Ils sont originaires de différents continents, de différentes cultures mais ils ont quand même fait le choix de vivre ensemble. Pour le meilleur et pour le pire. Car la vie de couple mixte entre Occidentaux et Africains est semée d'embûches.
C'est la nuit où je me suis senti le plus désirable. Sur le dancefloor, dans la chaleur moite du soir, plusieurs filles dansaient autour de moi en quête d'un slow. J'étais le seul blanc à bouger du bassin sur la piste de cette boîte de nuit de Nairobi. Il y avait autour de moi des prostituées et des jeunes filles de la classe moyenne de la capitale kenyane. Ma couleur de peau signifait pour elles une autre vie, de l'argent, du prestige.
À l'heure de la mondialisation galopante qui transforme profondément le continent africain, il n'y a sans doute jamais eu autant de couples mixtes «Nord-Sud» au sud du Sahara. Chaque année, des dizaines de milliers d'occidentaux débarquent en Guinée ou en Éthiopie pour un job avec une ONG, une mission dans le secteur pétrolier, un projet culturel...
Dans l'autre sens aussi, le chemin est ouvert –même s'il faut davantage montrer patte blanche–, des étudiants ghanéens ou ivoiriens rejoignent Paris pour étudier sur les bancs de Sciences Po, des danseurs nigérians s'envolent pour Londres en vue d'intégrer un ballet. Les parcours sont multiples, les histoires innombrables.
Et au milieu, vieux comme le monde, l'amour. Les voyages provoquent les rencontres. Des ébats d'un soir, un flirt de vacances ou le début d'une histoire à deux, plus longue. Comme celle de Maxime, auteur de guide de voyages, qui a rencontré Jesca, une agent d’informations touristiques, en Tanzanie.
Ou Florence, 27 ans, volontaire à Saint-Louis au Sénégal, qui a eu le coup de foudre pour Aliou, 40 ans et déjà marié. Mais si la passion amoureuse ne connaît pas les frontières, le poison du doute s'immisce parfois dans ces couples mixtes, composés d'Occidentaux et de Subsahariens. Les sociologues l'ont remarqué depuis longtemps, l'hétérogamie –le fait de rechercher involontairement un conjoint dans une classe sociale ou un pays différent du sien– est source de séparation relativement rapide dans les couples.
«Dans la sociologie de la conjugalité, on sait que les couples qui restent ensemble le moins longtemps, sont aussi les plus hétérogènes. Plus deux personnes sont éloignées socialement et plus, elles risquent de voir leur couple ne pas durer», explique Altaïr Despres, docteure en sociologie et anthropologie.
Et il n'y pas plus hétérogames que les couples mixtes composés d'un Africain subsaharien et d'un Occidental. Le fossé culturel ou économique y est souvent très important. Un sérieux obstacle pour les relations au long cours.
«La femme blanche devient un fonds de commerce»
La sociologue Beate Collet, qui étudie depuis plusieurs années les familles et l'immigration, dresse trois grands profils de couples mixtes.
Dans le premier cas, il s’agit d’étudiants africains venus pour des études en France et qui ont rencontré leur partenaire blanche française dans le milieu universitaire. Ces couples ont le même capital intellectuel. Même si économiquement, il existe un fossé de par leurs origines, le niveau intellectuel de l’homme peut-être un catalyseur.
Ayant fait ses études en France, il est à même de comprendre le milieu de sa femme et la discussion peut minimiser les incompréhensions. Lui-même peut être un ambassadeur de sa compagne auprès de sa famille, pour que cette dernière l’accepte malgré les différences raciales et culturelles.
«Il m’a dit “je t’aime” le premier soir, “je veux t’épouser” le premier soir. Ce qui était assez risible à ce moment-là.»
Clare, expatriée américaine à Zanzibar.
