Il semblerait qu’à la pratique, l’application de cette disposition, acquis considérable aux yeux de tous ceux qui sont engagés dans la lutte contre le fléau de la drogue, poserait énormément de problèmes à la Justice et aux praticiens du droit, magistrats comme avocats et autres auxiliaires de justice. En tout cas, si l’on se réfère aux représentants de ces différentes corporations qui sont intervenus, hier (mardi 6/09), dans la rubrique «Qu’en pensez-vous» du journal de midi de la Rfm. Et leurs arguments sont essentiellement ceux évoqués en introduction de ce papier, repris et défendus par le garde des Sceaux.
A contrario, le Secrétaire général de Jamra, le directeur du centre Jacques Chirac de lutte contre la drogue et pour la réinsertion des drogués de Thiaroye, la représentante de la Raddho ont, tous, avec plus ou moins de véhémence, dénoncé ce projet qui, selon eux, revient sur un acquis majeur dans la lutte contre le trafic et l’usage des stupéfiants. Et, reconnaissant, pour certains d’entre eux, la pertinence des arguments avancés par les partisans du retour à la correctionnelle du délit de trafic de drogue, regrettent tous qu’aucune autre solution n’ait été envisagée, hors cette dernière, alors que, rappellera la représentante de la Raddho, «aucune prison n’a été construite dans ce pays depuis l’indépendance». Elle suggérait ainsi, comme l’avaient fait certains de ses devanciers, que c’était là une autre piste pour résoudre les problèmes posés par les partisans du retour à la correctionnelle du trafic de drogue ; en sus du renforcement des juridictions par l’adjonction de personnels supplémentaires.
À l’évidence, voici un débat bien posé et, de surcroît, par des gens concernés au premier chef. Les magistrats, chargés de l’application des lois, dont on comprend qu’ils sont à l’origine de l’initiative du ministre de la Justice, d’une part, les spécialistes de la lutte contre le trafic et l’usage des drogues, initiateurs de la loi, d’autre part. Les arbitres en sont nombreux, avec l’Etat au premier rang, les députés qui ont voté la criminalisation et devront voter la décriminalisation, ensuite, les observateurs avertis, enfin, le grand public. N’étant ni spécialiste du droit, ni particulièrement impliqué dans la lutte contre la drogue, je vais me compter dans cette dernière catégorie et donner, en vrac et vite, quelques avis et peut-être une proposition de compromis dynamique.
Premièrement, je pense que l’encombrement des cabinets d’instruction, le surpeuplement des prisons, et les trop longues périodes de détention préventives, au Sénégal, ne sont pas une cause directe de la criminalisation du trafic de drogues, parce qu’ils datent de bien avant l’adoption de cette loi ; et ont donc bien d’autres causes. Tout le monde le sait, et de les brandir comme arguments principaux, sinon seuls arguments, pour justifier le projet de retour à la correctionnalisation du délit de trafic de drogues peut affaiblir la défense du projet et ouvrir la boîte à soupçons chez les partisans de la criminalisation.
Deuxièmement, il faut, et là je suis d’accord avec le magistrat intervenu sur la Rfm, dépassionner le débat. Il ne sert à rien d’indexer les magistrats, ni une quelconque autre corporation, l’engorgement des juridictions et ses corolaires évoqués ici, sans être des causes directes de la criminalisation du trafic de stupéfiants, sont des réalités avec lesquelles ils sont journellement confrontés, et ils sauteront sur toute mesure apte à les leur alléger. Pour ce qui concerne, sous ce chapitre, les défendeurs du maintien de la criminalisation, il sera difficile de leur enlever le sentiment frustrant, plus émotionnel que vraiment pensé, qu’on est en train d’attenter à la mémoire de Latif Guèye, comme si on avait attendu qu’il fût mort pour lui enlever ce que de haute lutte, face à des lobbys puissants, il avait arraché à la société, et laissé comme héritage à ses successeurs. Ici, sans vouloir céder à la tentation de la formule forte, on serait en pleine «Danse sur une tombe». Et ça n’est pas pour dépassionner le débat
Troisièmement, il est évident que cette loi a été votée dans une certaine euphorie, à l’unanimité des députés présents, portée par le charisme et la sincérité indiscutable de son initiateur, et donc un peu vite, dans un pays qui baigne depuis un certain nombre d’années dans une pudibonderie hypocrite où n’importe quoi, placé de façon proche ou lointaine sous l’égide de la religion, fait toujours l’unanimité. Ainsi, on s’est retrouvé, par cette criminalisation du trafic de drogues, avec un bébé tout beau, mais un peu encombrant…, ou, plutôt encombré – je vais m’en expliquer tout de suite avec mon quatrième point, qui portera sur une proposition, une sorte de compromis dynamique qui devrait satisfaire tout le monde avant que ce débat de poudre ne s’enflamme sous les étincelles de la passion.
