« Voila plusieurs mois que notre calvaire dure et on se demande ce que sera notre existence quand les premières précipitations arroseront Dakar ? » Une interrogation légitime qui fourmille dans la tête des populations de la majorité des quartiers de la capitale sénégalaise et de sa banlieue, habitées par la psychose des inondations répétitives. Ces déversements récurrents d’eaux usées sont un terreau propice au développement du vecteur du paludisme, des maladies diarrhéiques, dermiques, allergiques...Une bombe sanitaire et…écologique. En cause ?
Bien sûr : la vétusté du réseau, l’ensablement, le sous dimensionnement des canaux ; l’agression humaine (vol de couvercle, casses fréquentes, déversements d’ordures ménagères et autres déchets solides). Mais aussi et surtout le démarrage tardif des opérations de curage pré hivernal et hivernal du réseau de l’Office national de l’assainissement du Sénégal (Onas). La raison ? L’attribution du marché à un groupement sénégalo-marocain contestée par les sociétés sénégalaises : la Snic et Geaur. Ces dernières ont introduit un recours au niveau de l’Autorité de régulation des marchés publics pour dénoncer certaines « irrégularités » de la procédure de passation de ce marché.
LE COUP DE L’ADDITIF
Tout est parti de l’appel d’offres n° 01/DEX/ONAS/2008 lancé par l’Onas le 06 octobre 2008, intitulé : « Travaux d’exploitation et d’entretien des ouvrages d’assainissement d’eaux usées et d’eaux pluviales » paru dans le journal LE SOLEIL et par lequel l’Onas sous-traite le curage des petits et gros collecteurs, l’entretien des stations d’épuration, stations de pompage, les réclamations des populations en cas de bouchons... Le marché de clientèle d’une durée d’un an, est réparti en trois lots. Le lot 1 comprend la gestion du bassin de Malick Sy-Soumbédioune-Plateau-Banlieue de Dakar et Rufisque. Le lot 2 comprend la gestion du bassin de Hann-Malick Sy-Soumbédioune-Plateau-banlieue de Dakar et Rufisque. Quant au lot 3, il concerne la gestion du bassin de Saly.
L’Onas reçoit cinq offres provenant des sociétés suivantes : Sade, Snic, Geaur, Delgas Assainissement, et le groupement CCS (entreprise sénégalaise)-CGA (entreprise marocaine). L’ouverture des plis était initialement prévue le 04 novembre 2008. Mais la veille, coup de théâtre. Contre toute attente, l’autorité contractante, l’Onas en l’occurrence, reporte le dépouillement de dix jours suite à un avis rectificatif paru dans LE SOLEIL du 03 novembre 2008. La date d’ouverture des offres est désormais fixée au 14 novembre 2008. Par ce report, l’Onas introduit un additif au dossier d’appels d’offre dont le but est selon son Directeur général Amadou lamine Dieng, de mettre à la disposition du futur attributaire du marché son parc de quatre camions hydrocureurs pour « pallier la vétusté du parc d’hydrocureurs ainsi que les mauvaises performances enregistrées dans le curage des collecteurs ». Mais, la Direction centrale des marchés publics (Dcmp), soupçonnant une possible accointance entre l’autorité contractante et une entreprise soumissionnaire, rejette l’additif. Elle reproche à l’Onas de n’avoir pas assorti ce rajout de conditions d’utilisation de ses camions par le futur attributaire. L’Onas bat sa coulpe et retire l’additif.
Toutefois, la date de dépouillement reste maintenue au 14 novembre 2008. Ce sera la première source du recours déposé conjointement par les sociétés Snic et Geaur, dont les offres sont rejetées, à l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp). En effet ce report de 10 jours entraîne le rejet des offres de la société Geaur des lots 1 et 2 au motif que ses cautions de garantie ne sont plus conformes au délai de validité exigé. La validité des cautions de soumission de Geaur était prévue pour expirer le 02 mars 2009 alors que selon le cahier des charges elles devaient expirer le 12 mars 2009, soit 28 jours après expiration de la durée de validité des offres, conformément à l’article 15 du Cahier des charges. Si la date de dépouillement initial était maintenue, ces cautions seraient valides. Mais leur non prorogation suite au report de 10 jours écarte Geaur des soumissions.