Dans un second cas de figure, ils n’ont pas le même capital économique, mais il existe un échange compensatoire où l'Africain a un niveau d’études hautement supérieur à celui de la femme occidentale. L’un aspire à intégrer la société européenne grâce à la femme. Elle, en retour, aspire à gravir un échelon de classe sociale.
Enfin, il existe un dernier modèle de couple mixte. Celui où l'écart sociologique est béant.
«C'est ce dernier profil qui est à mon avis, le plus problématique. C’est là où il existe non seulement un décalage économique, mais aussi intellectuel, analyse Beate Collet. Vous prenez quelqu’un qui est désœuvré au pays, qui cherche par tous les moyens à s’en sortir. Pour cette personne, la femme blanche devient un fonds de commerce. Malheureusement, certaines sont tombées amoureuses et c’est là où il y a un jeu de dupes. C’est humain, le jeune noir n'a ni travail, ni argent. Il ne peut donc se prendre une femme au pays et la femme blanche devient le rêve.»
Les beach boys en conquête
C'est le scénario qui prend forme à chaque coucher de soleil sur les plages de sable blanc de l'archipel de Zanzibar, au large de la Tanzanie. Les beach boys, des jeunes locaux qui traînent le long des bars d'hôtels qui se dressent face à l'océan, y draguent des femmes occidentales souvent plus âgées.
La chercheuse Altaïr Despres a livré ses observations sur ces couples que tout oppose à première vue dans un texte universitaire intitulé «Venues pour les plages, restées pour les garçons».
Clare, une Américaine de 43 ans, y raconte sa rencontre avec Chris, un Tanzanien de son âge.
«Il était assez rentre-dedans, comme ils sont ici. Il m’a dit “je t’aime” le premier soir, “je veux t’épouser” le premier soir. Ce qui était assez risible à ce moment-là. Mais il était charmant. J’ai couché avec lui [rires], ce qui était le genre de choses que je faisais à l’époque.
Pas avec tout le monde, mais j’étais une femme libre, je voyageais autour du monde et je pratiquais le safe sex, et je me suis dit: “ok, bon, je t’aime bien, tu m’aimes bien donc pourquoi pas?” Mais il y avait une connexion entre nous, dès le départ.»
Une histoire qui ressemble à une idylle. Mais dans bien des cas, les choses se compliquent vite. «À Zanzibar, les hommes qui se mettent avec des femmes blanches, sont souvent des marginaux peu diplômés qui viennent de milieux populaires alors que les filles qu’ils rencontrent sont surdiplômées. Ce sont plutôt des CSP+. On a donc des couples hyper dépareillées», confie la sociologue Altaïr Despres.
«Au Liban, épouser quelqu'un d'un autre groupe, c'est trahir sa famille»
Après le début de relation où l'on ne connaît pas vraiment l'autre et où l'excitation prend le dessus sur tout le reste, un grand fossé culturel peut vite désorienter. C'est ce que raconte Lise, une Française de 22 ans qui, lors d'un voyage d'étude en Côte d'Ivoire pour réaliser des recherches pour son mémoire de master, a commencé une relation amoureuse avec un professeur de danse de 32 ans, Wilfried.
«Le fossé culturel était évident du fait de la “désorientation” pour moi. C'était ma première fois en Afrique et je découvrais de nouvelles pratiques sociales, une société plus violente et beaucoup de curiosité à mon égard», raconte-t-elle.
«Des deux côtés de la société, il y a un jugement»
Peut-être plus que tout autre couple mixte, le couple entre un(e) Occidental(e) et un(e) Africain(e) saute aux yeux. D'évidence, il suscite constamment curiosité et interrogation. «Tout oppose, parce qu'en plus d'être inter-racial, parfois inter-religieux, il est aussi post-colonial. Chacun est porteur d'une histoire. Des deux côtés de la société, il y a un jugement», souligne la sociologue Beate Collet.
