Avril 2000. Sur le boulevard de l’Arsenal à Dakar, le militaire bifurque son véhicule vert une chaussée à galons. Cheikh Bara Cissokho revient de chez son menuisier et emprunte cet itinéraire pour rejoindre le repaire de la marine nationale, à coté de la gare de Dakar. Arrivé au niveau du feu rouge de la caserne des Sapeurs Pompiers, à l’angle de la route qui mène vers l’avenue Malick Sy, le commandant d’unité du bateau le « Popenguine » voit sa vie s’avancer vers la lumière. Deux semaines après la prestation du serment du Président Abdoulaye Wade, au stade Léopold Sédar Senghor de Dakar, Bara Cissokho vit une « alternance » personnelle. Assis à ses cotés, Bakary Diédiou, son subordonné et capitaine d’arme du Popenguine, est témoin de l’histoire. II raconte : « il devait être midi quand on s’est arrêté au feu rouge, tout en écoutant les informations à la radio. A un moment le journaliste a commencé à lire une série de décrets et il a dit : « Le capitaine de frégate, Bara cissokho, précédemment capitaine du bateau de Popenguine, est nommé aide de camp du Président Wade par décret … » II a appris la nouvelle dans son véhicule. Le temps s’est suspendu, plus personne ne parlait. II est resté silencieux pendant un bon moment et moi je lui ai dit : « Mes félicitations, mon comandant et que cela vous porte bonheur. » II a répondu par un sourire simple et bref. II n’a pas dit un mot jusqu’à notre arrivée à la marine nationale. Ce n’est pas quelqu’un de bavard c’est un homme secret mais profondément sincère. »
Novembre 2009. Bakary Diédhiou, 58 ans, aujourd’hui à la retraite plisse le front. Neuf années se sont découlées depuis la fameuse scène du feu rouge, mais l’ancien Capitaine de marine ne désarme pas. Il murmure : « On veut mettre du goudron sur sa veste blanche pour le salir. » en cause : l’incommodante affaire Alex Segura, révélée le 25 septembre dernier, qui est venue extirper le Colonel Bara Cissokho, 49 ans, de sa position confortable d’homme de l’ombre. Chahuté une première fois par l’ « erreur » qui lui est officiellement attribuée sur le pactole de 90 millions F Cfa offert à Alex Segura, ancien représentant du Fmi (Fonds Monétaire International) à Dakar, par Me Wade, l’impassible aide de camp du président de la République a perdu de sa discrétion légendaire, l’affront en trop : l’histoire de plusieurs Euros subtilisés de la mallette du président Wade, contenant 70 000 euros (45 millions F Cfa), lors d’un vol Dakar-Paris en octobre dernier, qui met en doute la capacité de vigilance de cet homme de confiance du « Pape du Sopi. Deux « tristes affaires » qui, coup sur coup, ont fait montrer le Colonel au front médiatique. En première ligne. Presque sans sommation.
« Mouillé » par son propre patron dans l’infamante « affaire Segura », puis pointé du doigt par un certain cercle restreint du Palais dans l’histoire du vol de numéraires dans la mallette du Président, le Colonel Cissokho s’est acheté une soudaine célébrité, bien malgré lui. L’homme de l’ombre attire subitement tous les regards, alimente toutes les discussions, aimante tous les soupçons. Un comble pour ce gradé de la Marine Nationale qui rien ne liait…au pouvoir de l’argent. Bakary Diédhiou, fidele de toujours, n’en croira pas ses oreilles : « Ce n’est pas un homme d’argent. Il est trop en décalage avec le matériel pour se laisser corrompre et compromettre dans de tels actes. Il me disait souvent : « Diédhiou, recherche la compagnie des hommes de valeur et méfie-toi de l’argent. Il peut te mener aux cimetières et t’y laisser seul. » C’est un homme de principes. »
« Frère utérin du chauffeur de Me Wade »
Ce matin d’octobre, en plein ciel, l’avion présidentiel, de retour de Paris, est secoué subitement par une vive dispute. En scène : Lamine Faye, garde du corps et neveu du président Wade, s’en prend vertement à l’aide de camp Bara Cissokho. La confusion attire l’attention du président Wade qui bondit de son fauteuil pour sermonner son petit-fils. Ce dernier menace de convoquer la presse à son retour à Dakar pour faire des déballages sur les responsabilités du Colonel Cissokho dans l’histoire de la mallette présidentielle. L’objet de son courroux envers l’aide de camp du Président ? « En plein vol, quelqu’un a appelé le Colonel Cissokho sur son portable pour lui parler de l’histoire de la mallette qui commençait à faire beaucoup de bruit dans le pays. Et l’aide de camp a rétorqué devant tout le monde : « On connait le voleur et on va l’enchainer ! » Ce qui a eu le don d’énerver Lamine Faye », raconte un témoin de la scène.
