Jeune Afrique : Comment le Sénégal se relève-t-il de la crise ?
Baïdy Agne : La période 2007-2009 a été noire, avec la conjonction de plusieurs crises : électrique, alimentaire et financière. Globalement, le Sénégal a bien résisté à la crise financière car nous sommes peu intégrés dans l’économie mondiale. Mais les crises alimentaire et énergétique ont eu un impact plus fort, à cause de notre dépendance aux importations. En conséquence, les subventions d’urgence accordées par l’État ont creusé la dette intérieure. La croissance sénégalaise a été de 1,7 % en 2007 et de 2,5 % en 2008, contre une moyenne de 5 % en dehors de cette période. Le pays a besoin de beaucoup plus de croissance pour réduire la pauvreté. Quant aux industriels, ils n’ont pas vraiment été touchés car, théoriquement, si les produits de l’importation deviennent plus chers, les produits locaux s’en trouvent favorisés.
Un comité de consultation vient d’être mis en place pour trouver une issue à la crise énergétique, et un partenariat a été signé avec le français EDF. Quelle est l’opinion du patronat sur ces premières initiatives ?
L’énergie est une question de souveraineté nationale, et cela fait plus de dix ans que le Conseil national du patronat demande que l’on s’attelle à ce problème. Nous voulions notamment que soient impliqués tous les acteurs, politiques et économiques, et qu’un audit financier et technique soit effectué. Nous sommes donc en accord avec le ministre de tutelle [Karim Wade, NDLR] pour mettre en place un comité de relance de l’électricité. C’est un début. On ne pourra jamais atteindre l’objectif de 7 % à 8 % de croissance si nous n’avons pas une fourniture énergétique de qualité et à un prix abordable. Aujourd’hui, nous n’avons ni l’un ni l’autre. Les pertes de croissance en raison d’un système énergétique défaillant avoisinent probablement les 100 milliards de F CFA par an [152 millions d’euros].
Quelles solutions envisagez-vous ?
Nous attendons les conclusions des audits, mais il est clair qu’il faudra revoir le parc de production, notamment avec la mise en place de centrales au charbon, moins cher que le fuel dont nous dépendons. Rappelons que nous avons le kilowattheure le plus cher de l’UEMOA ! Les citoyens et les industriels ont besoin d’avoir un schéma clair de sortie de crise. J’entends dire qu’il faudra trois ou quatre ans pour voir le bout du tunnel. L’avantage, c’est que les industriels ont le temps pour prendre des dispositions. L’inconvénient, c’est que c’est long pour un secteur si essentiel.
Beaucoup de PME expriment leur incapacité à accéder au financement des banques. Pourquoi ?
Nos PME manquent d’accompagnement et sont dans une situation fragile. Nous sommes dans un pays où, globalement, l’environnement des affaires ne fournit pas une vision assez claire aux banques. Il y a par exemple un manque de délibération dans les litiges commerciaux : nous avons un stock de plus de 100 milliards de F CFA de litiges non tranchés. Cette situation rend les banques frileuses. L’État a une responsabilité : il doit organiser un environnement favorable au développement des entreprises. Beaucoup d’agences publiques ont été créées pour se mettre au chevet des PME, mais il serait peut-être bon de rationaliser tout ça et de dire concrètement ce que nous allons faire.
L’agriculture bénéficie de la Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana) depuis 2008. Quel bilan tirez-vous de ce plan ?
C’est une excellente initiative, même s’il est difficile d’avoir les vrais chiffres : il y a un écart entre ceux publiés officiellement et ceux collectés auprès des industriels. Mais l’augmentation significative de certaines cultures vivrières ne suffit pas. Il est nécessaire d’organiser les filières, de définir les processus de collecte, de transport et de commercialisation. Dans ce sens, sous l’impulsion de l’État, huit importateurs de riz ont constitué une société pour s’organiser en filière. C’est une bonne chose car, pour l’instant, la production augmente, mais les importations n’ont pas baissé.
Mettez-vous à l’actif de l’État la relance des fleurons de l’industrie sénégalaise, la Société africaine de raffinage (SAR) et les Industries chimiques du Sénégal (ICS) ?
La préoccupation première était de les remettre sur pied. Mais les deux groupes ont été privatisés au profit d’entreprises étrangères [le saoudien Bin Ladin Group pour la SAR, l’indien Iffco pour les ICS], solution que je n’approuve pas, car nous aurions pu trouver une solution de reprise locale. L’État doit recourir au patriotisme économique, surtout quand il s’agit d’une privatisation ou d’une concession dans des secteurs stratégiques.
