Dans les couloirs du lycée, à la bibliothèque, en voiture ou sous la couette... sous le hashtag #doit4juul, des centaines d'adolescents américains partagent de courtes vidéos sur Instagram, où ils se filment en train de 'juuler'. En trois ans d'existence, Juul Labs, un fabricant de cigarettes électroniques, a réussi à faire de son nom un verbe.
Son produit : un appareil ressemblant à une clé USB dans lequel s'insèrent des recharges avec un liquide contenant de la nicotine. Il s'est imposé comme le leader des e-cigarettes, captant 68 % d'un marché dont la banque Wells Fargo prédit qu'il va croître de 25 % cette année aux Etats-Unis.
245 millions de dollars de chiffre d'affaires
Créée à San Francisco par deux diplômés en design de l'université de Stanford, l'entreprise cherche à boucler un tour de table d'1,2 milliard de dollars pour poursuivre son développement et s'étendre à l'international, notamment en Europe et en Asie. Début juillet, elle a sécurisé 650 millions de dollars, dont la majorité auprès des fonds Fidelity Investment et Tiger Global. Si elle réussit à finaliser sa levée de fonds, sa valorisation grimpera à 15 milliards de dollars - un niveau équivalent au réseau social Snap et à l'opérateur de véhicules de transport avec chauffeur Lyft.Addiction à la nicotine chez les adolescents
L'entreprise doit cependant fait face à une attention accrue de la communauté scientifique, des pouvoirs publics et des régulateurs face à son succès chez les adolescents. Juul Labs assure qu'elle ne vise pas cette catégorie démographique et s'adresse seulement aux « adultes qui veulent basculer des cigarettes combustibles vers une meilleure alternative ». Par rapport à une cigarette classique, les e-cigarettes ne créent pas de particules lourdes (monoxyde de carbone, goudron...) qui s'accrochent aux poumons.VIDEO - E-cigarette : de plus en plus d'interdictions*
Une bannière sur la page d'accueil du site de l'entreprise indique ainsi qu'il faut « être âgé d'au moins 21 ans pour acheter ses produits » et qu'il « est illégal de les vendre ou revendre aux mineurs ». Mais ce n'est pas suffisant pour empêcher les revendeurs de s'activer sur des sites comme eBay et forcer les supérettes et les stations essence à vérifier l'âge des acheteurs.
Juul a capturé l'intérêt des Millennials
Certains scientifiques, comme Jonathan Winickoff, l'ancien président de l'American Academy of Pediatrics Tobacco Consortium, accusent l'entreprise de créer une addiction à la nicotine chez des jeunes qui n'auraient jamais fumé sinon. Car la cigarette n'est plus du tout populaire chez les jeunes Américains : alors que 20,6 % des étudiants en terminale déclaraient fumer quotidiennement des cigarettes en 2000, ils n'étaient plus que 5,5 % en 2015, selon le ministère de la santé américain.
« Une approche à la Apple
Juul a justement pensé son design pour que le produit soit plus proche d'un appareil high-tech minimaliste que d'une cigarette - pas de formes cylindriques, pas de bout lumineux...« Juul a capté l'intérêt des Millennials avec une approche à la Apple », résume Bonnie Herzog, analyste spécialiste des cigarettiers chez Wells Fargo. L'existence d'arômes sucrés comme mangue ou crème brûlée est également vue comme un élément attirant les jeunes.
Les citoyens de San Francisco, où Juul Labs emploie 400 salariés, ont d'ailleurs décidé lors d'un référendum organisé le mois dernier, de bannir la vente de liquides à la nicotine parfumés pour cette raison.
En avril, les régulateurs de la Federal Drug Administration (FDA) ont demandé à la société de lui communiquer des documents internes sur la stratégie marketing de la société, notamment vis-à-vis des jeunes, et des études sur le potentiel addictif de ses produits.
Juul Labs a pris plusieurs mesures pour montrer sa bonne volonté. Après avoir inclus sur son packaging la mention « l'alternative pour les fumeurs adultes », elle a annoncé qu'elle allait dépenser 30 millions de dollars sur les trois prochaines années pour combattre la consommation par les adolescents. Ce jeudi, elle lançait une version moins chargée en nicotine pour deux de ses saveurs.
Les Echos.fr