Le faux alibi de la ouveraineté nationale
La décision de fermeture des bases militaires au Sénégal devrait être effective au plus tard le 4 avril 2010, dans le cadre de la signature d’un nouvel accord qui remplacera celui du 29 mars 1974. Le ministre français de la Défense, Hervé Morin, en a convenu avec le chef de l’Etat sénégalais, Abdoulaye Wade, lors de son séjour jeudi dernier à Dakar. Il aura fallu d’âpres négociations et des revirements pour en arriver à cette décision synonyme de déchirure pour les Français. En effet, les exigences sénégalaises ont paru inacceptables pour la France. Le Sénégal voudrait simplement reprendre les 300 hectares de terre qui constituent l’emprise de la base militaire de Bel Air.
D’importants projets immobiliers, notamment des hôtels et des résidences de luxe, sont prévus sur ce beau coin de Dakar, qui surplombe la baie de Hann et donne une vue splendide sur l’Atlantique et l’île historique de Gorée. En lieu et place, les autorités sénégalaises ont proposé de céder, autant, sinon plus de terres à l’Armée française pour une nouvelle implantation dans la région de Thiès. Hervé Morin, a expliqué au Président Wade que cette proposition n’était pas recevable aux yeux de la France, considérant que Dakar offre plus d’intérêt stratégique pour l’Armée française que la région de Thiès.
Ajouter à cela le fait que le transfert des «marsouins» à Thiès engendrerait d’importants coûts de réimplantation, que la France ne saurait supporter en cette période de crise économique et financière. Mais face à l’intransigeance du Président Wade sur sa volonté de reprendre les terres de Bel-Air, le ministre Français de la Défense n’avait d’autre choix que de confirmer le retrait de l’Armée française du Sénégal.
En annonçant la décision prise, de guerre lasse, «de commun accord», la présidence de la République du Sénégal a indiqué que la présence de l’Armée française au Sénégal, après plus de cinquante ans d’indépendance, n’est plus compréhensible. Le Président Wade a toujours publiquement mis en avant les exigences de souveraineté nationale sur ce dossier ; un sujet qui, sans doute trouve un écho favorable auprès de nombreuses élites africaines.
En mai 2008, le Président Wade avait affirmé que le Sénégal «ne serait pas le dernier pays à maintenir une base militaire française en Afrique». «Il ne peut pas y avoir d’agressions extérieures. J’ai beau réfléchir, je ne vois pas qui peut agresser le Sénégal», avait-il souligné. Et «les accords de protection du chef de l’Etat ou de gouvernement, personnellement, je n’en ai pas besoin. Si cela existe, il faut les supprimer. Je suis suffisamment protégé par mon Armée», avait-il conclu.
L’alibi de la souveraineté nationale étrangle de rage les militaires français. «Souveraineté nationale, mon œil ! Si tant est que le Sénégal voudrait nous faire partir pour des raisons de souveraineté nationale, pourquoi nous propose-t-on d’aller réimplanter la base de notre unité opérationnelle du 23e Bataillon d’infanterie marine (Bima) de Bel Air, ailleurs sur le territoire national sénégalais ?», fulmine un officier français. Le 23e Bima compte quelque 600 hommes.
La France tient toujours à garder une position à Dakar
Les autorités françaises se veulent prudentes sur ce dossier. Les services de l’ambassade de France à Dakar, réputés pourtant très accessibles en matière de communication, ne tiennent absolument pas à parler de cette affaire. «La communication sur ce dossier est laissée aux bons soins du ministère de la Défense. Voyez peut-être avec les autorités sénégalaises», déclarent, comme un leitmotiv, les officiels français à Dakar. Les Français se sont montrés discrets, même sur la visite du ministre Morin à Dakar. Aucune information sur cette visite n’était disponible au ministère français de la Défense encore moins à l’ambassade de France à Dakar. Hervé Morin qui, pour ce déplacement s’était gardé d’embarquer dans son avion spécial des journalistes, était arrivé dans la capitale sénégalaise le jeudi 18 février au petit matin pour en repartir immédiatement après son entrevue avec le Président Wade.
