Jiri Pasovvsky, médecin militaire en retraite âgé de 72 ans, se présente à l’ambassade du Nigeria à Prague, le 20 février 2003, pour discuter affaires avec un officiel. L’huissier le fait entrer dans le bureau du consul Lekara Wayid et entend, peu après, des éclats de voix, puis un coup de feu. Se précipitant dans le bureau, il découvre le corps du consul baignant dans son sang. Jiri Pasovsky sera condamné pour homicide volontaire à huit ans de prison. Ce paisible retraité n’a pas supporté l’arnaque dont il a été victime de la part d’aigrefins nigérians qui lui ont extorqué ses économies en se faisant passer pour de hauts fonctionnaires.
Lekara Wayid a payé pour les escrocs de son pays qui pratiquent une arnaque redoutable, connue sous le nom de « fraude 419 », du numéro de l’article du code pénal nigérian qui la réprime.
L’imagination de ces individus est sans borne, mais si l’emballage est différent, le thème est toujours le même : demander à un pigeon occidental de recevoir sur son compte bancaire une somme de plusieurs dizaines de millions de dollars que l’escroc veut faire sortir du Nigeria, moyennant une commission de 20 % ou 30 % ; une fois que la cible, faisant taire scrupules et soupçons, s’est convaincue de la réalité de l’opération et y a donné son accord, l’amener à envoyer des fonds à titre d’avance – d’où le nom anglais advance fee fraud, fraude aux avances sur frais – pour permettre au transfert principal d’être effectué ce qui n’arrive évidemment jamais. Les prétextes sont variés : taxes, frais de dossiers, corruption d’un employé de banque, déplacements. Et quand la victime se lasse, les escrocs trouvent de bonnes raisons pour faire repartir l’opération dans une autre direction tout aussi illusoire.
L’expérience prouve que la victime, bien conditionnée, fascinée par un gain, qui semble toujours à portée de main, perd complètement tout esprit critique et se laisse entraîner dans des folies de plus en plus coûteuses jusqu’à se faire éventuellement complice d’opérations de blanchiment d’argent.
L’arnaque n’est pas nouvelle. Elle est apparue au début des années 1980, alors que la chute des cours du pétrole et la réduction de moitié de la production provoquaient dans le pays une crise économique qui mettait au chômage un grand nombre d’individus, familiers du monde des affaires et bien informés des pratiques bancaires anglo-saxonnes : des recrues de choix pour le « crime économique ». Depuis quelques années, la publicité donnée aux arnaques originaires du Nigeria a amené les escrocs à se replier sur des pays francophones proches, comme la Côte d’Ivoire ou le Bénin, et à tourner leur attention vers les Belges, les Canadiens et les Français.
Le nombre des escrocs africains activement impliqués dans ces fraudes dépasserait 250 000 selon divers recensements non officiels. Dix-huit mille d’entre eux seraient des résidents européens, selon l’agence privée d’investigation Ultrascan, spécialisée dans la fraude financière internationale. Les sommes extorquées se montent à 3,2 milliards de dollars en 2005, dont 25 % aux États-Unis, 15 % au Royaume-Uni et 10 % au Japon et en Espagne. Ces chiffres font de cette fraude la seconde activité « économique » au Nigeria.
En dix ans, l’arnaque aurait causé 13 000 faillites, 90 000 pertes d’emploi et 12 000 ventes forcées de résidence principale. Encore ne s’agit-il que des arnaques dont l’agence a pu retrouver la trace ; la plupart des victimes préfèrent garder pour elles leur mésaventure, par crainte du ridicule ou de poursuites. Aux États-Unis, les cas sont si nombreux que les autorités ne traitent pas les escroqueries inférieures à 50 000 dollars.
La première étape consiste à repérer une proie. Internet est d’un grand secours. Il y a de multiples façons d’obtenir des listes d’adresses e-mail, par exemple par piratage de bases de données commerciales ou en les acquérant directement auprès de spécialistes. Un même message, parfois faxé sur du papier à en-tête et enrichi de coups de tampon aussi contrefaits les uns que les autres, est expédié à quelques centaines ou milliers d’individus ; statistiquement, le taux de réponse est supérieur à 1 pour 1 000.
Le message ferre la proie par une accroche qui désarmera ses préventions et l’amènera à engager le dialogue. Les ressorts habituels sont la curiosité, l’apitoiement ou, au contraire, une fascination malsaine pour des ruffians qu’on ne veut pas laisser seuls profiter des bonnes choses de la vie. Historiquement, le premier truc fut de se prétendre fils d’un despote disparu, ou veuve d’un général corrompu, ou victime d’un tyran odieux.
« Je suis le Dr Mariam Abacha, veuve du général Sani Abacha (ancien président du Nigeria), soudainement décédé le 8 juin 1998. J’ai obtenu votre adresse par ma belle-sur, qui travaille à la Chambre de commerce et du tourisme du Canada. Compte tenu de votre notoriété et réputation, je suis convaincue que vous saurez m’assister pour récupérer 20 millions de dollars que m’a légués mon défunt mari. »
Le signataire a sur la somme à transférer un droit moral plutôt que légal. Le pigeon est ainsi averti et appâté : la malhonnêteté est déjà commise et même avouée ; c’est donc tout au plus une indélicatesse vénielle que d’en parfaire la réalisation. En même temps, le pigeon se voit entrer sur un terrain exotique, où il va rencontrer des héros d’aventures qui viendront pimenter sa vie.
« Je m’appelle Richard Diouf, fils unique du chef Diouf de Dakar. Mon père était un important négociant en cacao et en or avant son décès prématuré, dans un fatal accident de voiture. Trois jours après l’accident, mon père, se sentant mourir, m’a dit de lui apporter une clef que je trouverais dans un certain endroit de la maison. Cette clef ouvrait un tiroir dans lequel je découvris un certificat de dépôt de 18 001 500 dollars dans une agence de sécurité de Cotonou ». Les fonds en attente se languissent sur un compte bancaire nigérian ou au fond d’une malle. Que le pigeon donne les coordonnées de son compte, et le transfert s’effectuera dans les meilleurs délais. La commission promise – quelques millions de dollars – est colossale en regard du service rendu, mais en même temps compatible avec des références d’Occidental moyen (prix d’une très belle maison, besoin de fonds propres pour une création d’entreprise) qui vont la rendre crédible et légitime.
Une fois que la victime a fourni les informations demandées, l’arnaque part dans l’une ou l’autre de deux grandes directions : ou bien l’escroc trouve le moyen d’obtenir de la victime ses références bancaires pour vider son compte : c’est le phishing ; ou bien il entre dans le pur 419 et va extorquer de sa victime des sommes croissantes sous une succession de prétextes fantaisistes, avec ce ressort que, malgré les soupçons grandissants du pigeon, tout nouvel envoi justifiera les sommes précédemment envoyées, qui seraient perdues s’il arrêtait tout.
Dans une bonne fraude 419, pour fidéliser la victime, il faut lui faire sentir l’excitation du fruit défendu qu’est la corruption, ce qui neutralise ses défenses morales ainsi que sa capacité à soupçonner ses complices et prévient toute tentation de se tourner vers la police. Celui qui plaide coupable a droit à toutes les indulgences.
« Nous sommes membres du comité spécial du budget et du plan du ministère du Pétrole. Nous nous sommes assuré 41 millions de dollars par surfacturation d’un contrat à une société étrangère. Nous avons besoin d’un compte sûr où transférer ces fonds, car les officiels n’ont pas le droit de détenir un compte étranger. »
L’apitoiement, soutenu par un langage christianisant de prédicateur baptiste, est un bon sésame, surtout s’il attire la victime en lui suggérant implicitement de se muer en prédateur.
