Quel commentaire faites-vous de la forte polémique autour de la recevabilité ou non de la candidature de Me Wade en 2012 ?
La déclaration de Abdoulaye Wade en 2007 clôt le débat sur sa candidature. En ce qui nous concerne, depuis qu'il a déclaré cette candidature, je l'ai considérée comme juridiquement irrecevable, politiquement inacceptable, moralement dégoûtante. À tous points de vue donc, cette candidature n'est pas celle qui convient aujourd'hui aux Sénégalais. Je pense qu'il faut maintenant passer à autre chose. De toute façon, l'ère Wade est close. C'est une page qui est tournée. Ce qui est important pour les Sénégalais, c'est aujourd'hui de réfléchir à la manière d'organiser l'après-Wade. C'est ce qui est fondamental. Il a mis ce pays en ruine. Ruine économique, ruine financière, mais aussi ruine morale. Nous, à la Ld, nous avons toujours été d'avis qu'il faut un vaste mouvement populaire, bâti autour de valeurs cardinales, que, précisément, les Assises nationales ont clairement indiquées, à travers la Charte pour la bonne gouvernance démocratique. Donc, en ce qui nous concerne, il faut maintenant se concentrer pour que le pays ne tombe pas dans le chaos. Il faut organiser l'après-Wade. Il ne faut pas que l'après-Wade se termine dans la confusion. Nous ne voulons pas de sang. Il y a assez de larmes depuis dix ans. Lorsque, en octobre 1999, Amath Dansokho, Landing Savané et moi-même avions reçu Abdoulaye Wade dans mon hôtel, California Saint germain, 25, rue des Écoles, quand il est venu, dans sa petite voiture 205 qu'il conduisait lui-même, il a posé son manteau sur le fauteuil. Et quand nous l'avons convaincu de revenir au Sénégal, pour commencer la campagne électorale, campagne que nous avions déjà lancée autour de sa candidature, je le revois encore dire : «Bon, j'accepte. Je reviendrai. Mais, moi, je suis déjà vieux, je n'ai plus de moyens financiers, je ne ferais qu'un seul mandat, et le reste, ce sera pour vous, les jeunes. Vous allez continuer mon oeuvre». Quand je dis que sa candidature est moralement dégoûtante, je fais référence à cette image-là de Abdoulaye Wade.
La candidature de Me Wade en 2012 vous indispose à ce point ?
Il est tout à fait dégoûtant, qu'un homme au-delà de 80 ans veuille être candidat à une fonction de président de la République dans un pays. C'est une chose qui est impensable. Je ne dis même pas dans les démocraties, mais mêmes dans les systèmes dictatoriaux. Mais, rien ne me surprend de la part de Abdoulaye Wade. Depuis 10 ans, on a vu des volte-face. Mais, cette fois-ci, lui-même, il a avoué quelque chose qui correspond à la réalité juridique : il ne peut pas être candidat. Maintenant, va-t-il persister ou pas ? Je pense que, s'il persiste, les gens doivent prendre leurs responsabilités. Mais, encore une fois, pour moi, ce débat-là est le moins important. Ce qui est le plus important pour nous, c'est que Bennoo Siggil Senegaal, comme il a déjà commencé à le faire, doit s'atteler à terminer ses chantiers, autour du programme, autour de la nouvelle architecture institutionnelle, pour une nouvelle Constitution, une troisième République au Sénégal. Et organiser sur la base de ça, l'alternative qui est devenue inévitable pour moi.
Est-ce à dire que le projet de dévolution monarchique du pouvoir prêté au président Wade a échoué ?
Ce projet n'a aucune chance de se réaliser de son vivant ou après son départ. Les Sénégalais l'ont rejeté, non seulement le 25 mars 2009, mais, chaque jour qui passe montre très clairement que les Sénégalais sont unanimement opposés à ce schéma-là. Et s'il tente de faire du forcing, c'est ce que je disais tout à l'heure, il faut éviter qu'on en arrive à une situation de chaos. C'est ça que nous ne voulons pas. Encore une fois, il faut tourner cette page le plus rapidement possible.
On prête également à Me Wade de vouloir organiser des Législatives anticipées...
