Cheikh Ahmed Bamba Diagne a scruté tous les scrutins présidentiels et légilslatifs du Sénégal depuis 1960. © DR
Forte longévité des hommes politiques, loi sur les parrainages contestée, suspicion d'instrumentalisation des institutions : l'élection présidentielle du 24 février prochain intervient dans un contexte particulier sur fond de bilan de la première phase du Plan Sénégal émergent, mais aussi de défiance des populations par rapport à la classe politique.
Dans cet environnement, il est particulièrement intéressant de partager avec Cheikh Ahmed Bamba Diagne, le fruit de son observation de 56 ans de vie citoyenne des Sénégalais à travers leur relation au droit de vote. Dans son livre Comment votent les Sénégalais ? Analyse du comportement de l'électeur de 1960 au 20 mars 2016 (L'Harmattan Sénégal, 2017), ce docteur en économie spécialisé dans les questions bancaires, monétaires et financières, se sert des chiffres pour s'attaquer à un domaine qui le passionne : la politique.
Pour offrir une analyse rigoureuse des stratégies de vote des Sénégalais, l'enseignant-chercheur a décortiqué dix élections présidentielles, douze législatives et trois référendums. De quoi lui permettre une analyse fine des réalités qui entourent le prochain scrutin présidentiel.
Le Point Afrique : Depuis l'indépendance, le taux de participation baisse progressivement. Comment l'expliquer ?
Cheikh Ahmed Bamba Diagne : Effectivement, le taux de participation est passé d'environ 95 % au temps du parti unique de Léopold Sédar Senghor à 55 % à l'élection présidentielle de 2012. Il existe toujours un devoir de citoyenneté au Sénégal, mais il concerne surtout les zones les plus reculées. C'est dans les villages éloignés de la capitale qu'on observe les taux de participation les plus élevés. Voter y est comme une religion. On va dans les bureaux de vote pour montrer qu'on est un bon Sénégalais qui s'intéresse à la vie du pays.
Mais dans la capitale et les centres urbains, les hommes politiques sont démythifiés. Les populations y étant plus informées, elles voient comment ceux-ci utilisent leur pouvoir et s'enrichissent. Il y a un véritable problème de confiance entre le peuple, les jeunes citadins notamment, et les politiciens.
Cette année, les suspicions d'influence du pouvoir actuel sur le Conseil constitutionnel et sur la justice continuent de les décrédibiliser. Les électeurs sont découragés et ne veulent pas se déplacer pour choisir parmi des hommes qui sont « tous les mêmes ».
Les marabouts ont-ils toujours de l'influence sur le vote de leurs fidèles ?
Aujourd'hui, le Sénégalais fait la différence entre le plan spirituel et le plan temporel. Il peut suivre spirituellement un marabout, mais va souvent considérer que les questions politiques, sont plutôt ses affaires. Cela dit, les marabouts ont longtemps donné des consignes de vote, et toujours en faveur du pouvoir en place, pour s'assurer des privilèges. Cela déplaît.
Les chefs religieux comprennent qu'en se positionnant politiquement ils risquent de perdre leur autorité auprès de leurs fidèles et leur rôle extrêmement important de stabilisateur en cas de conflit. Si les candidats continuent à faire le tour des confréries, ils savent que ce n'est plus aussi payant.
Il y a plus de trois cents partis au Sénégal. Pensez-vous, comme Senghor, que la prolifération des partis politiques est un danger pour la démocratie sénégalaise ?
Ce n'est pas un problème tant que cela montre une aspiration démocratique. Mais ce qui existe beaucoup au Sénégal, c'est le « business politique » qui consiste à créer un parti pour proposer son soutien à tel ou tel candidat. Et si ce candidat est élu, devenir dans le pire des cas président d'un conseil d'administration.
Parallèlement, cela permet aux principaux candidats de dire : « Regardez tous ces partis qui me soutiennent… » Problème : ces partis, personne ne les connaît ! Prenons l'exemple des vingt-sept candidats qui ont déposé leur dossier au Conseil constitutionnel pour la présidentielle de février. Demandez aux Sénégalais de vous en citer vingt, ils en seront incapables. Donc, ne parlons même pas quand plusieurs centaines se manifestent.
La loi du parrainage a été votée en avril 2018 pour limiter l' inflation de candidats aux élections présidentielles, après l'expérience des législatives de 2017 où les électeurs devaient choisir entre 47 listes. Cette loi est largement décriée, soupçonnée d'être une façon pour le président d'éliminer son opposition. Qu'est-ce qu'elle vous inspire ?
Le Sénégal a besoin d'un système pour limiter le nombre de candidats, c'est certain. Mais la loi qui a été votée l'an dernier relève, pour moi, d'une stratégie d'épuisement financier de la part de la coalition au pouvoir.
Cette loi dit que pour se porter candidat, en plus de la caution de 30 millions de francs CFA (soit quelque 46 000 euros), il faut recueillir 0,8 % du corps électoral, soit environ 52 000 signatures, dans au moins sept des quatorze régions du pays. Dans les meetings sur l'ensemble du territoire, on a parlé de signatures achetées, etc. Tout cela coûte une fortune !
Ce n'est bien sûr pas un problème pour les grands partis, car leurs ténors sont à eux seuls, plus riches que les partis indépendants comme le Pastef (Patriotes du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité) de Sonko. Pour les autres, c'est tout simplement intenable.
Ensuite, on voit que cette loi n'a pas été faite pour durer. Il faut comprendre que le fichier électoral est la base des parrainages. La machine qui les a vérifiés prenait en compte les numéros d'électeur et les noms. Jusque-là, le fichier électoral avait été tenu secret et n'était pas accessible aux candidats.
Aujourd'hui, la loi prévoit que trente jours avant les élections, soit ce 24 janvier, le code d'accès au fichier électoral soit dévoilé à tous les candidats. Conséquence : à la prochaine présidentielle en 2024, avec un accès au fichier électoral, je pourrais tout à fait me présenter au Conseil constitutionnel avec les numéros d'électeur de Macky Sall et de chaque candidat de l'opposition, et prétendre que ce sont mes parrains. La loi n'a donc été prévue que pour l'élection de 2019. Ensuite, elle sera caduque. L'Assemblée nationale l'a votée, car elle était acquise à Macky Sall. C'est le résultat d'une démocratie à faible intensité.
Ousmane Sonko est un candidat qui fait parler de lui. Il plaît notamment beaucoup aux jeunes. Est-ce un homme politique d'un genre nouveau ?
Ousmane Sonko a compris, comme tous les Sénégalais, que ce sont les mêmes hommes politiques qui font la vie politique du Sénégal depuis 60 ans. Léopold Sédar Senghor était président de 1960 à 1980, mais il pourrait présider sans problème une réunion de la coalition Benno Bokk Yakaar. La seule personne qu'il ne connaîtrait pas, ce serait l'actuel président !
Sinon, il y retrouverait les mêmes personnes qu'à son époque : Ousmane Tanor Dieng, secrétaire général du Parti socialiste, est l'ancien conseiller diplomatique de Senghor ; Moustapha Niasse, président de l'Assemblée nationale, est l'ancien directeur de cabinet de Senghor ; Amath Dansokho (PIT) et Landing Savané (AJ/PADS), d'éternels opposants à Senghor... Vous imaginez l'image que ça donne de la politique aux électeurs !
En vérité, les Sénégalais veulent une alternative générationnelle. Ousmane Sonko est celui qui a un discours neuf et qui révèle la mauvaise gestion du pays. C'est pour cela qu'il fait peur aux politiciens historiques. Pour que ça évolue, il faut que les hommes évoluent. On ne peut pas continuer à dire que les problèmes viennent de la France, des États-Unis, etc., alors que ceux qui nous dirigent sont parmi les plus riches du monde.
Un homme nouveau, un homme normal, certains se disent pourquoi pas. Cela dit, Ousmane Sonko demeure un outsider : son parti n'est pas très bien structuré et on ne peut pas évaluer son influence dans les territoires reculés, zones cruciales où les citoyens votent beaucoup.
Macky Sall fait une spectaculaire démonstration de force avec ces inaugurations à la chaîne de ces derniers mois…
Sur le plan matériel, il a un bilan à défendre, c'est clair ! Mais est-ce ce qui importe aux Sénégalais ? Pendant sa campagne en 2012, il a surtout parlé de choses immatérielles, de « gouvernance sobre et vertueuse ». Il avait compris que les Sénégalais voulaient que les hommes politiques soient comme eux, qu'ils arrêtent d'être des milliardaires intouchables. A-t-il réglé ce problème ? Je ne pense pas.
L'une des trois remarques vous avancez dans votre livre est que « le vote sénégalais n'est pas sincère, mais stratégique ». Expliquez-nous pour qu'on comprenne les stratégies de vote qui pourraient avoir cours cette année...
Au Sénégal, un président qui va au second tour perd les élections. Il doit donc faire en sorte de gagner dès le premier tour. Mais on ne peut pas gagner au premier tour avec des adversaires comme Karim Wade (PDS), Khalifa Sall (Taxawu Senegaal, dissident du Parti socialiste allié à celui de Macky Sall), Ousmane Sonko (Pastef) et Idrissa Seck (Rewmi).
Cela fait trop d'adversaires solides. Il était nécessaire de prévenir d'éventuels dégâts au regard du fait que, lors des élections législatives de 2017, les coalitions de Khalifa Sall et de Karim Wade sont arrivées en deuxième et 3e position. Aujourd'hui, ces deux hommes politiques ont vu leur candidature écartée par le Conseil constitutionnel. On peut en déduire ce qu'on veut. Une chose est sûre : le schéma en place joue en faveur de Macky Sall. Du coup, les électeurs de Khalifa Sall et de Karim Wade ont le choix entre deux possibilités :
– soit ils s'abstiennent. Comme Macky Sall a obtenu 49 % aux dernières législatives et que son électorat est sûr, si l'électorat national baisse, il va obtenir la majorité absolue au premier tour.
– soit ils votent pour Macky Sall, ce qui serait une manière de dégager le ciel de la présidentielle de 2024 pour leur candidat, étant entendu que selon la Constitution, un troisième mandat de Macky Sall est difficilement envisageable. Car, entrer dans une coalition cette année, c'est tout simplement prendre le risque d'éloigner encore la possibilité de voir leur candidat sur le siège présidentiel.
En plus, comme leurs noms l'indiquent, les « karimistes » et les « khalifistes » soutiennent des hommes, non des projets de société. Entrer dans une coalition n'a pour eux aucun sens. Et puis, il ne faut pas oublier non plus la variable « Adboulaye Wade ». C'est une religion au niveau politique ici. À lui seul, il représente 300 000 à 400 000 voix. S'il soutient quelqu'un, il pourrait contraindre Macky Sall au second tour. Il a une machine politique bien rôdée. Si Ousmane Sonko en bénéficie, par exemple, c'est certain, il y aura un second tour.
Le Point Afrique
Dans cet environnement, il est particulièrement intéressant de partager avec Cheikh Ahmed Bamba Diagne, le fruit de son observation de 56 ans de vie citoyenne des Sénégalais à travers leur relation au droit de vote. Dans son livre Comment votent les Sénégalais ? Analyse du comportement de l'électeur de 1960 au 20 mars 2016 (L'Harmattan Sénégal, 2017), ce docteur en économie spécialisé dans les questions bancaires, monétaires et financières, se sert des chiffres pour s'attaquer à un domaine qui le passionne : la politique.
Pour offrir une analyse rigoureuse des stratégies de vote des Sénégalais, l'enseignant-chercheur a décortiqué dix élections présidentielles, douze législatives et trois référendums. De quoi lui permettre une analyse fine des réalités qui entourent le prochain scrutin présidentiel.
Le Point Afrique : Depuis l'indépendance, le taux de participation baisse progressivement. Comment l'expliquer ?
Cheikh Ahmed Bamba Diagne : Effectivement, le taux de participation est passé d'environ 95 % au temps du parti unique de Léopold Sédar Senghor à 55 % à l'élection présidentielle de 2012. Il existe toujours un devoir de citoyenneté au Sénégal, mais il concerne surtout les zones les plus reculées. C'est dans les villages éloignés de la capitale qu'on observe les taux de participation les plus élevés. Voter y est comme une religion. On va dans les bureaux de vote pour montrer qu'on est un bon Sénégalais qui s'intéresse à la vie du pays.
Mais dans la capitale et les centres urbains, les hommes politiques sont démythifiés. Les populations y étant plus informées, elles voient comment ceux-ci utilisent leur pouvoir et s'enrichissent. Il y a un véritable problème de confiance entre le peuple, les jeunes citadins notamment, et les politiciens.
Cette année, les suspicions d'influence du pouvoir actuel sur le Conseil constitutionnel et sur la justice continuent de les décrédibiliser. Les électeurs sont découragés et ne veulent pas se déplacer pour choisir parmi des hommes qui sont « tous les mêmes ».
Les marabouts ont-ils toujours de l'influence sur le vote de leurs fidèles ?
Aujourd'hui, le Sénégalais fait la différence entre le plan spirituel et le plan temporel. Il peut suivre spirituellement un marabout, mais va souvent considérer que les questions politiques, sont plutôt ses affaires. Cela dit, les marabouts ont longtemps donné des consignes de vote, et toujours en faveur du pouvoir en place, pour s'assurer des privilèges. Cela déplaît.
Les chefs religieux comprennent qu'en se positionnant politiquement ils risquent de perdre leur autorité auprès de leurs fidèles et leur rôle extrêmement important de stabilisateur en cas de conflit. Si les candidats continuent à faire le tour des confréries, ils savent que ce n'est plus aussi payant.
Il y a plus de trois cents partis au Sénégal. Pensez-vous, comme Senghor, que la prolifération des partis politiques est un danger pour la démocratie sénégalaise ?
Ce n'est pas un problème tant que cela montre une aspiration démocratique. Mais ce qui existe beaucoup au Sénégal, c'est le « business politique » qui consiste à créer un parti pour proposer son soutien à tel ou tel candidat. Et si ce candidat est élu, devenir dans le pire des cas président d'un conseil d'administration.
Parallèlement, cela permet aux principaux candidats de dire : « Regardez tous ces partis qui me soutiennent… » Problème : ces partis, personne ne les connaît ! Prenons l'exemple des vingt-sept candidats qui ont déposé leur dossier au Conseil constitutionnel pour la présidentielle de février. Demandez aux Sénégalais de vous en citer vingt, ils en seront incapables. Donc, ne parlons même pas quand plusieurs centaines se manifestent.
La loi du parrainage a été votée en avril 2018 pour limiter l' inflation de candidats aux élections présidentielles, après l'expérience des législatives de 2017 où les électeurs devaient choisir entre 47 listes. Cette loi est largement décriée, soupçonnée d'être une façon pour le président d'éliminer son opposition. Qu'est-ce qu'elle vous inspire ?
Le Sénégal a besoin d'un système pour limiter le nombre de candidats, c'est certain. Mais la loi qui a été votée l'an dernier relève, pour moi, d'une stratégie d'épuisement financier de la part de la coalition au pouvoir.
Cette loi dit que pour se porter candidat, en plus de la caution de 30 millions de francs CFA (soit quelque 46 000 euros), il faut recueillir 0,8 % du corps électoral, soit environ 52 000 signatures, dans au moins sept des quatorze régions du pays. Dans les meetings sur l'ensemble du territoire, on a parlé de signatures achetées, etc. Tout cela coûte une fortune !
Ce n'est bien sûr pas un problème pour les grands partis, car leurs ténors sont à eux seuls, plus riches que les partis indépendants comme le Pastef (Patriotes du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité) de Sonko. Pour les autres, c'est tout simplement intenable.
Ensuite, on voit que cette loi n'a pas été faite pour durer. Il faut comprendre que le fichier électoral est la base des parrainages. La machine qui les a vérifiés prenait en compte les numéros d'électeur et les noms. Jusque-là, le fichier électoral avait été tenu secret et n'était pas accessible aux candidats.
Aujourd'hui, la loi prévoit que trente jours avant les élections, soit ce 24 janvier, le code d'accès au fichier électoral soit dévoilé à tous les candidats. Conséquence : à la prochaine présidentielle en 2024, avec un accès au fichier électoral, je pourrais tout à fait me présenter au Conseil constitutionnel avec les numéros d'électeur de Macky Sall et de chaque candidat de l'opposition, et prétendre que ce sont mes parrains. La loi n'a donc été prévue que pour l'élection de 2019. Ensuite, elle sera caduque. L'Assemblée nationale l'a votée, car elle était acquise à Macky Sall. C'est le résultat d'une démocratie à faible intensité.
Ousmane Sonko est un candidat qui fait parler de lui. Il plaît notamment beaucoup aux jeunes. Est-ce un homme politique d'un genre nouveau ?
Ousmane Sonko a compris, comme tous les Sénégalais, que ce sont les mêmes hommes politiques qui font la vie politique du Sénégal depuis 60 ans. Léopold Sédar Senghor était président de 1960 à 1980, mais il pourrait présider sans problème une réunion de la coalition Benno Bokk Yakaar. La seule personne qu'il ne connaîtrait pas, ce serait l'actuel président !
Sinon, il y retrouverait les mêmes personnes qu'à son époque : Ousmane Tanor Dieng, secrétaire général du Parti socialiste, est l'ancien conseiller diplomatique de Senghor ; Moustapha Niasse, président de l'Assemblée nationale, est l'ancien directeur de cabinet de Senghor ; Amath Dansokho (PIT) et Landing Savané (AJ/PADS), d'éternels opposants à Senghor... Vous imaginez l'image que ça donne de la politique aux électeurs !
En vérité, les Sénégalais veulent une alternative générationnelle. Ousmane Sonko est celui qui a un discours neuf et qui révèle la mauvaise gestion du pays. C'est pour cela qu'il fait peur aux politiciens historiques. Pour que ça évolue, il faut que les hommes évoluent. On ne peut pas continuer à dire que les problèmes viennent de la France, des États-Unis, etc., alors que ceux qui nous dirigent sont parmi les plus riches du monde.
Un homme nouveau, un homme normal, certains se disent pourquoi pas. Cela dit, Ousmane Sonko demeure un outsider : son parti n'est pas très bien structuré et on ne peut pas évaluer son influence dans les territoires reculés, zones cruciales où les citoyens votent beaucoup.
Macky Sall fait une spectaculaire démonstration de force avec ces inaugurations à la chaîne de ces derniers mois…
Sur le plan matériel, il a un bilan à défendre, c'est clair ! Mais est-ce ce qui importe aux Sénégalais ? Pendant sa campagne en 2012, il a surtout parlé de choses immatérielles, de « gouvernance sobre et vertueuse ». Il avait compris que les Sénégalais voulaient que les hommes politiques soient comme eux, qu'ils arrêtent d'être des milliardaires intouchables. A-t-il réglé ce problème ? Je ne pense pas.
L'une des trois remarques vous avancez dans votre livre est que « le vote sénégalais n'est pas sincère, mais stratégique ». Expliquez-nous pour qu'on comprenne les stratégies de vote qui pourraient avoir cours cette année...
Au Sénégal, un président qui va au second tour perd les élections. Il doit donc faire en sorte de gagner dès le premier tour. Mais on ne peut pas gagner au premier tour avec des adversaires comme Karim Wade (PDS), Khalifa Sall (Taxawu Senegaal, dissident du Parti socialiste allié à celui de Macky Sall), Ousmane Sonko (Pastef) et Idrissa Seck (Rewmi).
Cela fait trop d'adversaires solides. Il était nécessaire de prévenir d'éventuels dégâts au regard du fait que, lors des élections législatives de 2017, les coalitions de Khalifa Sall et de Karim Wade sont arrivées en deuxième et 3e position. Aujourd'hui, ces deux hommes politiques ont vu leur candidature écartée par le Conseil constitutionnel. On peut en déduire ce qu'on veut. Une chose est sûre : le schéma en place joue en faveur de Macky Sall. Du coup, les électeurs de Khalifa Sall et de Karim Wade ont le choix entre deux possibilités :
– soit ils s'abstiennent. Comme Macky Sall a obtenu 49 % aux dernières législatives et que son électorat est sûr, si l'électorat national baisse, il va obtenir la majorité absolue au premier tour.
– soit ils votent pour Macky Sall, ce qui serait une manière de dégager le ciel de la présidentielle de 2024 pour leur candidat, étant entendu que selon la Constitution, un troisième mandat de Macky Sall est difficilement envisageable. Car, entrer dans une coalition cette année, c'est tout simplement prendre le risque d'éloigner encore la possibilité de voir leur candidat sur le siège présidentiel.
En plus, comme leurs noms l'indiquent, les « karimistes » et les « khalifistes » soutiennent des hommes, non des projets de société. Entrer dans une coalition n'a pour eux aucun sens. Et puis, il ne faut pas oublier non plus la variable « Adboulaye Wade ». C'est une religion au niveau politique ici. À lui seul, il représente 300 000 à 400 000 voix. S'il soutient quelqu'un, il pourrait contraindre Macky Sall au second tour. Il a une machine politique bien rôdée. Si Ousmane Sonko en bénéficie, par exemple, c'est certain, il y aura un second tour.
Le Point Afrique