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Lundi 11 Septembre 2017

Dossier : Engagement des femmes dans les partis politiques : évolution et décryptage d’un militantisme au Sénégal




 D’hier à aujourd’hui, le militantisme des femmes dans les partis politiques a beaucoup évolué. Si le nombre de femmes ne cesse d’augmenter, les raisons de leur engagement semblent avoir changé. De l’idéologie brandie comme argument principal, le côté affectif s’est taillé petit à petit, une place de choix dans les causes de leur engagement politique. Mais aujourd’hui, l’engagement mercantile entend bousculer l’ordre préétabli. Une enquête réalisée avec le soutien de l’Institut Panos durant la dernière campagne électorale pour les législatives, permet d’y voir un peu clair.
 
Aïssata Tall Sall, candidate à la Présidentielle 2019? « Osez l’Avenir avec ATS » veut-il se « macronniser » ? (Décryptage Leral)


L’idéologie et l’affection virent au mercantilisme
 
Lundi 31 juillet 2017. Dakar se réveille difficilement en ce lendemain de scrutin des élections législatives pour le choix des députés de la treizième législature au Sénégal. Le quartier Scat Urbam ne déroge à cette règle d’ambiance. Les abords des locaux du Rassemblement des travailleurs africains sénégalais (Rtas), qui se trouve dans ce quartier, restent calmes. D’ailleurs trouver le siège de ce parti qui se réclame de la gauche; n’a pas été un long fleuve tranquille. Les passants interpelés, pour la plupart, ignoraient jusqu’à l’existence de ce parti. Et les rares  personnes qui ont daigné donner des explications l’ont fait sur la base de vagues souvenirs, pour avoir lu l’enseigne quelque part.

Finalement, le siège de ce parti dirigé par El Hadji Momar Samb se présente à nous, à quelques encablures de la mosquée de la cité. Pourtant, il est bien placé sur la route principale.
 


Dans cet immeuble de deux étages, le Rtas a son siège au premier, dans l’appartement de droite. A l’intérieur, l’espace est réduit, l’endroit calme. Un coup d’oeil jeté à travers la baie vitrée, permet de se rendre compte que les lieux sont déserts. En rebroussant chemin, un homme d’une certaine corpulence croisée dans les escaliers, interpellé, confirme l’absence des membres du parti. «M. Samb vient de quitter les lieux», informe ce voisin qui se présente comme étant Bassirou Ndour, gérant de la quincaillerie se trouvant au rez-de-chaussée de l’immeuble.

C’est d’ailleurs lui qui va suggérer d’appeler le Secrétaire général dudit parti et indique le numéro de téléphone se trouvant sur l’enseigne. Ce qui fut fait et rendez-vous est pris pour le lendemain. Cette fois-ci, ce sera à son domicile aux Hlm Grand-Yoff.
 


La conviction en bandoulière
Le lendemain sur les lieux, grande fut notre surprise de trouver à côté de El Hadji Momar Samb, Mme Rose Sarr, militante politique de gauche engagée, avec qui nous avions eu un entretien téléphonique pour un rendez-vous. En fait, après explications, il se trouve qu’elle est en réalité Mme Samb, femme du Secrétaire général du Rtas. Et El Hadji Momar Samb de confirmer : «Oui, on est bien mari et femme, on s’est rencontré dans la lutte».
 
C’est d’ailleurs la transition qu’il a utilisé pour entrer dans le vif du sujet, en précisant que «c’est la femme qui peut dire la nature réelle de son engagement. Mais quand on observe objectivement la situation, il faut dire que c’est une militante comme un autre de sexe masculin. Et honnêtement, je peux dire que cet engagement n’est pas un des moindres par rapport à celui des hommes».

Cependant, El Hadji Momar Samb explique qu’aussi bien chez les hommes que du côté des femmes,  «les engagements ne sont pas toujours les mêmes». Et selon lui, «l’adhésion varie et, est égale à celle des hommes, tout préjugé mis à part. Et autant on a des hommes qui adhèrent par conviction, autant on a des femmes qui le font pour la même raison».
 

Une position largement partagée par Mael Thiam, administrateur de l’Alliance pour la République (APR), qui est à la limite catégorique : «Les femmes s’engagent de la même manière que  les hommes dans la politique je ne vois pas de paramètres particuliers». Mais Mayoro Faye, chargé de communication du Parti démocratique sénégalais (Pds) se veut, lui, formel : «Les femmes quand elles sont engagées c’est parce que derrière il y a de la conviction ».
 
C’est en tout cas cette conviction qui a guidé les pas de Ndèye Gaye Cissé, au Pds. Elle a eu à partager l’idéologie du parti et a fini par y adhérer. Elle y va de ses confidences, en soutenant que «Me Wade me donnait des documents, me parlait de l’idéologie libérale et sa vision par rapport au développement du Sénégal. Cela a aiguisé ma curiosité et à partir de là, je me suis formé moi-même en allant chercher des informations un peu partout sur l’idéologie libérale, avant d’être convaincue et d’adhérer au Pds».

Mme Samb, Rose Sarr, est aussi convaincue qu’il y a des femmes qui adhèrent dans les partis par conviction. Dans la mesure, selon elle, «où ce sont les idées qui intéressent».
 


Elles reconnaissent du point de vue idéologique, que ces partis politiques vont dans le sens des intérêts du peuple. Et elle prend l’exemple de leur parti, le Rtas, qui défend les masses, les travailleurs. Rose Sarr évoque «l’aspect objectif, rationnel de la pratique et des idées qui sont véhiculées autant par le leader que par le parti», pour justifier l’engagement des femmes, non sans occulter «l’aspect affectif, émotionnel» qui dicte certaines adhésions.

Le cas de Monique Sarr en est une illustration parfaite. Militante socialiste, la soixantaine passée, on la trouve assise dans la cour de la maison du parti (Ps), sise à Colobane, qui ne désemplit pas de militants. A ses côtés, Adja Coumba Seck, une autre militante du même âge, venue de Bargny. Réticentes au début à aborder certaines questions, Monique Sarr confie qu’elle est de la même ethnie que le premier Président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, et, est originaire de Palmarin près de Joal, où a vu le jour le président-poète.
 
Cette proximité aidant, elle a adhéré au Ps. «J’aime le Parti socialiste car j’estimais beaucoup Léopold Senghor et aujourd’hui, Ousmane Tanor Dieng et ne jure que par lui, parce que c’est lui que Diouf nous a laissé». Mais pour Monique Sarr, «le Ps du temps de Senghor et Diouf est totalement différent du Ps d’aujourd’hui. Les jeunes de nos jours sont pressés, contrairement à nous. Je faisais partie d’une jeunesse obéissante, qui écoutait les aînés et suivait les conseils».
 



Une entrée par… affection
 
Cet engagement affectif, Rose Sarr refuse qu’il soit uniquement l’apanage des femmes. «Cet aspect affectif existe aussi bien chez les hommes que chez les femmes. C’est loin d’être une particularité féminine. Si vous regardez les partis politiques, beaucoup d’hommes qui y adhérent, le font par affection, autant que les femmes. Le plus souvent c’est parce que celui qui dirige le parti est leur père, frère, cousin, ami, voisin,…». Ndèye Gaye Cissé du Pds ne semble pas partager cette explication de Rose Sarr. Surtout si elle considère l’état actuel des partis politiques.
 
Bien qu’ayant adhérée par conviction, Ndèye Gaye Cissé est d’avis que «chez certaines femmes, l’affection à un leader ou responsable de base, les poussent souvent à l’accompagner dans sa trajectoire politique. C’est rare de voir une femme qui adhère à un parti politique par rapport à une idéologie. Bon nombre d’elles sont dans des partis par le biais de…, ou par l’intermédiaire de…, c’est rare de voir une femme adhérée à un parti par rapport à une idéologie qu’elle connaît, dans laquelle elle se retrouve».
 


Militant socialiste au quartier Cité Port, près de Colobane, Abdoul Aziz Diouf se mêle à la conversation entamée avec les dames Monique Sarr et Adja Coumba Seck. Tenant à donner sa «part de vérité», il soutient que «l’engagement par affection est bien réel parce qu’elles viennent dans les partis par amour aussi».

Ndèye Gaye Cissé est convaincue que le fait que les femmes arrivent dans un parti sous la coupole de quelqu’un, a des conséquences négatives pour elles. En fait, selon elle, cela les limite dans leur quête de poste, ou pour montrer leur savoir-faire afin de s’imposer, car elles ont tendance à être sous la botte de cette personne. De cette adhésion par affection, «elles sont perdantes car les femmes jouent souvent les seconds rôles dans les partis politiques».
 


Pour Haoua Dia Thiam, membre de Aj/Pads et ancien ministre chargée des relations avec les Assemblées sous l’ère Wade, «l’engagement des femmes est citoyen comme celui des hommes mais on a l’habitude  de se poser des questions sur l’engagement des femmes en politique». Poursuivant son argumentaire, elle souligne que «dans notre pays, on estime que les femmes ne doivent pas avoir d’idées et que ce sont seulement les hommes qui doivent investir le champ politique. Je crois qu’il faut relativiser ; les femmes au Sénégal se sont toujours engagées».

Mieux, elle accuse la colonisation d’être à l’origine de la situation actuelle de la femme sur la scène politique sénégalaise, en mettant au devant les hommes. Aujourd’hui, Mme Thiam se désole du fait que «certaines font de la politique pour la promotion sociale alors que nous la faisions à l’époque, pour l’intérêt de la communauté».
 