Il n'a qu'à faire ce qu'il veut, mais, nous, nous sommes en train de préparer l'après-Wade, pour abréger le calvaire des Sénégalais. Et c'est devenu une perspective incontournable. Encore une fois, les faits et gestes de Wade importent peu aujourd'hui. Ce qui importe pour nous, c'est la réflexion pour mettre en place ici et maintenant les solutions. Et nous sommes en train de le faire.
Comment appréhendez-vous l'après-Wade ?
L'après-Wade nécessite, non pas la mise sur orbite d'un individu, non pas comme on le dit une sorte de messie, mais la mise en place d'une équipe soudée, autour de valeurs, pour rénover la vie nationale. Cela signifie que ce qui est important aujourd'hui, c'est que les Sénégalais, conscients de l'ampleur de la tâche, se mettent ensemble, autour d'un programme, autour des valeurs pour une nouvelle République, autour des institutions d'une nouvelle République déclinées en propositions concrètes de solutions immédiates pour les Sénégalais dans tous les domaines. Bennoo Siggil Senegaal est l'instrument pour ça. Les associations de la société civile, aujourd'hui, qui ont participé au mouvement des Assises nationales font partie de cette solution-là. Voilà la perspective de la Ld.
Ne pensez-vous pas qu'il faut une jonction entre les partis d'opposition et les mouvements citoyens ?
Il faut une jonction entre les mouvements citoyens qui ont participé aux Assises nationales et les citoyens qui ont participé à ce vaste mouvement du 25 mars 2009, qui ont dit non, non seulement à la dévolution monarchique du pouvoir, mais qui, à travers leur vote, ont montré leur rejet du système Wade. Le mouvement électoral du 25 mars, la société civile et Bennoo Siggil Senegaal, signataire des Assises nationales, sont les trois ruisseaux qui vont créer le torrent pour amener la solution de l'après-Wade.
Que vous inspire la nomination du magistrat Cheikh Tidiane Diakhaté à la tête du Conseil constitutionnel ?
J'ai toujours dit que Abdoulaye Wade, depuis qu'il est au pouvoir, s'est engagé dans un projet de déstructuration de l'ensemble du pays, de décrédibilisation de ses institutions et des personnes qui incarnent ces institutions. Non seulement les institutions de la République en tant que telles. La justice en fait partie, l'Assemblé nationale, le gouvernement, l'administration, les corps de contrôle, l'armée, la gendarmerie, la police. Rien ne lui a résisté jusqu'ici. Il a tout déstructuré, décrédibilisé les personnes qui les incarnent au plus haut niveau. Ça, c'est une réalité. Avec ce qui se passe à la justice, ce n'est pas une exception. Du haut de mes 40 ans d'expérience de la vie politique et sociale du Sénégal, j'ai eu affaire à des hommes et à des femmes de la justice. J'ai été interpellé et arrêté 7 fois. J'ai eu maille à partir avec la justice plusieurs fois, pour des problèmes politiques, mais aussi en tant que leader étudiant, leader syndicaliste. Je sais que dans la justice, il y a des hommes et des femmes de valeur, que j'ai eu à rencontrer, qui ont eu à connaître de mes dossiers. Certains ont joué un rôle remarquable, ont pu résister à l'État. Je rappelle simplement le cas de Mody Coumba Ba, lors des événements du 22 août 1985. Lorsque nous avons été arrêtés, Abdoulaye Wade et moi, et d'autres, au poste de Médina, à propos de la marche anti-apartheid. Mody Coumba Ba qui nous a jugés, il a subi certainement des pressions. Mais, il est resté imperturbable. Il a dit le droit, et nous avons été libérés. Et j'en connais beaucoup d'autres avec qui j'ai eu affaire. Malheureusement, depuis 2000, la situation s'est dégradée totalement. La justice a été subordonnée par le pouvoir, soumise au pouvoir. L'affaire de Ndindy et Ndoulo est là, ne serait-ce que pour parler du contentieux électoral. Pour remonter encore plus loin, il y a les élections de 2007, l'affaire des Chantiers de Thiès, ce qu'on a appelé le Protocole de Rebeuss, les conditions scabreuses dans lesquelles ce procès dit des Chantiers de Thiès s'est terminé en eau de boudin. Ce sont autant de faits qui n'ont pas honoré la justice. Regardez la police, tous des gens qui meurent dans les commissariats de police. Il y a un problème très sérieux qui se pose dans ce pays. Il faut préparer très rapidement la fin de l'ère Abdoulaye Wade.