LA PREFERENCE ETRANGERE
Le 13 mars 2009, l’Onas notifie aux sociétés Snic et Geaur le rejet de leurs offres et le 25 mars 2009, informe le requérants des motifs de rejet de leurs offres. Ces deux entreprises qui capitalisent chacune plus de quinze ans d’expérience, saisissent l’Armp le 04 mai 2009, pour l’annulation de la procédure de passation du marché qui serait selon elles entachée « d’irrégularités ». Elles dénoncent : l’attribution des lots 1 et 2 au groupement CCS-CGA dont le chef de file, la CGA est une entreprise marocaine donc non membre de l’Uemoa et non éligible aux appels d’offres à budget national, le rejet des offres de Geaur des lots 1 et 2 pour non validité des cautions, la transmission tardive du procès verbal d’ouverture des plis ainsi que l’écartement de Snic du lot 3 où elle présente l’offre la moins-disante. Plusieurs argumentaires sont développés pour appuyer leurs recours. A cette fin, concernant le premier point, elles fondent leur recours sur l’article 52 du Code des marchés publics.
En son alinéa 1, elle dispose que : « la participation aux appels à la concurrence et aux marchés de prestations et fournitures par entente directe dont le financement est prévu par les budgets de l’Etat, des établissements publics, des collectivités locales et des sociétés nationales ou sociétés à participation publique majoritaire, est réservée aux seules entreprises sénégalaises et communautaires régulièrement patentées ou exemptées de la patente et inscrites au registre du commerce et du crédit mobilier ou au registre des métiers au Sénégal ou dans l’un desdits Etats. » Et plus fondamentalement, cette disposition est reprise par l’article 41 du Cahier des charges fourni par la commission des marchés de l’Onas.
Sur les critères d’origine des soumissionnaires, l’article dit : « Ce marché étant financé par le budget de l’Etat du Sénégal et soumises au Code des marchés publics, les entreprises doivent être des entreprises sénégalaises ou d’un Etat membre de l’Uemoa régulièrement patentées ou exemptées de la patente et inscrites au registre du commerce et du crédit mobilier ou au registre des métiers au Sénégal ou dans l’un desdits Etats ». S’agissant du lot 3 dont l’attributaire est la société Delgas assainissement, la Snic en a été écartée au motif que le conducteur des travaux qu’elle a présenté est diplômé de l’Ecole supérieure des travaux publics et ne justifie que d’un an d’expérience là où le cahier des charges requiert que le candidat justifie de 3 ans d’expérience et d’un diplôme en électromécanique. Sur ce présent lot, qui concerne l’entretien du Bassin de Saly, l’offre financière de la Snic est de loin la moins disante de 184 363 200 FCFA, fait-on remarquer. En effet, l’offre financière de Delgas s’élève à 311 095 200 FCFA TTC contre 126 732 000 FCFA TTC pour celle de la Snic. Une offre économiquement avantageuse qui n’a pas cependant pesé dans la balance de l’attribution.
Suite à la requête des deux entreprises écartées, l’Aremp, à travers la commission litige du Comité de règlement des différends (Crd), par la décision 030/09/ARMP/CRD du 07 mai 2009, notifie la suspension de la procédure de passation du marché en cause. Décision qui tombe dans l’oreille d’un sourd. L’Onas passe outre cette mesure suspensive et fait paraître dans LE SOLEIL du 14 mai 2009, un avis d’attribution provisoire du marché. Le groupement sénégalo marocain, ayant soumis l’offre la moins-disante, est attributaire des lots 1 et 2 (pour respectivement 783 062 750 FCFA et 599 265 950 FCFA) et la société Delgas assainissement du lot 3 pour 311 095 200 FCFA.
LA DEMI-DECISION DE L’AREMP
Ce n’est que le 28 mai 2009, que par la décision 043/09/ARMP/CRD, le Comité de règlement des différends de l’Armp rend sa décision à propos de la saisine des entreprises qui se sont senties lésées. Après avoir déclaré la recevabilité du recours, le Crd, approuve la possibilité par l’autorité contractante d’introduire un additif et confirme le rejet par la commission des marchés de l’Onas des cautions présentées par Geaur, jugées non valides. En cela, le Crd se fonde sur l’article 15 du cahier des charges qui dispose que : « les garanties doivent demeurer valides pendant 28 jours après expiration de la durée de validité des offres » et sur l’article 9 qui donne à l’autorité contractante la possibilité de modifier le cahier des charges. La seule exigence qui lui est faite est d’informer par écrit les candidats dans « un délai raisonnable ». Ce qui selon le Crd fut fait, car un délai de 10 jours a été accordé aux soumissionnaires.