Mais l’histoire de la brouille entre l’ancien « calot bleu » et Bara Cissokho remonte à loin. Aux premières heures de l’Alternance, Lamine Faye avait la charge la garde de la fameuse mallette du président de la République. A la nomination du Colonel Cissokho comme aide de camp de Wade en avril 2000, ces prérogatives lui sont retirées. Au grand dam du garde du corps qui n’a jamais « pardonné à Cissokho de lui avoir chipé ce privilège ».
Si le Seguragate a exposé sur la place publique le Colonel, accusé par le communiqué de la Présidence de la République de s’être « trompé sur la somme et s’est aperçu par la suite de son erreur », l’affaire des 45 millions F Cfa chipés de la mallette présidentielle n’a pas accouché d’un avis officiel du Palais. Mais elle a abondamment nourri une série de questions sans réponses sur les véritables responsabilités du Colonel Cissokho, comme aide de camp du président Wade. Comment a-t-il pu se laisser divertir, dans le vol de a mallette, alors qu’il a été la seule personne censée détenir le code confidentiel de l’attaché-case du Président ? Détient-il finalement autant de prérogatives, que l’autorise sa fonction, au milieu de l’entourage à problèmes de Wade ? Ce colonel de la Marine n’est-il pas un « étranger » dans ce milieu où les scandales financiers et les petits « meurtres » entre amis se succèdent ? Est-il taillé pour cet emploi sensible à hauts risques ? pape Samba Mboup, ministre, chef de cabinet du Président Wade, se réclame presque comme un fan du Colonel : « Il a été nommé aide de camp trois semaines après la survenue de l’Alternance. Me Wade a choisi lui-même Bara Cissokho sur une liste de plusieurs militaires que l’Armée sénégalaise lui avait proposés. Wade ne le connaissait pas personnellement avant, mais on le lui avait présenté comme une connaissance de sa famille de Kébémer. Leurs deux familles entretenaient de bonnes relations. Avant de l’engager, le Président l’avait reçu en entretien préalable et avait décidé après à lui faire confiance. Même moi, je ne le connaissais pas avant. J’ai découvert après un homme très posé, intègre et loyal. » « C’est Diané Ndiaye, le chauffeur du Président, qui a soufflé son nom à Me Wade au lendemain de sa prestation de serment, car le chef de l’Etat voulait quelqu’un digne de confiance, renseigne-t-on au Palais. Lui et le Colonel Cissokho habitent Kébémer comme le Président et son des demi-frères. Ils ont la même mère. C’est une affaire de famille. » Ombre du Président Wade, cet homme à la stature imposante et au regard toujours imperturbable est l’un des premiers et des derniers à voir le chef de l’Etat du Sénégal, du matin au soir. Sorte de secrétaire particulier du père de Karim Wade, avec bureau attenant à celui du Président, l’aide de camp Cissokho garde sur lui les discours du Président et les papiers confidentiels. En plus d’être officier supérieur de l’Armée sénégalaise, élevé dans la tradition de la gestion des affaires de l’Etat, il est au carrefour de tous les secrets de la République. Et chaque acte qu’il pose ne souffre ni de gratuité ni d’à peu-près. Un cadre de l’administration sénégalaise : « La fameuse mallette est à la base un attaché-case avec code confidentiels que seuls détiennent le Président et son aide de camp. Dans certains pays occidentaux, les aides de camp se trimballent même avec des mallettes contenant des codes nucléaires. Mais Wade lui, traine avec des mallettes d’argent. Quelqu’un comme Abdou Diouf ne le faisait jamais. »
L’aide de camp Cissokho joue un rôle jalousé dans le cercle du Président Wade : il gère la fameuse « caisse » du Secrétariat de la Présidence. Il est aussi le « bras armé » du Président. En plus clair : c’est par lui que passent les enveloppes « dans la gestion de la Crise de la Casamance » et autres largesses que Wade octroie à ses nombreux visiteurs.
Plongé dans un monde où cohabitent les nombreux conseillers du Président, sa famille, ses proches collaborateurs, son directeur de Cabinet et le secrétariat de la Présidence, le Colonel Cissokho occupe une place centrale dans ce théâtre d’ombres. Pape Samba Mboup : « Il gère l’argent du Palais de manière très orthodoxe. J’ai beaucoup d’estime pour lui car j’ai vu beaucoup de fois où il pouvait s’en mettre plein les poches et il ne l’a pas fait. Il garde l’argent et il est beaucoup sollicité, mais il a toujours su garder son calme et manœuvrer à bon escient. Parfois, il donne des coups de pouce au Président qui vont au-delà de sa fonction. »
Dans le communiqué du Palais, suite à l’affaire Segura, il est mentionné qu’ « après avoir présenté ses adieux, l’aide de camp a demandé au président de la République s’il fallait lui (Segura) donner quelque chose comme de coutume. Le président de la République a répondu oui sans préciser la somme car il y avait une pratique. » Quelle pratique ? Un conseiller au Palais en sourit : « Soit le Président savait la nature de la somme, soit il a laissé le Colonel Cissokho faire au degré de la personnalité de l’invité, qui est un représentant du Fmi et pas un citoyen lambda. Mais, il n’ya pas pu avoir d’erreur sur la somme remise à Segura. »
Passé Colonel, capitaine de Frégate dans la marine, le 31 décembre 2002, deux ans après sa nomination comme aide de camp, Bara Cissokho est venu au Palais comme Commandant dans la marine nationale, avant de passer Lieutenant-colonel (capitaine de vaisseau) en 2000. Là-bas, il a su très tôt gagner l’estime du Président Wade. Au lendemain de l’affaire Segura et de l’histoire d’argent de la mallette, des fuites organisées avaient fait état de la volonté du chef de l’Etat de « limoger son aide de camp », il semble qu’il n’en est rien. Pape Samba Mboup : « C’est en passant au Palais qu’il a été fait Colonel. Wade voulait même le nommer Amiral mais l’armée s’y est opposée parce que d’autres colonels disaient qu’ils lui sont anciens. »
« Franc, sincère, honnête »
Pur produit du Prytanée Militaire de Saint Louis et de l’école navale de Brest (France), d’où il est sorti comme enseigne de Vaisseau, équivalent d’un sous lieutenant dans l’Armée de terre, Cheikh Bara Cissokho, qui a été aussi pensionnaire de l’Ecole de guerre de Paris, revendique un parcours quasi-parfait, dans la pure tradition des Officiers de la Marine. A son retour au Sénégal, il a d’abord servi au Groupe naval opérationnel, ensuite au Groupe de soutien de la Marine avant d’atterrir à l’Etat-major de la marine nationale. Au beau milieu des années 90, il se retrouve commandant de bateau le Popenguine d’où il ne s’échappera que pour devenir aide de camp du Président Wade en avril 2000, en remplacement du Capitaine de Vaisseau, Ousmane Ibrahima Sall, marin comme lui. A bord du Popenguine, le Capitaine de frégate Cissokho y aurait laissé des souvenirs impérissables. Entre la lettre de la rigueur toute militaire et l’esprit d’une gestion très humaine de son commandement, Cheikh Bara avait su créer les conditions d’une bonne ambiance. Sur un plan humain, il avait créé la coopérative du bord pour les cas sociaux du bateau. Bakary Diédhiou, chargé à l’époque de veiller sur la discipline et la bonne marche du Popenguine, témoigne : « Le Colonel Cissokho disait qu’il ne peut pas commander un personnel qui a des problèmes. Il avait aussi mis en place une pharmacie dans le bureau pour le personnel. Il est profondément humain et se soucie beaucoup de l’autre. »
Décrit comme un homme « franc, sincère et honnête », l’aide de camp du Président Wade passe pour un « modèle » dans la marine sénégalaise. Dans ce corps de l’Armée sénégalaise, l’affaire Segura, qui implique un des leurs, a semé la consternation et une révolte sourde. Fierté de son corps d’armée, Cissokho, bonhomme au sourire « rare », a eu un parcours « exemplaire ». « C’est un homme d’honneur, écrivez cela ! Somme un Capitaine de marine. Tout le monde ne peut en dire autant. » Un autre capitaine : « C’est un bon camarade. Je suis son ainé et j’ai eu à le commander dans le passé. Mais il a su gravir les échelons, alors que je suis resté Capitaine. Mais, toutes les fois où on se croise, le Colonel Cissokho se comporte avec moi comme s’il était encore mon subordonné. Ce qui est une qualité rare dans l’Armée. » « Il est resté le même malgré ses nombreuses promotions dans l’Armée nationale », renchérit un de ses anciens subordonnés.
Dans son commandement du bateau Le Popenguine, cet ancien Enfant de troupe n’a jamais perdu sa lucidité et a toujours su garder les pieds sur terre, malgré un équipage qui n’était pas toujours facile à manager jour et nuit. Diédhiou, encore : « Comme dans toutes les familles, il y avait parfois de petites anormalités dans le bateau. Mais, Cissokho n’aimait pas les racontars. Il réglait toujours ces problèmes sur le champ, en convoquant le racontar pour lui dire de répéter ce qu’il avait dit devant les autres. Le problème était vite résolu et tout le monde faisait gaffe. » Une ombre dans ce tableau sans ratures ? diédhiou, toujours : « C’était mon supérieur et je ne l’observais pas de long en large. En retour, lui nous observait beaucoup pour se faire une idée précise sur chacun. Il avait l’habitude de me dire : « Diédhiou, dans la vie, il faut avoir de la personnalité et être digne. Il ne faut jamais être amené à baisser un jour la tête devant autrui. » Il ajoutait : « Il faut mériter ton salaire et prendre ce qui est à toi. Ne t’intéresse jamais à ce qui ne t’appartient pas. »
Epoux de la sœur de la femme du pilote de Wade
Même dans le civil, Cheikh Bara Cissokho s’éloigne difficilement…de la grande famille de l’Armée. Militaire de cœur et de passion, l’enfant de Kébémer, papa de trois enfants, est marié à la dame Awa Niang, fille du Général Coumba Diouf Niang, ancien chef d’Etat Major de l’Armée de terre. « Cissokho a été l’aide de camp du Général Coumba Diouf Niang, renseigne un de ses collègues militaires. C’est par ce rapprochement qu’il a connu sa fille Awa et l’a épousée. » « Et chose curieuse, ajoute-t-il, la femme du Colonel Cissokho est la sœur de Ndeye Rama Niang, épouse de…Madické Seck, le pilote de l’avion présidentiel, La Pointe du Sangomar. » Une affaire de famille, l’entourage du Président ?
Domicilié dans le bâtiment immaculé du Palais présidentiel, le Colonel Bara Cissokho a « une vie rythmée par l’agenda du Président Wade » et par les soubresauts de la vie mouvementée au Château de l’avenue Léopold Senghor. Au lendemain de l’affaire Segura et du fameux communiqué présidentiel, sa petite vie de famille a ainsi connu une petite secousse. Un proche : « Son épouse avait voulu quitter son logement de fonction du Palais, parce qu’elle ne pouvait pas croiser le regard des autres après l’affaire Segura. Elle était bouleversée. »
Jusque là, rien n’aurait pu présager que cet enfant de Kébémer (où il est né le 6 novembre1960) attirerait les regards sur lui de cette façon. Garçon d’une famille nombreuse et polygame, Bara Cissokho est moulé dans l’eau que dans le feu. Il est aussi lisse que sa tenue de militaire. Pape Doudou Samb, un de ses amis d’enfance : « Il a toujours été calme, gentil et sans histoires. S’il est devenu militaire, c’est par amour de la discipline, de la rigueur et du don de soi. »
Ce fils d’un ancien technicien de l’agriculture à Kébémer, qui a « profité des années vertes du Sénégal », a connu une enfance facile dégagée. Au quartier Escale, au milieu de sa maman, de ses frères et sœurs, le jeune Cheikh Bara Cissokho pousse sans anicroches. Pape Doudou Samb, toujours : « Comme son père avait beaucoup de moyens, Bara a grandi dans une grande maison à Kébémer avec sa maman et ses autres frères et sœurs. Ce qui les a épargnés de vivre certaines tensions des grandes familles polygames. »
Au quartier Escale, la demeure des Cissokho n’est distante que d’une centaine de mettre celle de la famille du président Wade. Trop jeune pour connaitre le leader du Sopi dans ses années à Kébémer, une sorte d’alliance familiale unit cependant les Wade et les Cissokho. Plus tard, à la survenue de l’Alternance, le président Wade n’hésite pas à attirer auprès de lui les demi-frères utérins Cissokho-Ndiaye (Bara, l’aide de camp et Diané, le chauffeur), présentés comme ses neveux, même s’il ne les connaissait que très peu. » Pape Doudou Samb : « Je sais que la grand-mère de Bara Cissokho, Mame Ramata Diallo, avait hébergé pendant un moment, la mère du président Wade à Kébémer. C’est de là qu’est partie l’alliance entre les deux familles. »
Mais, parti très tôt de sa ville natale, Cheikh Bara Cissokho n’a que très peu profité de cet environnement aisé. La faute à une intelligence précoce qui le fait quitter dès l’entrée en sixième secondaire son cocon familial pour le prestigieux Prytanée militaire de Saint-Louis. Son havre de pax kébémerois, il n’y revient que le temps des vacances scolaires, mais avait déjà l’esprit structuré. Pape Doudou Samb, toujours : « A l’époque, on collectionnait déjà les conquêtes féminines et on se retrouvait avec plusieurs copines en même temps. Mais Bara lui, n’a jamais eu qu’une seule copine. Il n’a jamais su tricher avec les autres et avait déjà le sens du respect pour les autres et pour lui. »
Ce garçon équilibré se révèle aussi un bon footballeur au sein de l’équipe Navétanes de l’Asc Escale de Kébémer. Libéro et capitaine, Cheikh Bara Cissokho aurait pu mener au front avec son parcours dans l’Armée, une honnête carrière dans le championnat local dans les années 80. Mais lui, a préféré donner une autre trajectoire à sa vie. Pape Doudou Samb : « Il était élégant balle au pied et avait attiré les regards sur lui. Je me souviens d’un match où il avait fracturé la jambe d’un adversaire. Il était tellement bon footballeur que la grande équipe de l’Asfa (association sportive des forces armées) des années 80 avait fait des pieds et des mains pour l’enrôler. Mais lui, ne voulait pas se disperser et a préféré se concentrer sur sa carrière dans la marine. » Et rester « brillant » à l’ombre jusqu’à la maudite « affaire Segura ».
Par Elimane Kane ; ciresamba@weekend.sn
Source : WEEKEND MAG’ / galsentv.com
Novembre 2009. Bakary Diédhiou, 58 ans, aujourd’hui à la retraite plisse le front. Neuf années se sont découlées depuis la fameuse scène du feu rouge, mais l’ancien Capitaine de marine ne désarme pas. Il murmure : « On veut mettre du goudron sur sa veste blanche pour le salir. » en cause : l’incommodante affaire Alex Segura, révélée le 25 septembre dernier, qui est venue extirper le Colonel Bara Cissokho, 49 ans, de sa position confortable d’homme de l’ombre. Chahuté une première fois par l’ « erreur » qui lui est officiellement attribuée sur le pactole de 90 millions F Cfa offert à Alex Segura, ancien représentant du Fmi (Fonds Monétaire International) à Dakar, par Me Wade, l’impassible aide de camp du président de la République a perdu de sa discrétion légendaire, l’affront en trop : l’histoire de plusieurs Euros subtilisés de la mallette du président Wade, contenant 70 000 euros (45 millions F Cfa), lors d’un vol Dakar-Paris en octobre dernier, qui met en doute la capacité de vigilance de cet homme de confiance du « Pape du Sopi. Deux « tristes affaires » qui, coup sur coup, ont fait montrer le Colonel au front médiatique. En première ligne. Presque sans sommation.
« Mouillé » par son propre patron dans l’infamante « affaire Segura », puis pointé du doigt par un certain cercle restreint du Palais dans l’histoire du vol de numéraires dans la mallette du Président, le Colonel Cissokho s’est acheté une soudaine célébrité, bien malgré lui. L’homme de l’ombre attire subitement tous les regards, alimente toutes les discussions, aimante tous les soupçons. Un comble pour ce gradé de la Marine Nationale qui rien ne liait…au pouvoir de l’argent. Bakary Diédhiou, fidele de toujours, n’en croira pas ses oreilles : « Ce n’est pas un homme d’argent. Il est trop en décalage avec le matériel pour se laisser corrompre et compromettre dans de tels actes. Il me disait souvent : « Diédhiou, recherche la compagnie des hommes de valeur et méfie-toi de l’argent. Il peut te mener aux cimetières et t’y laisser seul. » C’est un homme de principes. »
« Frère utérin du chauffeur de Me Wade »
Ce matin d’octobre, en plein ciel, l’avion présidentiel, de retour de Paris, est secoué subitement par une vive dispute. En scène : Lamine Faye, garde du corps et neveu du président Wade, s’en prend vertement à l’aide de camp Bara Cissokho. La confusion attire l’attention du président Wade qui bondit de son fauteuil pour sermonner son petit-fils. Ce dernier menace de convoquer la presse à son retour à Dakar pour faire des déballages sur les responsabilités du Colonel Cissokho dans l’histoire de la mallette présidentielle. L’objet de son courroux envers l’aide de camp du Président ? « En plein vol, quelqu’un a appelé le Colonel Cissokho sur son portable pour lui parler de l’histoire de la mallette qui commençait à faire beaucoup de bruit dans le pays. Et l’aide de camp a rétorqué devant tout le monde : « On connait le voleur et on va l’enchainer ! » Ce qui a eu le don d’énerver Lamine Faye », raconte un témoin de la scène.
Mais l’histoire de la brouille entre l’ancien « calot bleu » et Bara Cissokho remonte à loin. Aux premières heures de l’Alternance, Lamine Faye avait la charge la garde de la fameuse mallette du président de la République. A la nomination du Colonel Cissokho comme aide de camp de Wade en avril 2000, ces prérogatives lui sont retirées. Au grand dam du garde du corps qui n’a jamais « pardonné à Cissokho de lui avoir chipé ce privilège ».