Concrètement, est-ce que Cheikh Tidiane Diakhaté vous inspire confiance ?
Moi, je ne donne aucun chèque en blanc à personne. La justice, aujourd'hui, je ne peux pas lui faire confiance. Ce n'est pas un problème individuel à Cheikh Tidiane Diakhaté. Je n'ai pas de relations particulières avec lui. Ce n'est pas un problème de personnes. Je n'ai pas de problème avec un commissaire de police dans les locaux d'un commissariat. J'ai un problème avec celui qui a fait serment devant le peuple sénégalais d'assurer l'indépendance de la magistrature et qui a renié ce serment, en installant la corruption, le chantage, comme instruments de gouvernement. C'est avec celui-là que j'ai un problème. Et les citoyens sénégalais doivent s'organiser pour faire partir celui-là. Fondamentalement, aujourd'hui, tout ce que Abdoulaye Wade décide dans ces institutions, c'est ce qui se fait. Tous ceux qu'il nomme à tous ces postes-là sont censés lui être redevables, et par conséquent, lui obéir au doigt et à l'oeil. C'est pourquoi je suis particulièrement satisfait des conclusions des Assises nationales, en ce qui concerne la nécessité, aujourd'hui, de créer un système où tous les magistrats ne seront plus nommés par l'Exécutif. Un président de la République, chef de parti, président du Haut Conseil de la magistrature, qui nomme et dégomme les magistrats, tant qu'on a ça comme système politique dans notre ordonnancement institutionnel, les magistrats seront des obligés du pouvoir Exécutif. Et aujourd'hui, les Assises nous permettent précisément, en tournant la page Wade, de réformer fondamentale nos institutions. Et dans le cadre précisément du programme de Bennoo, l'ordonnancement institutionnel, la réflexion a été poussée à ce niveau, pour mettre en place un système où la carrière des magistrats ne dépendra plus des politiques. Ça, c'est une question extrêmement importante.
Comment expliquez-vous le fait que le dialogue politique n'ait pas finalement pris son envol, malgré l'annonce en grande pompe de sa relance par le chef de l'État ?
Parce que nous sommes aujourd'hui dans une fin de règne. Cette fin de règne est vécue par tout le monde. Tout le monde sait qu'au Sénégal, il n'y a plus de gouvernement, il n'y a plus rien. Cette fin de règne, eux-mêmes le sentent, ceux qui sont à l'intérieur. Évidemment, ils sont en train de prendre leurs préoccupations, en gardant beaucoup d'argent chez eux, en pillant à qui mieux-mieux les caisses qui leur sont confiées. C'est pourquoi il est aujourd'hui fondamental d'aller vite. L'ampleur des problèmes, nous n'en connaîtrons l'exacte mesure qu'après. Parce que, tous ces scandales que vous voyez, que Latif Coulibaly a bien démontrées, ce n'est que le sommet de l'iceberg. Ce qui est en dessous est encore beaucoup plus important. C'est une entreprise d'accaparement, de privatisation des ressources publiques, à laquelle ils se livrent depuis 10 ans. Un pillage systématique organisé. Et ça, il faudra s'y atteler, pour voir comment récupérer ces ressources du pays qui ont été dilapidées à l'intérieur, transférées à l'extérieur. Ce n'est pas une mince affaire. Mais, il faudra s'y atteler.
Et le tollé suscité par l'affaire Global Voice ?
C'est une des manifestations parmi mille autres, de ce pillage systématique organisé des ressources publiques. À travers des instruments bien connus. C'est l'Artp et tous ceux qui participent au festin de cette agence qui n’est de régulation que de nom. Je l'ai qualifiée de mangeoire. Cette fonction publique artificielle parallèle où l’on donne des salaires faramineux de bas en haut. C'est pourquoi nous continuons de soutenir les travailleurs de la Sonatel dont le combat se confond avec le combat du peuple sénégalais.
Qu'est-ce qui explique, selon vous, que le gouvernement n'arrive toujours pas à trouver une solution aux inondations qui hantent le sommeil des populations de la banlieue ?
Cette situation est due à l'incompétence, mais surtout à la cupidité du régime en place. Jusqu'ici, ils ont été incapables de faire le bilan devant le peuple sénégalais de l'utilisation de plus de 60 milliards du Plan Jaxaay. Chaque année, on met en place un Plan Orsec, mais on en voit nulle part les effets. C'est des actions de politique politicienne qu'ils font, avec les motopompes que Karim Wade et des éléments du Pds distribuent à gauche et à droite. Ces gens-là n'avaient rien en 2000. Ils n'avaient pas un sou vaillant. Où est-ce qu'ils ont pris cet argent ? Le problème des inondations, il y a des solutions. Bien avant Bennoo, le Front Siggil Senegaal avait mis en place une commission de techniciens, qui avaient fait des propositions très concrètes. Ils avaient même fait un chiffrage de ces opérations. C'est une opération qu'on peut conduire, selon au moins trois phases : court terme, moyen terme, long terme. Il y a des quartiers qu'on peut restructurer dans le moyen terme. Il y a des quartiers qu'on ne peut, peut-être pas, restructurer dans le long terme, compte tenu du fait que c'est des zones inondables où la nappe affleure, et quelle que soit ce qu'on fera dans ces zones-là. Donc, il faut appliquer ce qui est proposé par les techniciens. C'est ce qu'il faut faire, sans démagogie. Des bassins de rétention en pleine ville, c'est un scandale. L'incompétence et la cupidité. Voilà les vraies caractéristiques de la politique en matière d'inondation lancée par Abdoulaye Wade depuis qu'il est au pouvoir.
Récemment, face à la presse, Serigne Mbacké Ndiaye, nouveau porte-parole du président de la République, a fait une sévère mise en garde à l'endroit des détracteurs de Me Wade...
Ça me fait rire. «Ku ëmb sa sanxal ëmb sa kersa». Il ne peut pas dire autre chose. Vraiment, pour moi, c'est un détail. Un courtisan ne peut que tenir de tels propos. Ce n'est pas un ministre de la République qui parle, c'est des propos de courtisan. Donc, moi, je n'ai pas de commentaire à faire sur des propos de courtisan.
Vous faites partie des acteurs clés de l'alternance politique survenue le 19 mars 2000 au Sénégal. Qu'est-ce qui vous a le plus déçu dans l'alternance ?
Ce qui m'a le plus déçu, ayant été acteur de premier plan de l'alternance, c'est le reniement de tous les engagements, sur le plan économique, sur le plan politique, pour plus de démocratie. Regardez, quand on parle de démocratie, le fichier électoral. Il y a des millions de Sénégalais qui, jusqu'à présent, n'ont pas leur carte nationale d'identité. Et pourtant, on dit qu'on a payé 22 milliards de F Cfa à une société pour pouvoir donner des cartes d'identité à tous les Sénégalais. C'est un des plus gros scandales. C'est un problème démocratique. L'accès aux médias publics. Regardez la Rts, Rien tous les soirs. Combien l'opposition apparaît à la télévision nationale. En octobre 1990, nous nous sommes battus dans la rue. Moi, j'ai été matraqué par la police. Y a encore les images. Si vous voulez je peux vous donner ce document ou vous demandez à Thiémokho Coulibaly, le photographe de Sud. Cette photo a, à l'époque, fait le tour du monde. J'ai été pris manu militari avant d'être jeté dans la fourgonnette de la police, parce que je manifestais pour l'égal accès des partis politiques aux médias d'État. On pensait que cette période était révolue. C'est un indicateur pour montrer si notre démocratie a avancé ou pas. Engagement autour de la nécessité d'une moralisation plus grande de la vie publique. Mais, aujourd'hui, la trahison, la corruption, sont devenus les maîtres mots de la politique de Abdoulaye Wade en direction des citoyens. Il gère les citoyens par leurs défauts, non pas leurs qualités. Le rôle d'un conducteur d'hommes, c'est d'aider ses concitoyens à s'améliorer qualitativement. Mais, Abdoulaye Wade, lui, fait l'inverse. Il a introduit la corruption dans les milieux religieux, dans les institutions, chez les hommes politiques, chez les syndicalistes, dans la presse, dans l'armée, dans la gendarmerie. Un homme de cette nature-là, il est exceptionnel par la négative. C'est pourquoi je suis déçu.
Donc, votre déception est très grande...
En octobre 1999, quand il s'engageait devant nous, «wax dëg yalla», nous étions très loin de penser que cet homme qu'on avait en face de nous avait un masque. C'est pourquoi, pour moi, aujourd'hui, c'est un engagement tout aussi moral de faire en sorte que cet homme-là débarrasse le plancher.
Propos recueillis par Barka Isma BA le populaire
La déclaration de Abdoulaye Wade en 2007 clôt le débat sur sa candidature. En ce qui nous concerne, depuis qu'il a déclaré cette candidature, je l'ai considérée comme juridiquement irrecevable, politiquement inacceptable, moralement dégoûtante. À tous points de vue donc, cette candidature n'est pas celle qui convient aujourd'hui aux Sénégalais. Je pense qu'il faut maintenant passer à autre chose. De toute façon, l'ère Wade est close. C'est une page qui est tournée. Ce qui est important pour les Sénégalais, c'est aujourd'hui de réfléchir à la manière d'organiser l'après-Wade. C'est ce qui est fondamental. Il a mis ce pays en ruine. Ruine économique, ruine financière, mais aussi ruine morale. Nous, à la Ld, nous avons toujours été d'avis qu'il faut un vaste mouvement populaire, bâti autour de valeurs cardinales, que, précisément, les Assises nationales ont clairement indiquées, à travers la Charte pour la bonne gouvernance démocratique. Donc, en ce qui nous concerne, il faut maintenant se concentrer pour que le pays ne tombe pas dans le chaos. Il faut organiser l'après-Wade. Il ne faut pas que l'après-Wade se termine dans la confusion. Nous ne voulons pas de sang. Il y a assez de larmes depuis dix ans. Lorsque, en octobre 1999, Amath Dansokho, Landing Savané et moi-même avions reçu Abdoulaye Wade dans mon hôtel, California Saint germain, 25, rue des Écoles, quand il est venu, dans sa petite voiture 205 qu'il conduisait lui-même, il a posé son manteau sur le fauteuil. Et quand nous l'avons convaincu de revenir au Sénégal, pour commencer la campagne électorale, campagne que nous avions déjà lancée autour de sa candidature, je le revois encore dire : «Bon, j'accepte. Je reviendrai. Mais, moi, je suis déjà vieux, je n'ai plus de moyens financiers, je ne ferais qu'un seul mandat, et le reste, ce sera pour vous, les jeunes. Vous allez continuer mon oeuvre». Quand je dis que sa candidature est moralement dégoûtante, je fais référence à cette image-là de Abdoulaye Wade.
La candidature de Me Wade en 2012 vous indispose à ce point ?
Il est tout à fait dégoûtant, qu'un homme au-delà de 80 ans veuille être candidat à une fonction de président de la République dans un pays. C'est une chose qui est impensable. Je ne dis même pas dans les démocraties, mais mêmes dans les systèmes dictatoriaux. Mais, rien ne me surprend de la part de Abdoulaye Wade. Depuis 10 ans, on a vu des volte-face. Mais, cette fois-ci, lui-même, il a avoué quelque chose qui correspond à la réalité juridique : il ne peut pas être candidat. Maintenant, va-t-il persister ou pas ? Je pense que, s'il persiste, les gens doivent prendre leurs responsabilités. Mais, encore une fois, pour moi, ce débat-là est le moins important. Ce qui est le plus important pour nous, c'est que Bennoo Siggil Senegaal, comme il a déjà commencé à le faire, doit s'atteler à terminer ses chantiers, autour du programme, autour de la nouvelle architecture institutionnelle, pour une nouvelle Constitution, une troisième République au Sénégal. Et organiser sur la base de ça, l'alternative qui est devenue inévitable pour moi.
Est-ce à dire que le projet de dévolution monarchique du pouvoir prêté au président Wade a échoué ?
Ce projet n'a aucune chance de se réaliser de son vivant ou après son départ. Les Sénégalais l'ont rejeté, non seulement le 25 mars 2009, mais, chaque jour qui passe montre très clairement que les Sénégalais sont unanimement opposés à ce schéma-là. Et s'il tente de faire du forcing, c'est ce que je disais tout à l'heure, il faut éviter qu'on en arrive à une situation de chaos. C'est ça que nous ne voulons pas. Encore une fois, il faut tourner cette page le plus rapidement possible.
On prête également à Me Wade de vouloir organiser des Législatives anticipées...
Il n'a qu'à faire ce qu'il veut, mais, nous, nous sommes en train de préparer l'après-Wade, pour abréger le calvaire des Sénégalais. Et c'est devenu une perspective incontournable. Encore une fois, les faits et gestes de Wade importent peu aujourd'hui. Ce qui importe pour nous, c'est la réflexion pour mettre en place ici et maintenant les solutions. Et nous sommes en train de le faire.