Il faut dire que la partie française savait, depuis belle lurette, les dès pipés et les positions inconciliables. C’est pourquoi, voulant toujours prendre l’initiative sur ce dossier, Hervé Morin s’était déplacé pour officiellement porter un message du Président Nicolas Sarkozy à son homologue sénégalais, lui confirmant la décision de fermer la base de Dakar. En fait, le Président français devra annoncer une telle décision mercredi prochain 24 février 2010 à Libreville, au Gabon. Les convenances diplomatiques voulaient que le Président Wade ne l’apprenne pas par les médias. Mais la partie sénégalaise n’a pas, elle non plus, voulu être en reste. Le porte-parole du Président Wade, Mamadou Bamba Ndiaye, publiera un communiqué dans la soirée de jeudi dernier, à partir de Bamako où se trouvait le Président Wade, pour quelque part, revendiquer l’initiative de la rupture en alléguant des considérations de souveraineté nationale.
Le communiqué de presse du Sénégal a pris de court les autorités françaises. Ainsi, des sources anonymes à l’Hôtel de Brienne, siège du ministère français de la Défense à Paris, s’empressaient de préciser notamment que «le concept de bases militaires a vécu et on va vers autre chose, la mise en place d’un pôle de coopération régionale et les détails de la mise en œuvre doivent encore faire l’objet de discussions avec la partie sénégalaise». C’est dire que les Français resteront partiellement au Sénégal et leur point de fixation devrait être la base aérienne de Ouakam, communément appelée DA 160. L’échéancier du retrait militaire français au Sénégal et le nombre de militaires demeurant à Dakar n’ont pas été précisés, tant du côté français que sénégalais. «On attend de voir, c’est une décision politique qui doit être finalisée», a précisé une source française.
De nombreux intérêts stratégiques poussent la France à garder une certaine présence militaire au Sénégal. Le général Olivier Paulus, commandant les Forces françaises du Cap-Vert plaidait encore dans les colonnes du journal français l’Express du 12 décembre 2009 l’intérêt pour son pays de garder sa présence au Sénégal. Il disait qu’«entretenir une base militaire coûte cher, bien sûr. Mais en cas de crise, on est contents de l’avoir. On l’a encore vu récemment, avec les événements de Guinée-Conakry». Le général Paulus ne voudrait pas que l’on touche aux installations militaires que la France occupe à Dakar, qu’il s’agisse de l’unité marine située à l’Arsenal, dotée d’une composante amphibie, ou de la base aérienne DA 160. Pourquoi ? Du fait des «relais» et des «escales» qu’elles procurent pour les rotations aériennes vers l’Amérique du Sud ou le déploiement des navires le long des côtes africaines. Pour autant, le général Paulus a conscience qu’un désengagement demeure inéluctable à terme.
En effet, le vent du désengagement des forces françaises en Afrique avait fortement commencé à souffler. Déjà en 2005, lors d’une visite à Dakar, le Président Chirac, titillé par le Président Wade, montrait son irritation sur cette question, lançant un plaintif : «la France ne s’accrocherait pas surtout si on lui demandait de partir». Le débat sur les cinq bases militaires françaises en Afrique (Djibouti avec 2 000 hommes, Dakar avec 1 200 hommes, Ndjamena avec 1 000 hommes, Libreville avec 800 hommes et Abidjan avec 1 000 hommes, ainsi que l’opération «Licorne» au Togo avec 800 hommes), avait alors ressurgi de plus belle. Les déboires de l’Armée française en Côte d’ivoire et les considérations budgétaires, poussaient l’opinion publique française à s’interroger sur l’opportunité de maintenir une présence militaire française jugée très coûteuse, avec des dépenses de plus d’un milliard d’euros. C’est dans un tel contexte que le Président Sarkozy, dans une démarche qu’il disait de «rupture», déclarait en visite à Cape Town en Afrique du Sud, le 28 février 2008, que la France allait étudier les modalités de son désengagement militaire en Afrique.
Il annonçait la renégociation des accords de défense entre la France et certains pays africains. Dans la foulée, une commission avait été mise sur pied pour étudier la question. Les conclusions de ce groupe de travail, consignées dans un document, publié au printemps 2008 et intitulé Livre blanc sur la défense et la sécurité, préconisait à terme «une présence française sur la façade atlantique du continent africain et une autre sur la façade orientale». Ainsi, seule la base de Djibouti était assurée de demeurer alors que la base de Ndjamena n’entrait plus dans les plans.
Pour garder un œil sur l’Atlantique, l’état-major de l’Armée française voulait préférer le maintien de la base de Libreville au détriment de celles de Dakar et d’Abidjan.
Cette perspective inquiétait les Forces françaises du Cap-Vert. Le général Olivier Paulus d’insister pour vanter les «avantages comparatifs» de la base de Dakar, sans minimiser pour autant les atouts de Libreville (Gabon). «La France, souligne-t-il, maintient en permanence dans le golfe de Guinée un bâtiment de guerre pour porter assistance à ses ressortissants en cas de tension aiguë. Si l’on devait fermer l’une ou l’autre de ces bases, ce navire devrait alors couvrir quinze pays au lieu de dix actuellement, de la Mauritanie jusqu’au Mozambique. Autant dire que ce serait mission impossible…».
Le lobbying intense de l’ambassadeur de France au Sénégal, Jean Christophe Rufin, finira par aboutir. L’état-major de l’Armée française reverra ses plans et Hervé Morin de déclarer en septembre 2009, que les bases de Dakar et de Libreville seront maintenues. Il revenait ainsi à un schéma préfiguré par le Président Chirac en décembre 2005 au sommet France-Afrique de Bamako, à savoir un «redéploiement des moyens militaires français autour de trois bases : Dakar, Libreville et Djibouti». On sait aujourd’hui que les négociations conduites par l’ambassadeur français François Ponge n’ont pas abouti à une telle solution.
Le mécontentement d’officiers sénégalais
Le Sénégal ne manquera pas de subir les conséquences du départ des 1 200 hommes des Forces françaises du Cap-Vert, dont les 2/3 vivent à Dakar avec femmes et enfants. Outre les nombreux emplois domestiques, plus de quatre cent techniciens et ouvriers sénégalais travaillent pour les Forces françaises du Cap-Vert. Donc l’impact économique négatif sera très important, tant du point de vue de la perte d’emplois directs que du recul de la consommation. Les conséquences sociales et d’ordre sécuritaire ne manquent pas non plus, car l’efficace coup de main des militaires français en cas de grands sinistres au Sénégal n’a jamais fait défaut.
De même, les militaires sénégalais paieront un lourd tribut de ce départ. Les différentes formations et autres missions d’instruction que leur prodiguaient les militaires français seront réduites. En outre, les places «réservées d’office» à l’Armée sénégalaise dans les grandes écoles militaires françaises et surtout les officiers supérieurs à Saint-Cyr ne seront plus de rigueur. D’ailleurs, comme si c’était pour donner un signal aux officiers sénégalais, l’année dernière Saint-Cyr n’avait accepté aucun aspirant sénégalais pour, officiellement, «cause de baisse de niveau».
La perspective du départ de l’Armée française n’enchante pas de nombreux officiers sénégalais. Un colonel d’infanterie proteste : «C’est quoi cette histoire. On chasse les Français pour prendre des terres qu’on donnera à des spéculateurs fonciers, comme cela avait été le cas avec les terres de l’aéroport. Dire que les milliards récoltés avec la vente des terres de l’aéroport n’ont pas profité au Trésor public. Le ministre des Finances Abdoulaye Diop avait même déclaré à l’Assemblée nationale qu’il ne savait rien de cette opération de vente des terres de l’aéroport. On risque de faire la même chose avec les terres de Bel Air, comme de la base de Ouakam. On croit qu’en donnant des parcelles aux généraux, comme ils avaient fait avec les terres de l’aéroport, cela va calmer la troupe.»
Bien qu’elle clame urbi et orbi avoir rompu avec des méthodes peu orthodoxes de la Françafrique du temps des Foccart, la France ne serait-elle pas moins tentée d’encourager ces grincements de dents ? Il faut dire que les intérêts français au Sénégal sont de façon régulière et systématique remis en cause.
En effet, la diplomatie du Président Wade privilégie de nouveaux amis notamment asiatiques qui supplantent la France dans ses relations de coopération privilégiées avec le Sénégal. On sait aussi que les entreprises françaises implantées au Sénégal n’ont de cesse de connaître des difficultés avec les autorités de Dakar.
