Nous espérons, nous citoyens, que ce processus lancé à grand bruit ira jusqu’à son terme et n’épargnera aucun délinquant ou présumé tel. Nous nous accrochons surtout à la forte idée que la montagne n’accouchera pas, finalement, d’une petite souris. Ce serait une grosse déception, une déception qui fanerait un peu plus les belles fleurs du 25 mars 2012.
Je crois légitime la présomption d’innocence. Cependant, dans cette affaire de gros délinquants de la République, je crois davantage à la présomption de culpabilité, même si notre droit positif ne la prévoit pas. Pendant douze ans, ces gens-là ont accumulé forfaits sur forfaits, aussi graves les uns que les autres, et couverts sans état d’âme par l’ancien vieux président. Cet homme est responsable de toutes les graves saignées subies par nos maigres ressources nationales. Dans toute autre grande démocratie, il serait déjà en prison, immédiatement suivi de son fils et, peut-être, de sa fille, la fausse innocente. Il n’aurait pas alors eu l’opportunité de nous narguer, comme il s’y emploie tous les jours avec plaisir, à partir de son somptueux domaine de Versailles.
Il est vrai qu’il est conforté dans cette posture par une déclaration surprenante que la presse nationale prête au nouveau président de la République. Invité de la rédaction de France 24, ce dernier, qui était alors à Bruxelles, aurait précisé que l'ancien président Abdoulaye Wade ne serait « nullement inquiété sur d'éventuelles poursuites judiciaires ». Car, aurait-il expliqué, au terme de la Constitution du 22 janvier 2001, le président de la République est irresponsable, et à ce titre, bénéficie d'une immunité totale, sauf en cas de haute trahison.
Donc, si on suit le président Sall dans sa logique, il peut tout se permettre d’ici 2017 ou 2022 et quitter le pouvoir indemne, du fait de cette immunité totale, sauf s’il commettait un acte de haute trahison. Á moins que, avant ce terme, la Constitution sénégalaise ne soit modifiée dans un sens plus conforme à la Démocratie et à la Bonne Gouvernance. Il conviendrait surtout de définir la » haute trahison ». Ensuite, l’immunité, qui est déjà un privilège exorbitant, ne devrait couvrir le président de la République que le temps de sa mandature. Après, il doit redevenir un citoyen ordinaire.
Le jeudi 22 novembre 2012, le président Sarkozy a été entendu pendant douze heures par les juges de Bordeaux, chargés de l’affaire dite Bettencourt. Les observateurs s’attendaient d’ailleurs à ce que les juges, qui le soupçonnent d’avoir utilisé dans sa campagne électorale de 2007’ l’argent de la très riche veuve (Mme Liliane Bettencourt), le mettent en examen. Il l’aura finalement échappé belle (pour le moment), puisqu’il a été plutôt mis sous le statut de témoin assisté.
On se souvient qu’il a été précédé devant les juges français par le président Jacques Chirac, malade et vieillissant, pour les maigres emplois dits fictifs de la Mairie de Paris. Il a été condamné à deux ans avec sursis par le Tribunal correctionnel de Paris, après avoir payé près de deux millions d’euros à la Mairie de Paris, avec l’aide l’Ump.
Qui ose seulement comparer ces maigres faits pour lesquels les deux anciens présidents français ont été traînés devant les juges, aux mille forfaitures qui ont jalonné l’immonde gouvernance des Wade ? Nombre de ces forfaitures pourraient être assimilées à la haute trahison. Rien que le gros mensonge d’Etat qu’a constitué la rénovation de l’avion de commandement « La Pointe de Sangomar », aurait dû lui coûter son premier mandat. Cette opération nébuleuse qui « ne devait pas coûter un centime au contribuable sénégalais », a finalement englouti la bagatelle de 31 milliards de francs Cfa, dont le règlement a été effectué par virements de crédits, des virements qui ont tout emporté sur leur passage, n’épargnant même pas les fonds de calamité et mettant gravement en cause la complicité des services du Ministère de l’Économie et des Finances. Dans deux de ses livres, Monsieur Abdou Latif Coulibaly a jeté une lumière crue sur cette ténébreuse affaire.