Dans ces conditions, le couple doit être beaucoup plus fort s'il veut survivre. Et chacun, capable de prendre des distances avec ses propres préjugés. C'est ce que reconnaît en filigrane Louis, Burkinabé qui s'apprête à unir à sa vie à celle de Claire: «Nous considérons cette différence comme une sorte d'enrichissement mutuel, de sorte que les incompréhensions et les prises de bec sont sources d'enseignement. Si je fais quelque chose qui lui déplaît ou vice-versa, nous allons nous parler calmement, nous expliquer les choses pour éviter que cela se reproduise à l’avenir.»
«Il y a des ajustements au quotidien, sur la compréhension, les codes… Tu apprends tous les jours, par exemple à ne pas se tenir la main en public, ni s’embrasser dans la rue, alors qu’il est possible de danser ensemble de manière relativement explicite en boîte de nuit», raconte Florence, dont l'aventure avec Wilfried s'est terminée après quelques mois.
La plupart des couples qui survivent dans la durée, expliquent qu'il faut s'investir plus que dans une histoire «normale» pour que la mayonnaise amoureuse prenne. Adriane, une Française de 26 ans, est longtemps sortie avec Éric, un étudiant togolais rencontré pendant ses études.
Elle confie: «Il faut beaucoup échanger. Dans notre cas, on le faisait le plus souvent par téléphone parce que nous n'étions pas dans la même ville et on ne se voyait que les week-ends ou les vacances.»
«Il faut une convergence des intérêts: qu’est-ce que je peux apporter à l'autre et recevoir de lui en retour».
Dans certains cas, la relation est facilitée par l’origine familiale, le parcours et l’expérience de chaque membre du couple. Ce fut le cas de Béatrice, 47 ans et de son ex-amoureux Thomas: «Le fait qu’il était en France depuis longtemps, et que je connaissais bien l'Afrique et notamment son pays, le fossé culturel n’était pas aussi difficile à surmonter même s’il restait moins ouvert à la culture française: son histoire, son art, sa littérature.»
Mais le caractère et la personnalité peuvent aussi jouer un rôle important dans la stabilité du couple. Adriane justifie l’échec de sa relation,par la froideur d’Éric:
«Il laissait très peu transparaître ses sentiments. Moi, j’avais besoin d’attention, d’être dorlotée, chouchoutée par mon mec. Et lui ne s’en rendait presque pas compte ».
Des problématiques qui ne sont pas propres au couple mixte bien sûr. Pour la sociologue Beate Collet, le plus important est de se demander si les intérêts de l’un convergent avec ceux de l’autre. S’appuyant sur la théorie de l’échange compensatoire, elle estime que «dans la mesure où il n'existe aucun relation désintéressée, l’amour à lui seul ne peut suffir pour maintenir le couple en vie. Il faut une convergence des intérêts: qu’est-ce que je peux apporter à l'autre et recevoir de lui en retour».
Les couples non cohabitants, l'amour chacun chez soi
Cette théorie sociologique développée à partir de la notion d’hypogamie compensatoire de Robert Merton (1941), se fonde sur l’idée que le mariage est avant tout un système d’échange. Cas d’école de l’époque, l’union entre un jeune homme américain noir et riche et d’une jeune femme blanche de classe moyenne. Le jeune noir acquérait un capital social en intégrant la société occidentale, tandis que sa partenaire blanche bénéficiait en retour d’un capital économique.
La chasse au toubab
Mais les efforts des uns et des autres se heurtent parfois face à un mur invisible, notamment pour la femme blanche à qui on dit «je t'aime» dès la première nuit et se demande si l'amour déclaré est sincère.
«Dans les couples mixtes “Nord-Sud”, je dirais instinctivement qu’il y a plus de femmes blanches que l’inverse, note l'anthropologue Altaïr Despres, qui a vécu plusieurs mois à Zanzibar. Notamment, car les hommes blancs qui s’expatrient, ont accès partout en Afrique à un marché de la prostitution féminine très développé. Le mec qui qui cherche une relation intime avec une fille, il va tomber à 99% sur une prostituée, en boîte de nuit, dans un bar...»
Le doute ne s'empare pas de toutes les histoires. Mais il existe.
«L’image de l’Europe et de sa richesse est présente dans la tête de certaines personnes. L’histoire et la télé véhiculent encore trop certaines images d’une Europe riche. Et oui, la “chasse aux toubabs” existe pour accéder à un mariage, à des papiers ou à l’Europe, explique Florence, qui a vécu plusieurs expériences douloureuses à Saint-Louis.
Je me suis alors fermée à la rencontre et à la discussion pendant un temps. J’ai essayé de comprendre le système, définir des profils certes parfois réducteurs à partir de la façon de parler, de consommer.»
Le couple que formait Maxime avec Jesca, une agent d’informations touristiques, en Tanzanie, s'est également cogné contre les non-dits.
«Le tableau est difficile à dresser comme ça, mais il y avait pas mal de prises de tête. Surtout quand il y avait des sollicitations familiales pour de l’aide, pour payer les études des frères ou des soeurs, les frais d’hôpitaux. Il n’y a pas d’abus, c’est que les besoins sont immenses», dit-il.
Il poursuit: «Bien sûr que je me suis posé la question de savoir si elle était avec moi car j'étais blanc et français. Elle le disait d’ailleurs, elle-même, le truc du Blanc, de l’enfant métisse, qu’elle en serait fière etc. C’est extrêmement cynique des deux côtés, car on le sait mais on continue quand même, on y croit. Il y a des moments qui nous ont apporté ce sentiment que c’était sain.»
Une ambiguïté qui existe, mais que beaucoup choisissent de dépasser pour vivre pleinement leur histoire à deux. À Zanzibar, il y a une femme occidentale qui m’a dit: «Je ne saurai jamais s’il est là pour l’argent, s’il me trompe, mais je trouve mon compte dans cette relation. Au bout du compte, je suis heureuse avec lui, il me comble quand il est avec moi et je ne veux pas en savoir plus», conclut Altaïr Despres.
source: Slate.fr
C'est la nuit où je me suis senti le plus désirable. Sur le dancefloor, dans la chaleur moite du soir, plusieurs filles dansaient autour de moi en quête d'un slow. J'étais le seul blanc à bouger du bassin sur la piste de cette boîte de nuit de Nairobi. Il y avait autour de moi des prostituées et des jeunes filles de la classe moyenne de la capitale kenyane. Ma couleur de peau signifait pour elles une autre vie, de l'argent, du prestige.
À l'heure de la mondialisation galopante qui transforme profondément le continent africain, il n'y a sans doute jamais eu autant de couples mixtes «Nord-Sud» au sud du Sahara. Chaque année, des dizaines de milliers d'occidentaux débarquent en Guinée ou en Éthiopie pour un job avec une ONG, une mission dans le secteur pétrolier, un projet culturel...
Dans l'autre sens aussi, le chemin est ouvert –même s'il faut davantage montrer patte blanche–, des étudiants ghanéens ou ivoiriens rejoignent Paris pour étudier sur les bancs de Sciences Po, des danseurs nigérians s'envolent pour Londres en vue d'intégrer un ballet. Les parcours sont multiples, les histoires innombrables.
Et au milieu, vieux comme le monde, l'amour. Les voyages provoquent les rencontres. Des ébats d'un soir, un flirt de vacances ou le début d'une histoire à deux, plus longue. Comme celle de Maxime, auteur de guide de voyages, qui a rencontré Jesca, une agent d’informations touristiques, en Tanzanie.
Ou Florence, 27 ans, volontaire à Saint-Louis au Sénégal, qui a eu le coup de foudre pour Aliou, 40 ans et déjà marié. Mais si la passion amoureuse ne connaît pas les frontières, le poison du doute s'immisce parfois dans ces couples mixtes, composés d'Occidentaux et de Subsahariens. Les sociologues l'ont remarqué depuis longtemps, l'hétérogamie –le fait de rechercher involontairement un conjoint dans une classe sociale ou un pays différent du sien– est source de séparation relativement rapide dans les couples.
«Dans la sociologie de la conjugalité, on sait que les couples qui restent ensemble le moins longtemps, sont aussi les plus hétérogènes. Plus deux personnes sont éloignées socialement et plus, elles risquent de voir leur couple ne pas durer», explique Altaïr Despres, docteure en sociologie et anthropologie.
Et il n'y pas plus hétérogames que les couples mixtes composés d'un Africain subsaharien et d'un Occidental. Le fossé culturel ou économique y est souvent très important. Un sérieux obstacle pour les relations au long cours.
«La femme blanche devient un fonds de commerce»
La sociologue Beate Collet, qui étudie depuis plusieurs années les familles et l'immigration, dresse trois grands profils de couples mixtes.
Dans le premier cas, il s’agit d’étudiants africains venus pour des études en France et qui ont rencontré leur partenaire blanche française dans le milieu universitaire. Ces couples ont le même capital intellectuel. Même si économiquement, il existe un fossé de par leurs origines, le niveau intellectuel de l’homme peut-être un catalyseur.
Ayant fait ses études en France, il est à même de comprendre le milieu de sa femme et la discussion peut minimiser les incompréhensions. Lui-même peut être un ambassadeur de sa compagne auprès de sa famille, pour que cette dernière l’accepte malgré les différences raciales et culturelles.
«Il m’a dit “je t’aime” le premier soir, “je veux t’épouser” le premier soir. Ce qui était assez risible à ce moment-là.»
Clare, expatriée américaine à Zanzibar.
Dans un second cas de figure, ils n’ont pas le même capital économique, mais il existe un échange compensatoire où l'Africain a un niveau d’études hautement supérieur à celui de la femme occidentale. L’un aspire à intégrer la société européenne grâce à la femme. Elle, en retour, aspire à gravir un échelon de classe sociale.
Enfin, il existe un dernier modèle de couple mixte. Celui où l'écart sociologique est béant.
«C'est ce dernier profil qui est à mon avis, le plus problématique. C’est là où il existe non seulement un décalage économique, mais aussi intellectuel, analyse Beate Collet. Vous prenez quelqu’un qui est désœuvré au pays, qui cherche par tous les moyens à s’en sortir. Pour cette personne, la femme blanche devient un fonds de commerce. Malheureusement, certaines sont tombées amoureuses et c’est là où il y a un jeu de dupes. C’est humain, le jeune noir n'a ni travail, ni argent. Il ne peut donc se prendre une femme au pays et la femme blanche devient le rêve.»
Les beach boys en conquête
C'est le scénario qui prend forme à chaque coucher de soleil sur les plages de sable blanc de l'archipel de Zanzibar, au large de la Tanzanie. Les beach boys, des jeunes locaux qui traînent le long des bars d'hôtels qui se dressent face à l'océan, y draguent des femmes occidentales souvent plus âgées.
La chercheuse Altaïr Despres a livré ses observations sur ces couples que tout oppose à première vue dans un texte universitaire intitulé «Venues pour les plages, restées pour les garçons».
Clare, une Américaine de 43 ans, y raconte sa rencontre avec Chris, un Tanzanien de son âge.
«Il était assez rentre-dedans, comme ils sont ici. Il m’a dit “je t’aime” le premier soir, “je veux t’épouser” le premier soir. Ce qui était assez risible à ce moment-là. Mais il était charmant. J’ai couché avec lui [rires], ce qui était le genre de choses que je faisais à l’époque.
Pas avec tout le monde, mais j’étais une femme libre, je voyageais autour du monde et je pratiquais le safe sex, et je me suis dit: “ok, bon, je t’aime bien, tu m’aimes bien donc pourquoi pas?” Mais il y avait une connexion entre nous, dès le départ.»
Une histoire qui ressemble à une idylle. Mais dans bien des cas, les choses se compliquent vite. «À Zanzibar, les hommes qui se mettent avec des femmes blanches, sont souvent des marginaux peu diplômés qui viennent de milieux populaires alors que les filles qu’ils rencontrent sont surdiplômées. Ce sont plutôt des CSP+. On a donc des couples hyper dépareillées», confie la sociologue Altaïr Despres.
«Au Liban, épouser quelqu'un d'un autre groupe, c'est trahir sa famille»
Après le début de relation où l'on ne connaît pas vraiment l'autre et où l'excitation prend le dessus sur tout le reste, un grand fossé culturel peut vite désorienter. C'est ce que raconte Lise, une Française de 22 ans qui, lors d'un voyage d'étude en Côte d'Ivoire pour réaliser des recherches pour son mémoire de master, a commencé une relation amoureuse avec un professeur de danse de 32 ans, Wilfried.
«Le fossé culturel était évident du fait de la “désorientation” pour moi. C'était ma première fois en Afrique et je découvrais de nouvelles pratiques sociales, une société plus violente et beaucoup de curiosité à mon égard», raconte-t-elle.
«Des deux côtés de la société, il y a un jugement»
Peut-être plus que tout autre couple mixte, le couple entre un(e) Occidental(e) et un(e) Africain(e) saute aux yeux. D'évidence, il suscite constamment curiosité et interrogation. «Tout oppose, parce qu'en plus d'être inter-racial, parfois inter-religieux, il est aussi post-colonial. Chacun est porteur d'une histoire. Des deux côtés de la société, il y a un jugement», souligne la sociologue Beate Collet.
Dans ces conditions, le couple doit être beaucoup plus fort s'il veut survivre. Et chacun, capable de prendre des distances avec ses propres préjugés. C'est ce que reconnaît en filigrane Louis, Burkinabé qui s'apprête à unir à sa vie à celle de Claire: «Nous considérons cette différence comme une sorte d'enrichissement mutuel, de sorte que les incompréhensions et les prises de bec sont sources d'enseignement. Si je fais quelque chose qui lui déplaît ou vice-versa, nous allons nous parler calmement, nous expliquer les choses pour éviter que cela se reproduise à l’avenir.»
«Il y a des ajustements au quotidien, sur la compréhension, les codes… Tu apprends tous les jours, par exemple à ne pas se tenir la main en public, ni s’embrasser dans la rue, alors qu’il est possible de danser ensemble de manière relativement explicite en boîte de nuit», raconte Florence, dont l'aventure avec Wilfried s'est terminée après quelques mois.
La plupart des couples qui survivent dans la durée, expliquent qu'il faut s'investir plus que dans une histoire «normale» pour que la mayonnaise amoureuse prenne. Adriane, une Française de 26 ans, est longtemps sortie avec Éric, un étudiant togolais rencontré pendant ses études.
Elle confie: «Il faut beaucoup échanger. Dans notre cas, on le faisait le plus souvent par téléphone parce que nous n'étions pas dans la même ville et on ne se voyait que les week-ends ou les vacances.»
«Il faut une convergence des intérêts: qu’est-ce que je peux apporter à l'autre et recevoir de lui en retour».
Dans certains cas, la relation est facilitée par l’origine familiale, le parcours et l’expérience de chaque membre du couple. Ce fut le cas de Béatrice, 47 ans et de son ex-amoureux Thomas: «Le fait qu’il était en France depuis longtemps, et que je connaissais bien l'Afrique et notamment son pays, le fossé culturel n’était pas aussi difficile à surmonter même s’il restait moins ouvert à la culture française: son histoire, son art, sa littérature.»