Quatrièmement (donc), et pour finir. Mais en commençant par la proposition évoquée tantôt, nous pensons qu’il faudrait couper cette poire en deux, pas seulement par souci du compromis ou pour arbitrer hypocritement un débat qu’il faut forcément trancher objectivement, on va le voir. Il faudrait non pas revenir totalement sur la criminalisation, mais amender la «Loi Latif Guèye» pour que le trafic international de drogue reste criminel, et ramener le trafic local à la correctionnelle. Tel que c’est ressorti des débats en question et de quelques recoupements auprès de personnels de la justice, ce qui fait véritablement problème et participe des engorgements et surpeuplement invoqués, c’est le petit trafic, surtout de cannabis, qui mène depuis le vote de la criminalisation des trafiquants de quartiers, revendeurs miséreux de paquets d’herbe à cinq cent francs, sur le chemin long et dramatique des Assises criminelles - c’est cela qui encombre cette belle loi, ce beau bébé législatif applaudi par toute une assemblée.
Cette option consistant à criminaliser le seul trafic international aiderait au désencombrement des allées de la justice, parce que ce ne sont pas des trafiquants internationaux de drogues qui encombrent nos cours d’Assises ces dernières années, ou provoquent un boom démographique dans les prisons sénégalaises. Ça se saurait ! Ensuite, dans la nécessité de distinguer le trafic international du trafic local, il faut savoir que le premier est au centre d’activités dont la nature criminelle ne fait pas l’objet de débats. Il s’agit du blanchiment de capitaux, de crimes de sang et enlèvements ; jusqu’aux coups d’Etat, fréquents comme dégâts collatéraux dans les modes opératoires de cette activité. Il faut ajouter que c’est le trafic international qui introduit chez nous toutes ces drogues dures, héroïne, cocaïne, crack, menant, en des temps record, à l’addiction, aux pulsions criminelles chez leurs usagers, et mortelles à des doses plus ou moins élevées.
Si les autorités faisaient cela, ils s’affranchiraient des soupçons de connivence avec les narcotrafiquants qui peuvent naître dans la suite de l’idée émise par Cheikh Tidiane Sy de décriminaliser entièrement le trafic de drogue. Et, franchement, on serait soulagé de cette désagréable impression, certes très épidermique mais réelle, que l’on est en train de voler un mort, Latif Guèye, et de piller son héritage, laissé, peut-être au péril de sa vie, aux générations futures.
Louis Seck
Le Populaire
A contrario, le Secrétaire général de Jamra, le directeur du centre Jacques Chirac de lutte contre la drogue et pour la réinsertion des drogués de Thiaroye, la représentante de la Raddho ont, tous, avec plus ou moins de véhémence, dénoncé ce projet qui, selon eux, revient sur un acquis majeur dans la lutte contre le trafic et l’usage des stupéfiants. Et, reconnaissant, pour certains d’entre eux, la pertinence des arguments avancés par les partisans du retour à la correctionnelle du délit de trafic de drogue, regrettent tous qu’aucune autre solution n’ait été envisagée, hors cette dernière, alors que, rappellera la représentante de la Raddho, «aucune prison n’a été construite dans ce pays depuis l’indépendance». Elle suggérait ainsi, comme l’avaient fait certains de ses devanciers, que c’était là une autre piste pour résoudre les problèmes posés par les partisans du retour à la correctionnelle du trafic de drogue ; en sus du renforcement des juridictions par l’adjonction de personnels supplémentaires.
À l’évidence, voici un débat bien posé et, de surcroît, par des gens concernés au premier chef. Les magistrats, chargés de l’application des lois, dont on comprend qu’ils sont à l’origine de l’initiative du ministre de la Justice, d’une part, les spécialistes de la lutte contre le trafic et l’usage des drogues, initiateurs de la loi, d’autre part. Les arbitres en sont nombreux, avec l’Etat au premier rang, les députés qui ont voté la criminalisation et devront voter la décriminalisation, ensuite, les observateurs avertis, enfin, le grand public. N’étant ni spécialiste du droit, ni particulièrement impliqué dans la lutte contre la drogue, je vais me compter dans cette dernière catégorie et donner, en vrac et vite, quelques avis et peut-être une proposition de compromis dynamique.