Une autre forfaiture qui devrait valoir à l’ancien vieux président au moins la destitution, c’est incontestablement l’affaire des 15 millions de dollars de Taiwan, négociés dans les règles de l’art par les services du Ministère de l’Économie et des Finances, puis détournés sans état d’âme avec la complicité active de Pierre Aïm, alors son sulfureux conseiller spécial. Je n’insiste pas sur les détails de cette honteuse et rocambolesque affaire, connue pratiquement par le plus grand nombre, puisque tous les documents y afférents étaient sur la place publique. Détourner 15 millions de dollars destinés à « la réalisation de projets sociaux » au profit de populations démunies, et aller les planquer dans un premier temps à Chypre ! Existe-t-il une trahison plus haute que celle-là ? L’individu responsable de ce forfait doit-il continuer de bénéficier d’une quelconque immunité ?
On peut évoquer aussi sa gestion foncière qui a pratiquement englouti toutes nos terres que le régime précédent avait réservées à la postérité. Dès son installation à la tête de notre pays, il s’est employé, avec la complicité active des services des Impôts, de l’Urbanisme et du Cadastre – dont les responsables ne manquaient pas de se servir largement – à les faire recenser et à les distribuer à une minorité de gens déjà fort repus dans leur écrasante majorité. Certains bénéficiaires vendaient sur place leurs parcelles à prix d’or.
L’injustice, l’iniquité et l’indécence de cette gestion de nos maigres ressources foncières se sont manifestées surtout dans le monstrueux montage financier du Monument dit de la Renaissance africaine, sous le prétexte fallacieux d’un paiement en dation. Encore un grossier mensonge d’Etat ! Un audit serré et indépendant de ce seul montage financier suffirait à mettre en évidence une vaste escroquerie, et à envoyer en prison les deux principaux acolytes qui l’ont imaginée. Le Quartier général du Pds aurait été construit de la même manière scélérate par l’entreprise jumelle de l’alternance (2000), la SATTAR. Il devrait être confisqué dans le cadre des biens mal acquis. Un gros ministère pourrait y être abrité.
Il serait difficile de passer sous silence sa gestion calamiteuse des fonds spéciaux de la présidence de la République, communément appelés fonds politiques. Avec le vieux président, leur montant a crevé tous les plafonds. Non content de les avoir fait augmenter très notablement par l’Assemblée nationale, il les gonflait encore plus, directement, avec les aides budgétaires et autres fonds diplomatiques qu’il ramenait de ses nombreux voyages. C’est avec ces milliards détournés de leur place naturelle (le Trésor public) qu’il alimentait sa générosité légendaire, sous le prétexte fallacieux que c’était ses fonds spéciaux, et qu’il pouvait en disposer comme bon lui semblait, y compris en créant des milliardaires comme son fils chéri Karim, dont même les amis étaient servis. C’es ainsi que la Cbao, qui abritait un des nombreux comptes ouverts pour abriter les fonds spéciaux, a consenti deux « prêts » d’un milliard de francs Cfa chacun, à un certain Ibrahima Khalil dit Bibo. Les deux milliards seront remboursés les 26 et 29 juin 2001 par des fonds en provenance de l’étranger (sic). En rapport avec l’audition de Karim Wade, la presse nationale fait état d’un gros immeuble qui appartiendrait à ce Bibo. Et si les deux fameux milliards avaient servi à acheter l’immeuble en question !
Je renvoie le lecteur qui croirait à des lubies, aux différentes dépositions de l’ancien Ministre d’Etat, Directeur de Cabinet du président Wade, devant la Commission d’Instruction de la Haute Cour de Justice, qui enquêtait alors dans le cadre des fameux « chantiers de Thiès ». Au moins trois quotidiens de la place en avaient publié de larges extraits, tous presque dans les mêmes termes.