Si le Seguragate a exposé sur la place publique le Colonel, accusé par le communiqué de la Présidence de la République de s’être « trompé sur la somme et s’est aperçu par la suite de son erreur », l’affaire des 45 millions F Cfa chipés de la mallette présidentielle n’a pas accouché d’un avis officiel du Palais. Mais elle a abondamment nourri une série de questions sans réponses sur les véritables responsabilités du Colonel Cissokho, comme aide de camp du président Wade. Comment a-t-il pu se laisser divertir, dans le vol de a mallette, alors qu’il a été la seule personne censée détenir le code confidentiel de l’attaché-case du Président ? Détient-il finalement autant de prérogatives, que l’autorise sa fonction, au milieu de l’entourage à problèmes de Wade ? Ce colonel de la Marine n’est-il pas un « étranger » dans ce milieu où les scandales financiers et les petits « meurtres » entre amis se succèdent ? Est-il taillé pour cet emploi sensible à hauts risques ? pape Samba Mboup, ministre, chef de cabinet du Président Wade, se réclame presque comme un fan du Colonel : « Il a été nommé aide de camp trois semaines après la survenue de l’Alternance. Me Wade a choisi lui-même Bara Cissokho sur une liste de plusieurs militaires que l’Armée sénégalaise lui avait proposés. Wade ne le connaissait pas personnellement avant, mais on le lui avait présenté comme une connaissance de sa famille de Kébémer. Leurs deux familles entretenaient de bonnes relations. Avant de l’engager, le Président l’avait reçu en entretien préalable et avait décidé après à lui faire confiance. Même moi, je ne le connaissais pas avant. J’ai découvert après un homme très posé, intègre et loyal. » « C’est Diané Ndiaye, le chauffeur du Président, qui a soufflé son nom à Me Wade au lendemain de sa prestation de serment, car le chef de l’Etat voulait quelqu’un digne de confiance, renseigne-t-on au Palais. Lui et le Colonel Cissokho habitent Kébémer comme le Président et son des demi-frères. Ils ont la même mère. C’est une affaire de famille. » Ombre du Président Wade, cet homme à la stature imposante et au regard toujours imperturbable est l’un des premiers et des derniers à voir le chef de l’Etat du Sénégal, du matin au soir. Sorte de secrétaire particulier du père de Karim Wade, avec bureau attenant à celui du Président, l’aide de camp Cissokho garde sur lui les discours du Président et les papiers confidentiels. En plus d’être officier supérieur de l’Armée sénégalaise, élevé dans la tradition de la gestion des affaires de l’Etat, il est au carrefour de tous les secrets de la République. Et chaque acte qu’il pose ne souffre ni de gratuité ni d’à peu-près. Un cadre de l’administration sénégalaise : « La fameuse mallette est à la base un attaché-case avec code confidentiels que seuls détiennent le Président et son aide de camp. Dans certains pays occidentaux, les aides de camp se trimballent même avec des mallettes contenant des codes nucléaires. Mais Wade lui, traine avec des mallettes d’argent. Quelqu’un comme Abdou Diouf ne le faisait jamais. »
L’aide de camp Cissokho joue un rôle jalousé dans le cercle du Président Wade : il gère la fameuse « caisse » du Secrétariat de la Présidence. Il est aussi le « bras armé » du Président. En plus clair : c’est par lui que passent les enveloppes « dans la gestion de la Crise de la Casamance » et autres largesses que Wade octroie à ses nombreux visiteurs.
Plongé dans un monde où cohabitent les nombreux conseillers du Président, sa famille, ses proches collaborateurs, son directeur de Cabinet et le secrétariat de la Présidence, le Colonel Cissokho occupe une place centrale dans ce théâtre d’ombres. Pape Samba Mboup : « Il gère l’argent du Palais de manière très orthodoxe. J’ai beaucoup d’estime pour lui car j’ai vu beaucoup de fois où il pouvait s’en mettre plein les poches et il ne l’a pas fait. Il garde l’argent et il est beaucoup sollicité, mais il a toujours su garder son calme et manœuvrer à bon escient. Parfois, il donne des coups de pouce au Président qui vont au-delà de sa fonction. »
Dans le communiqué du Palais, suite à l’affaire Segura, il est mentionné qu’ « après avoir présenté ses adieux, l’aide de camp a demandé au président de la République s’il fallait lui (Segura) donner quelque chose comme de coutume. Le président de la République a répondu oui sans préciser la somme car il y avait une pratique. » Quelle pratique ? Un conseiller au Palais en sourit : « Soit le Président savait la nature de la somme, soit il a laissé le Colonel Cissokho faire au degré de la personnalité de l’invité, qui est un représentant du Fmi et pas un citoyen lambda. Mais, il n’ya pas pu avoir d’erreur sur la somme remise à Segura. »
Passé Colonel, capitaine de Frégate dans la marine, le 31 décembre 2002, deux ans après sa nomination comme aide de camp, Bara Cissokho est venu au Palais comme Commandant dans la marine nationale, avant de passer Lieutenant-colonel (capitaine de vaisseau) en 2000. Là-bas, il a su très tôt gagner l’estime du Président Wade. Au lendemain de l’affaire Segura et de l’histoire d’argent de la mallette, des fuites organisées avaient fait état de la volonté du chef de l’Etat de « limoger son aide de camp », il semble qu’il n’en est rien. Pape Samba Mboup : « C’est en passant au Palais qu’il a été fait Colonel. Wade voulait même le nommer Amiral mais l’armée s’y est opposée parce que d’autres colonels disaient qu’ils lui sont anciens. »
« Franc, sincère, honnête »
Pur produit du Prytanée Militaire de Saint Louis et de l’école navale de Brest (France), d’où il est sorti comme enseigne de Vaisseau, équivalent d’un sous lieutenant dans l’Armée de terre, Cheikh Bara Cissokho, qui a été aussi pensionnaire de l’Ecole de guerre de Paris, revendique un parcours quasi-parfait, dans la pure tradition des Officiers de la Marine. A son retour au Sénégal, il a d’abord servi au Groupe naval opérationnel, ensuite au Groupe de soutien de la Marine avant d’atterrir à l’Etat-major de la marine nationale. Au beau milieu des années 90, il se retrouve commandant de bateau le Popenguine d’où il ne s’échappera que pour devenir aide de camp du Président Wade en avril 2000, en remplacement du Capitaine de Vaisseau, Ousmane Ibrahima Sall, marin comme lui. A bord du Popenguine, le Capitaine de frégate Cissokho y aurait laissé des souvenirs impérissables. Entre la lettre de la rigueur toute militaire et l’esprit d’une gestion très humaine de son commandement, Cheikh Bara avait su créer les conditions d’une bonne ambiance. Sur un plan humain, il avait créé la coopérative du bord pour les cas sociaux du bateau. Bakary Diédhiou, chargé à l’époque de veiller sur la discipline et la bonne marche du Popenguine, témoigne : « Le Colonel Cissokho disait qu’il ne peut pas commander un personnel qui a des problèmes. Il avait aussi mis en place une pharmacie dans le bureau pour le personnel. Il est profondément humain et se soucie beaucoup de l’autre. »
Décrit comme un homme « franc, sincère et honnête », l’aide de camp du Président Wade passe pour un « modèle » dans la marine sénégalaise. Dans ce corps de l’Armée sénégalaise, l’affaire Segura, qui implique un des leurs, a semé la consternation et une révolte sourde. Fierté de son corps d’armée, Cissokho, bonhomme au sourire « rare », a eu un parcours « exemplaire ». « C’est un homme d’honneur, écrivez cela ! Somme un Capitaine de marine. Tout le monde ne peut en dire autant. » Un autre capitaine : « C’est un bon camarade. Je suis son ainé et j’ai eu à le commander dans le passé. Mais il a su gravir les échelons, alors que je suis resté Capitaine. Mais, toutes les fois où on se croise, le Colonel Cissokho se comporte avec moi comme s’il était encore mon subordonné. Ce qui est une qualité rare dans l’Armée. » « Il est resté le même malgré ses nombreuses promotions dans l’Armée nationale », renchérit un de ses anciens subordonnés.
Dans son commandement du bateau Le Popenguine, cet ancien Enfant de troupe n’a jamais perdu sa lucidité et a toujours su garder les pieds sur terre, malgré un équipage qui n’était pas toujours facile à manager jour et nuit. Diédhiou, encore : « Comme dans toutes les familles, il y avait parfois de petites anormalités dans le bateau. Mais, Cissokho n’aimait pas les racontars. Il réglait toujours ces problèmes sur le champ, en convoquant le racontar pour lui dire de répéter ce qu’il avait dit devant les autres. Le problème était vite résolu et tout le monde faisait gaffe. » Une ombre dans ce tableau sans ratures ? diédhiou, toujours : « C’était mon supérieur et je ne l’observais pas de long en large. En retour, lui nous observait beaucoup pour se faire une idée précise sur chacun. Il avait l’habitude de me dire : « Diédhiou, dans la vie, il faut avoir de la personnalité et être digne. Il ne faut jamais être amené à baisser un jour la tête devant autrui. » Il ajoutait : « Il faut mériter ton salaire et prendre ce qui est à toi. Ne t’intéresse jamais à ce qui ne t’appartient pas. »
Epoux de la sœur de la femme du pilote de Wade
Même dans le civil, Cheikh Bara Cissokho s’éloigne difficilement…de la grande famille de l’Armée. Militaire de cœur et de passion, l’enfant de Kébémer, papa de trois enfants, est marié à la dame Awa Niang, fille du Général Coumba Diouf Niang, ancien chef d’Etat Major de l’Armée de terre. « Cissokho a été l’aide de camp du Général Coumba Diouf Niang, renseigne un de ses collègues militaires. C’est par ce rapprochement qu’il a connu sa fille Awa et l’a épousée. » « Et chose curieuse, ajoute-t-il, la femme du Colonel Cissokho est la sœur de Ndeye Rama Niang, épouse de…Madické Seck, le pilote de l’avion présidentiel, La Pointe du Sangomar. » Une affaire de famille, l’entourage du Président ?
Domicilié dans le bâtiment immaculé du Palais présidentiel, le Colonel Bara Cissokho a « une vie rythmée par l’agenda du Président Wade » et par les soubresauts de la vie mouvementée au Château de l’avenue Léopold Senghor. Au lendemain de l’affaire Segura et du fameux communiqué présidentiel, sa petite vie de famille a ainsi connu une petite secousse. Un proche : « Son épouse avait voulu quitter son logement de fonction du Palais, parce qu’elle ne pouvait pas croiser le regard des autres après l’affaire Segura. Elle était bouleversée. »
Jusque là, rien n’aurait pu présager que cet enfant de Kébémer (où il est né le 6 novembre1960) attirerait les regards sur lui de cette façon. Garçon d’une famille nombreuse et polygame, Bara Cissokho est moulé dans l’eau que dans le feu. Il est aussi lisse que sa tenue de militaire. Pape Doudou Samb, un de ses amis d’enfance : « Il a toujours été calme, gentil et sans histoires. S’il est devenu militaire, c’est par amour de la discipline, de la rigueur et du don de soi. »
Ce fils d’un ancien technicien de l’agriculture à Kébémer, qui a « profité des années vertes du Sénégal », a connu une enfance facile dégagée. Au quartier Escale, au milieu de sa maman, de ses frères et sœurs, le jeune Cheikh Bara Cissokho pousse sans anicroches. Pape Doudou Samb, toujours : « Comme son père avait beaucoup de moyens, Bara a grandi dans une grande maison à Kébémer avec sa maman et ses autres frères et sœurs. Ce qui les a épargnés de vivre certaines tensions des grandes familles polygames. »
Au quartier Escale, la demeure des Cissokho n’est distante que d’une centaine de mettre celle de la famille du président Wade. Trop jeune pour connaitre le leader du Sopi dans ses années à Kébémer, une sorte d’alliance familiale unit cependant les Wade et les Cissokho. Plus tard, à la survenue de l’Alternance, le président Wade n’hésite pas à attirer auprès de lui les demi-frères utérins Cissokho-Ndiaye (Bara, l’aide de camp et Diané, le chauffeur), présentés comme ses neveux, même s’il ne les connaissait que très peu. » Pape Doudou Samb : « Je sais que la grand-mère de Bara Cissokho, Mame Ramata Diallo, avait hébergé pendant un moment, la mère du président Wade à Kébémer. C’est de là qu’est partie l’alliance entre les deux familles. »
Mais, parti très tôt de sa ville natale, Cheikh Bara Cissokho n’a que très peu profité de cet environnement aisé. La faute à une intelligence précoce qui le fait quitter dès l’entrée en sixième secondaire son cocon familial pour le prestigieux Prytanée militaire de Saint-Louis. Son havre de pax kébémerois, il n’y revient que le temps des vacances scolaires, mais avait déjà l’esprit structuré. Pape Doudou Samb, toujours : « A l’époque, on collectionnait déjà les conquêtes féminines et on se retrouvait avec plusieurs copines en même temps. Mais Bara lui, n’a jamais eu qu’une seule copine. Il n’a jamais su tricher avec les autres et avait déjà le sens du respect pour les autres et pour lui. »
Ce garçon équilibré se révèle aussi un bon footballeur au sein de l’équipe Navétanes de l’Asc Escale de Kébémer. Libéro et capitaine, Cheikh Bara Cissokho aurait pu mener au front avec son parcours dans l’Armée, une honnête carrière dans le championnat local dans les années 80. Mais lui, a préféré donner une autre trajectoire à sa vie. Pape Doudou Samb : « Il était élégant balle au pied et avait attiré les regards sur lui. Je me souviens d’un match où il avait fracturé la jambe d’un adversaire. Il était tellement bon footballeur que la grande équipe de l’Asfa (association sportive des forces armées) des années 80 avait fait des pieds et des mains pour l’enrôler. Mais lui, ne voulait pas se disperser et a préféré se concentrer sur sa carrière dans la marine. » Et rester « brillant » à l’ombre jusqu’à la maudite « affaire Segura ».
Par Elimane Kane ; ciresamba@weekend.sn
Source : WEEKEND MAG’ / galsentv.com