« Avant de mourir, mon mari, le Dr John Creek de la British Judicial Commission de Chelsea, a juré d’utiliser sa fortune au bénéfice des humiliés et des rejetés de la société. Il a déposé 10 millions de livres. Récemment, mon médecin m’a annoncé que je n’avais plus que quatre mois à vivre en raison d’une forme rare de cancer du pancréas. J’ai décidé de donner les fonds à une personne craignant Dieu, qui utilisera cet argent pour fournir des secours aux pauvres, aux orphelinats, aux veuves, et pour propager la paix dans le monde. Sainte est la main qui donne. »
Parmi de récentes perles, un commissionnaire, qui devait livrer une importante somme d’argent au World Trade Center le 11 septembre 2001, a survécu, et ses confrères le croient mort. Il aurait besoin d’un compte où déposer la somme en toute tranquillité. Ou, comble du comble, c’est une agence officielle de lutte contre la fraude 419 qui recherche des relais dans chaque pays pour les associer à la diffusion d’un livre de mise en garde. Il faut envoyer quelque argent pour obtenir son statut prestigieux d’auxiliaire de la répression des fraudes.
L’origine des fonds peut être le gros lot remporté à une loterie qui sera envoyé aussitôt qu’aura été reçu un paiement de 5 000 dollars de taxes. Ou le compte dont le titulaire a disparu.
« Je suis le Dr Jang Chung, de Anz Bank à Séoul, en Corée du Sud. Le 7 juin 2000, M. Effat Mansour a fait dans ma banque un dépôt de 21 millions de dollars pour un an. À l’échéance, j’ai envoyé une notification, mais sans obtenir de réponse. Finalement, nous avons découvert que M. Mansour était décédé sans testament ni héritier dans l’accident d’avion Egypt Air 990 du 31 octobre 1999. À l’expiration d’un délai de six ans, la somme ira au gouvernement sud-coréen. J’ai besoin de votre aide pour éviter que le fruit de la vie de travail de ce vieux monsieur ne tombe dans les mains de quelque officiel corrompu. »
Ou encore le legs inopiné...
« Félicitations ! Nous les exécuteurs testamentaires de feu l’ingénieur Morgan William, vous faisons savoir que le susnommé vous a, par testament, légué la somme de 3 100 000 dollars. Notre client était un pionnier, un homme craignant Dieu et un philanthrope. Il est décédé le neuvième jour de février 2004, à l’âge de 72 ans. »
Le pigeon peut être un employé de banque qui a les moyens d’écrémer les comptes des clients. Tel cet Australien, qui détourna plus de 800 000 dollars et se retrouva bien vite en prison. Ou ces employés d’une banque brésilienne qui ont fait parvenir 240 millions de dollars à des arnaqueurs basés en Afrique du Sud.
Si la victime rechigne à communiquer ses coordonnées bancaires, l’escroc peut lui ouvrir un compte à son nom et lui faire parvenir des codes d’appel lui permettant d’y accéder et de vérifier qu’il a bien été crédité d’une somme importante. Évidemment, toutes ces informations sont fausses, et la cible accédera à un compte factice.
Après que le pigeon aura effectué plusieurs virements de quelques centaines ou milliers de dollars chacun et reçu des liasses de documents prouvant que l’affaire est près de sa conclusion, l’escroc passera à une arnaque d’une tout autre dimension visant à recycler des chèques volés. Il va réclamer un paiement de 35 000 dollars pour un ultime bakchich. Le pigeon va s’exclamer qu’il ne les a pas Après l’avoir laissé mariner quelques jours, l’escroc va lui annoncer la bonne nouvelle : l’envoi d’un chèque de 50 000 dollars d’ordre d’une entreprise dont le pigeon vérifiera l’existence. Soulagé, il encaisse le chèque et fait le virement de 35 000 dollars demandé sur un compte domicilié dans une banque des îles Vierges. Malheureusement, le chèque déposé a été volé dans un sac postal et falsifié. La banque va le rejeter – elle a droit à quatre-vingt-dix jours pour annuler le crédit d’un compte -, et le pigeon devra la rembourser des 35 000 dollars imprudemment virés. Dans ces cas, le pigeon risque de se retrouver devant les tribunaux. Il sera aisément démontré qu’il essayait de compenser, par un gain qu’il savait malhonnête, une perte subie dans une étape précédente de l’arnaque.
Parfois, le pigeon est invité à se rendre au Nigeria. On le cueillera à sa descente d’avion, sans visa, pour qu’il soit plus vulnérable. Alors, selon sa personnalité, sa capacité à émettre des ordres de virement, l’argent liquide dont il dispose, il sera présenté à un prétendu ministre dans un hall d’hôtel ou dans un bureau loué, ou passé à tabac dans un bidonville. Il y aurait eu 25 disparitions d’Américains au Nigeria en 2003 en relation avec la fraude 419. Une savoureuse vidéo musicale, disponible sur la Toile, intitulée I go chop your dollar, met en scène un pigeon se faisant arnaquer dans une ambiance de bonne humeur tropicale.
Le Nigeria a réagi contre ces fraudes très dommageables à sa réputation par plusieurs initiatives, dont la création de la Commission contre le crime économique et financier (EFCC) et le renforcement des lois anticorruption. Plusieurs centaines d’escrocs ont été mis sous les verrous, dont un membre du Parlement. Des associations de scambaiters (de l’anglais scam, « arnaque » et to bait, « appâter ») se sont mises en place, notamment aux États-Unis. Il s’agit d’individus qui feignent de se laisser prendre au piège d’un fraudeur 419 mais s’ingénient ensuite à contrarier ses initiatives par des demandes rocambolesques et des propositions alléchantes capables de le tenir à son tour en haleine pendant des mois. L’arrosé devenu arroseur fait miroiter à son arnaqueur une carte de résident américain ou achète pour son compte les titres d’une société (fictive) qui gagne des mille et des cents. On rit et puis on ne rit plus. L’ex-victime publie triomphalement sur Internet la photo de sa proie : un pauvre type, mal à l’aise, apeuré, sur fond d’immeuble vétuste et qui ne sera jamais ni riche, ni résident américain. On peut douter que ce type de vengeance soit d’un grand secours pour réduire et le nombre des victimes, et celui des escrocs.
Dakarflash
Lekara Wayid a payé pour les escrocs de son pays qui pratiquent une arnaque redoutable, connue sous le nom de « fraude 419 », du numéro de l’article du code pénal nigérian qui la réprime.
L’imagination de ces individus est sans borne, mais si l’emballage est différent, le thème est toujours le même : demander à un pigeon occidental de recevoir sur son compte bancaire une somme de plusieurs dizaines de millions de dollars que l’escroc veut faire sortir du Nigeria, moyennant une commission de 20 % ou 30 % ; une fois que la cible, faisant taire scrupules et soupçons, s’est convaincue de la réalité de l’opération et y a donné son accord, l’amener à envoyer des fonds à titre d’avance – d’où le nom anglais advance fee fraud, fraude aux avances sur frais – pour permettre au transfert principal d’être effectué ce qui n’arrive évidemment jamais. Les prétextes sont variés : taxes, frais de dossiers, corruption d’un employé de banque, déplacements. Et quand la victime se lasse, les escrocs trouvent de bonnes raisons pour faire repartir l’opération dans une autre direction tout aussi illusoire.
L’expérience prouve que la victime, bien conditionnée, fascinée par un gain, qui semble toujours à portée de main, perd complètement tout esprit critique et se laisse entraîner dans des folies de plus en plus coûteuses jusqu’à se faire éventuellement complice d’opérations de blanchiment d’argent.