Par rapport à la disqualification de la société Snic du lot 3, le Crd déclare le sieur Mbaye Bineta Diagne non qualifié pour le poste de conducteur des travaux conformément à l’article 28 du cahier des charges. En foi de quoi, il approuve l’attribution de ce lot à Delgas Assainissement.
S’il a eu une position ferme sur la presque totalité des griefs soulignés par les requérants, s’agissant de l’attribution de la portion incongrue du marché (lots 1 et 2) au groupement CCS-CGA dont le chef de file (CGA), est une entreprise non communautaire, le Comité de règlement des différends n’a pas eu une attitude tranchée. En fait, même s’il fait référence à l’alinéa 1 de l’article 52 du Code des marchés publics qui exclut les entreprises non communautaires des appels d’offres à budget national, il l’oppose à son alinéa 2 qui stipule que : « Toutefois, il peut être dérogé à l’alinéa précédent en application d’accords internationaux ou lorsqu’il s’agit de fournitures travaux ou services ne pouvant être livrés ou réalisés par des entreprises locales. » S’appuyant sur cette disposition, l’Armp enjoint à l’Onas de s’assurer de l’existence « d’un accord bilatéral ou multilatérale entre le Sénégal et la pays d’origine de l’entreprise candidate- en l’occurrence ici, le Maroc - autorisant sa participation aux appels d’offre nationaux, soit l’impossibilité pour les entreprises locales d’exécuter les fournitures, travaux ou services demandés. »
A défaut de quoi, le Crd propose que le groupement CGA-CCS soit écarté et qu’il soit procédé à une nouvelle attribution des lots. D’autant plus que l’Onas n’avait pas pris soin de mentionner préalablement dans son Cahier des charges la possibilité de regroupement avec des entreprises étrangères. Demeure que l’incapacité technique des entreprises locales d’entreprendre les travaux ne peut être soulevée eu égard à leur matériel riche de plus de dix hydrocureurs pour la Snic, 3 camions hydrocureurs et des treuils pour Geaur, contre un parc de 3 paires de treuils et trois hydrocureurs pour le groupe CCS-CGA.
UN PIED DE NEZ AU CODE DES MARCHES
Dans sa réaction, le Directeur général de l’Onas s’appuie sur la primauté des traités et conventions internationaux sur les lois et décrets nationaux. Amadou Lamine Dieng, invoque pour justifier l’éligibilité de la société marocaine CGA, l’article 4 de La convention d’établissement entre le gouvernement de la République du Sénégal et du Royaume du Maroc. Cet article dit ceci : « Tout national de l’une des parties contractantes a la faculté d’obtenir sur le territoire de l’autre partie des concessions, autorisations et permissions administratives, ainsi que de conclure les marchés publics, dans les mêmes conditions que les nationaux de cette partie ». Foulant ainsi au pied les dispositions du code des marchés sur par exemple la préférence nationale consacrée par l’article 50 du Code des marchés. Disposition qui aurait dû profiter à la Snic sur le lot 1 sachant que son offre financière n’excédait pas celle de CCS-CGA de plus de 10 %. Par ailleurs, se prononçant sur l’écartement de cette dernière société du lot 3 alors qu’elle avait soumis l’offre la moins disante, M. Dieng met sur la balance la méthodologie « inappropriée » de la Snic dans laquelle, l’entreprise fait référence à l’existence de gros collecteurs dans le réseau de Saly qui n’en comprend pas. Une confusion qui témoignerait selon lui d’un manque de maitrise du réseau par la Snic qui lui a été préjudiciable. En tout état de cause, le marché a été signé, approuvé mais immatriculé depuis le 09 juin 2009 et pas encore notifié. Dernière phase avant son entrée en vigueur et le démarrage des opérations d’entretien des ouvrages.
Sur le terrain, les travaux auraient démarré depuis un mois selon le directeur de l’Onas, depuis 3 jours (depuis le 8 juin Ndlr) selon un responsable de CCS-CGA trouvé sur le théâtre des opérations. Mais chose curieuse, malgré le rejet de ses offres « dès l’analyse administrative », Geaur est présente sur le terrain où elle assure le curage manuel et le sondage des gros collecteurs. Sur quelle base ? L’entreprise attributaire n’est elle pas en mesure de faire le travail ? Geaur a-t-elle signé un contrat de sous-traitance pour l’entreprise sénégalo-marocaine ? « Non, elle bénéficie juste d’une commande pour 1200 mètres » nous assure-t-on du côté de l’Onas. Maigre consolation !
Mamby DIOUF