Pour revenir à l’ancien vieux président, c’’est lui-même qui déclare publiquement avoir donné à Karim une partie de sa fortune. Ce n’est que dans une démocratie tropicale qu’une telle grave déclaration peut être faite sans frais. Elle est inimaginable dans les grandes démocraties d’Amérique du Nord, d’Europe ou d’Asie (au Japon notamment).
L’homme sans foi ni loi a à son lourd compte des dizaines d’autres forfaits, dont le moins grave est une peccadille par rapport aux faits qui ont valu à Jacques Chirac sa condamnation, et à Nicolas Sarkozy son audition par les juges de Bordeaux. L’un des tout derniers de ses forfaits a fait sortir de ses gonds Moustapha Diakhaté, le président du Groupe parlementaire Bennoo Bokk Yakaar. Ce dernier, indigné, a fait état avec dépit des « cas flagrants de vandalisme financier du président Wade ». C’était lors du vote de la loi de finances rectificative (2012). A l’occasion, le Ministre de l’Economie et son Ministre délégué ont confirmé, qu’en moins de trois mois, le président sortant a emporté les 8 milliards de fonds spéciaux prévus pour toute l’année 2012. Le glouton est même allé plus loin, en se permettant un découvert de 700 millions (« L’AS » du jeudi 25 octobre page 7). La responsabilité de l’ancien Ministre de l’Economie et des Finances (le meilleur d’Afrique, semble-t-il), de son Ministre délégué et de leurs services concernés, est largement engagée. En tout cas, du point de vue du profane que je suis. Avec l’application stricte du rythme de consommation des budgets, ce forfait ne devrait pas être possible.
Donc, si on ne considère que ces crimes parmi de très nombreux autres, l’homme devait être jeté sans ménagement en prison dès les premiers mois de la seconde alternance, et y être suivi par son fils, sa fille, et peut-être son épouse. Wade fils est aussi vulnérable que Wade père. Le seul livre de Monsieur Abdou Latif Coulibaly consacré à sa gestion de l’Anoci suffirait à l’alpaguer. On peut faire table rase de tous ses crimes et ne prendre en compte que la « réfection » de l’ancien Méridien Président (aujourd’hui King Fahd Palace) et la location pour trois jours seulement, du Bateau-hôtel « La Musica », pour respectivement 26 et 8 milliards. On oublie les 26 autres milliards destinés à construire des villas présidentielles (dans le cadre de l’Anoci) et qui se seraient volatilisés comme par enchantement, les 750 millions qui ont servi à « aménager » ses bureaux sis à l’immeuble Tamaro flambant neuf, ainsi que ce fameux jet privé à bord duquel il faisait le tour du monde. Quand il aura fini de livrer tous ses secrets, ce jet privé occupera sûrement une place de choix parmi les mille scandales de l’immonde gouvernance des Wade.
On n’a pas fini d’ailleurs d’épiloguer autour du fameux jet privé que, pratiquement, tous les quotidiens du lundi 26 novembre 2012 font état de la création d’une quinzaine de sociétés par des personnes douteuses, qui ne serviraient peut-être que de prête-noms à l’ancien ministre de la terre et du ciel. Les enquêtes concernant ce garçon mettront sûrement en lumière maints autres forfaits gravissimes. Il est donc absolument insupportable que les Wade continuent de humer l’air de la liberté, sept mois après leur débâcle du 26 mars 2012
Le rapatriement des biens mal acquis et les audits de la gestion des anciens Libéraux (depuis 2000) sont une forte exigence sociale. Ils doivent être menés jusqu’à leur terme et n’épargner aucun délinquant. La manière dont ils seront traités influencera fortement le choix des électeurs lors du scrutin présidentiel de février-mars 2017.
En attendant, trois points devraient retenir notre attention :
1 – le statut du président de la République et, principalement, ce privilège de juridiction exorbitant dont il bénéficie chez nous : l’immunité. Celle-ci ne devrait le mettre hors de portée des lois ordinaires que le temps que dure son magistère. Quand il quitte le pouvoir, il doit redevenir un citoyen comme les autres et rendre compte immédiatement devant les tribunaux ordinaires, s’i a commis des forfaits. La haute trahison devrait être aussi clairement définie par la loi. Les actes de mauvaise gestion gravissimes qui sont mis sur le compte de l’ancien vieux président, n’ont rien à envier à la haute trahison. Certains la dépasseraient d’un cran, peut-être même de plusieurs.