C’est pour cela que votre groupe est impliqué à hauteur de 65 % dans le capital de Sénégal Airlines, qui va bientôt décoller ?
Oui, mais ce n’est pas l’industrie la plus facile. Pourquoi n’aurions-nous pas accès à des opportunités moins risquées ?
Comme dans les télécoms ? Il y a aujourd’hui trois licences de téléphonie et aucune n’est attribuée majoritairement à des Sénégalais…
C’est un secteur qui génère beaucoup d’argent. Et pourtant, aucun rôle n’a été assigné aux opérateurs pour développer le tissu industriel lié à cette activité : infrastructures, sous-traitance… Les télécoms, Sonatel en tête, doivent réinvestir pour permettre aux entreprises locales de se développer. Le secteur privé sénégalais n’a pas été impliqué dans la délivrance de licences alors qu’il en avait l’ambition. Finalement, il a été écarté. Il est imprudent de ne pas favoriser un groupe sénégalais dans un secteur aussi stratégique.
Le secteur privé a-t-il été consulté pour la relance du tourisme, qui a été un échec ?
Depuis 2000, au-delà des problèmes en Casamance, le président de la République n’a pas su hisser ce secteur au premier plan. Nous n’avons pas de perspectives, il n’y a pas de politique globale et cohérente. Le manque d’infrastructures et d’investissements s’ajoute à la hausse des taxes – notamment aéroportuaires pour financer le nouvel aéroport – qui a rendu la destination plus chère.
Les seuls investissements dans le secteur du tourisme sont venus de l’Anoci [Agence nationale de l’organisation de la conférence islamique] en 2007 – je faisais d’ailleurs partie du conseil de surveillance –, et non du ministère : hôtels de luxe, infrastructures, salles de conférence… Tout a été mis en œuvre pour favoriser le tourisme d’affaires.
La construction d’un nouvel aéroport était-elle nécessaire ?
Je suis d’accord avec tous les investissements, surtout si tout le monde dit qu’ils sont surdimensionnés. Car autrement, ce sont des investissements de rattrapage qui finissent par coûter beaucoup plus cher. Une fois l’aéroport construit, on peut espérer que les taxes baisseront et que le pays deviendra une destination bon marché.
Baïdy Agne : La période 2007-2009 a été noire, avec la conjonction de plusieurs crises : électrique, alimentaire et financière. Globalement, le Sénégal a bien résisté à la crise financière car nous sommes peu intégrés dans l’économie mondiale. Mais les crises alimentaire et énergétique ont eu un impact plus fort, à cause de notre dépendance aux importations. En conséquence, les subventions d’urgence accordées par l’État ont creusé la dette intérieure. La croissance sénégalaise a été de 1,7 % en 2007 et de 2,5 % en 2008, contre une moyenne de 5 % en dehors de cette période. Le pays a besoin de beaucoup plus de croissance pour réduire la pauvreté. Quant aux industriels, ils n’ont pas vraiment été touchés car, théoriquement, si les produits de l’importation deviennent plus chers, les produits locaux s’en trouvent favorisés.
Un comité de consultation vient d’être mis en place pour trouver une issue à la crise énergétique, et un partenariat a été signé avec le français EDF. Quelle est l’opinion du patronat sur ces premières initiatives ?
L’énergie est une question de souveraineté nationale, et cela fait plus de dix ans que le Conseil national du patronat demande que l’on s’attelle à ce problème. Nous voulions notamment que soient impliqués tous les acteurs, politiques et économiques, et qu’un audit financier et technique soit effectué. Nous sommes donc en accord avec le ministre de tutelle [Karim Wade, NDLR] pour mettre en place un comité de relance de l’électricité. C’est un début. On ne pourra jamais atteindre l’objectif de 7 % à 8 % de croissance si nous n’avons pas une fourniture énergétique de qualité et à un prix abordable. Aujourd’hui, nous n’avons ni l’un ni l’autre. Les pertes de croissance en raison d’un système énergétique défaillant avoisinent probablement les 100 milliards de F CFA par an [152 millions d’euros].
Quelles solutions envisagez-vous ?
Nous attendons les conclusions des audits, mais il est clair qu’il faudra revoir le parc de production, notamment avec la mise en place de centrales au charbon, moins cher que le fuel dont nous dépendons. Rappelons que nous avons le kilowattheure le plus cher de l’UEMOA ! Les citoyens et les industriels ont besoin d’avoir un schéma clair de sortie de crise. J’entends dire qu’il faudra trois ou quatre ans pour voir le bout du tunnel. L’avantage, c’est que les industriels ont le temps pour prendre des dispositions. L’inconvénient, c’est que c’est long pour un secteur si essentiel.
Beaucoup de PME expriment leur incapacité à accéder au financement des banques. Pourquoi ?
Nos PME manquent d’accompagnement et sont dans une situation fragile. Nous sommes dans un pays où, globalement, l’environnement des affaires ne fournit pas une vision assez claire aux banques. Il y a par exemple un manque de délibération dans les litiges commerciaux : nous avons un stock de plus de 100 milliards de F CFA de litiges non tranchés. Cette situation rend les banques frileuses. L’État a une responsabilité : il doit organiser un environnement favorable au développement des entreprises. Beaucoup d’agences publiques ont été créées pour se mettre au chevet des PME, mais il serait peut-être bon de rationaliser tout ça et de dire concrètement ce que nous allons faire.
L’agriculture bénéficie de la Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana) depuis 2008. Quel bilan tirez-vous de ce plan ?
C’est une excellente initiative, même s’il est difficile d’avoir les vrais chiffres : il y a un écart entre ceux publiés officiellement et ceux collectés auprès des industriels. Mais l’augmentation significative de certaines cultures vivrières ne suffit pas. Il est nécessaire d’organiser les filières, de définir les processus de collecte, de transport et de commercialisation. Dans ce sens, sous l’impulsion de l’État, huit importateurs de riz ont constitué une société pour s’organiser en filière. C’est une bonne chose car, pour l’instant, la production augmente, mais les importations n’ont pas baissé.
Mettez-vous à l’actif de l’État la relance des fleurons de l’industrie sénégalaise, la Société africaine de raffinage (SAR) et les Industries chimiques du Sénégal (ICS) ?
La préoccupation première était de les remettre sur pied. Mais les deux groupes ont été privatisés au profit d’entreprises étrangères [le saoudien Bin Ladin Group pour la SAR, l’indien Iffco pour les ICS], solution que je n’approuve pas, car nous aurions pu trouver une solution de reprise locale. L’État doit recourir au patriotisme économique, surtout quand il s’agit d’une privatisation ou d’une concession dans des secteurs stratégiques.
C’est pour cela que votre groupe est impliqué à hauteur de 65 % dans le capital de Sénégal Airlines, qui va bientôt décoller ?
Oui, mais ce n’est pas l’industrie la plus facile. Pourquoi n’aurions-nous pas accès à des opportunités moins risquées ?
Comme dans les télécoms ? Il y a aujourd’hui trois licences de téléphonie et aucune n’est attribuée majoritairement à des Sénégalais…
C’est un secteur qui génère beaucoup d’argent. Et pourtant, aucun rôle n’a été assigné aux opérateurs pour développer le tissu industriel lié à cette activité : infrastructures, sous-traitance… Les télécoms, Sonatel en tête, doivent réinvestir pour permettre aux entreprises locales de se développer. Le secteur privé sénégalais n’a pas été impliqué dans la délivrance de licences alors qu’il en avait l’ambition. Finalement, il a été écarté. Il est imprudent de ne pas favoriser un groupe sénégalais dans un secteur aussi stratégique.
Le secteur privé a-t-il été consulté pour la relance du tourisme, qui a été un échec ?
Depuis 2000, au-delà des problèmes en Casamance, le président de la République n’a pas su hisser ce secteur au premier plan. Nous n’avons pas de perspectives, il n’y a pas de politique globale et cohérente. Le manque d’infrastructures et d’investissements s’ajoute à la hausse des taxes – notamment aéroportuaires pour financer le nouvel aéroport – qui a rendu la destination plus chère.
Les seuls investissements dans le secteur du tourisme sont venus de l’Anoci [Agence nationale de l’organisation de la conférence islamique] en 2007 – je faisais d’ailleurs partie du conseil de surveillance –, et non du ministère : hôtels de luxe, infrastructures, salles de conférence… Tout a été mis en œuvre pour favoriser le tourisme d’affaires.
La construction d’un nouvel aéroport était-elle nécessaire ?
Je suis d’accord avec tous les investissements, surtout si tout le monde dit qu’ils sont surdimensionnés. Car autrement, ce sont des investissements de rattrapage qui finissent par coûter beaucoup plus cher. Une fois l’aéroport construit, on peut espérer que les taxes baisseront et que le pays deviendra une destination bon marché.