Comment appréhendez-vous l'après-Wade ?
L'après-Wade nécessite, non pas la mise sur orbite d'un individu, non pas comme on le dit une sorte de messie, mais la mise en place d'une équipe soudée, autour de valeurs, pour rénover la vie nationale. Cela signifie que ce qui est important aujourd'hui, c'est que les Sénégalais, conscients de l'ampleur de la tâche, se mettent ensemble, autour d'un programme, autour des valeurs pour une nouvelle République, autour des institutions d'une nouvelle République déclinées en propositions concrètes de solutions immédiates pour les Sénégalais dans tous les domaines. Bennoo Siggil Senegaal est l'instrument pour ça. Les associations de la société civile, aujourd'hui, qui ont participé au mouvement des Assises nationales font partie de cette solution-là. Voilà la perspective de la Ld.
Ne pensez-vous pas qu'il faut une jonction entre les partis d'opposition et les mouvements citoyens ?
Il faut une jonction entre les mouvements citoyens qui ont participé aux Assises nationales et les citoyens qui ont participé à ce vaste mouvement du 25 mars 2009, qui ont dit non, non seulement à la dévolution monarchique du pouvoir, mais qui, à travers leur vote, ont montré leur rejet du système Wade. Le mouvement électoral du 25 mars, la société civile et Bennoo Siggil Senegaal, signataire des Assises nationales, sont les trois ruisseaux qui vont créer le torrent pour amener la solution de l'après-Wade.
Que vous inspire la nomination du magistrat Cheikh Tidiane Diakhaté à la tête du Conseil constitutionnel ?
J'ai toujours dit que Abdoulaye Wade, depuis qu'il est au pouvoir, s'est engagé dans un projet de déstructuration de l'ensemble du pays, de décrédibilisation de ses institutions et des personnes qui incarnent ces institutions. Non seulement les institutions de la République en tant que telles. La justice en fait partie, l'Assemblé nationale, le gouvernement, l'administration, les corps de contrôle, l'armée, la gendarmerie, la police. Rien ne lui a résisté jusqu'ici. Il a tout déstructuré, décrédibilisé les personnes qui les incarnent au plus haut niveau. Ça, c'est une réalité. Avec ce qui se passe à la justice, ce n'est pas une exception. Du haut de mes 40 ans d'expérience de la vie politique et sociale du Sénégal, j'ai eu affaire à des hommes et à des femmes de la justice. J'ai été interpellé et arrêté 7 fois. J'ai eu maille à partir avec la justice plusieurs fois, pour des problèmes politiques, mais aussi en tant que leader étudiant, leader syndicaliste. Je sais que dans la justice, il y a des hommes et des femmes de valeur, que j'ai eu à rencontrer, qui ont eu à connaître de mes dossiers. Certains ont joué un rôle remarquable, ont pu résister à l'État. Je rappelle simplement le cas de Mody Coumba Ba, lors des événements du 22 août 1985. Lorsque nous avons été arrêtés, Abdoulaye Wade et moi, et d'autres, au poste de Médina, à propos de la marche anti-apartheid. Mody Coumba Ba qui nous a jugés, il a subi certainement des pressions. Mais, il est resté imperturbable. Il a dit le droit, et nous avons été libérés. Et j'en connais beaucoup d'autres avec qui j'ai eu affaire. Malheureusement, depuis 2000, la situation s'est dégradée totalement. La justice a été subordonnée par le pouvoir, soumise au pouvoir. L'affaire de Ndindy et Ndoulo est là, ne serait-ce que pour parler du contentieux électoral. Pour remonter encore plus loin, il y a les élections de 2007, l'affaire des Chantiers de Thiès, ce qu'on a appelé le Protocole de Rebeuss, les conditions scabreuses dans lesquelles ce procès dit des Chantiers de Thiès s'est terminé en eau de boudin. Ce sont autant de faits qui n'ont pas honoré la justice. Regardez la police, tous des gens qui meurent dans les commissariats de police. Il y a un problème très sérieux qui se pose dans ce pays. Il faut préparer très rapidement la fin de l'ère Abdoulaye Wade.
Concrètement, est-ce que Cheikh Tidiane Diakhaté vous inspire confiance ?