2 – les fonds spéciaux : la manière dont le vieux président politicien en a usé en abusé pendant sa nauséabonde gouvernance devrait nous inciter à encadrer leur utilisation. Leur montant (légalement autorisé) est exorbitant pour un pays pauvre et endetté. Il l’est aussi pour un président qui s’était engagé à mettre en œuvre une politique de rupture et de sobriété. Neufs milliards de francs Cfa, c’est beaucoup, c’est trop pour notre pauvre pays, pressé de toutes parts par une forte demande sociale. Ce montant devrait donc être revu notablement à la baisse. En particulier, des garde-fous infranchissables devraient être dressés autour de son utilisation. Les fonds spéciaux sont des fonds publics, l’argent du contribuable. Même si nous ne sommes encore qu’une démocratie en construction, ils ne devraient pas pouvoir être utilisés pour financer les activités du parti et de la coalition au pouvoir, ni à enrichir la famille du président (qui qu’il soit !) et ses proches, ni à acheter des consciences. En outre, étant de l’argent public mis à la disposition d’une institution, ils devraient faire l’objet de contrôles réguliers. Enfin, on n’entendra jamais de la bouche d’un chef d’Etat ou de gouvernement d’une grande démocratie cette déclaration singulière et qui ne nous n’honore point : « Ce sont mes fonds politiques : j’en fais ce que je veux. »
3 – les délinquants présumés qui craignent comme la peste les audits et l’application de la Loi de répression de l’enrichissement illicite font feu de tout bois pour se tirer d’affaire, y compris du bois sacré de l’Islam. Ils ont ainsi toujours en bandoulière cette vieille rengaine selon laquelle le candidat Macky Sall aurait traité les marabouts de citoyens ordinaires. L’ancien chef de cabinet de Karim Wade apporte sa pierre à l’édifice branlant dangereusement, en reprochant vivement au président Macky Sall d’avoir déclaré à Bruxelles que « le chapelet n’a jamais développé un pays ». Sont-ils finalement devenus fous ? Je suis totalement en phase avec le président Sall : le chapelet n’a jamais développé aucun pays. Il est même superflu de donner des exemples pour illustrer cette évidence. Pour développer un pays, il faut un leadership incontestable, une vision (politique, économique, sociale et culturelle) claire, des ressources humaines de qualité, un environnement attrayant pour les affaires, une stabilité politique, etc. Une gouvernance vertueuse, appuyée sur le travail, la méthode et l’organisation fera le reste. Le chapelet n’a rien à faire dans cette perspective. Il n’a été en tout cas d’aucun apport dans le développement de pays comme le Brésil, Singapour, la Malaisie, etc.
Pour le reste, nous vivons dans une République qui doit, ou du moins devrait être au-dessus de tous et de tout. Elle n’a à s’incliner devant aucun homme, aucune femme, et quel qu’en soit le statut. Elle ne fait aucune distinction entre ses citoyens, qui ont les mêmes droits et sont assujettis aux mêmes devoirs constitutionnels. La seule distinction qu’elle peut faire entre eux, c’est de récompenser les plus méritants ou de sanctionner les fainéants, les njublang partisans du moindre effort et des passe-droits. Elle peut même se permettre des discriminations positives en faveur des plus démunis, des moins dotés par la nature. Par contre, elle devrait se garder d’accorder des privilèges sur des bases proprement subjectives, fondées notamment sur la naissance ou les différentes appartenances : politiques, religieuses, confrériques ou autres. Ce n’est que par cette voie qu’elle deviendra crédible, et trouvera respect et considération auprès des citoyens. Une telle République n’est pas loin du chemin qui mène vers l’émergence économique et la vraie démocratie. Elle nous éloigne surtout de la politique politicienne responsable, pour l’essentiel, de notre retard d’un demi-siècle.
Dakar, le 26 novembre 2012
Mody Niang, e-mail modyniang@arc.sn:
Je crois légitime la présomption d’innocence. Cependant, dans cette affaire de gros délinquants de la République, je crois davantage à la présomption de culpabilité, même si notre droit positif ne la prévoit pas. Pendant douze ans, ces gens-là ont accumulé forfaits sur forfaits, aussi graves les uns que les autres, et couverts sans état d’âme par l’ancien vieux président. Cet homme est responsable de toutes les graves saignées subies par nos maigres ressources nationales. Dans toute autre grande démocratie, il serait déjà en prison, immédiatement suivi de son fils et, peut-être, de sa fille, la fausse innocente. Il n’aurait pas alors eu l’opportunité de nous narguer, comme il s’y emploie tous les jours avec plaisir, à partir de son somptueux domaine de Versailles.
Il est vrai qu’il est conforté dans cette posture par une déclaration surprenante que la presse nationale prête au nouveau président de la République. Invité de la rédaction de France 24, ce dernier, qui était alors à Bruxelles, aurait précisé que l'ancien président Abdoulaye Wade ne serait « nullement inquiété sur d'éventuelles poursuites judiciaires ». Car, aurait-il expliqué, au terme de la Constitution du 22 janvier 2001, le président de la République est irresponsable, et à ce titre, bénéficie d'une immunité totale, sauf en cas de haute trahison.
Donc, si on suit le président Sall dans sa logique, il peut tout se permettre d’ici 2017 ou 2022 et quitter le pouvoir indemne, du fait de cette immunité totale, sauf s’il commettait un acte de haute trahison. Á moins que, avant ce terme, la Constitution sénégalaise ne soit modifiée dans un sens plus conforme à la Démocratie et à la Bonne Gouvernance. Il conviendrait surtout de définir la » haute trahison ». Ensuite, l’immunité, qui est déjà un privilège exorbitant, ne devrait couvrir le président de la République que le temps de sa mandature. Après, il doit redevenir un citoyen ordinaire.
Le jeudi 22 novembre 2012, le président Sarkozy a été entendu pendant douze heures par les juges de Bordeaux, chargés de l’affaire dite Bettencourt. Les observateurs s’attendaient d’ailleurs à ce que les juges, qui le soupçonnent d’avoir utilisé dans sa campagne électorale de 2007’ l’argent de la très riche veuve (Mme Liliane Bettencourt), le mettent en examen. Il l’aura finalement échappé belle (pour le moment), puisqu’il a été plutôt mis sous le statut de témoin assisté.
On se souvient qu’il a été précédé devant les juges français par le président Jacques Chirac, malade et vieillissant, pour les maigres emplois dits fictifs de la Mairie de Paris. Il a été condamné à deux ans avec sursis par le Tribunal correctionnel de Paris, après avoir payé près de deux millions d’euros à la Mairie de Paris, avec l’aide l’Ump.
Qui ose seulement comparer ces maigres faits pour lesquels les deux anciens présidents français ont été traînés devant les juges, aux mille forfaitures qui ont jalonné l’immonde gouvernance des Wade ? Nombre de ces forfaitures pourraient être assimilées à la haute trahison. Rien que le gros mensonge d’Etat qu’a constitué la rénovation de l’avion de commandement « La Pointe de Sangomar », aurait dû lui coûter son premier mandat. Cette opération nébuleuse qui « ne devait pas coûter un centime au contribuable sénégalais », a finalement englouti la bagatelle de 31 milliards de francs Cfa, dont le règlement a été effectué par virements de crédits, des virements qui ont tout emporté sur leur passage, n’épargnant même pas les fonds de calamité et mettant gravement en cause la complicité des services du Ministère de l’Économie et des Finances. Dans deux de ses livres, Monsieur Abdou Latif Coulibaly a jeté une lumière crue sur cette ténébreuse affaire.
