Un des aspects les plus frappants dans l’affaire Hissein Habré, c’est la guerre que se font les différents protagonistes autour de la question de l’évaluation de ce budget, et concernant la gestion de cet argent. Une véritable foire d’empoigne : d’une part les experts sénégalais, et d’autre part les financiers européens, ceux qui payeront pour obtenir la tête d’Hissein Habré selon le sacro-saint principe « Qui paye, commande (le verdict) ».
Dans cette guerre de tranchées, les positions conquises par les uns sont perdues quelques jours plus tard au profit des autres, démontrant ainsi à l’opinion internationale que ce qui intéresse certains acteurs dans cette affaire, c’est bel et bien, les milliards qui seront récoltés.
C’est ainsi qu’un premier comité d’experts mis sur pied pour dresser une évaluation du coût du « procès », chiffra à 43 milliards de F CFA soit 65.553.000 d’Euros, provoquant une crise d’épilepsie chez les Européens. Scandaleux, inadmissible, les mots ont fusé de toutes parts accusant le Sénégal, officiellement, de mauvaise volonté et officieusement, de vouloir détourner l’argent.
Ce à quoi, les experts sénégalais répondaient en off qu’il fallait bien que les Européens passent à la caisse pour ce service rendu. Illustration parfaite par cette petite chansonnette bien connue de tous les enfants : « je te tiens, tu me tiens par la barbichette… ».
« L’affaire Hissein Habré est une grosse affaire politique, je compte sur vous pour m’aider. », c’est en ces termes que le Président Abdoulaye Wade s’est adressé aux membres du comité de pilotage sénégalais mis en place pour cette affaire.
ZoomTchad a reçu tous les détails de ce budget préparé par des experts sénégalais qui, tenant compte des critiques, l’ont ramené de 43 à 18 milliards. Mais, même ce montant reste contesté par les Européens qui ont fait une contre proposition chiffrée à 8 milliards. Refus catégorique, et remise en cause par Wade le lendemain. Calculs et querelles d’épiciers.
Pour donner une illustration extraordinaire à nos compatriotes en particulier, relevons ce paragraphe pour commencer, où il est question de l’accessibilité du procès à tous les Tchadiens : « Nous avons prévu une retransmission en direct de tout le procès. Location des services d’une chaîne de télévision à qui l’exclusivité des droits sera réservée, à partir d’un canal spécial à installer pour couvrir l’ensemble du territoire tchadien. ». Un dispositif digne d’une coupe du monde, absolument inouï ! Quand on sait que même la chaîne de télévision nationale au Tchad n’arrive pas à couvrir tout le pays et n’est accessible que dans la capitale, N’Djamena.
BUDGET : 18.750.971.038 F CFA dont 6.439.184.038 FCFA pour les investissements et 12.311.787.000 F CFA pour le fonctionnement.
Le budget d’investissement (6.439.184.038 F CFA) s’éclate ainsi :
RUBRIQUES | BUDGET ALLOUE |
Rénovation du palais de justice | 5.856.451.038 F CFA |
Achat des ordinateurs | 244.213.000 F CFA |
Achat des véhicules | 300.000.000 F CFA |
Le mobilier | 38.520.000 F CFA |
Le budget de fonctionnement s’élève à 12.311.787.000 F CFA,
RUBRIQUES | BUDGET ALLOUE |
Transport des magistrats(4) au Tchad | 371.200.000 F CFA |
Transport des témoins du Tchad au Sénégal | 650.000.000 F CFA |
Transport intérieur des témoins (de l’hôtel au palais de justice) | 828.000.000 F CFA |
Salaire des magistrats | 3.450.000.000 F CFA |
Sécurité des magistrats | 900.000.000 F CFA |
Salaire du personnel d’appui (secrétaires) | 327.000.000 F CFA |
Honoraires des experts | 300.000.000 F CFA |
Salaire des greffiers | 378.000.000 F CFA |
Dépenses de fonctionnement des locaux du tribunal (nettoyage, eau, électricité) | 1.052.000.000 F CFA |
Brigade d’enquête | 1.410.500.000 F CFA. |
Divers imprévus | 1.109.170.000 F CFA |
Il est évident que des primes seront versées aux témoins coopératifs. D’ailleurs, Alioune Tine de la Raddho a déjà effectué trois (3) visites au Tchad ces derniers mois pour mettre en place un atelier de préparation et d’entrainement des témoins. Le choix des « témoins » de sexe féminin a été préconisé dans une stratégie de communication visant à émouvoir le public. D’intenses briefings se sont déroulés pendant lesquels Alioune Tine et ses acolytes tchadiens encadrent les déclarations des « témoins » afin d’éviter les propos vagues, imprécis, les contradictions etc... Un procès clé en main avec la création de ce centre de recrutement, de préparation et de formation pour « témoins » ; ils ont même pensé l’installer à Massaguet loin des regards indiscrets. Des vrais pros.
