Donneriez-vous un ou plusieurs membres du corps de votre proche décédé pour financer son enterrement? À cette question politiquement incorrecte, un nombre non-négligeable d'Américains répondent positivement. Du moins à en croire plusieurs dizaines d'obscures entreprises qui monétarisent les cadavres à des fins financières, au sein d'un large marché national non régulé.
La Southern Nevada Donor Services est l'une d'entre elles. Pour permettre à des familles endeuillées de se dédouaner des frais de funérailles, la compagnie leur offre une crémation gratuite, en échange de tout ou partie de la dépouille du défunt. Pour «faire avancer la recherche médicale».
Achat et revente de cadavres
Comme les trente-trois autres entreprises de ce type identifiées par Reuters aux États-Unis , la Southern Nevada Donor Services s'avère être, tout simplement, un revendeur de corps humains.
Le principe est simple: l'entreprise acquiert des cadavres, les dissèque et revend les membres découpés à des chercheurs ou médecins en devenir, qui les utiliseront pour s'entraîner à la pratique de certains actes médicaux —comme l'insertion de sondes naso-gastriques, par exemple. Ce qu'il reste des corps sera ensuite restitué à la famille du défunt, pour être incinéré ou enterré.
Les milliers d'Américains qui donnent leur corps à la science chaque année, participent peut-être à faire fructifier ce juteux commerce morbide, lequel profite d'un marché non encore régulé par l'État.
Pour Angela McArthur, directrice d'un programme de don d'organes à l'école de médecine de l'Université du Minnesota,
«Ce qu'ils font, c'est faire du profit via la vente de corps humains.»
Pour la science
Les dons du corps sont précieux pour la formation médicale et la recherche. Ils jouent un rôle crucial dans la formation des étudiants en médecine, des élèves infirmiers ou encore des futurs dentistes.
Comme l'explique Reuters, de nombreux chirurgiens affirment qu'aucun mannequin ou robot au monde ne sera jamais capable de répliquer à la perfection la réponse tactile et émotionnelle qu'offrent les expérimentations sur de réels corps humains. Les nouvelles techniques chirurgicales sont mises au point sur des cadavres, qui servent également à développer des traitements médicamenteux.
Le Professeur américain Armand Krikorian, ancien président de l'American Federation for Medical Research , insiste:
«Le don d'organes est absolument vital pour la recherche. [Un potentiel remède contre le diabète de type 1] est typiquement le genre de traitement qui n'aurait jamais pu voir le jour si nous n'avions aucun don de corps».
Le prix des corps oscillerait entre 3.000 et 5.000 dollars. Ils peuvent, dans certains cas, atteindre les 10.000 dollars. Les membres sont souvent vendus séparément: en moyenne, un torse et des jambes se vendent 3.575 dollars, une tête 500 et un pied 300.
Les familles démunies ciblées
Les «revendeurs de corps» entretiennent d'étroits rapports avec l'industrie funéraire. Et pour cause: dans un système de partenariat officieux, les entreprises de pompes funèbres mettent les revendeurs d'organes en contact avec des potentiels donneurs. En retour, les premiers s'engagent à régler les frais d'obsèques des concernés. Un argument de poids pour attirer des familles qui peinent à assumer de telles dépenses —plusieurs milliers de dollars.
Ce sont donc les classes sociales les plus défavorisées qui constituent, à l'heure actuelle, la cible principale des revendeurs. Dawn Vander Kolk, employé dans un foyer social de l'Illinois, déplore:
«Il y a des gens qui peuvent se permettre d'avoir un débat moral, éthique, et spirituel concernant la technique funéraire à laquelle ils auront recours. [...] Ceux qui n'ont pas d'argent sont plus enclins à avoir recours à la dernière option qui s'offre à eux: le don de corps.»
Vide juridique
Aux États-Unis, acheter un cœur ou un rein dans l'optique d'une transplantation, est illégal. Mais aucune loi fédérale ne régit la vente de corps ou de membres pour la recherche scientifique. Autrement dit, il n'est pas interdit de disséquer un cadavre et d'en revendre certaines parties.
L'idée étant pour le moins dérangeante du point de vue éthique, les entreprises de revente de corps jouent sur les mots et usent d'un langage censé rendre leur commerce plus acceptable moralement. Ils ne parlent ainsi pas de «membres» mais de «tissus» et évitent à tout prix de se faire qualifier de «revendeurs de corps». À la place, ils privilégient le terme «banques de tissus à des fins de non-transplantation».