Une autre forfaiture qui devrait valoir à l’ancien vieux président au moins la destitution, c’est incontestablement l’affaire des 15 millions de dollars de Taiwan, négociés dans les règles de l’art par les services du Ministère de l’Économie et des Finances, puis détournés sans état d’âme avec la complicité active de Pierre Aïm, alors son sulfureux conseiller spécial. Je n’insiste pas sur les détails de cette honteuse et rocambolesque affaire, connue pratiquement par le plus grand nombre, puisque tous les documents y afférents étaient sur la place publique. Détourner 15 millions de dollars destinés à « la réalisation de projets sociaux » au profit de populations démunies, et aller les planquer dans un premier temps à Chypre ! Existe-t-il une trahison plus haute que celle-là ? L’individu responsable de ce forfait doit-il continuer de bénéficier d’une quelconque immunité ?
On peut évoquer aussi sa gestion foncière qui a pratiquement englouti toutes nos terres que le régime précédent avait réservées à la postérité. Dès son installation à la tête de notre pays, il s’est employé, avec la complicité active des services des Impôts, de l’Urbanisme et du Cadastre – dont les responsables ne manquaient pas de se servir largement – à les faire recenser et à les distribuer à une minorité de gens déjà fort repus dans leur écrasante majorité. Certains bénéficiaires vendaient sur place leurs parcelles à prix d’or.
L’injustice, l’iniquité et l’indécence de cette gestion de nos maigres ressources foncières se sont manifestées surtout dans le monstrueux montage financier du Monument dit de la Renaissance africaine, sous le prétexte fallacieux d’un paiement en dation. Encore un grossier mensonge d’Etat ! Un audit serré et indépendant de ce seul montage financier suffirait à mettre en évidence une vaste escroquerie, et à envoyer en prison les deux principaux acolytes qui l’ont imaginée. Le Quartier général du Pds aurait été construit de la même manière scélérate par l’entreprise jumelle de l’alternance (2000), la SATTAR. Il devrait être confisqué dans le cadre des biens mal acquis. Un gros ministère pourrait y être abrité.
Il serait difficile de passer sous silence sa gestion calamiteuse des fonds spéciaux de la présidence de la République, communément appelés fonds politiques. Avec le vieux président, leur montant a crevé tous les plafonds. Non content de les avoir fait augmenter très notablement par l’Assemblée nationale, il les gonflait encore plus, directement, avec les aides budgétaires et autres fonds diplomatiques qu’il ramenait de ses nombreux voyages. C’est avec ces milliards détournés de leur place naturelle (le Trésor public) qu’il alimentait sa générosité légendaire, sous le prétexte fallacieux que c’était ses fonds spéciaux, et qu’il pouvait en disposer comme bon lui semblait, y compris en créant des milliardaires comme son fils chéri Karim, dont même les amis étaient servis. C’es ainsi que la Cbao, qui abritait un des nombreux comptes ouverts pour abriter les fonds spéciaux, a consenti deux « prêts » d’un milliard de francs Cfa chacun, à un certain Ibrahima Khalil dit Bibo. Les deux milliards seront remboursés les 26 et 29 juin 2001 par des fonds en provenance de l’étranger (sic). En rapport avec l’audition de Karim Wade, la presse nationale fait état d’un gros immeuble qui appartiendrait à ce Bibo. Et si les deux fameux milliards avaient servi à acheter l’immeuble en question !
Je renvoie le lecteur qui croirait à des lubies, aux différentes dépositions de l’ancien Ministre d’Etat, Directeur de Cabinet du président Wade, devant la Commission d’Instruction de la Haute Cour de Justice, qui enquêtait alors dans le cadre des fameux « chantiers de Thiès ». Au moins trois quotidiens de la place en avaient publié de larges extraits, tous presque dans les mêmes termes.
Pour revenir à l’ancien vieux président, c’’est lui-même qui déclare publiquement avoir donné à Karim une partie de sa fortune. Ce n’est que dans une démocratie tropicale qu’une telle grave déclaration peut être faite sans frais. Elle est inimaginable dans les grandes démocraties d’Amérique du Nord, d’Europe ou d’Asie (au Japon notamment).
