Ma conviction est que l’enseignement coranique, au lieu de représenter une quelconque barrière à la scolarisation formelle, y joue, au contraire, un rôle éminemment positif de complémentarité si on lui donne tous les moyens nécessaires et qu’il ne soit pas le prétexte à l’aliénation des droits de l’enfant ou toute autre forme d’exploitation et de maltraitance. C’est pourquoi, je salue et encourage la récente initiative du Premier Ministre Souleymane Ndéné Ndiaye de lutter vigoureusement contre la maltraitance et l’exploitation des enfants sous prétexte d’enseignement coranique. Allah lui même suggère que l’aumône soit destinée « aux nécessiteux...que l’ignorant croit riches parce qu’ils ont honte de mendier-tu les reconnaitras à leur aspect- Ils n’importunent personne en mendiant”. S2V273.
Il faut cependant éviter l’amalgame, voulant condamner l’enseignement coranique qui n’aurait comme corollaire que l’exploitation, la maltraitance et la mendicité. Comme j’y ai appelé récemment, le statut et la place de cet enseignement, son avenir ainsi que sa gestion par les pouvoirs publics méritent une profonde réflexion mais surtout une plus large concertation.
Il n’y a, à mon sens, aucune raison de se contenter de répression face à des phénomènes qui sont le signe d’un peuple traversé par des demandes et de légitimes interrogations. Agir de la sorte serait un aveu d’échec. Comme le serait une stigmatisation de l’enseignement coranique, le premier, en réalité, qu’a connu notre pays et qui continue à lui donner des cadres de haute valeur comme je le rappelais, il y a quelques semaines, lors de la cérémonie de dédicace du livre du Dr. Bakary Sambe à Thiès. Le traitement de la question des talibés, malgré l’urgence, ne doit pas se dispenser de réflexions mûries, de pédagogie et de mesures d’accompagnement qui me semblent beaucoup plus appropriées que le tout répressif. C’est ce qu’on a pu sentir dans les déclarations du Collectif national des associations des écoles coraniques du Sénégal qui s’est réuni à Thiès, le 2 septembre dernier.
Un phénomène n’apparaît jamais ex nihilo et l’on doit toujours replacer ceux qui nous interrogent dans les contextes socioculturels qui les ont générés. Ce système des écoles coraniques aujourd’hui décrié, il est vrai, à cause de dysfonctionnements qui n’épargnent même pas l’éducation formelle, est ancré dans notre culture et notre héritage historique comme dans nombre de sociétés à majorité musulmane. Ce sont bien les madâris (medressas), l’équivalent maghrébin de nos daaras, qui ont donné naissance à la Qarawiyyine de Fès, la plus vieille université du monde encore en exercice, fondée depuis 788 ap-JC ! et la prestigieuse Al Azhar d’Egypte. L’Université de Pire jusqu’à sa destruction par Pinet Laprade a été le lieu d’excellence ayant accueilli des sommités africaines et non des moindres, El Hadji Omar et tant d’autres. Tout près, à Tivaouane, on formait des savants en tous domaines dont l’astronomie et la philosophie sans parler du séminaire de Ndiarndé qui rayonna dans tout le Sénégal. Les daara de Touba, Ndame et leurs annexes ont produit des universités modernes de la trempe des instituts Al-Azhar partout implantés aujourd’hui grâce aux inlassables efforts de feu Serigne Mourtada Mbacké. On ne peut compter dans le Saloum les foyers de science de Diamal à Médina Baye ou encore Léona Niassène. Qui passerait sous silence les centres emblématiques tels que Kokki, celui de Serigne Mor Mbaye Cissé et tant d’autres ?
Je suis convaincu qu’une réelle conscience de notre histoire métissée exigerait que l’on ne puisse rejeter aucun des aspects de nos héritages conjugués, qu’il s’agisse de celui transmis par le passé colonial ou celui arabo-musulman, si l’on ne veut pas en mutiler la réalité. Sur le plan historique, géographique et culturel le Sénégal constitue le pont entre le Magreb et l’Afrique noire. Un pont entre deux mondes. Le Sénégal doit assumer sa vocation naturelle de pont entre les cultures. Un pont culturel entre l’Orient auquel nous lie l’Islam et l’Occident auquel nous lie les valeurs de la République et de la Démocratie.