L’arnaque n’est pas nouvelle. Elle est apparue au début des années 1980, alors que la chute des cours du pétrole et la réduction de moitié de la production provoquaient dans le pays une crise économique qui mettait au chômage un grand nombre d’individus, familiers du monde des affaires et bien informés des pratiques bancaires anglo-saxonnes : des recrues de choix pour le « crime économique ». Depuis quelques années, la publicité donnée aux arnaques originaires du Nigeria a amené les escrocs à se replier sur des pays francophones proches, comme la Côte d’Ivoire ou le Bénin, et à tourner leur attention vers les Belges, les Canadiens et les Français.
Le nombre des escrocs africains activement impliqués dans ces fraudes dépasserait 250 000 selon divers recensements non officiels. Dix-huit mille d’entre eux seraient des résidents européens, selon l’agence privée d’investigation Ultrascan, spécialisée dans la fraude financière internationale. Les sommes extorquées se montent à 3,2 milliards de dollars en 2005, dont 25 % aux États-Unis, 15 % au Royaume-Uni et 10 % au Japon et en Espagne. Ces chiffres font de cette fraude la seconde activité « économique » au Nigeria.
En dix ans, l’arnaque aurait causé 13 000 faillites, 90 000 pertes d’emploi et 12 000 ventes forcées de résidence principale. Encore ne s’agit-il que des arnaques dont l’agence a pu retrouver la trace ; la plupart des victimes préfèrent garder pour elles leur mésaventure, par crainte du ridicule ou de poursuites. Aux États-Unis, les cas sont si nombreux que les autorités ne traitent pas les escroqueries inférieures à 50 000 dollars.
La première étape consiste à repérer une proie. Internet est d’un grand secours. Il y a de multiples façons d’obtenir des listes d’adresses e-mail, par exemple par piratage de bases de données commerciales ou en les acquérant directement auprès de spécialistes. Un même message, parfois faxé sur du papier à en-tête et enrichi de coups de tampon aussi contrefaits les uns que les autres, est expédié à quelques centaines ou milliers d’individus ; statistiquement, le taux de réponse est supérieur à 1 pour 1 000.
Le message ferre la proie par une accroche qui désarmera ses préventions et l’amènera à engager le dialogue. Les ressorts habituels sont la curiosité, l’apitoiement ou, au contraire, une fascination malsaine pour des ruffians qu’on ne veut pas laisser seuls profiter des bonnes choses de la vie. Historiquement, le premier truc fut de se prétendre fils d’un despote disparu, ou veuve d’un général corrompu, ou victime d’un tyran odieux.
« Je suis le Dr Mariam Abacha, veuve du général Sani Abacha (ancien président du Nigeria), soudainement décédé le 8 juin 1998. J’ai obtenu votre adresse par ma belle-sur, qui travaille à la Chambre de commerce et du tourisme du Canada. Compte tenu de votre notoriété et réputation, je suis convaincue que vous saurez m’assister pour récupérer 20 millions de dollars que m’a légués mon défunt mari. »
Le signataire a sur la somme à transférer un droit moral plutôt que légal. Le pigeon est ainsi averti et appâté : la malhonnêteté est déjà commise et même avouée ; c’est donc tout au plus une indélicatesse vénielle que d’en parfaire la réalisation. En même temps, le pigeon se voit entrer sur un terrain exotique, où il va rencontrer des héros d’aventures qui viendront pimenter sa vie.
« Je m’appelle Richard Diouf, fils unique du chef Diouf de Dakar. Mon père était un important négociant en cacao et en or avant son décès prématuré, dans un fatal accident de voiture. Trois jours après l’accident, mon père, se sentant mourir, m’a dit de lui apporter une clef que je trouverais dans un certain endroit de la maison. Cette clef ouvrait un tiroir dans lequel je découvris un certificat de dépôt de 18 001 500 dollars dans une agence de sécurité de Cotonou ». Les fonds en attente se languissent sur un compte bancaire nigérian ou au fond d’une malle. Que le pigeon donne les coordonnées de son compte, et le transfert s’effectuera dans les meilleurs délais. La commission promise – quelques millions de dollars – est colossale en regard du service rendu, mais en même temps compatible avec des références d’Occidental moyen (prix d’une très belle maison, besoin de fonds propres pour une création d’entreprise) qui vont la rendre crédible et légitime.
