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Samedi 14 Juillet 2018

Islam et Homosexualité : Extrait de l’ouvrage « Soins et Croyances » d’Isabelle Levy


Parmi les questions sensibles qui concernent les musulmans vivant en Occident, et singulièrement en Europe, il y a la position de l’islam sur l’homosexualité. Dans certains contextes, elle serait à elle seule la clef d’une possible « intégration » des musulmans à la culture occidentale. Comme si, ce faisant, les valeurs et les cultures européennes se réduisaient à l’acceptation ou non de l’homosexualité. Article publié par Tariq Ramadan le 28 mai 2009…



La « culture européenne » de fait est à géométrie très variable et sa configuration change selon les sujets du moment. Au moment où certains affirment, à l’instar du Pape et de quelques intellectuels – défenseurs parfois dogmatiques et exclusivistes des Lumières – que les racines de l’Europe sont grecques et chrétiennes (en en excluant les musulmans); voilà que des courants homosexuels, et politiques, déclarent  (avec la même tentation de rejet vis-à-vis des musulmans) que la clef de « l’intégration  des musulmans » dépendra de leur acceptation ou non de l’homosexualité.

Nous n’en sommes pas à une contradiction près : car enfin le christianisme, dont l’Europe tirerait ses racines et qui serait censé exprimer les valeurs  et l’identité de l’Europe, ne condamne-t-il pas l’homosexualité ? Etrange mariage. A moins que le point commun de cette contradiction soit ailleurs : stigmatiser l’islam et les musulmans et les présenter comme « l’autre »… sans craindre d’être en contradiction avec soi-même.

Il faut dire et répéter, comme le relève Isabelle Levy dans son ouvrage « Soins et Croyances », les spiritualités et les religions – des courants majoritaires de l’hindouisme, du bouddhisme au judaïsme, au christianisme et à l’islam – toutes  condamnent et interdisent l’homosexualité.

L’immense majorité des rabbins s’expriment en ce sens, de même que le Pape et jusqu’au Dalaï-Lama qui a condamné l’homosexualité. Pour toutes ces traditions, comme c’était d’ailleurs le cas pour Freud (qui parle de « perversion »), l’homosexualité est considérée comme « contre nature », « l’expression d’un déséquilibre » dans l’évolution de la personne et l’homosexualité est moralement condamnée pour cela.

Cela reste l’opinion largement majoritaire de toutes les spiritualités et de toutes les religions et l’islam ne fait pas exception. Il serait insensé de vouloir nier ces faits, contredire les textes et imposer certaines contorsions intellectuelles aux croyantes et aux croyants afin qu’ils puissent prouver qu’ils sont à même de vivre avec leur temps.

Ce qui importe donc, ce n’est pas d’être d’accord ou non avec les textes religieux, les croyances et les convictions de chacun mais de déterminer un comportement dans les sociétés ou nous vivons ensemble.

Depuis plus de vingt ans, je répète – en étant particulièrement critiqué par certains groupes musulmans – que l’homosexualité est interdite en islam mais que nous devons éviter la condamnation et le rejet des personnes. Ainsi, on peut être en désaccord avec le comportement d’une personne (sur le plan public ou privé) mais respecter la personne en  tant qu’être. C’est ce que j’ai toujours affirmé en allant même plus loin : une personne qui prononce l’attestation de foi islamique devient musulmane et si, par ailleurs, elle pratique l’homosexualité, il n’appartient à personne de la sortir de l’islam.

Un comportement considéré comme répréhensible par les  règles morales ne suffit pas à excommunier un individu. Les choses sont donc claires et clarifiées et les musulmans européens ont le droit d’exprimer leurs convictions tout en se devant de respecter les personnes dans leurs êtres et leurs droits. La cohérence impose le respect de cette attitude de foi et d’ouverture.

Or nous assistons aujourd’hui à des campagnes malsaines et idéologiquement orientées. Affirmer ses convictions et respecter les personnes ne suffit pas : il faudrait que les musulmans en arrivent à condamner le Coran, à accepter et à promouvoir l’homosexualité : la preuve de leur modernité serait à ce prix.

Or, non seulement cette attitude est vouée à l’échec (car les courants majoritaires de l’islam réformiste et traditionnel, comme ceux des autres religions, ne plieront pas sur cette question) mais elle révèle un nouveau dogmatisme – avec quelques relents coloniaux voire xénophobes – au cœur de la pensée dite progressiste et moderne.

Un cadre politiquement correct s’installe, avec certains intellectuels en vue, voire des lobbies, qui impose à tous la seule façon d’être « ouvert » ou réellement «libéral ».  A y regarder de plus près, cette pensée ouverte et libérale exige le respect mais a une fâcheuse tendance à imposer ses dogmes et à laisser peu de place aux convictions des philosophies, spiritualités ou religions traditionnelles. Trahissant la finalité de la modernité qui devait nous permettre de gérer la liberté et la diversité, voilà qu’il n’y aurait donc qu’une seule façon d’être libre et moderne.

Cette tendance dogmatique et dogmatisante, au nom même de la pensée libérale, est dangereuse et doit interpeller toutes les femmes et tous les hommes, athées, agnostiques, hindouistes, bouddhistes, juifs, chrétiens ou musulmans. Il en va au fond de notre liberté de penser, il en va de nos choix intimes et de nos processus d’émancipation intellectuelle et sociale.
 
Il ne faut point être dupe néanmoins. Cette évolution, et les récentes crispations ou controverses autour du retour du religieux, des peurs, de la visibilité sociale des « croyants », de l’homosexualité, est directement liée à la présence et à la nouvelle visibilité des musulmans dans nos sociétés occidentales.

On peut faire le choix d’attiser les questions sensibles ou d’instrumentaliser les tensions naturelles dues à l’arrivée de nouveaux immigrés pour prouver l’impossible intégration des musulmans et le danger que ces derniers représentent. Certains partis pourront même gagner quelques élections en jouant sur ce registre.

A terme, pourtant, cette attitude provoquera des fractures et elle est totalement contreproductive. La cohésion sociale sera impossible et la méfiance alimentera nos quotidiens traversés par l’insécurité. Il faut donc cesser ce jeu malsain et revenir à des dispositions plus justes et raisonnables. La bonne nouvelle provient sans doute de la jeunesse de nos sociétés : les cultures et les religions ne les empêchent pas de se connaître, de vivre ensemble et de partager des espaces et des espoirs. Ils sont l’avenir et ils dépasseront sans doute nos craintes passées.

 Source : Isabelle Lévy, Soins et Croyances, Guide pratique des rites, cultures et religions à l’usage des personnels de santé et des acteurs sociaux, Editions Estem, Paris, 2002, p.149
 






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