Premièrement, je pense que l’encombrement des cabinets d’instruction, le surpeuplement des prisons, et les trop longues périodes de détention préventives, au Sénégal, ne sont pas une cause directe de la criminalisation du trafic de drogues, parce qu’ils datent de bien avant l’adoption de cette loi ; et ont donc bien d’autres causes. Tout le monde le sait, et de les brandir comme arguments principaux, sinon seuls arguments, pour justifier le projet de retour à la correctionnalisation du délit de trafic de drogues peut affaiblir la défense du projet et ouvrir la boîte à soupçons chez les partisans de la criminalisation.
Deuxièmement, il faut, et là je suis d’accord avec le magistrat intervenu sur la Rfm, dépassionner le débat. Il ne sert à rien d’indexer les magistrats, ni une quelconque autre corporation, l’engorgement des juridictions et ses corolaires évoqués ici, sans être des causes directes de la criminalisation du trafic de stupéfiants, sont des réalités avec lesquelles ils sont journellement confrontés, et ils sauteront sur toute mesure apte à les leur alléger. Pour ce qui concerne, sous ce chapitre, les défendeurs du maintien de la criminalisation, il sera difficile de leur enlever le sentiment frustrant, plus émotionnel que vraiment pensé, qu’on est en train d’attenter à la mémoire de Latif Guèye, comme si on avait attendu qu’il fût mort pour lui enlever ce que de haute lutte, face à des lobbys puissants, il avait arraché à la société, et laissé comme héritage à ses successeurs. Ici, sans vouloir céder à la tentation de la formule forte, on serait en pleine «Danse sur une tombe». Et ça n’est pas pour dépassionner le débat
Troisièmement, il est évident que cette loi a été votée dans une certaine euphorie, à l’unanimité des députés présents, portée par le charisme et la sincérité indiscutable de son initiateur, et donc un peu vite, dans un pays qui baigne depuis un certain nombre d’années dans une pudibonderie hypocrite où n’importe quoi, placé de façon proche ou lointaine sous l’égide de la religion, fait toujours l’unanimité. Ainsi, on s’est retrouvé, par cette criminalisation du trafic de drogues, avec un bébé tout beau, mais un peu encombrant…, ou, plutôt encombré – je vais m’en expliquer tout de suite avec mon quatrième point, qui portera sur une proposition, une sorte de compromis dynamique qui devrait satisfaire tout le monde avant que ce débat de poudre ne s’enflamme sous les étincelles de la passion.
Quatrièmement (donc), et pour finir. Mais en commençant par la proposition évoquée tantôt, nous pensons qu’il faudrait couper cette poire en deux, pas seulement par souci du compromis ou pour arbitrer hypocritement un débat qu’il faut forcément trancher objectivement, on va le voir. Il faudrait non pas revenir totalement sur la criminalisation, mais amender la «Loi Latif Guèye» pour que le trafic international de drogue reste criminel, et ramener le trafic local à la correctionnelle. Tel que c’est ressorti des débats en question et de quelques recoupements auprès de personnels de la justice, ce qui fait véritablement problème et participe des engorgements et surpeuplement invoqués, c’est le petit trafic, surtout de cannabis, qui mène depuis le vote de la criminalisation des trafiquants de quartiers, revendeurs miséreux de paquets d’herbe à cinq cent francs, sur le chemin long et dramatique des Assises criminelles - c’est cela qui encombre cette belle loi, ce beau bébé législatif applaudi par toute une assemblée.
Cette option consistant à criminaliser le seul trafic international aiderait au désencombrement des allées de la justice, parce que ce ne sont pas des trafiquants internationaux de drogues qui encombrent nos cours d’Assises ces dernières années, ou provoquent un boom démographique dans les prisons sénégalaises. Ça se saurait ! Ensuite, dans la nécessité de distinguer le trafic international du trafic local, il faut savoir que le premier est au centre d’activités dont la nature criminelle ne fait pas l’objet de débats. Il s’agit du blanchiment de capitaux, de crimes de sang et enlèvements ; jusqu’aux coups d’Etat, fréquents comme dégâts collatéraux dans les modes opératoires de cette activité. Il faut ajouter que c’est le trafic international qui introduit chez nous toutes ces drogues dures, héroïne, cocaïne, crack, menant, en des temps record, à l’addiction, aux pulsions criminelles chez leurs usagers, et mortelles à des doses plus ou moins élevées.
Si les autorités faisaient cela, ils s’affranchiraient des soupçons de connivence avec les narcotrafiquants qui peuvent naître dans la suite de l’idée émise par Cheikh Tidiane Sy de décriminaliser entièrement le trafic de drogue. Et, franchement, on serait soulagé de cette désagréable impression, certes très épidermique mais réelle, que l’on est en train de voler un mort, Latif Guèye, et de piller son héritage, laissé, peut-être au péril de sa vie, aux générations futures.
Louis Seck
Le Populaire