afrique ». Wade, qui avait répondu tout d’abord que la loi sénégalaise ne l’y autorisait pas, fera la pirouette nécessaire pour accéder à la demande, mais souleva toutefois la question des contraintes financières indispensables : près d’une vingtaine de milliards de nos pauvres francs dévalués étaient jugés nécessaires ; mais malgré tout, le dossier tardait à être ficelé ; il y a un an, nouvelle passe d’armes entre la Cour de justice de l’UEMOA et les autorités sénégalaises ; et plus récemment, une UA agacée qui, à Malabo, enjoignait Gorgui de juger l’ancien dictateur ou de l’extrader « dans un autre pays ». On sentait venir donc le début de la fin du séjour sénégalais de Hissène Habré ; ce qu’on n’avait pas prévu, c’est que Gorgui, maintenant, renverrait l’ex-maître de N’Djamena chez lui.
Car, après tout, pour caricaturer, la chose se présente ainsi : les Sénégalais demandent la démission de Karim, et Gorgui leur propose de convoyer Hissène à N’Djamena. Il chercherait à botter en touche qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Sans compter que l’homme y est attendu de pied ferme : on l’y a déjà condamné à mort par contumace. Peut-on s’attendre à ce que les autorités en place au Tchad révisent le procès et réservent un sort plus clément à cet homme dont la seule ombre hante le sommeil de bien de familles qui se souviennent toujours ? Rien n’est moins certain.
Wade pense-t-il que les Sénégalais se satisferont de son coup de génie politico-judiciaire ? Si oui, il se peut qu’il se soit lourdement trompé. Car on ne voit pas comment les tempêtes provoquées par le projet du ticket présidentiel, qui gagnèrent les villes et les régions du pays de la Teranga, et des frustrations provoquées par les délestages intempestifs de la Sénélec s’estomperont brusquement, un peu comme par magie ; on ne voit pas comment cette foule en colère qui réclame et la tête de Karim et le départ de son père saurait se satisfaire du renvoi à N’Djamena d’un ancien dictateur qui, par ailleurs, vivait emmuré dans sa résidence de luxe, à l’instar d’un nabab en villégiature prolongée.
Une actualité en chasse une autre ; à supposer que le président sénégalais mette à exécution sa décision de renvoyer Hissène Habré comme un malpropre, dans quelques jours, on passera à autre chose, c’est certain. Mais il se pourrait aussi que cette autre chose se résume en d’autres manifestations de ces mêmes Sénégalais d’hier, aujourd’hui plus mécontents devant le constat que leur président, au lieu de considérer sérieusement leurs revendications, choisit de leur jeter de la poudre aux yeux en faisant dans la pure et simple diversion.
Et ceux qui voyaient là l’occasion rêvée de faire juger « proprement » un dictateur africain par une juridiction siégeant sur son propre continent n’auront plus que leurs yeux pour pleurer. La tentative résonne désormais comme un échec retentissant. Avec la CPI, au moins l’affaire aurait été menée rondement. On ne veut pas des méthodes d’un Moreno-Ocampo dont on affirme qu’il s’acharne sur de pauvres Africains, et en même temps on se montre incapables de juger nos dictateurs nous-mêmes sous nos Tropiques : paradoxale et comique, cette attitude très spirituelle de nombre d’intellectuels Africains !
Jean Claude Kongo — L’Observateur Paalga