Il reste que le Sénégal pourrait tirer un pactole de plusieurs centaines de milliards de francs de la vente des terres occupées par les militaires français. L’enjeu financier apparaît très déterminant dans cette affaire. D’où les regrets de certains officiers français. «Comme avec Djibouti, nous serions prêts à envisager de payer un loyer raisonnable au Sénégal pour notre présence sur son sol, sans compter que nous pourrions augmenter notre soutien logistique à l’Armée sénégalaise. Mais le gouvernement sénégalais ne veut pas de cela. Ils veulent les terres.»
mdiagne@lequotidien.sn
lequotidien.sn
La décision de fermeture des bases militaires au Sénégal devrait être effective au plus tard le 4 avril 2010, dans le cadre de la signature d’un nouvel accord qui remplacera celui du 29 mars 1974. Le ministre français de la Défense, Hervé Morin, en a convenu avec le chef de l’Etat sénégalais, Abdoulaye Wade, lors de son séjour jeudi dernier à Dakar. Il aura fallu d’âpres négociations et des revirements pour en arriver à cette décision synonyme de déchirure pour les Français. En effet, les exigences sénégalaises ont paru inacceptables pour la France. Le Sénégal voudrait simplement reprendre les 300 hectares de terre qui constituent l’emprise de la base militaire de Bel Air.
D’importants projets immobiliers, notamment des hôtels et des résidences de luxe, sont prévus sur ce beau coin de Dakar, qui surplombe la baie de Hann et donne une vue splendide sur l’Atlantique et l’île historique de Gorée. En lieu et place, les autorités sénégalaises ont proposé de céder, autant, sinon plus de terres à l’Armée française pour une nouvelle implantation dans la région de Thiès. Hervé Morin, a expliqué au Président Wade que cette proposition n’était pas recevable aux yeux de la France, considérant que Dakar offre plus d’intérêt stratégique pour l’Armée française que la région de Thiès.
Ajouter à cela le fait que le transfert des «marsouins» à Thiès engendrerait d’importants coûts de réimplantation, que la France ne saurait supporter en cette période de crise économique et financière. Mais face à l’intransigeance du Président Wade sur sa volonté de reprendre les terres de Bel-Air, le ministre Français de la Défense n’avait d’autre choix que de confirmer le retrait de l’Armée française du Sénégal.
En annonçant la décision prise, de guerre lasse, «de commun accord», la présidence de la République du Sénégal a indiqué que la présence de l’Armée française au Sénégal, après plus de cinquante ans d’indépendance, n’est plus compréhensible. Le Président Wade a toujours publiquement mis en avant les exigences de souveraineté nationale sur ce dossier ; un sujet qui, sans doute trouve un écho favorable auprès de nombreuses élites africaines.
En mai 2008, le Président Wade avait affirmé que le Sénégal «ne serait pas le dernier pays à maintenir une base militaire française en Afrique». «Il ne peut pas y avoir d’agressions extérieures. J’ai beau réfléchir, je ne vois pas qui peut agresser le Sénégal», avait-il souligné. Et «les accords de protection du chef de l’Etat ou de gouvernement, personnellement, je n’en ai pas besoin. Si cela existe, il faut les supprimer. Je suis suffisamment protégé par mon Armée», avait-il conclu.
L’alibi de la souveraineté nationale étrangle de rage les militaires français. «Souveraineté nationale, mon œil ! Si tant est que le Sénégal voudrait nous faire partir pour des raisons de souveraineté nationale, pourquoi nous propose-t-on d’aller réimplanter la base de notre unité opérationnelle du 23e Bataillon d’infanterie marine (Bima) de Bel Air, ailleurs sur le territoire national sénégalais ?», fulmine un officier français. Le 23e Bima compte quelque 600 hommes.
La France tient toujours à garder une position à Dakar
Les autorités françaises se veulent prudentes sur ce dossier. Les services de l’ambassade de France à Dakar, réputés pourtant très accessibles en matière de communication, ne tiennent absolument pas à parler de cette affaire. «La communication sur ce dossier est laissée aux bons soins du ministère de la Défense. Voyez peut-être avec les autorités sénégalaises», déclarent, comme un leitmotiv, les officiels français à Dakar. Les Français se sont montrés discrets, même sur la visite du ministre Morin à Dakar. Aucune information sur cette visite n’était disponible au ministère français de la Défense encore moins à l’ambassade de France à Dakar. Hervé Morin qui, pour ce déplacement s’était gardé d’embarquer dans son avion spécial des journalistes, était arrivé dans la capitale sénégalaise le jeudi 18 février au petit matin pour en repartir immédiatement après son entrevue avec le Président Wade.
Il faut dire que la partie française savait, depuis belle lurette, les dès pipés et les positions inconciliables. C’est pourquoi, voulant toujours prendre l’initiative sur ce dossier, Hervé Morin s’était déplacé pour officiellement porter un message du Président Nicolas Sarkozy à son homologue sénégalais, lui confirmant la décision de fermer la base de Dakar. En fait, le Président français devra annoncer une telle décision mercredi prochain 24 février 2010 à Libreville, au Gabon. Les convenances diplomatiques voulaient que le Président Wade ne l’apprenne pas par les médias. Mais la partie sénégalaise n’a pas, elle non plus, voulu être en reste. Le porte-parole du Président Wade, Mamadou Bamba Ndiaye, publiera un communiqué dans la soirée de jeudi dernier, à partir de Bamako où se trouvait le Président Wade, pour quelque part, revendiquer l’initiative de la rupture en alléguant des considérations de souveraineté nationale.
Le communiqué de presse du Sénégal a pris de court les autorités françaises. Ainsi, des sources anonymes à l’Hôtel de Brienne, siège du ministère français de la Défense à Paris, s’empressaient de préciser notamment que «le concept de bases militaires a vécu et on va vers autre chose, la mise en place d’un pôle de coopération régionale et les détails de la mise en œuvre doivent encore faire l’objet de discussions avec la partie sénégalaise». C’est dire que les Français resteront partiellement au Sénégal et leur point de fixation devrait être la base aérienne de Ouakam, communément appelée DA 160. L’échéancier du retrait militaire français au Sénégal et le nombre de militaires demeurant à Dakar n’ont pas été précisés, tant du côté français que sénégalais. «On attend de voir, c’est une décision politique qui doit être finalisée», a précisé une source française.
De nombreux intérêts stratégiques poussent la France à garder une certaine présence militaire au Sénégal. Le général Olivier Paulus, commandant les Forces françaises du Cap-Vert plaidait encore dans les colonnes du journal français l’Express du 12 décembre 2009 l’intérêt pour son pays de garder sa présence au Sénégal. Il disait qu’«entretenir une base militaire coûte cher, bien sûr. Mais en cas de crise, on est contents de l’avoir. On l’a encore vu récemment, avec les événements de Guinée-Conakry». Le général Paulus ne voudrait pas que l’on touche aux installations militaires que la France occupe à Dakar, qu’il s’agisse de l’unité marine située à l’Arsenal, dotée d’une composante amphibie, ou de la base aérienne DA 160. Pourquoi ? Du fait des «relais» et des «escales» qu’elles procurent pour les rotations aériennes vers l’Amérique du Sud ou le déploiement des navires le long des côtes africaines. Pour autant, le général Paulus a conscience qu’un désengagement demeure inéluctable à terme.
En effet, le vent du désengagement des forces françaises en Afrique avait fortement commencé à souffler. Déjà en 2005, lors d’une visite à Dakar, le Président Chirac, titillé par le Président Wade, montrait son irritation sur cette question, lançant un plaintif : «la France ne s’accrocherait pas surtout si on lui demandait de partir». Le débat sur les cinq bases militaires françaises en Afrique (Djibouti avec 2 000 hommes, Dakar avec 1 200 hommes, Ndjamena avec 1 000 hommes, Libreville avec 800 hommes et Abidjan avec 1 000 hommes, ainsi que l’opération «Licorne» au Togo avec 800 hommes), avait alors ressurgi de plus belle. Les déboires de l’Armée française en Côte d’ivoire et les considérations budgétaires, poussaient l’opinion publique française à s’interroger sur l’opportunité de maintenir une présence militaire française jugée très coûteuse, avec des dépenses de plus d’un milliard d’euros. C’est dans un tel contexte que le Président Sarkozy, dans une démarche qu’il disait de «rupture», déclarait en visite à Cape Town en Afrique du Sud, le 28 février 2008, que la France allait étudier les modalités de son désengagement militaire en Afrique.
Il annonçait la renégociation des accords de défense entre la France et certains pays africains. Dans la foulée, une commission avait été mise sur pied pour étudier la question. Les conclusions de ce groupe de travail, consignées dans un document, publié au printemps 2008 et intitulé Livre blanc sur la défense et la sécurité, préconisait à terme «une présence française sur la façade atlantique du continent africain et une autre sur la façade orientale». Ainsi, seule la base de Djibouti était assurée de demeurer alors que la base de Ndjamena n’entrait plus dans les plans.
Pour garder un œil sur l’Atlantique, l’état-major de l’Armée française voulait préférer le maintien de la base de Libreville au détriment de celles de Dakar et d’Abidjan.