Une fois que la victime a fourni les informations demandées, l’arnaque part dans l’une ou l’autre de deux grandes directions : ou bien l’escroc trouve le moyen d’obtenir de la victime ses références bancaires pour vider son compte : c’est le phishing ; ou bien il entre dans le pur 419 et va extorquer de sa victime des sommes croissantes sous une succession de prétextes fantaisistes, avec ce ressort que, malgré les soupçons grandissants du pigeon, tout nouvel envoi justifiera les sommes précédemment envoyées, qui seraient perdues s’il arrêtait tout.
Dans une bonne fraude 419, pour fidéliser la victime, il faut lui faire sentir l’excitation du fruit défendu qu’est la corruption, ce qui neutralise ses défenses morales ainsi que sa capacité à soupçonner ses complices et prévient toute tentation de se tourner vers la police. Celui qui plaide coupable a droit à toutes les indulgences.
« Nous sommes membres du comité spécial du budget et du plan du ministère du Pétrole. Nous nous sommes assuré 41 millions de dollars par surfacturation d’un contrat à une société étrangère. Nous avons besoin d’un compte sûr où transférer ces fonds, car les officiels n’ont pas le droit de détenir un compte étranger. »
L’apitoiement, soutenu par un langage christianisant de prédicateur baptiste, est un bon sésame, surtout s’il attire la victime en lui suggérant implicitement de se muer en prédateur.
« Avant de mourir, mon mari, le Dr John Creek de la British Judicial Commission de Chelsea, a juré d’utiliser sa fortune au bénéfice des humiliés et des rejetés de la société. Il a déposé 10 millions de livres. Récemment, mon médecin m’a annoncé que je n’avais plus que quatre mois à vivre en raison d’une forme rare de cancer du pancréas. J’ai décidé de donner les fonds à une personne craignant Dieu, qui utilisera cet argent pour fournir des secours aux pauvres, aux orphelinats, aux veuves, et pour propager la paix dans le monde. Sainte est la main qui donne. »
Parmi de récentes perles, un commissionnaire, qui devait livrer une importante somme d’argent au World Trade Center le 11 septembre 2001, a survécu, et ses confrères le croient mort. Il aurait besoin d’un compte où déposer la somme en toute tranquillité. Ou, comble du comble, c’est une agence officielle de lutte contre la fraude 419 qui recherche des relais dans chaque pays pour les associer à la diffusion d’un livre de mise en garde. Il faut envoyer quelque argent pour obtenir son statut prestigieux d’auxiliaire de la répression des fraudes.
L’origine des fonds peut être le gros lot remporté à une loterie qui sera envoyé aussitôt qu’aura été reçu un paiement de 5 000 dollars de taxes. Ou le compte dont le titulaire a disparu.
« Je suis le Dr Jang Chung, de Anz Bank à Séoul, en Corée du Sud. Le 7 juin 2000, M. Effat Mansour a fait dans ma banque un dépôt de 21 millions de dollars pour un an. À l’échéance, j’ai envoyé une notification, mais sans obtenir de réponse. Finalement, nous avons découvert que M. Mansour était décédé sans testament ni héritier dans l’accident d’avion Egypt Air 990 du 31 octobre 1999. À l’expiration d’un délai de six ans, la somme ira au gouvernement sud-coréen. J’ai besoin de votre aide pour éviter que le fruit de la vie de travail de ce vieux monsieur ne tombe dans les mains de quelque officiel corrompu. »
Ou encore le legs inopiné...
« Félicitations ! Nous les exécuteurs testamentaires de feu l’ingénieur Morgan William, vous faisons savoir que le susnommé vous a, par testament, légué la somme de 3 100 000 dollars. Notre client était un pionnier, un homme craignant Dieu et un philanthrope. Il est décédé le neuvième jour de février 2004, à l’âge de 72 ans. »
Le pigeon peut être un employé de banque qui a les moyens d’écrémer les comptes des clients. Tel cet Australien, qui détourna plus de 800 000 dollars et se retrouva bien vite en prison. Ou ces employés d’une banque brésilienne qui ont fait parvenir 240 millions de dollars à des arnaqueurs basés en Afrique du Sud.
Si la victime rechigne à communiquer ses coordonnées bancaires, l’escroc peut lui ouvrir un compte à son nom et lui faire parvenir des codes d’appel lui permettant d’y accéder et de vérifier qu’il a bien été crédité d’une somme importante. Évidemment, toutes ces informations sont fausses, et la cible accédera à un compte factice.
Après que le pigeon aura effectué plusieurs virements de quelques centaines ou milliers de dollars chacun et reçu des liasses de documents prouvant que l’affaire est près de sa conclusion, l’escroc passera à une arnaque d’une tout autre dimension visant à recycler des chèques volés. Il va réclamer un paiement de 35 000 dollars pour un ultime bakchich. Le pigeon va s’exclamer qu’il ne les a pas Après l’avoir laissé mariner quelques jours, l’escroc va lui annoncer la bonne nouvelle : l’envoi d’un chèque de 50 000 dollars d’ordre d’une entreprise dont le pigeon vérifiera l’existence. Soulagé, il encaisse le chèque et fait le virement de 35 000 dollars demandé sur un compte domicilié dans une banque des îles Vierges. Malheureusement, le chèque déposé a été volé dans un sac postal et falsifié. La banque va le rejeter – elle a droit à quatre-vingt-dix jours pour annuler le crédit d’un compte -, et le pigeon devra la rembourser des 35 000 dollars imprudemment virés. Dans ces cas, le pigeon risque de se retrouver devant les tribunaux. Il sera aisément démontré qu’il essayait de compenser, par un gain qu’il savait malhonnête, une perte subie dans une étape précédente de l’arnaque.
Parfois, le pigeon est invité à se rendre au Nigeria. On le cueillera à sa descente d’avion, sans visa, pour qu’il soit plus vulnérable. Alors, selon sa personnalité, sa capacité à émettre des ordres de virement, l’argent liquide dont il dispose, il sera présenté à un prétendu ministre dans un hall d’hôtel ou dans un bureau loué, ou passé à tabac dans un bidonville. Il y aurait eu 25 disparitions d’Américains au Nigeria en 2003 en relation avec la fraude 419. Une savoureuse vidéo musicale, disponible sur la Toile, intitulée I go chop your dollar, met en scène un pigeon se faisant arnaquer dans une ambiance de bonne humeur tropicale.
Le Nigeria a réagi contre ces fraudes très dommageables à sa réputation par plusieurs initiatives, dont la création de la Commission contre le crime économique et financier (EFCC) et le renforcement des lois anticorruption. Plusieurs centaines d’escrocs ont été mis sous les verrous, dont un membre du Parlement. Des associations de scambaiters (de l’anglais scam, « arnaque » et to bait, « appâter ») se sont mises en place, notamment aux États-Unis. Il s’agit d’individus qui feignent de se laisser prendre au piège d’un fraudeur 419 mais s’ingénient ensuite à contrarier ses initiatives par des demandes rocambolesques et des propositions alléchantes capables de le tenir à son tour en haleine pendant des mois. L’arrosé devenu arroseur fait miroiter à son arnaqueur une carte de résident américain ou achète pour son compte les titres d’une société (fictive) qui gagne des mille et des cents. On rit et puis on ne rit plus. L’ex-victime publie triomphalement sur Internet la photo de sa proie : un pauvre type, mal à l’aise, apeuré, sur fond d’immeuble vétuste et qui ne sera jamais ni riche, ni résident américain. On peut douter que ce type de vengeance soit d’un grand secours pour réduire et le nombre des victimes, et celui des escrocs.
Dakarflash