Deux phrases de la conférence de presse commune des deux chefs d’Etat, dispensent totalement d’un long communiqué final. Et donnent le ton d’un possible hymne à la gloire de la très vieille liaison entre les deux pays. Laissons la parole au bénéficiaire de l’hospitalité sénégalaise, le Président Alassane Dramane Ouattara : « Nous avons besoin de renforcer l’axe Abidjan- Dakar. Non seulement dans l’intérêt des deux pays, mais dans l’intérêt de l’Afrique de l’Ouest et du continent entier ». Relance fort ajustée de Maître Wade, avocat de la collusion entre les deux Etats : « Il va évidemment y avoir une amélioration de la relation entre le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Alassane est libéral. Nous sommes dans la même philosophie ».
En cette année 2012, Wade et Ouattara assument dans un contexte ivoirien – il est vrai, absolument inédit, de lendemains de guerre civile – la mission conjointe de continuateurs de l’oeuvre d’illustres pionniers qui ont pour noms : Léopold Sédar Senghor et Félix-Houphouët Boigny. Car l’axe hyperactif Abidjan-Dakar est un chantier toujours prometteur.
D’emblée, l’histoire a fait le lit de la relation sénégalo ivoirienne. C’est le décret du 16 juin 1895 instituant l’Afrique Occidentale Française (AOF) qui a logé la Côte d’Ivoire et le Sénégal dans l’espace ouest-africain de l’Empire colonial. Administrée de près, à Grand-Bassam (capitale devancière d’Abidjan) la Côte d’Ivoire a été gouvernée (de loin) depuis Dakar, capitale de l’AOF. Premier cordon ombilical très vite renforcé par la célèbre Ecole interterritoriale William Ponty qui a formé dans sa « section médecine », Félix-Houphouët Boigny, le futur géant de la politique ivoirienne. Tout comme l’Ecole fédérale de Police a donné à la Côte d’Ivoire, un des premiers cadres de sa Sûreté nationale, le commissaire Goba Pierre.
Après l’histoire, c’est au tour de la politique, de rapprocher les élites sénégalaises et ivoiriennes. Même si le Rassemblement Démocratique Africain (RDA) dirigé par le Président Boigny, n’a jamais occupé une place considérable sur l’échiquier sénégalais – la SFIO de Lamine Guèye et le BDS de Léopold Sédar Senghor ayant été successivement hégémoniques – les responsables politiques des deux colonies ont eu le loisir de se côtoyer sur les bancs du Palais-Bourbon. Mieux, Senghor et Houphouët ont siégé ensemble dans la commission Michel Debré, chargée par le Général De Gaulle, de rédiger la Constitution de la 5e République et de jeter, par ricochet, les bases juridiques de la fameuse Communauté franco-africaine de 1958, antichambre des indépendances de 1960.
Mais cette proximité au cœur des institutions de l’Hexagone n’a pas gommé les divergences de vues entre le Sénégalais et l’Ivoirien, au moment crucial de la décolonisation. Partisan du maintien des structures fédérales à l’heure des indépendances, Senghor s’est inévitablement frotté au leader du RDA, théoricien de la souveraineté par colonie. Avec d’autant plus de ferveur que la Côte d’Ivoire dotée d’énormes richesses, faisait figure de vache à lait, pour les territoires moins nantis voire dépourvus de ressources, comme le Sénégal, le Togo, le Niger, la Haute-Volta et le Dahomey etc. On connaît la suite : Fédération mort-née du Mali et la balkanisation totale à l’échelle de l’ex-AOF.
Cet épisode n’est sûrement pas étranger à la rivalité feutrée qui a durablement émaillée les relations ivoiro-sénégalaises, de 1960 à 1980. Avec un pic de frictions atteint en 1972-1973. En effet, les milieux informés se souviennent de la sourde tension entre les deux Etats. Tout était parti des ambitions présidentielles du premier PDG de la compagnie aérienne Air Afrique, Cheikh Fall, bénies par un marabout influent du Sénégal, et parrainées disait-on, par Houphouët Boigny. On avait aussi indexé un conseiller du Président Georges Pompidou à l’Elysée. Invraisemblable, puisque Pompidou était un condisciple de Senghor au Lycée Louis Le Grand. De toutes les façons, cette affaire obscure n’avait pas prospéré ; mais avait été assez sérieuse, pour écourter la carrière du Sénégalais Cheikh Fall à la tête d’Air Afrique. C’est l’ère Diouf qui a, in fine, dépollué les rapports entre deux Etats ; car le jeune successeur du Président Senghor a allègrement accepté le leadership du Président Houphouët Boigny, en Afrique de l’Ouest francophone.
Toutefois, Dakar et Abidjan – en dépit des différences d’options entre le socialiste Senghor et le libéral Boigny – ont toujours su accorder leurs violons sur les questions qui ont secoué le continent durant cette période de guerre froide, fertile en tensions. Sauf sur la sécession du Biafra (1967-1970) où Abidjan a joué à fond la carte de la désintégration du Nigeria, les deux pays ont diplomatiquement fait les mêmes choix sur le Sahara Occidental (attitude anti-Polisario) sur l’Angola (contre la présence cubaine et pour l’UNITA de Jonas Savimbi) sur l’invasion du Zaïre : les deux pays ont dépêché des détachements militaires à Kolwezi, en 1978 etc.
Bien entendu, cette diplomatie concertée s’expliquait par un ancrage commun dans le pré-carré français et…la Françafrique. Ce qui avait pour corollaires, des conséquences géopolitiques très visibles dans les deux pays signataires d’Accords de défense assez lourds avec la France. Ce n’était donc pas un hasard, si le 23e BIMA campait à Bel-Air et le 43e BIMA squattait les abords de l’aéroport de Port-Bouet. Toujours au chapitre diplomatique, l’âge d’or de l’étroitesse des liens fut le record de longévité battu à Dakar, par l’ambassadeur Jules Hié Néa (ex-ministre de la Culture du Président Boigny) et doyen inamovible du corps diplomatique au Sénégal. La confiance du Président Abdou Diouf, à l’endroit du diplomate ivoirien (également accrédité à Nouakchott) était telle qu’il jouât un rôle discret de médiateur dans le terrible conflit sénégalo-mauritanien de 1990.
Le tournant momentanément déstabilisateur de l’axe Abidjan-Dakar est à chercher dans la poussée de fièvre politique qui a suivi la disparition du « Père » de la Côte d’Ivoire indépendante. Avec l’ivoirité, ce qui a été, jusque-là, un havre de paix doublé d’un « miracle économique », s’est transformé en chaudron en ébullition. Le coup d’Etat militaire de Noël 1999 (Général Robert Guei) a ouvert la page de la confusion, à la faveur de quoi, Laurent Gbagbo a accédé au pouvoir par des élections également confuses, en novembre 2000.
Durant cette période instable, le régime socialiste de Diouf a fait montre de grande prudence sur les affaires intérieures de la Côte d’Ivoire. Nonobstant l’appartenance du FPI et du camarade Gbagbo à l’Internationale socialiste. Tout le contraire du successeur de Diouf, le libéral Abdoulaye Wade, qui a eu des gestes ostentatoires (positifs comme négatifs) tout au long de la crise ivoirienne. De la petite phrase sur le citoyen burkinabé mieux traité en France qu’en Côte d’Ivoire, jusqu’au cessez-le-feu salvateur de Bouaké, décroché par Cheikh Tidiane Gadio ; de la tentative de médiation (séjour du Président sénégalais à Abidjan, en avril 2010) jusqu’au rôle avoué et revendiqué dans l’action de Licorne très déterminante dans la chute de Gbagbo) Wade n’a cessé de parler ou de s’activer en Côte d’Ivoire. Au point de réussir à octroyer à l’armée sénégalaise des responsabilités et des tâches de premier plan, dans la crise et la sortie de crise en Côte d’Ivoire. Cas des généraux Pape Khalil Fall et Abdoulaye qui ont commandé successivement les casques bleus de l’ONU CI ; et récemment l’exemple du général d’artillerie Talla Niang, plusieurs fois repéré sur le terrain, au paroxysme de la bataille d’Abidjan, accomplissant une mystérieuse mission.
Ce sont les dividendes de cette débauche d’énergie en direction de la Côte d’Ivoire que Wade est entrain de moissonner, avec la visite de Ouattara qui élargit et approfondit l’axe Abidjan-Dakar que certains observateurs assimilent au couple franco-allemand qui fait historiquement figure de locomotive de la construction européenne.
Cependant, l’arbre de la politique ne doit pas cacher la forêt des liens de diverses natures. Il y a une ancienne, forte et épanouie communauté sénégalaise au bord de la Lagune dont les plus emblématiques de l’osmose sociale, sont les Diouf (Bara Diouf, ex-PDG DU Soleil) et les Thiam qui ont donné à la Côte d’Ivoire, un ministre et un polytechnicien : le ministre Amadou et le banquier Tidiane. Père et fils. A l’actif de l’axe, il y a enfin la maison d’éditions NEA originellement issue d’un partenariat entre Abidjan et Dakar.
Babacar Justin Ndiaye
En cette année 2012, Wade et Ouattara assument dans un contexte ivoirien – il est vrai, absolument inédit, de lendemains de guerre civile – la mission conjointe de continuateurs de l’oeuvre d’illustres pionniers qui ont pour noms : Léopold Sédar Senghor et Félix-Houphouët Boigny. Car l’axe hyperactif Abidjan-Dakar est un chantier toujours prometteur.
D’emblée, l’histoire a fait le lit de la relation sénégalo ivoirienne. C’est le décret du 16 juin 1895 instituant l’Afrique Occidentale Française (AOF) qui a logé la Côte d’Ivoire et le Sénégal dans l’espace ouest-africain de l’Empire colonial. Administrée de près, à Grand-Bassam (capitale devancière d’Abidjan) la Côte d’Ivoire a été gouvernée (de loin) depuis Dakar, capitale de l’AOF. Premier cordon ombilical très vite renforcé par la célèbre Ecole interterritoriale William Ponty qui a formé dans sa « section médecine », Félix-Houphouët Boigny, le futur géant de la politique ivoirienne. Tout comme l’Ecole fédérale de Police a donné à la Côte d’Ivoire, un des premiers cadres de sa Sûreté nationale, le commissaire Goba Pierre.
Après l’histoire, c’est au tour de la politique, de rapprocher les élites sénégalaises et ivoiriennes. Même si le Rassemblement Démocratique Africain (RDA) dirigé par le Président Boigny, n’a jamais occupé une place considérable sur l’échiquier sénégalais – la SFIO de Lamine Guèye et le BDS de Léopold Sédar Senghor ayant été successivement hégémoniques – les responsables politiques des deux colonies ont eu le loisir de se côtoyer sur les bancs du Palais-Bourbon. Mieux, Senghor et Houphouët ont siégé ensemble dans la commission Michel Debré, chargée par le Général De Gaulle, de rédiger la Constitution de la 5e République et de jeter, par ricochet, les bases juridiques de la fameuse Communauté franco-africaine de 1958, antichambre des indépendances de 1960.
Mais cette proximité au cœur des institutions de l’Hexagone n’a pas gommé les divergences de vues entre le Sénégalais et l’Ivoirien, au moment crucial de la décolonisation. Partisan du maintien des structures fédérales à l’heure des indépendances, Senghor s’est inévitablement frotté au leader du RDA, théoricien de la souveraineté par colonie. Avec d’autant plus de ferveur que la Côte d’Ivoire dotée d’énormes richesses, faisait figure de vache à lait, pour les territoires moins nantis voire dépourvus de ressources, comme le Sénégal, le Togo, le Niger, la Haute-Volta et le Dahomey etc. On connaît la suite : Fédération mort-née du Mali et la balkanisation totale à l’échelle de l’ex-AOF.
Cet épisode n’est sûrement pas étranger à la rivalité feutrée qui a durablement émaillée les relations ivoiro-sénégalaises, de 1960 à 1980. Avec un pic de frictions atteint en 1972-1973. En effet, les milieux informés se souviennent de la sourde tension entre les deux Etats. Tout était parti des ambitions présidentielles du premier PDG de la compagnie aérienne Air Afrique, Cheikh Fall, bénies par un marabout influent du Sénégal, et parrainées disait-on, par Houphouët Boigny. On avait aussi indexé un conseiller du Président Georges Pompidou à l’Elysée. Invraisemblable, puisque Pompidou était un condisciple de Senghor au Lycée Louis Le Grand. De toutes les façons, cette affaire obscure n’avait pas prospéré ; mais avait été assez sérieuse, pour écourter la carrière du Sénégalais Cheikh Fall à la tête d’Air Afrique. C’est l’ère Diouf qui a, in fine, dépollué les rapports entre deux Etats ; car le jeune successeur du Président Senghor a allègrement accepté le leadership du Président Houphouët Boigny, en Afrique de l’Ouest francophone.
Toutefois, Dakar et Abidjan – en dépit des différences d’options entre le socialiste Senghor et le libéral Boigny – ont toujours su accorder leurs violons sur les questions qui ont secoué le continent durant cette période de guerre froide, fertile en tensions. Sauf sur la sécession du Biafra (1967-1970) où Abidjan a joué à fond la carte de la désintégration du Nigeria, les deux pays ont diplomatiquement fait les mêmes choix sur le Sahara Occidental (attitude anti-Polisario) sur l’Angola (contre la présence cubaine et pour l’UNITA de Jonas Savimbi) sur l’invasion du Zaïre : les deux pays ont dépêché des détachements militaires à Kolwezi, en 1978 etc.
Bien entendu, cette diplomatie concertée s’expliquait par un ancrage commun dans le pré-carré français et…la Françafrique. Ce qui avait pour corollaires, des conséquences géopolitiques très visibles dans les deux pays signataires d’Accords de défense assez lourds avec la France. Ce n’était donc pas un hasard, si le 23e BIMA campait à Bel-Air et le 43e BIMA squattait les abords de l’aéroport de Port-Bouet. Toujours au chapitre diplomatique, l’âge d’or de l’étroitesse des liens fut le record de longévité battu à Dakar, par l’ambassadeur Jules Hié Néa (ex-ministre de la Culture du Président Boigny) et doyen inamovible du corps diplomatique au Sénégal. La confiance du Président Abdou Diouf, à l’endroit du diplomate ivoirien (également accrédité à Nouakchott) était telle qu’il jouât un rôle discret de médiateur dans le terrible conflit sénégalo-mauritanien de 1990.
Le tournant momentanément déstabilisateur de l’axe Abidjan-Dakar est à chercher dans la poussée de fièvre politique qui a suivi la disparition du « Père » de la Côte d’Ivoire indépendante. Avec l’ivoirité, ce qui a été, jusque-là, un havre de paix doublé d’un « miracle économique », s’est transformé en chaudron en ébullition. Le coup d’Etat militaire de Noël 1999 (Général Robert Guei) a ouvert la page de la confusion, à la faveur de quoi, Laurent Gbagbo a accédé au pouvoir par des élections également confuses, en novembre 2000.
Durant cette période instable, le régime socialiste de Diouf a fait montre de grande prudence sur les affaires intérieures de la Côte d’Ivoire. Nonobstant l’appartenance du FPI et du camarade Gbagbo à l’Internationale socialiste. Tout le contraire du successeur de Diouf, le libéral Abdoulaye Wade, qui a eu des gestes ostentatoires (positifs comme négatifs) tout au long de la crise ivoirienne. De la petite phrase sur le citoyen burkinabé mieux traité en France qu’en Côte d’Ivoire, jusqu’au cessez-le-feu salvateur de Bouaké, décroché par Cheikh Tidiane Gadio ; de la tentative de médiation (séjour du Président sénégalais à Abidjan, en avril 2010) jusqu’au rôle avoué et revendiqué dans l’action de Licorne très déterminante dans la chute de Gbagbo) Wade n’a cessé de parler ou de s’activer en Côte d’Ivoire. Au point de réussir à octroyer à l’armée sénégalaise des responsabilités et des tâches de premier plan, dans la crise et la sortie de crise en Côte d’Ivoire. Cas des généraux Pape Khalil Fall et Abdoulaye qui ont commandé successivement les casques bleus de l’ONU CI ; et récemment l’exemple du général d’artillerie Talla Niang, plusieurs fois repéré sur le terrain, au paroxysme de la bataille d’Abidjan, accomplissant une mystérieuse mission.
Ce sont les dividendes de cette débauche d’énergie en direction de la Côte d’Ivoire que Wade est entrain de moissonner, avec la visite de Ouattara qui élargit et approfondit l’axe Abidjan-Dakar que certains observateurs assimilent au couple franco-allemand qui fait historiquement figure de locomotive de la construction européenne.
Cependant, l’arbre de la politique ne doit pas cacher la forêt des liens de diverses natures. Il y a une ancienne, forte et épanouie communauté sénégalaise au bord de la Lagune dont les plus emblématiques de l’osmose sociale, sont les Diouf (Bara Diouf, ex-PDG DU Soleil) et les Thiam qui ont donné à la Côte d’Ivoire, un ministre et un polytechnicien : le ministre Amadou et le banquier Tidiane. Père et fils. A l’actif de l’axe, il y a enfin la maison d’éditions NEA originellement issue d’un partenariat entre Abidjan et Dakar.
Babacar Justin Ndiaye