Cette perspective inquiétait les Forces françaises du Cap-Vert. Le général Olivier Paulus d’insister pour vanter les «avantages comparatifs» de la base de Dakar, sans minimiser pour autant les atouts de Libreville (Gabon). «La France, souligne-t-il, maintient en permanence dans le golfe de Guinée un bâtiment de guerre pour porter assistance à ses ressortissants en cas de tension aiguë. Si l’on devait fermer l’une ou l’autre de ces bases, ce navire devrait alors couvrir quinze pays au lieu de dix actuellement, de la Mauritanie jusqu’au Mozambique. Autant dire que ce serait mission impossible…».
Le lobbying intense de l’ambassadeur de France au Sénégal, Jean Christophe Rufin, finira par aboutir. L’état-major de l’Armée française reverra ses plans et Hervé Morin de déclarer en septembre 2009, que les bases de Dakar et de Libreville seront maintenues. Il revenait ainsi à un schéma préfiguré par le Président Chirac en décembre 2005 au sommet France-Afrique de Bamako, à savoir un «redéploiement des moyens militaires français autour de trois bases : Dakar, Libreville et Djibouti». On sait aujourd’hui que les négociations conduites par l’ambassadeur français François Ponge n’ont pas abouti à une telle solution.
Le mécontentement d’officiers sénégalais
Le Sénégal ne manquera pas de subir les conséquences du départ des 1 200 hommes des Forces françaises du Cap-Vert, dont les 2/3 vivent à Dakar avec femmes et enfants. Outre les nombreux emplois domestiques, plus de quatre cent techniciens et ouvriers sénégalais travaillent pour les Forces françaises du Cap-Vert. Donc l’impact économique négatif sera très important, tant du point de vue de la perte d’emplois directs que du recul de la consommation. Les conséquences sociales et d’ordre sécuritaire ne manquent pas non plus, car l’efficace coup de main des militaires français en cas de grands sinistres au Sénégal n’a jamais fait défaut.
De même, les militaires sénégalais paieront un lourd tribut de ce départ. Les différentes formations et autres missions d’instruction que leur prodiguaient les militaires français seront réduites. En outre, les places «réservées d’office» à l’Armée sénégalaise dans les grandes écoles militaires françaises et surtout les officiers supérieurs à Saint-Cyr ne seront plus de rigueur. D’ailleurs, comme si c’était pour donner un signal aux officiers sénégalais, l’année dernière Saint-Cyr n’avait accepté aucun aspirant sénégalais pour, officiellement, «cause de baisse de niveau».
La perspective du départ de l’Armée française n’enchante pas de nombreux officiers sénégalais. Un colonel d’infanterie proteste : «C’est quoi cette histoire. On chasse les Français pour prendre des terres qu’on donnera à des spéculateurs fonciers, comme cela avait été le cas avec les terres de l’aéroport. Dire que les milliards récoltés avec la vente des terres de l’aéroport n’ont pas profité au Trésor public. Le ministre des Finances Abdoulaye Diop avait même déclaré à l’Assemblée nationale qu’il ne savait rien de cette opération de vente des terres de l’aéroport. On risque de faire la même chose avec les terres de Bel Air, comme de la base de Ouakam. On croit qu’en donnant des parcelles aux généraux, comme ils avaient fait avec les terres de l’aéroport, cela va calmer la troupe.»
Bien qu’elle clame urbi et orbi avoir rompu avec des méthodes peu orthodoxes de la Françafrique du temps des Foccart, la France ne serait-elle pas moins tentée d’encourager ces grincements de dents ? Il faut dire que les intérêts français au Sénégal sont de façon régulière et systématique remis en cause.
En effet, la diplomatie du Président Wade privilégie de nouveaux amis notamment asiatiques qui supplantent la France dans ses relations de coopération privilégiées avec le Sénégal. On sait aussi que les entreprises françaises implantées au Sénégal n’ont de cesse de connaître des difficultés avec les autorités de Dakar.
Il reste que le Sénégal pourrait tirer un pactole de plusieurs centaines de milliards de francs de la vente des terres occupées par les militaires français. L’enjeu financier apparaît très déterminant dans cette affaire. D’où les regrets de certains officiers français. «Comme avec Djibouti, nous serions prêts à envisager de payer un loyer raisonnable au Sénégal pour notre présence sur son sol, sans compter que nous pourrions augmenter notre soutien logistique à l’Armée sénégalaise. Mais le gouvernement sénégalais ne veut pas de cela. Ils veulent les terres.»
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