L’homme sans foi ni loi a à son lourd compte des dizaines d’autres forfaits, dont le moins grave est une peccadille par rapport aux faits qui ont valu à Jacques Chirac sa condamnation, et à Nicolas Sarkozy son audition par les juges de Bordeaux. L’un des tout derniers de ses forfaits a fait sortir de ses gonds Moustapha Diakhaté, le président du Groupe parlementaire Bennoo Bokk Yakaar. Ce dernier, indigné, a fait état avec dépit des « cas flagrants de vandalisme financier du président Wade ». C’était lors du vote de la loi de finances rectificative (2012). A l’occasion, le Ministre de l’Economie et son Ministre délégué ont confirmé, qu’en moins de trois mois, le président sortant a emporté les 8 milliards de fonds spéciaux prévus pour toute l’année 2012. Le glouton est même allé plus loin, en se permettant un découvert de 700 millions (« L’AS » du jeudi 25 octobre page 7). La responsabilité de l’ancien Ministre de l’Economie et des Finances (le meilleur d’Afrique, semble-t-il), de son Ministre délégué et de leurs services concernés, est largement engagée. En tout cas, du point de vue du profane que je suis. Avec l’application stricte du rythme de consommation des budgets, ce forfait ne devrait pas être possible.
Donc, si on ne considère que ces crimes parmi de très nombreux autres, l’homme devait être jeté sans ménagement en prison dès les premiers mois de la seconde alternance, et y être suivi par son fils, sa fille, et peut-être son épouse. Wade fils est aussi vulnérable que Wade père. Le seul livre de Monsieur Abdou Latif Coulibaly consacré à sa gestion de l’Anoci suffirait à l’alpaguer. On peut faire table rase de tous ses crimes et ne prendre en compte que la « réfection » de l’ancien Méridien Président (aujourd’hui King Fahd Palace) et la location pour trois jours seulement, du Bateau-hôtel « La Musica », pour respectivement 26 et 8 milliards. On oublie les 26 autres milliards destinés à construire des villas présidentielles (dans le cadre de l’Anoci) et qui se seraient volatilisés comme par enchantement, les 750 millions qui ont servi à « aménager » ses bureaux sis à l’immeuble Tamaro flambant neuf, ainsi que ce fameux jet privé à bord duquel il faisait le tour du monde. Quand il aura fini de livrer tous ses secrets, ce jet privé occupera sûrement une place de choix parmi les mille scandales de l’immonde gouvernance des Wade.
On n’a pas fini d’ailleurs d’épiloguer autour du fameux jet privé que, pratiquement, tous les quotidiens du lundi 26 novembre 2012 font état de la création d’une quinzaine de sociétés par des personnes douteuses, qui ne serviraient peut-être que de prête-noms à l’ancien ministre de la terre et du ciel. Les enquêtes concernant ce garçon mettront sûrement en lumière maints autres forfaits gravissimes. Il est donc absolument insupportable que les Wade continuent de humer l’air de la liberté, sept mois après leur débâcle du 26 mars 2012
Le rapatriement des biens mal acquis et les audits de la gestion des anciens Libéraux (depuis 2000) sont une forte exigence sociale. Ils doivent être menés jusqu’à leur terme et n’épargner aucun délinquant. La manière dont ils seront traités influencera fortement le choix des électeurs lors du scrutin présidentiel de février-mars 2017.
En attendant, trois points devraient retenir notre attention :
1 – le statut du président de la République et, principalement, ce privilège de juridiction exorbitant dont il bénéficie chez nous : l’immunité. Celle-ci ne devrait le mettre hors de portée des lois ordinaires que le temps que dure son magistère. Quand il quitte le pouvoir, il doit redevenir un citoyen comme les autres et rendre compte immédiatement devant les tribunaux ordinaires, s’i a commis des forfaits. La haute trahison devrait être aussi clairement définie par la loi. Les actes de mauvaise gestion gravissimes qui sont mis sur le compte de l’ancien vieux président, n’ont rien à envier à la haute trahison. Certains la dépasseraient d’un cran, peut-être même de plusieurs.