Je suis sûr que nos partenaires au développement, les ONG et les promoteurs des Droits de l’enfant, le comprendraient aisément et seraient aidés dans leur nécessaire connaissance de nos sociétés où ils veulent agir en toute efficacité. Dans ce sillage, un arrêté portant sur la reconnaissance des écoles coraniques a été pris par le gouvernement du Sénégal, récemment, en février 2010, bien qu’au sein du Ministère de l’Education nationale subsiste un simple service de l’enseignement franco-arabe au lieu d’une véritable direction de l’enseignement confessionnel donnant toute sa place, de manière égalitaire, au privé musulman à côté de ceux catholique et protestant. C’est pourquoi je pense qu’il faudra aller plus loin et, par la volonté politique, traduire ces vœux en réalité.
Dans ce flou total où aucune statistique, ni gouvernementale, ni privée (des ONG s’affrontant sur des chiffres allant du simple au triple) n’arrive à capter l’ampleur du phénomène des écoles coraniques, il serait appréciable de revenir sur une situation que seule peuvent appréhender des réflexions prenant en compte son extrême complexité. Derrière ce qui était, naguère, vu comme la « négligence des parents », le démographe, directeur de recherche à l’IRD, Marc Dilon a bien pu expliciter la notion d’un « confiage » dont le but, dans certaines cultures ouest-africaines, était purement éducatif.
D’autres sont allés plus loin en mettant en parallèle l’intention de donner la meilleure éducation et le défaut des moyens matériels pour y parvenir. C’est là qu’il faudrait concentrer la réflexion sur le phénomène de la mendicité et de la dite exploitation en se rappelant, par exemple, comment les conditions socioéconomiques des Misérables de Hugo avaient bien pu générer, dans la France du XIXe siècle, l’histoire de Cosette dont l’intention des parents contrastait bien avec le sort qui lui fut réservé. Le parallélisme est frappant entre certaines de nos écoles coraniques et ces écoles romaines où « les enseignants mal payés par les pères des élèves » étaient « assez autoritaires avec les élèves battus au moyen d’une baguette de bois, la férule, ou même avec des lanières de cuir » et où l’enseignement était « basé sur le par cœur et l’imitation … ». La question des talibés et de la mendicité serait, donc, beaucoup plus liée à des déterminants économiques, sociologiques et culturels qu’à la nature même de l’école coranique et de l’enseignement qui y est dispensé !
Une belle expérience à saluer est en train d’être menée par les Daaras de Hizbut Tarqiya dans ses locaux de la ville sainte de Touba, où filles et garçons suivent, en arabe, une scolarité exemplaire en accédant à tous les domaines de connaissances avec une méthodologie et une démarche pédagogique mûrement réfléchies mettant à profit toutes les possibilités offertes par les nouvelles technologies.
Ainsi donc et, contrairement aux idées reçues, l’enseignement coranique n’a jamais véritablement été une barrière à la scolarisation formelle. Les plus récentes et sérieuses recherches en éducation comme celles menées par Pierre André et Jean-Luc Demonsant ont pu démontrer que les enfants qui fréquentaient l’école coranique pendant quelques années, avaient une plus grande probabilité de fréquenter l’école primaire formelle que ceux qui ne vont pas à l’école coranique tout court. De même, ces études ont établi que l’amélioration de la qualité de l’enseignement coranique pourrait impacter positivement sur celle de la scolarisation formelle.
Mais, là où de telles recherches devraient nous interroger, c’est lorsqu’elles montrent que la tendance à suivre l’enseignement coranique à temps plein est un signe de la pauvre qualité du système scolaire formel. Voila de nouveaux éléments à prendre en compte dans l’approche d’un système d’enseignement qui, comme tous les autres, est capable de s’aligner et de suivre l’avancée des techniques pédagogiques modernes pour devenir de plus en plus performant. En témoignent les efforts de modernisation et d’innovation dans de multiples daaras qui continuent à assurer une mission d’éducation et d’instruction et produire d’éminents intellectuels, véritables acteurs conscients de leur époque, la plupart du temps, sans aucun financement étatique.
L’heure n’est-elle donc pas à plus de considération et à une écoute attentive des demandes avant tout sociales émanant de citoyens se sentant à la marge de l’Etat providence dans un domaine aussi crucial que l’Education ?"
Idrissa Seck, Maire de Thiès, Ancien Premier Ministre du Sénégal
Il faut cependant éviter l’amalgame, voulant condamner l’enseignement coranique qui n’aurait comme corollaire que l’exploitation, la maltraitance et la mendicité. Comme j’y ai appelé récemment, le statut et la place de cet enseignement, son avenir ainsi que sa gestion par les pouvoirs publics méritent une profonde réflexion mais surtout une plus large concertation.
Il n’y a, à mon sens, aucune raison de se contenter de répression face à des phénomènes qui sont le signe d’un peuple traversé par des demandes et de légitimes interrogations. Agir de la sorte serait un aveu d’échec. Comme le serait une stigmatisation de l’enseignement coranique, le premier, en réalité, qu’a connu notre pays et qui continue à lui donner des cadres de haute valeur comme je le rappelais, il y a quelques semaines, lors de la cérémonie de dédicace du livre du Dr. Bakary Sambe à Thiès. Le traitement de la question des talibés, malgré l’urgence, ne doit pas se dispenser de réflexions mûries, de pédagogie et de mesures d’accompagnement qui me semblent beaucoup plus appropriées que le tout répressif. C’est ce qu’on a pu sentir dans les déclarations du Collectif national des associations des écoles coraniques du Sénégal qui s’est réuni à Thiès, le 2 septembre dernier.
Un phénomène n’apparaît jamais ex nihilo et l’on doit toujours replacer ceux qui nous interrogent dans les contextes socioculturels qui les ont générés. Ce système des écoles coraniques aujourd’hui décrié, il est vrai, à cause de dysfonctionnements qui n’épargnent même pas l’éducation formelle, est ancré dans notre culture et notre héritage historique comme dans nombre de sociétés à majorité musulmane. Ce sont bien les madâris (medressas), l’équivalent maghrébin de nos daaras, qui ont donné naissance à la Qarawiyyine de Fès, la plus vieille université du monde encore en exercice, fondée depuis 788 ap-JC ! et la prestigieuse Al Azhar d’Egypte. L’Université de Pire jusqu’à sa destruction par Pinet Laprade a été le lieu d’excellence ayant accueilli des sommités africaines et non des moindres, El Hadji Omar et tant d’autres. Tout près, à Tivaouane, on formait des savants en tous domaines dont l’astronomie et la philosophie sans parler du séminaire de Ndiarndé qui rayonna dans tout le Sénégal. Les daara de Touba, Ndame et leurs annexes ont produit des universités modernes de la trempe des instituts Al-Azhar partout implantés aujourd’hui grâce aux inlassables efforts de feu Serigne Mourtada Mbacké. On ne peut compter dans le Saloum les foyers de science de Diamal à Médina Baye ou encore Léona Niassène. Qui passerait sous silence les centres emblématiques tels que Kokki, celui de Serigne Mor Mbaye Cissé et tant d’autres ?
Je suis convaincu qu’une réelle conscience de notre histoire métissée exigerait que l’on ne puisse rejeter aucun des aspects de nos héritages conjugués, qu’il s’agisse de celui transmis par le passé colonial ou celui arabo-musulman, si l’on ne veut pas en mutiler la réalité. Sur le plan historique, géographique et culturel le Sénégal constitue le pont entre le Magreb et l’Afrique noire. Un pont entre deux mondes. Le Sénégal doit assumer sa vocation naturelle de pont entre les cultures. Un pont culturel entre l’Orient auquel nous lie l’Islam et l’Occident auquel nous lie les valeurs de la République et de la Démocratie.