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La cupidité bouscule l’ordre préétabli
 
A côté de l’engagement idéologique et affectif, certains responsables politiques interpellés font état d’une troisième voie très prisée aujourd’hui : l’engagement mercantile. Premier à s’en désoler, El Hadj Momar Samb du Rtas : «En politique aujourd’hui, nous avons une race de politiques qui ne sont mus que par le gain. Et je dois dire que c’est l’idéologie dominante de nos jours et personne n’y échappe, des partis de gauche comme de droite.» Position largement partagée par Mael Thiam, administrateur de l’Apr, qui affirme qu’«il y en a qui font de la politique pour s’enrichir ou changer de standing de vie».

Rose Sarr leur emboîte le pas quand elle raconte que «souvent, on réussit à avoir les femmes si on leurs donne des tissus, de l’argent, deux choses qui font que les femmes viennent grossir les rangs des partis.
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 J’étais confrontée à ça en tant que volontaire quand je faisais ma campagne de proximité lors de ces législatives (Juillet 2017). Des femmes me disaient : «Rose tu viens en parles essayant de nous convaincre mais où sont les tissus et l’argent ? Vos adversaires politiques c’est ce qu’ils font.»

Cette explication de Rose Sarr n’est pas en soi une mauvaise chose, si on en croit Mme Haoua Dia Thiam. Selon elle, «ce folklore fait partie de notre culture, c’est le sel de ce que nous faisons. Je ne suis pas contre la mobilisation, et les tenues, cela donne de la gaieté, de la vie et c’est plus convivial. C’est loin d’être mauvais.On peut le donner mais que cela ne soit pas un motif de querelle, de division, mais plutôt de cohésion», confie cette militante politique de gauche.

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Sur ce point précis, le chargé de communication du Pds semble défendre sa chapelle, en réfutant  l’existence d’un engagement par intérêt des femmes et où l’argent est le maître du jeu. «Ce n’est pas le cas chez nous, on n’utilise pas les femmes comme du bétail électoral. Dans notre parti, il n’y a pas que la femme pour mobiliser», argumente-t-il. 

Dans son analyse, Monique Sarr du Ps prend son contre-pied, en regrettant que «la génération actuelle des femmes politiques fait ses calculs et n’hésite pas à quitter le navire dès lors que leurs intérêts ne sont plus pris en considération». Rose Sarr de préciser dans le même sillage, que «les femmes s’organisent en tontines, groupements féminins, en cherchant des financements et vont vers ceux qui déboursent. Finalement, elles ne voient pas au-delà de l’argent».
 


Membre de cette nouvelle génération de femmes dans la vie politique sénégalaise, Mame Khary Diéne, porte-parole du parti ACT lors de la campagne pour les législatives de 2017, balaie d’un revers de la main toutes ces allégations.

Lors de son passage durant la campagne dans l’émission «Madame la candidate» sur le site leral.net , elle se défend en soutenant que «pour faire la politique, j’ai choisi des idées et non une personne. Parmi les leaders, les idées du président Abdoul Mbaye m’ont séduite. Ce qui m’intéresse, c’est la bonne marche du pays. C’est révolu l’époque ou on appâtait les femmes avec des tissus et quelques billets de  banque».
 
Haoua Dia Thiam, quant à elle, regrette le fait que la formation au sein des partis politiques ait disparu. Cette absence selon elle, peut expliquer en partie, ce fort mercantilisme remarqué dans les engagements politiques des femmes. Elle déplore le fait qu’on ne retrouve pas des personnes de la trempe des «Thiombé Samb, Rose Basse entre autres,  qui sont des exemples de femmes engagées pour la communauté, pour une idéologie. Je suis leur contemporaine car je fais partie de la génération après 68».

Une manière bien à elle de se souvenir de la lutte et la clandestinité qu’elles ont vécue. Malheureusement «nos sœurs cadettes qui sont venues après les années 80 et contemporaines de l’ouverture démocratique, font partie d’une génération qui n’a pas connu une formation rigide, une rigueur politique», regrette-t-elle.

 
Très amère, la socialiste Monique Sarr constate aujourd’hui «des femmes pressées, paresseuses et cupides». «Pour la jeune génération, c’est l’argent ou rien. D’ailleurs, ces femmes n’hésitent pas à transhumer de parti en parti, au grè de leurs intérêts sonnants et trébuchants», fait-elle remarquer.

Mais son camarade socialiste, El Hadji Moussa Samb, rencontré au niveau de la Maison du parti, est loin d’être défaitiste, en soutenant que c’est vrai que «les temps ont changé. Les femmes ont plus de postes  grâce à la parité. Parmi elles, certaines peuvent bien diriger ce pays car ayant les capacités nécessaires et je ne désespère pas de cela».

Institut Panos  en partenariat avec Leral






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