Moi, je ne donne aucun chèque en blanc à personne. La justice, aujourd'hui, je ne peux pas lui faire confiance. Ce n'est pas un problème individuel à Cheikh Tidiane Diakhaté. Je n'ai pas de relations particulières avec lui. Ce n'est pas un problème de personnes. Je n'ai pas de problème avec un commissaire de police dans les locaux d'un commissariat. J'ai un problème avec celui qui a fait serment devant le peuple sénégalais d'assurer l'indépendance de la magistrature et qui a renié ce serment, en installant la corruption, le chantage, comme instruments de gouvernement. C'est avec celui-là que j'ai un problème. Et les citoyens sénégalais doivent s'organiser pour faire partir celui-là. Fondamentalement, aujourd'hui, tout ce que Abdoulaye Wade décide dans ces institutions, c'est ce qui se fait. Tous ceux qu'il nomme à tous ces postes-là sont censés lui être redevables, et par conséquent, lui obéir au doigt et à l'oeil. C'est pourquoi je suis particulièrement satisfait des conclusions des Assises nationales, en ce qui concerne la nécessité, aujourd'hui, de créer un système où tous les magistrats ne seront plus nommés par l'Exécutif. Un président de la République, chef de parti, président du Haut Conseil de la magistrature, qui nomme et dégomme les magistrats, tant qu'on a ça comme système politique dans notre ordonnancement institutionnel, les magistrats seront des obligés du pouvoir Exécutif. Et aujourd'hui, les Assises nous permettent précisément, en tournant la page Wade, de réformer fondamentale nos institutions. Et dans le cadre précisément du programme de Bennoo, l'ordonnancement institutionnel, la réflexion a été poussée à ce niveau, pour mettre en place un système où la carrière des magistrats ne dépendra plus des politiques. Ça, c'est une question extrêmement importante.
Comment expliquez-vous le fait que le dialogue politique n'ait pas finalement pris son envol, malgré l'annonce en grande pompe de sa relance par le chef de l'État ?
Parce que nous sommes aujourd'hui dans une fin de règne. Cette fin de règne est vécue par tout le monde. Tout le monde sait qu'au Sénégal, il n'y a plus de gouvernement, il n'y a plus rien. Cette fin de règne, eux-mêmes le sentent, ceux qui sont à l'intérieur. Évidemment, ils sont en train de prendre leurs préoccupations, en gardant beaucoup d'argent chez eux, en pillant à qui mieux-mieux les caisses qui leur sont confiées. C'est pourquoi il est aujourd'hui fondamental d'aller vite. L'ampleur des problèmes, nous n'en connaîtrons l'exacte mesure qu'après. Parce que, tous ces scandales que vous voyez, que Latif Coulibaly a bien démontrées, ce n'est que le sommet de l'iceberg. Ce qui est en dessous est encore beaucoup plus important. C'est une entreprise d'accaparement, de privatisation des ressources publiques, à laquelle ils se livrent depuis 10 ans. Un pillage systématique organisé. Et ça, il faudra s'y atteler, pour voir comment récupérer ces ressources du pays qui ont été dilapidées à l'intérieur, transférées à l'extérieur. Ce n'est pas une mince affaire. Mais, il faudra s'y atteler.
Et le tollé suscité par l'affaire Global Voice ?
C'est une des manifestations parmi mille autres, de ce pillage systématique organisé des ressources publiques. À travers des instruments bien connus. C'est l'Artp et tous ceux qui participent au festin de cette agence qui n’est de régulation que de nom. Je l'ai qualifiée de mangeoire. Cette fonction publique artificielle parallèle où l’on donne des salaires faramineux de bas en haut. C'est pourquoi nous continuons de soutenir les travailleurs de la Sonatel dont le combat se confond avec le combat du peuple sénégalais.
Qu'est-ce qui explique, selon vous, que le gouvernement n'arrive toujours pas à trouver une solution aux inondations qui hantent le sommeil des populations de la banlieue ?
Cette situation est due à l'incompétence, mais surtout à la cupidité du régime en place. Jusqu'ici, ils ont été incapables de faire le bilan devant le peuple sénégalais de l'utilisation de plus de 60 milliards du Plan Jaxaay. Chaque année, on met en place un Plan Orsec, mais on en voit nulle part les effets. C'est des actions de politique politicienne qu'ils font, avec les motopompes que Karim Wade et des éléments du Pds distribuent à gauche et à droite. Ces gens-là n'avaient rien en 2000. Ils n'avaient pas un sou vaillant. Où est-ce qu'ils ont pris cet argent ? Le problème des inondations, il y a des solutions. Bien avant Bennoo, le Front Siggil Senegaal avait mis en place une commission de techniciens, qui avaient fait des propositions très concrètes. Ils avaient même fait un chiffrage de ces opérations. C'est une opération qu'on peut conduire, selon au moins trois phases : court terme, moyen terme, long terme. Il y a des quartiers qu'on peut restructurer dans le moyen terme. Il y a des quartiers qu'on ne peut, peut-être pas, restructurer dans le long terme, compte tenu du fait que c'est des zones inondables où la nappe affleure, et quelle que soit ce qu'on fera dans ces zones-là. Donc, il faut appliquer ce qui est proposé par les techniciens. C'est ce qu'il faut faire, sans démagogie. Des bassins de rétention en pleine ville, c'est un scandale. L'incompétence et la cupidité. Voilà les vraies caractéristiques de la politique en matière d'inondation lancée par Abdoulaye Wade depuis qu'il est au pouvoir.
Récemment, face à la presse, Serigne Mbacké Ndiaye, nouveau porte-parole du président de la République, a fait une sévère mise en garde à l'endroit des détracteurs de Me Wade...
Ça me fait rire. «Ku ëmb sa sanxal ëmb sa kersa». Il ne peut pas dire autre chose. Vraiment, pour moi, c'est un détail. Un courtisan ne peut que tenir de tels propos. Ce n'est pas un ministre de la République qui parle, c'est des propos de courtisan. Donc, moi, je n'ai pas de commentaire à faire sur des propos de courtisan.
Vous faites partie des acteurs clés de l'alternance politique survenue le 19 mars 2000 au Sénégal. Qu'est-ce qui vous a le plus déçu dans l'alternance ?
Ce qui m'a le plus déçu, ayant été acteur de premier plan de l'alternance, c'est le reniement de tous les engagements, sur le plan économique, sur le plan politique, pour plus de démocratie. Regardez, quand on parle de démocratie, le fichier électoral. Il y a des millions de Sénégalais qui, jusqu'à présent, n'ont pas leur carte nationale d'identité. Et pourtant, on dit qu'on a payé 22 milliards de F Cfa à une société pour pouvoir donner des cartes d'identité à tous les Sénégalais. C'est un des plus gros scandales. C'est un problème démocratique. L'accès aux médias publics. Regardez la Rts, Rien tous les soirs. Combien l'opposition apparaît à la télévision nationale. En octobre 1990, nous nous sommes battus dans la rue. Moi, j'ai été matraqué par la police. Y a encore les images. Si vous voulez je peux vous donner ce document ou vous demandez à Thiémokho Coulibaly, le photographe de Sud. Cette photo a, à l'époque, fait le tour du monde. J'ai été pris manu militari avant d'être jeté dans la fourgonnette de la police, parce que je manifestais pour l'égal accès des partis politiques aux médias d'État. On pensait que cette période était révolue. C'est un indicateur pour montrer si notre démocratie a avancé ou pas. Engagement autour de la nécessité d'une moralisation plus grande de la vie publique. Mais, aujourd'hui, la trahison, la corruption, sont devenus les maîtres mots de la politique de Abdoulaye Wade en direction des citoyens. Il gère les citoyens par leurs défauts, non pas leurs qualités. Le rôle d'un conducteur d'hommes, c'est d'aider ses concitoyens à s'améliorer qualitativement. Mais, Abdoulaye Wade, lui, fait l'inverse. Il a introduit la corruption dans les milieux religieux, dans les institutions, chez les hommes politiques, chez les syndicalistes, dans la presse, dans l'armée, dans la gendarmerie. Un homme de cette nature-là, il est exceptionnel par la négative. C'est pourquoi je suis déçu.
Donc, votre déception est très grande...
En octobre 1999, quand il s'engageait devant nous, «wax dëg yalla», nous étions très loin de penser que cet homme qu'on avait en face de nous avait un masque. C'est pourquoi, pour moi, aujourd'hui, c'est un engagement tout aussi moral de faire en sorte que cet homme-là débarrasse le plancher.
Propos recueillis par Barka Isma BA le populaire