En parcourant ce budget, on réalise bien pourquoi il est facile de promettre monts et merveilles à des journalistes ou autres alléchés par les milliards annoncés. D’évidence, il y a, à boire et à manger, comme on dit. D’ailleurs, l’un des experts européens a tenté d’allécher la presse sénégalaise en disant qu’une grande partie du budget sera consacrée aux médias pour donner toute l’ampleur au procès. Une tentative de corruption à peine voilée.
Les discussions sur ce budget continuent, et à la rentrée, la décision de la Cour de justice de la CEDEAO est attendue. Ce qui explique que Robert Dossou, délégué de l’UA pour suivre l’affaire Hissein Habré a été interviewé par la presse sénégalaise.
Question : Si la Cour de la CEDEAO condamne le Sénégal pour violations des droits de Hissein Habré, en sachant que le Sénégal est obligé d’appliquer la décision, que se passera-t-il ?
Réponse de Robert Dossou, par ailleurs, Président de la Cour Constitutionnelle du Bénin : « Si la Cour condamne le Sénégal, on trouvera un remède à cette décision. ».
Voilà un juriste qui, à défaut de défendre le droit, défend avec rage sa part du gâteau. Dans le même registre de folies furieuses, au Sommet de l’UA à Kampala les 23-24 juillet 2010, Abdoulaye Wade a déclaré devant un parterre de journalistes africains et autres : « Le Sénégal attend toujours l’argent du procès, on nous dit que c’est prêt, on n’a encore rien vu. Je vous rappelle que Hissein Habré a été arrêté par l’Union Africaine puis on nous l’a envoyé au Sénégal, donc si on n’envoie pas l’argent, je le remets à l’UA. ». Un message qui tient du chantage, mais révèle également un état de confusion mentale préoccupant à ce stade de responsabilité (quand il dit que Hissein Habré a été arrêté par l’UA et remis au Sénégal).
Précisons que ce budget a reçu une certification d’un cabinet d’audit, et qu’à cette pluie de milliards, il faut encore ajouter les 2 milliards de Deby et le milliard de Wade.
Reed Brody de HRW qui a fait de l’affaire Hissein Habré, une affaire personnelle (l’affaire de sa vie) a, devant le refus de l’UE de prendre en charge ce budget, proposé de tout réduire.
Tout d’abord, Reed Brody estime qu’il faut limiter au maximum le nombre de témoins, une centaine pas plus, et ensuite, il faut aussi réduire au maximum le champ des poursuites.
Cet aspect mérite quelques explications. Au début de l’affaire Hissein Habré, les ONG avaient déposé des plaintes en listant, pêle-mêle, toutes sortes d’incriminations, c’est-à-dire : tortures, assassinats, disparitions, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide, etc. Il fallait ne rien oublier, et se donner le maximum de possibilités.
Seulement, elles se sont rendues compte d’un dilemme important : comme cela a été très pertinemment soulevé par les avocats de Hissein Habré, quand on parle de crime de guerre, on évoque expressément une guerre ; Hissein Habré pouvait-il faire la guerre tout seul ? Ainsi donc, tous les chefs de guerre Tchadiens ainsi que Kadhafi et les officiers libyens ne pouvaient en aucun cas être laissés hors cause.
A cette étape précise, tous les masques de la bande de Reed Brody sont tombés. En effet, si leurs réelles motivations dans l’affaire Hissein Habré étaient la lutte contre l’impunité, cet argument ne les aurait pas dérangés. Or, que s’est-il passé ? Immédiatement, les ONG ont soustrait les crimes de guerre des plaintes qu’ils ont déposées, protégeant par cette attitude, les différents protagonistes tchadiens mais surtout Kadhafi et les officiers libyens qui, avec leur armée de plus de 10.000 hommes, ont occupé une grande partie du Tchad et commis tant de crimes.
Les connexions ONG-Libye sautent encore aux yeux quand les avocats de la défense ont interpellé Reed Brody et ses sous-traitants sur le saucissonnage de l’histoire politique du Tchad qui consiste à dire : « C’est vrai que de nombreuses guerres entre Tchadiens ont eu lieu, c’est vrai que la Libye a fait une guerre terrible au gouvernement de Hissein Habré, qu’elle a dû commettre des crimes contre l’humanité, nous le savons pertinemment mais cela ne nous intéresse pas, comme ne nous intéresse pas le fait que des partisans de Hissein Habré aient été massacrés, torturés, exécutés par les chefs de guerre tchadiens, ou encore par les militaires libyens. Tout cela nous le savons mais on s’en moque, seul Hissein Habré nous intéresse ». L’affaire Hissein Habré, c’est tout simplement cela. Une grosse affaire politico-financière pour compléter Abdoulaye Wade.