Mais le caractère et la personnalité peuvent aussi jouer un rôle important dans la stabilité du couple. Adriane justifie l’échec de sa relation,par la froideur d’Éric:
«Il laissait très peu transparaître ses sentiments. Moi, j’avais besoin d’attention, d’être dorlotée, chouchoutée par mon mec. Et lui ne s’en rendait presque pas compte ».
Des problématiques qui ne sont pas propres au couple mixte bien sûr. Pour la sociologue Beate Collet, le plus important est de se demander si les intérêts de l’un convergent avec ceux de l’autre. S’appuyant sur la théorie de l’échange compensatoire, elle estime que «dans la mesure où il n'existe aucun relation désintéressée, l’amour à lui seul ne peut suffir pour maintenir le couple en vie. Il faut une convergence des intérêts: qu’est-ce que je peux apporter à l'autre et recevoir de lui en retour».
Les couples non cohabitants, l'amour chacun chez soi
Cette théorie sociologique développée à partir de la notion d’hypogamie compensatoire de Robert Merton (1941), se fonde sur l’idée que le mariage est avant tout un système d’échange. Cas d’école de l’époque, l’union entre un jeune homme américain noir et riche et d’une jeune femme blanche de classe moyenne. Le jeune noir acquérait un capital social en intégrant la société occidentale, tandis que sa partenaire blanche bénéficiait en retour d’un capital économique.
La chasse au toubab
Mais les efforts des uns et des autres se heurtent parfois face à un mur invisible, notamment pour la femme blanche à qui on dit «je t'aime» dès la première nuit et se demande si l'amour déclaré est sincère.
«Dans les couples mixtes “Nord-Sud”, je dirais instinctivement qu’il y a plus de femmes blanches que l’inverse, note l'anthropologue Altaïr Despres, qui a vécu plusieurs mois à Zanzibar. Notamment, car les hommes blancs qui s’expatrient, ont accès partout en Afrique à un marché de la prostitution féminine très développé. Le mec qui qui cherche une relation intime avec une fille, il va tomber à 99% sur une prostituée, en boîte de nuit, dans un bar...»
Le doute ne s'empare pas de toutes les histoires. Mais il existe.
«L’image de l’Europe et de sa richesse est présente dans la tête de certaines personnes. L’histoire et la télé véhiculent encore trop certaines images d’une Europe riche. Et oui, la “chasse aux toubabs” existe pour accéder à un mariage, à des papiers ou à l’Europe, explique Florence, qui a vécu plusieurs expériences douloureuses à Saint-Louis.
Je me suis alors fermée à la rencontre et à la discussion pendant un temps. J’ai essayé de comprendre le système, définir des profils certes parfois réducteurs à partir de la façon de parler, de consommer.»
Le couple que formait Maxime avec Jesca, une agent d’informations touristiques, en Tanzanie, s'est également cogné contre les non-dits.
«Le tableau est difficile à dresser comme ça, mais il y avait pas mal de prises de tête. Surtout quand il y avait des sollicitations familiales pour de l’aide, pour payer les études des frères ou des soeurs, les frais d’hôpitaux. Il n’y a pas d’abus, c’est que les besoins sont immenses», dit-il.
Il poursuit: «Bien sûr que je me suis posé la question de savoir si elle était avec moi car j'étais blanc et français. Elle le disait d’ailleurs, elle-même, le truc du Blanc, de l’enfant métisse, qu’elle en serait fière etc. C’est extrêmement cynique des deux côtés, car on le sait mais on continue quand même, on y croit. Il y a des moments qui nous ont apporté ce sentiment que c’était sain.»
Une ambiguïté qui existe, mais que beaucoup choisissent de dépasser pour vivre pleinement leur histoire à deux. À Zanzibar, il y a une femme occidentale qui m’a dit: «Je ne saurai jamais s’il est là pour l’argent, s’il me trompe, mais je trouve mon compte dans cette relation. Au bout du compte, je suis heureuse avec lui, il me comble quand il est avec moi et je ne veux pas en savoir plus», conclut Altaïr Despres.
source: Slate.fr