Je suis sûr que nos partenaires au développement, les ONG et les promoteurs des Droits de l’enfant, le comprendraient aisément et seraient aidés dans leur nécessaire connaissance de nos sociétés où ils veulent agir en toute efficacité. Dans ce sillage, un arrêté portant sur la reconnaissance des écoles coraniques a été pris par le gouvernement du Sénégal, récemment, en février 2010, bien qu’au sein du Ministère de l’Education nationale subsiste un simple service de l’enseignement franco-arabe au lieu d’une véritable direction de l’enseignement confessionnel donnant toute sa place, de manière égalitaire, au privé musulman à côté de ceux catholique et protestant. C’est pourquoi je pense qu’il faudra aller plus loin et, par la volonté politique, traduire ces vœux en réalité.
Dans ce flou total où aucune statistique, ni gouvernementale, ni privée (des ONG s’affrontant sur des chiffres allant du simple au triple) n’arrive à capter l’ampleur du phénomène des écoles coraniques, il serait appréciable de revenir sur une situation que seule peuvent appréhender des réflexions prenant en compte son extrême complexité. Derrière ce qui était, naguère, vu comme la « négligence des parents », le démographe, directeur de recherche à l’IRD, Marc Dilon a bien pu expliciter la notion d’un « confiage » dont le but, dans certaines cultures ouest-africaines, était purement éducatif.
D’autres sont allés plus loin en mettant en parallèle l’intention de donner la meilleure éducation et le défaut des moyens matériels pour y parvenir. C’est là qu’il faudrait concentrer la réflexion sur le phénomène de la mendicité et de la dite exploitation en se rappelant, par exemple, comment les conditions socioéconomiques des Misérables de Hugo avaient bien pu générer, dans la France du XIXe siècle, l’histoire de Cosette dont l’intention des parents contrastait bien avec le sort qui lui fut réservé. Le parallélisme est frappant entre certaines de nos écoles coraniques et ces écoles romaines où « les enseignants mal payés par les pères des élèves » étaient « assez autoritaires avec les élèves battus au moyen d’une baguette de bois, la férule, ou même avec des lanières de cuir » et où l’enseignement était « basé sur le par cœur et l’imitation … ». La question des talibés et de la mendicité serait, donc, beaucoup plus liée à des déterminants économiques, sociologiques et culturels qu’à la nature même de l’école coranique et de l’enseignement qui y est dispensé !
Une belle expérience à saluer est en train d’être menée par les Daaras de Hizbut Tarqiya dans ses locaux de la ville sainte de Touba, où filles et garçons suivent, en arabe, une scolarité exemplaire en accédant à tous les domaines de connaissances avec une méthodologie et une démarche pédagogique mûrement réfléchies mettant à profit toutes les possibilités offertes par les nouvelles technologies.
Ainsi donc et, contrairement aux idées reçues, l’enseignement coranique n’a jamais véritablement été une barrière à la scolarisation formelle. Les plus récentes et sérieuses recherches en éducation comme celles menées par Pierre André et Jean-Luc Demonsant ont pu démontrer que les enfants qui fréquentaient l’école coranique pendant quelques années, avaient une plus grande probabilité de fréquenter l’école primaire formelle que ceux qui ne vont pas à l’école coranique tout court. De même, ces études ont établi que l’amélioration de la qualité de l’enseignement coranique pourrait impacter positivement sur celle de la scolarisation formelle.
Mais, là où de telles recherches devraient nous interroger, c’est lorsqu’elles montrent que la tendance à suivre l’enseignement coranique à temps plein est un signe de la pauvre qualité du système scolaire formel. Voila de nouveaux éléments à prendre en compte dans l’approche d’un système d’enseignement qui, comme tous les autres, est capable de s’aligner et de suivre l’avancée des techniques pédagogiques modernes pour devenir de plus en plus performant. En témoignent les efforts de modernisation et d’innovation dans de multiples daaras qui continuent à assurer une mission d’éducation et d’instruction et produire d’éminents intellectuels, véritables acteurs conscients de leur époque, la plupart du temps, sans aucun financement étatique.
L’heure n’est-elle donc pas à plus de considération et à une écoute attentive des demandes avant tout sociales émanant de citoyens se sentant à la marge de l’Etat providence dans un domaine aussi crucial que l’Education ?"
Idrissa Seck, Maire de Thiès, Ancien Premier Ministre du Sénégal