La Libye, malgré ses relations en dents de scie avec les Etats-Unis, dispose de solides relations dans ce pays à travers des cabinets de lobbying, des émissaires spéciaux qu’elle a toujours mis à contribution pour se tirer d’affaire et organiser ses coups tordus. La manne pétrolière dont dispose Kadhafi lui permet de réaliser ses plus grandes folies. Beaucoup de personnes ont toujours à l’esprit que pendant la présidence de Jimmy Carter, Kadhafi avait réussi à corrompre le propre frère du Président Américain dans le but d’avoir des renseignements sur les mouvements des satellites américains qui observaient la Libye. L’affaire a fait grand bruit à l’époque, et Hollywood en a fait deux films.
Plus récemment, l’affaire Lockerbie, a démontré qu’avec beaucoup d’argent, tout est possible. Ainsi, après avoir fait exploser un avion avec 259 personnes, Kadhafi a négocié la libération des libyens qui ont posé la bombe dans l’avion, qu’il a lui même livrés à la justice britannique et ce, sous la contrainte des menaces américaines. Ces libyens avaient été condamnés à perpétuité, Kadhafi a lié leur libération à celle des infirmières bulgares détenues en Libye pour propagation du virus du Sida dans les hôpitaux, avec un petit bonus, à savoir une concession de pétrole off shore offerte en exclusivité à un groupe anglais, comme cela vient d’être dévoilé. D’où la libération, il y a juste un an, du principal agent de la mort, par ailleurs, parent de Kadhafi, accueilli à son retour au pays en héros national.
Par ailleurs, Kadhafi a menacé de mettre dehors toutes les entreprises italiennes, et d’arrêter la livraison de pétrole à l’Italie si celle-ci ne reconnaissait pas avoir causé de graves dégâts pendant la colonisation et ne s’engageait pas à les réparer. L’Italie s’est pliée et a versé une somme colossale pour éviter l’effondrement de son économie déjà sinistrée.
N’oublions pas le show avec la Suisse. Pour satisfaire un égo absolument fou, Kadhafi a obligé les Suisses à lui présenter des excuses publiques, sans compter toutes sortes d’humiliations. Comment croire qu’avec la raclée qu’il a reçue au Tchad, Kadhafi resterait sans chercher à se venger. Une défaite militaire dont il a cherché à effacer toute trace au Tchad. Un revers qui a compromis à jamais toutes ses ambitions expansionnistes et, en particulier, son projet de construire par la force de ses armées (armée régulière et sa légion islamique), les Etats-Unis du sahel. Après avoir convenu au fameux Sommet de Crète (Grèce) avec Mitterrand d’unir leurs forces pour renverser le régime de Hissein Habré, Kadhafi ne pouvait se satisfaire d’une demi-victoire.
Par conséquent, distribuer des miettes de pétrodollars à des ONG mercantiles, à des Chefs d’Etat dans le besoin et à des journaux comme Jeune Afrique sont une broutille pour un homme assis sur un énorme matelas de pétrodollars et ce, depuis plus de 35 longues années.
La dernière qui se murmure est que les pétrodollars libyens pourraient payer à la place de plusieurs pays soi-disant prêts à financer le procès. Rappelons qu’au sein de l’UA, c’est la Libye qui paye les cotisations de beaucoup de pays africains, elle prend en charge également 70 % du budget de fonctionnement comme l’a déclaré le ministre des affaires étrangères du Burkina. Exactement comme pour la défunte compagnie Air Afrique, c’était encore la Libye qui paya les quotes-parts de capital de plusieurs Etats défaillants.
L’extraordinaire arrogance de Kadhafi est la résultante de sa conviction de pouvoir tout acheter, en y mettant le prix qu’il faut. Pour lui, la Téranga sénégalaise a un prix, on peut dire de celle-ci, qu’elle aura bientôt rendez vous avec l’histoire. Kadhafi peut tout acheter, c’est possible ; toutefois, l’histoire récente lui a prouvé que malgré les milliards de pétrodollars qu’il a déversés au Tchad, malgré le fait qu’il a eu, à ses pieds, pour servir ses desseins, de nombreux fils du Tchad, malgré la mobilisation de ses armées et de son armada, il n’a pu détourner Hissein Habré de sa volonté de défendre et de sauvegarder l’intégrité territoriale et la souveraineté de son pays.
Aussi, ce n’est certainement pas un procès bidon, grotesque, conçu, acheté, préparé et éventuellement exécuté par un groupe de marionnettes corrompues qui effacera cette vérité historique. L’histoire retiendra aussi que ce n’est ni le peuple tchadien (qui n’a pas voix au chapitre), ni le peuple sénégalais qui auront, le cas échéant, par violation du droit et viol du destin, condamné l’ancien Président tchadien Hissein HABRE.
La Rédaction de ZOOMTCHAD repris par LEDAKAROIS.NET