2 – les fonds spéciaux : la manière dont le vieux président politicien en a usé en abusé pendant sa nauséabonde gouvernance devrait nous inciter à encadrer leur utilisation. Leur montant (légalement autorisé) est exorbitant pour un pays pauvre et endetté. Il l’est aussi pour un président qui s’était engagé à mettre en œuvre une politique de rupture et de sobriété. Neufs milliards de francs Cfa, c’est beaucoup, c’est trop pour notre pauvre pays, pressé de toutes parts par une forte demande sociale. Ce montant devrait donc être revu notablement à la baisse. En particulier, des garde-fous infranchissables devraient être dressés autour de son utilisation. Les fonds spéciaux sont des fonds publics, l’argent du contribuable. Même si nous ne sommes encore qu’une démocratie en construction, ils ne devraient pas pouvoir être utilisés pour financer les activités du parti et de la coalition au pouvoir, ni à enrichir la famille du président (qui qu’il soit !) et ses proches, ni à acheter des consciences. En outre, étant de l’argent public mis à la disposition d’une institution, ils devraient faire l’objet de contrôles réguliers. Enfin, on n’entendra jamais de la bouche d’un chef d’Etat ou de gouvernement d’une grande démocratie cette déclaration singulière et qui ne nous n’honore point : « Ce sont mes fonds politiques : j’en fais ce que je veux. »
3 – les délinquants présumés qui craignent comme la peste les audits et l’application de la Loi de répression de l’enrichissement illicite font feu de tout bois pour se tirer d’affaire, y compris du bois sacré de l’Islam. Ils ont ainsi toujours en bandoulière cette vieille rengaine selon laquelle le candidat Macky Sall aurait traité les marabouts de citoyens ordinaires. L’ancien chef de cabinet de Karim Wade apporte sa pierre à l’édifice branlant dangereusement, en reprochant vivement au président Macky Sall d’avoir déclaré à Bruxelles que « le chapelet n’a jamais développé un pays ». Sont-ils finalement devenus fous ? Je suis totalement en phase avec le président Sall : le chapelet n’a jamais développé aucun pays. Il est même superflu de donner des exemples pour illustrer cette évidence. Pour développer un pays, il faut un leadership incontestable, une vision (politique, économique, sociale et culturelle) claire, des ressources humaines de qualité, un environnement attrayant pour les affaires, une stabilité politique, etc. Une gouvernance vertueuse, appuyée sur le travail, la méthode et l’organisation fera le reste. Le chapelet n’a rien à faire dans cette perspective. Il n’a été en tout cas d’aucun apport dans le développement de pays comme le Brésil, Singapour, la Malaisie, etc.
Pour le reste, nous vivons dans une République qui doit, ou du moins devrait être au-dessus de tous et de tout. Elle n’a à s’incliner devant aucun homme, aucune femme, et quel qu’en soit le statut. Elle ne fait aucune distinction entre ses citoyens, qui ont les mêmes droits et sont assujettis aux mêmes devoirs constitutionnels. La seule distinction qu’elle peut faire entre eux, c’est de récompenser les plus méritants ou de sanctionner les fainéants, les njublang partisans du moindre effort et des passe-droits. Elle peut même se permettre des discriminations positives en faveur des plus démunis, des moins dotés par la nature. Par contre, elle devrait se garder d’accorder des privilèges sur des bases proprement subjectives, fondées notamment sur la naissance ou les différentes appartenances : politiques, religieuses, confrériques ou autres. Ce n’est que par cette voie qu’elle deviendra crédible, et trouvera respect et considération auprès des citoyens. Une telle République n’est pas loin du chemin qui mène vers l’émergence économique et la vraie démocratie. Elle nous éloigne surtout de la politique politicienne responsable, pour l’essentiel, de notre retard d’un demi-siècle.
Dakar, le 26 novembre 2012
Mody Niang, e-mail modyniang@arc.sn: