En France comme dans le monde entier, les labos sont en ébullition. La recherche médicale essaye d’avancer dans l’urgence absolue pour apporter non seulement des tests de diagnostic plus précis et plus rapides, mais surtout des réponses thérapeutiques pour guérir les patients les plus atteints, réduire la mortalité et se protéger définitivement du virus.
De l’arthrite au Covid, empêcher l’inflammation
L’une des pistes s’appelle Kevzara. Sur le marché depuis 2017, ce médicament a été conçu par Sanofi et la société américaine Regeneron Pharmaceuticals pour traiter la polyarthrite rhumatoïde, une maladie inflammatoire des articulations. Rien à voir avec le coronavirus, au départ… Mais les deux pathologies présentent un symptôme commun : l’inflammation.
Les personnes gravement malades du Covid-19 ont des difficultés respiratoires car le virus s’attaque aux parois des bronches et des poumons. En retour, les muqueuses gonflent, s’épaississent vivement. Les patients présentent «une réponse inflammatoire hyperactive dans les poumons», résume Regeneron. Une molécule semble être impliquée dans cette réaction immunitaire, chez les patients atteints de polyarthrite tout comme les malades du Covid-19 : l’interleukine 6 – nom de code : IL-6. C’est une étude chinoise parue le 5 mars qui a fait le lien, et donc proposé d’utiliser les mêmes médicaments, ceux qui entravent l’action de l’interleukine 6, pour traiter les deux maladies. Si on met des bâtons dans les roues de cette molécule pour l’empêcher de déclencher une inflammation, on pourrait éviter les symptômes de détresse respiratoire. Voilà le plan d’action.
Les chercheurs de Regeron et Sanofi ont annoncé ce lundi qu’ils vont commencer à tester le Kevzara dans des hôpitaux new-yorkais, où les malades du Covid-19 affluent. Ils vont former deux groupes de cobayes : l’un recevra les soins habituels (assistance respiratoire, etc.) et un placebo, l’autre recevra les soins habituels et du Kevzara. On comparera l’évolution de leur santé jour après jour. Puis le test sera étendu à seize centres médicaux dans tous les Etats-Unis, impliquant «jusqu’à 400 patients» pour connaître les éventuels effets du Kevzara sur la fièvre, les besoins en oxygène et en assistance respiratoire, et à plus long terme la mortalité. Il y aura aussi «dans les prochaines semaines» des tests hors Etats-Unis, notamment en Italie, a annoncé le responsable de la recherche chez Sanofi, John Reed.
Chloroquine et remdésivir : les antiviraux
Le Kevzara, appliqué aux cas de Covid-19, est ce qu’on appelle un traitement de suppléance : il ne s’attaque pas à la source de la maladie mais il tente de pallier la déficience des organes touchés. Les essais de chloroquine sur les malades et d’autres substances prometteuses, comme le remdésivir, visent directement à perturber la multiplication du virus dans le corps pour freiner l’infection : ils ont des effets antiviraux.
Le remdésivir a été développé par le laboratoire Gilead Sciences pour lutter contre le virus Ebola, qui a causé une épidémie en Afrique de l’Ouest entre 2014 et 2016. Ebola et le Sars-CoV-2, qui sévit actuellement, sont des virus très différents l’un de l’autre – «autant qu’une girafe et un éléphant», illustre Gene Olinger, ancien chercheur sur Ebola pour l’armée américaine. Mais le remdésivir s’attaque au processus de réplication des virus, qu’ils ont en commun.
L’antiriviral est un analogue de l’adénosine, c’est-à-dire qu’il est très semblable à l’adénosine, l’une des «briques» élémentaires qui composent les chaînes d’ADN. Dans son déguisement d’adénosine, il vient se présenter aux virus qui infectent le malade. Les petits ouvriers chimiques qui s’occupent de dupliquer et multiplier le virus dans le corps n’y voient que du feu : ils s’emparent de l’analogue et l’utilisent à la place de l’adénosine pour construire le matériel génétique du virus. Mais l’analogue a un pouvoir secret : il bloque la construction dès qu’il est inséré dans la chaîne. Comme un capuchon, il empêche l’ajout de nouvelles briques. La synthèse du génome viral est alors bloquée et la réplication ne peut pas se faire.
Outre Ebola, le remdésivir s’est montré efficace contre toute une série de virus : les virus Junin, Lassa, Nipah, Hénipavirus, et plusieurs coronavirus causant des troubles respiratoires. Leurs petits ouvriers de construction d’ADN, qu’on appelle polymérases, sont en effet assez similaires. Le remdésivir ne fonctionne pas sur d’autres virus aux polymérases différents.
Un malade du Covid-19 a été traité début mars avec du remdésivir, et l’amélioration de son état, relatée dans un article scientifique, a soulevé beaucoup d’espoirs. Gilead Science a donc pu obtenir des autorisations rapides pour commencer des tests cliniques plus vastes. Dans un premier temps, 400 patients avec des symptômes sévères seront traités au remdésivir pendant cinq ou dix jours. Dans un second temps, 600 patients avec des symptômes modérés seront traités soit avec dix jours de remdésivir, soit uniquement les soins habituels. Les effets sur l’évolution de la maladie et les éventuels effets secondaires sont scrutés avec impatience. Les résultats sont attendus fin avril.
Un vaccin anti-Sras ressorti des tiroirs
Pour mettre hors service le coronavirus dès son arrivée dans le corps humain, le graal reste le vaccin.
Sanofi indique y travailler, en parallèle de ses tests de Kevzara, et l’entreprise française a une certaine longueur d’avance car elle ne part pas de zéro. Sa division Sanofi Pasteur, spécialisée en vaccins, a sorti de ses tiroirs des travaux antérieurs sur un vaccin contre le Sras (syndrome respiratoire aigu sévère), qui a fait quelques ravages au début des années 2000 et qui est causé par un autre membre de la famille des coronavirus. Ce projet de vaccin était développé à l’époque par le laboratoire américain Protein Sciences, que Sanofi a racheté en 2017. Il n’y a plus qu’à relancer la machine en poussant l’ambition plus loin : peut-on faire d’une pierre deux coups ? «Sanofi prévoit d’approfondir ses recherches sur un vaccin-candidat contre le Sras qui pourrait également protéger contre le Covid-19», annonçait l’institution dès le mois de février.
Ce vaccin-candidat n’est jamais parvenu au stade des tests cliniques. Mais il a déjà été essayé sur des animaux. Il a réussi à leur conférer «une protection partielle» en déclenchant une production d’anticorps. Mais le chemin est encore long : le patron de Sanofi Pasteur, David Loew, estime qu’ils pourront disposer d’un vaccin candidat contre le Sars-CoV-2 «dans moins de six mois» et que les essais cliniques pourront commencer «dans environ un an à un an et demi».
Le vaccin mRNA-1273, déjà en test
A Seattle aux Etats-Unis, un autre vaccin potentiel a déjà mis un pied dans les hôpitaux. «Quarante-cinq adultes volontaires en bonne santé âgés de 18 à 55 ans» ont prêté leur bras à la science dès cette semaine, ont annoncé les National Institutes of Health (NIH), dépendant du ministère de la Santé américain.
Structure du coronavirus Sars-CoV-2, modélisée par le Centers for Disease Control and Prevention. Image CDC. Alissa Eckert, MS. Dan Higgins, MAM, domaine public
Le développement éclair de ce vaccin nommé «mRNA-1273» n’a pas pu sortir de nulle part ; il a lui aussi bénéficié de recherches antérieures sur le Sras et le MERS-CoV, un coronavirus qui a frappé au Moyen-Orient en 2012. «Les coronavirus sont sphériques et ont des piques qui émergent de leur surface», expliquent les NIH. Ces protéines pointues dressées tout autour de l’enveloppe du virus, qui lui donnent son air punk, sont appelées spicules. «Elles s’attachent aux cellules humaines et permettent au virus d’y pénétrer.» C’est là qu’on veut agir.
Les chercheurs du Centre de recherche sur les vaccins (VRC), associés à la société américaine de biotech Moderna, «ont déjà travaillé sur un vaccin qui cible les spicules» pour le coronavirus du Moyen-Orient. Contrairement à de nombreux vaccins, celui-ci ne consiste pas à inoculer au patient une version désactivée du virus, inoffensif, pour apprendre au corps à le reconnaître. Ce vaccin-là ne contient qu’un brin d’ARN messager. L’ARN messager fait le lien entre les informations génétiques écrites dans l’ADN et les protéines fabriquées dans les cellules des êtres vivants : c’est une sorte de mode d’emploi, de notice de montage pour fabriquer les protéines.
L’ARN messager est une sorte de notice de montage de protéines, copiée d’après les informations génétiques de l’ADN. Schéma d’après Fdardel, CC BY SA.
Le vaccin contient donc un bout d’ARN messager dont la notice correspond à la protéine des spicules du coronavirus. Les cellules du patient vacciné vont alors fabriquer ces spicules, que leur corps va identifier comme des corps étrangers agressifs, et contre lesquels il va développer une réponse immunitaire. Bingo !
Dès que le génome du nouveau coronavirus a été connu, les scientifiques du VRC et de Moderna ont adapté leur proto-vaccin à ses spicules. Il s’est déjà montré concluant sur des tests animaux et passe désormais en phase d’expérimentation humaine. Les participants à l’essai clinique recevront deux doses de vaccin à vingt-huit jours d’écart, et resteront sous observation durant un an.
Un vaccin très convoité
On ne pourra pas citer tous les laboratoires travaillant sur un traitement ou un vaccin adaptés au nouveau coronavirus. Parmi eux, la société allemande CureVac promet des essais cliniques «au début de l’été 2020» pour un vaccin efficace qui repose aussi sur l’action de l’ARN messager. Ses recherches intéressent tellement les Etats-Unis que Donald Trump aurait tenté d’attirer les scientifiques avec d’importantes ressources financières pour en obtenir l’exclusivité, selon le journal Die Welt.
Mais après un premier refus d’Angela Merkel, c’est la Commission européenne qui s’en est mêlée pour stopper toute convoitise de Washington, en fournissant elle-même 80 millions d’euros de subventions à Curevac. «Dans cette crise sanitaire, il est essentiel de soutenir nos chercheurs et nos industries technologiques de pointe. Nous sommes déterminés à alimenter financièrement CureVac pour accélérer le développement et la production d’un vaccin», a déclaré la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen.