Wal Fadjri : Le président Wade a annoncé la baisse des prix le 31 décembre et le 10 janvier, tout devait être effectif. Est-ce par précipitation que les prix ont été fixés ou le gouvernement avait-il déjà réfléchi à cette mesure, bien avant ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : Dans ce genre de choses, on sait bien quelles sont les préoccupations des Sénégalais. Le président de la République avait déjà donné des directives, suivant l’évolution de la situation des marchés, en particulier celle des hydrocarbures et des denrées de base. Il se trouve aussi que le Parlement, à l’occasion de la session budgétaire, avait beaucoup insisté, en travaux de commission et dans les plénières, pour que le gouvernement fasse un effort. Depuis plus d’un mois, mes services avaient commencé à travailler sur cela. Et c’est ce qui a fait que nous avons pu répondre, promptement, aux directives du président qui les a explicitées à travers son adresse à la nation de fin d’année. Nous étions prêts. Il s’est agi, par la suite, de formaliser.
Wal Fadjri : Mais la baisse des denrées s’est-il faite dans les règles de l’art, quand on sait que l’Unacois a fait une sortie et que les boulangers ont dénoncé leur non-implication dans la fixation des prix, pour ce qui les concerne ? Est-ce que la concertation a été vraiment globale ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : Il y a la volonté ou l’absence de volonté de dialogue, c’est selon, et il y a les mécanismes. Ce qui est le plus important, ce sont les mécanismes. Quand vous avez des mécanismes du dialogue, si la personne qui est là n’est pas portée au dialogue, les mécanismes permettent à l’autorité de s’ajuster. D’abord, il y a, en termes de communication, un phénomène de parasitage qui n’a pas été bon. Les baisses sont substantielles. Encore une fois, ce ne sont pas des baisses marginales, lesquelles pourraient être une démagogie ou une démarche politicienne qui n’a aucun sens. On n’a jamais vu des démarches de baisses aussi importantes, depuis une longue période. Ensuite, ces baisses ont porté sur beaucoup de produits. Ce n’est pas que sur le pain. Et encore toutes les régions ont opéré des baisses. Il n’y a que sur Dakar qu’on a eu des difficultés.
Wal Fadjri : Lors de votre rencontre, dimanche dernier, avec les boulangers, vous aviez accepté que les travaux en comité technique soient repris. Est-ce à dire que les professionnels du pain n’ont pas, été associés aux travaux ou alors, vous êtes-vous rendu compte que le travail a été bâclé ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : Ni l’un ni l’autre. En fait, dans chaque région, vous avez un Conseil régional du commerce et les boulangers, quand il s’agit du pain, sont membres de ce Conseil. Ils ont participé aux réunions de tous les Conseils régionaux de la consommation. A Dakar, c’est El Hadj Niang, secrétaire général de la Fédération nationale des boulangers, qui a pris part à la réunion. Par conséquent, quand ils soutiennent qu’on ne les a pas sollicités, il y a problème. La concertation est un mécanisme. Elle ne dépend pas du bon vouloir ou non du ministre. C’est un premier aspect.
Le second, c’est que je suis naturellement porté à la concertation. J’ai dirigé un syndicat de cinq mille personnes et même quand j’étais étudiant, j’étais un syndicaliste. Je suis passé dans plusieurs ministères et vous ne verrez pas un seul de ces acteurs vous dire que le ministre est fermé. Je suis heureux de vous annoncer qu’aujourd’hui, mardi (jour de l’entretien, Ndlr), le pain est vendu à 150 francs.
Wal Fadjri : Mais allez-vous vous concerter avec les meuniers pour qu’ils baissent davantage le prix de la farine, comme sollicité par les boulangers ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : Ce qui aurait pu être dit à l’opinion, c’est que la tonne de farine avait déjà baissé depuis le mois d’août de 40 600 francs. Cette baisse n’a pas été répercutée sur le prix du pain. Ça aussi, les boulangers devaient le dire. J’avais fait des circulaires pour demander aux gouverneurs de convoquer les Conseils régionaux de la consommation pour voir les baisses qui pourraient être induites par cette évolution favorable de la farine. Quand j’ai reçu les rapports, les baisses étaient effectivement possibles, entre 5 et 8 francs. J’ai dit qu’il ne fallait pas les répercuter, il fallait laisser les boulangers respirer. Pendant quatre mois, cette baisse n’a pas été répercutée. Si vous faites le calcul, sur la région de Dakar, on m’a dit qu’il y a environ mille boulangeries. Si vous prenez la moitié, 500, vous calculez dix sacs par boulangerie, c’est 2 500 pains. Vous faites la moyenne pondérée de 5 à 8 francs, c’est ce qui fait quand même 9 millions de francs Cfa de gain.
Je suis très sensible, très soucieux, parce que les boulangers ont investi, ils travaillent, donc ils doivent gagner de l’argent. Nous ne sommes pas là pour leur mettre des bâtons dans les roues. Maintenant, il faut que le consommateur puisse s’y retrouver. Or, c’est assez fréquent que les baisses soient capturées aux niveaux intermédiaires de telle sorte que le consommateur ne sente pas la baisse. Il faut que nous veillions à ce que ceux qui investissent puissent se retrouver pour continuer d’investir, que d’autres également aient envie d’investir. Mais il faut aussi que le consommateur s’en sorte. Voilà l’arbitrage qu’il faut faire constamment.
Wal Fadjri : La baisse du prix du riz ne semble pas agréer les commerçants et certains importateurs…
Mamadou Diop ‘Decroix’ : (Il nous coupe). Il faut là-dessus distinguer deux choses. Un certain nombre d’importateurs avaient importé sur les anciens prix. Ce sont donc de vieilles commandes qui ont été honorées sur la base des anciens prix qui étaient très élevés. Et avant que le riz n’arrive, on a remis les droits de douane. Par conséquent, deux contraintes ont pesé sur ces stocks importés et qui ont fait que s’ils vendaient ce riz au prix actuel, ce serait une perte sèche énorme. C’est un premier problème et ils nous l’ont signalé. Je m’en suis ouvert au Premier ministre, au ministre des Finances et au ministre du Budget et globalement, nous trouvons que quelque chose doit être fait. Ces importateurs nous ont accompagnés quand c’était difficile, il faut le reconnaître. Et il est normal, par conséquent, que s’il y a distorsion du marché qui est indépendante de leur volonté, nous puissions faire quelque chose. Le Premier ministre a donné les instructions en s’appuyant sur des faits avérés, à savoir qu’on ait des documents tout à fait sérieux pour ensuite voir.
Ce problème est différent de celui du cours du riz qui a beaucoup baissé sur le marché international. Et les prix (les nouveaux) qui sont pratiqués par les commerçants, on ne leur a pas tordu le bras pour qu’ils le fassent, c’est le marché qui se comporte de cette façon. Les récoltes ont été abondantes au plan international, le prix du baril du pétrole qui pèse à cause du transport, a beaucoup baissé aussi, il est donc normal que le prix du riz baisse. Il ne faut pas avoir le sentiment que c’est l’Etat qui impose des prix. L’Etat n’impose rien du tout : il n’achète pas, il ne vend pas. Mais l’Etat doit veiller au fonctionnement normal du marché. On a l’impression ici que, quand on parle de marché libre, cela veut dire un marché anarchique. Un marché libre est aussi un marché très réglementé. Nous tentons de mettre de l’ordre.
Mais le problème que nous avons sur le riz, c’est que les producteurs locaux risquent, avec la baisse, de ne pas s’y retrouver. Or, la Goana a pour objectif d’assurer l’autonomie en riz. Par conséquent, il ne faudrait pas que les baisses soient si importantes au point que les producteurs locaux soient sanctionnés. Voilà pourquoi nous sommes obligés d’arbitrer.
Wal Fadjri : Quelles sont les mesures à prendre pour promouvoir le riz local dont on estime la production à 370 000 tonnes ? Peut-on s’attendre à une restriction des importations ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : Nous allons nous retrouver, le ministre de l’Agriculture et moi-même, avec les importateurs et les producteurs. L’idée, c’est de regarder le problème et de voir quelle stratégie commune aborder pour le régler. Je n’ai pas de craintes par rapport à cette situation. Nous avons déjà l’expérience. Si vous prenez l’oignon, par exemple, lorsque l’oignon local est sur le marché, nous n’importons pas. Ce n’est pas qu’on interdit l’importation, mais nous nous entendons avec les importateurs. Pour le riz, l’idée est de nous entendre avec les importateurs qui pourraient même acheter les stocks. Mais nous allons aussi devoir faire beaucoup de communication sur le riz local qui est très riche. Il est déjà sur le marché.
Wal Fadjri : La baisse du transport urbain et interurbain n’est pas tout à fait effective. Qu’est-ce qui sera fait à ce niveau ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : Les baisses sur le transport interurbain étaient déjà faites. Les transporteurs avaient pris sur eux d’opérer les baisses avant même le discours du président de la République. Nous pensions que les baisses pouvaient être plus fortes que celles appliquées sur le transport interurbain. Il y a déjà baisse sur le transport interurbain. Mais, quand une décision est prise, la mise en œuvre peut, au départ - et c’est très fréquent - nécessiter quelques réglages. Mais l’essentiel a déjà été fait sur l’ensemble des produits et services sur lesquels les baisses ont été opérées.
Wal Fadjri : Les prix des bonbonnes de gaz de 3 kg et 6 kg sont restés en l’état. Mais l’annonce du ministre des Finances de lever progressivement la subvention sur le gaz n’entraînera-t-elle pas d’ici juin 2009 une hausse des prix ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : Je ne peux pas le dire pour l’instant. Il y a une préoccupation qui est exprimée par les consommateurs sur le gaz. La volonté de l’Etat, en tout état de cause, est de continuer à favoriser la consommation de gaz parce que ceci protège l’environnement. Mais en même temps, j’ai toujours dit qu’il y a un gros problème sur le gaz parce que nous subventionnons tous les pays limitrophes. On achète le gaz ici, on va le vendre beaucoup plus cher dans les pays limitrophes et nous y perdons même les bouteilles de gaz. Ce sont des pertes sèches qui portent sur des milliards. L’Etat doit absolument trouver une solution. Le ministère des Finances va résoudre la question au mois de juin, mais nous n’en sommes pas encore là. Il y a cette préoccupation de l’Etat par rapport au consommateur et à la protection de l’environnement, mais aussi ce souci de veiller à ce que les fonds publics n’aillent pas subventionner d’autres.
Wal Fadjri : Pourquoi le sucre semble-t-il intouchable ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : D’abord, je vous ai dit tout à l’heure que sur tous les prix qui ont baissé, l’Etat n’a pas pris des mesures directives dans le genre, je vous tords le bras. Non. C’est le marché qui décide. Nous discutons avec le secteur privé, les investisseurs et ils nous disent : voilà, sur tel produit, il y a telle et telle évolution favorable ou non. Pour le sucre, la Compagnie sucrière sénégalaise dit : ‘Nous avons investi 40 milliards’ dans divers secteurs pour promouvoir l’agriculture et même les biocarburants. En voie de conséquence, ils (les cadres de la Css, Ndlr) ont dit clairement : on ne peut pas engager tout cela et nous engager dans des baisses. Nous ne pouvons qu’en prendre acte parce qu’on n’est pas là pour faire faire des pertes sèches aux entreprises. Mais nous continuons à discuter avec la Css pour voir s’il est établi que ce sont des investissements qui ne permettent pas de faire un effort sur la baisse.
Il ne faut pas, non plus, faire de la démagogie. Il faut voir le marché du sucre. Je sais que sur certains produits, les subventions européennes ont beaucoup baissé. Je n’ai pas l’impact de ces baisses de subventions sur le cours du sucre, sur le marché mondial. Il s’y ajoute que le sucre de la Css est protégé. Et ça aussi, il ne faut pas avoir le complexe de le dire.
A l’Organisation mondiale du commerce (Omc), nous nous sommes beaucoup battus pour la fin des subventions. Mais le cycle de Doha qui porte sur l’agriculture et sur les protections est dans l’impasse. Chaque grand producteur veut que l’autre baisse ses barrières douanières, etc. La protection, elle est de rigueur dans beaucoup de pays. Ici aussi, nous protégeons la production locale de sucre pour éviter la faillite. Parce que si l’on ne protège pas le sucre, il sera vendu beaucoup moins cher (par d’autres) et c’est toute une région qui va faire faillite et peut-être même au-delà. Il faut donc faire un juste arbitrage, à savoir que les entreprises qui sont protégées, doivent aussi beaucoup investir, pour à terme, être en mesure de soutenir la concurrence. Nous protégeons aussi d’autres filières. Par exemple, si l’on ouvrait nos frontières sur l’huile, toutes nos huileries allaient fermer. En Malaisie, vous avez ce qu’ils appellent les subventions à l’exportation. Par exemple, on vous dit que si vous exportez une tonne d’huile, on vous verse 50 mille francs. Vous pouvez vendre trois fois rien et vous en sortir parce que, sur chaque tonne que vous exportez, on vous a subventionné. Dans d’autres cas, ce sont des soutiens internes. On vous dit, si vous produisez tant, on vous verse tant. Si bien que nous, pays en développement, si nous ne produisons pas, nous ne nous en sortons pas. D’ailleurs, on n’a même pas tellement de capacités à pratiquer ces politiques.
Wal Fadjri : Quelles sont les mesures prises pour assurer le contrôle et le suivi pour l’application de la baisse des prix ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : D’une façon générale, il existe une pénurie de ressources humaines au département du Commerce. C’est un phénomène qui date de très longtemps. Au cours des dernières années, des efforts sensibles ont été faits. Vous avez beaucoup de commissaires aux enquêtes économiques qui sortent de l’Ecole nationale d’administration (Ena), des jeunes qui sont très bien formés et qui ont un très bon niveau. Vous avez aussi des jeunes qui sortent pour être des contrôleurs économiques. Mais en dépit de ces efforts louables, le déficit est encore important. Il faut beaucoup former et beaucoup recruter, si on veut avoir un département du Commerce fort. Ensuite, il faut assurer la mobilité. Même avec les effectifs que nous avons, la mobilité pourrait permettre de combler beaucoup de lacunes. Là-dessus, nous avons acquis une dizaine de véhicules. Dans la loi de finances qui sera exécutée au cours de 2009, nous aurons une dizaine d’autres voitures. Et nous avons un programme spécial que le président a défini pour le département du Commerce, d’une vingtaine de véhicules et d’une cinquantaine de motos. Si bien qu’à l’arrivée, on va faire des pas très importants.
C’est vrai que le contrôle est important. Les prix doivent être affichés partout pour que les gens sachent c’est quoi les tarifs. Il faut contrôler aussi la qualité de ce qu’on consomme, les poids et mesures. Tout cela veut dire qu’il faut des moyens humains, matériels et logistiques importants. Et nous sommes sur cette voie.
Wal Fadjri : Où en est le projet des magasins de référence ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : L’idée de magasin de référence a fait feu et flamme dans l’opinion, tout le monde veut son magasin de référence. Il y a une forte pression puisque les besoins exprimés sont énormes. Mais un magasin de référence, ça coûte aussi beaucoup d’argent. Le Comptoir commercial Bara Mboup (Ccbm) installe la boutique de référence à 10 millions, l’apport personnel est d’un million. L’Etat appuie aussi. Nous avons mis 2 milliards de francs au Fonds de promotion économique (Fpe) pour accompagner les promoteurs. Dans le cahier des charges, on devrait avoir 600 magasins de référence sur un an. Ce chiffre n’état pas très important, il faut des règles pour que l’équité soit respectée. L’idée est que chaque collectivité locale puisse avoir quelques magasins de référence. Le président de la République a beaucoup insisté pour que dans les zones rurales, chaque chef-lieu puisse avoir une boutique de référence. L’idée étant que ces magasins puissent relayer la politique de commercialisation des produits de la Goana.
Mais l’engouement provoqué par les magasins de référence est tel que j’y vois, d’une part, une révolution dans le système de distribution, devant nous permettre de régler le problème de l’accessibilité, de la qualité et du juste prix des produits. Ces trois objectifs devraient être atteints, à travers cette politique des magasins de référence. Et en même temps, contribuer, de façon consistante, au règlement du problème de l’emploi. Si nous parvenions à installer dix mille magasins de référence, à raison de quatre personnes par magasin, ça fait quarante mille emplois pour les jeunes.
Wal Fadjri : Combien de magasins de référence ont-il été installés à Dakar ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : Il n’y a que celui qui est à Grand-Dakar. Mais depuis qu’on a mis les 2 milliards, le Ccbm est en train de mettre les bouchées doubles. Il avait annoncé l’installation d’une cinquantaine de boutiques.
Wal Fadjri : Qu’est-ce qui sera la partition du ministre du Commerce pour promouvoir les produits de la Goana ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : Pour promouvoir la production locale, il faut que les producteurs y trouvent un intérêt certain. Si vous produisez du fonio ou du mil, du maïs, etc., pendant un à ans et que vous ne vous en sortez pas, vous laissez tomber. Notre mission est de faire en sorte que tous ceux qui ont produit dans le cadre de la Goana et même au-delà, puissent s’en sortir. C’est ainsi qu’une société a été créée pour accompagner les producteurs de la Goana en achetant leurs produits. Je sais aussi que beaucoup d’acteurs qui sont sur le terrain, achètent des produits de la Goana. Au moment où je vous parle, on n’a encore signalé nulle part de bradage des produits. L’Agence de régulation des marchés vient de faire un grand tour dans le pays. La situation est globalement correcte, mais nous veillons. Et lorsqu’on nous signale des limites ou des lacunes quelque part, nous intervenons immédiatement.
SOURCE WALFADJRI
Mamadou Diop ‘Decroix’ : Dans ce genre de choses, on sait bien quelles sont les préoccupations des Sénégalais. Le président de la République avait déjà donné des directives, suivant l’évolution de la situation des marchés, en particulier celle des hydrocarbures et des denrées de base. Il se trouve aussi que le Parlement, à l’occasion de la session budgétaire, avait beaucoup insisté, en travaux de commission et dans les plénières, pour que le gouvernement fasse un effort. Depuis plus d’un mois, mes services avaient commencé à travailler sur cela. Et c’est ce qui a fait que nous avons pu répondre, promptement, aux directives du président qui les a explicitées à travers son adresse à la nation de fin d’année. Nous étions prêts. Il s’est agi, par la suite, de formaliser.
Wal Fadjri : Mais la baisse des denrées s’est-il faite dans les règles de l’art, quand on sait que l’Unacois a fait une sortie et que les boulangers ont dénoncé leur non-implication dans la fixation des prix, pour ce qui les concerne ? Est-ce que la concertation a été vraiment globale ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : Il y a la volonté ou l’absence de volonté de dialogue, c’est selon, et il y a les mécanismes. Ce qui est le plus important, ce sont les mécanismes. Quand vous avez des mécanismes du dialogue, si la personne qui est là n’est pas portée au dialogue, les mécanismes permettent à l’autorité de s’ajuster. D’abord, il y a, en termes de communication, un phénomène de parasitage qui n’a pas été bon. Les baisses sont substantielles. Encore une fois, ce ne sont pas des baisses marginales, lesquelles pourraient être une démagogie ou une démarche politicienne qui n’a aucun sens. On n’a jamais vu des démarches de baisses aussi importantes, depuis une longue période. Ensuite, ces baisses ont porté sur beaucoup de produits. Ce n’est pas que sur le pain. Et encore toutes les régions ont opéré des baisses. Il n’y a que sur Dakar qu’on a eu des difficultés.
Wal Fadjri : Lors de votre rencontre, dimanche dernier, avec les boulangers, vous aviez accepté que les travaux en comité technique soient repris. Est-ce à dire que les professionnels du pain n’ont pas, été associés aux travaux ou alors, vous êtes-vous rendu compte que le travail a été bâclé ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : Ni l’un ni l’autre. En fait, dans chaque région, vous avez un Conseil régional du commerce et les boulangers, quand il s’agit du pain, sont membres de ce Conseil. Ils ont participé aux réunions de tous les Conseils régionaux de la consommation. A Dakar, c’est El Hadj Niang, secrétaire général de la Fédération nationale des boulangers, qui a pris part à la réunion. Par conséquent, quand ils soutiennent qu’on ne les a pas sollicités, il y a problème. La concertation est un mécanisme. Elle ne dépend pas du bon vouloir ou non du ministre. C’est un premier aspect.
Le second, c’est que je suis naturellement porté à la concertation. J’ai dirigé un syndicat de cinq mille personnes et même quand j’étais étudiant, j’étais un syndicaliste. Je suis passé dans plusieurs ministères et vous ne verrez pas un seul de ces acteurs vous dire que le ministre est fermé. Je suis heureux de vous annoncer qu’aujourd’hui, mardi (jour de l’entretien, Ndlr), le pain est vendu à 150 francs.
Wal Fadjri : Mais allez-vous vous concerter avec les meuniers pour qu’ils baissent davantage le prix de la farine, comme sollicité par les boulangers ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : Ce qui aurait pu être dit à l’opinion, c’est que la tonne de farine avait déjà baissé depuis le mois d’août de 40 600 francs. Cette baisse n’a pas été répercutée sur le prix du pain. Ça aussi, les boulangers devaient le dire. J’avais fait des circulaires pour demander aux gouverneurs de convoquer les Conseils régionaux de la consommation pour voir les baisses qui pourraient être induites par cette évolution favorable de la farine. Quand j’ai reçu les rapports, les baisses étaient effectivement possibles, entre 5 et 8 francs. J’ai dit qu’il ne fallait pas les répercuter, il fallait laisser les boulangers respirer. Pendant quatre mois, cette baisse n’a pas été répercutée. Si vous faites le calcul, sur la région de Dakar, on m’a dit qu’il y a environ mille boulangeries. Si vous prenez la moitié, 500, vous calculez dix sacs par boulangerie, c’est 2 500 pains. Vous faites la moyenne pondérée de 5 à 8 francs, c’est ce qui fait quand même 9 millions de francs Cfa de gain.
Je suis très sensible, très soucieux, parce que les boulangers ont investi, ils travaillent, donc ils doivent gagner de l’argent. Nous ne sommes pas là pour leur mettre des bâtons dans les roues. Maintenant, il faut que le consommateur puisse s’y retrouver. Or, c’est assez fréquent que les baisses soient capturées aux niveaux intermédiaires de telle sorte que le consommateur ne sente pas la baisse. Il faut que nous veillions à ce que ceux qui investissent puissent se retrouver pour continuer d’investir, que d’autres également aient envie d’investir. Mais il faut aussi que le consommateur s’en sorte. Voilà l’arbitrage qu’il faut faire constamment.
Wal Fadjri : La baisse du prix du riz ne semble pas agréer les commerçants et certains importateurs…
Mamadou Diop ‘Decroix’ : (Il nous coupe). Il faut là-dessus distinguer deux choses. Un certain nombre d’importateurs avaient importé sur les anciens prix. Ce sont donc de vieilles commandes qui ont été honorées sur la base des anciens prix qui étaient très élevés. Et avant que le riz n’arrive, on a remis les droits de douane. Par conséquent, deux contraintes ont pesé sur ces stocks importés et qui ont fait que s’ils vendaient ce riz au prix actuel, ce serait une perte sèche énorme. C’est un premier problème et ils nous l’ont signalé. Je m’en suis ouvert au Premier ministre, au ministre des Finances et au ministre du Budget et globalement, nous trouvons que quelque chose doit être fait. Ces importateurs nous ont accompagnés quand c’était difficile, il faut le reconnaître. Et il est normal, par conséquent, que s’il y a distorsion du marché qui est indépendante de leur volonté, nous puissions faire quelque chose. Le Premier ministre a donné les instructions en s’appuyant sur des faits avérés, à savoir qu’on ait des documents tout à fait sérieux pour ensuite voir.
Ce problème est différent de celui du cours du riz qui a beaucoup baissé sur le marché international. Et les prix (les nouveaux) qui sont pratiqués par les commerçants, on ne leur a pas tordu le bras pour qu’ils le fassent, c’est le marché qui se comporte de cette façon. Les récoltes ont été abondantes au plan international, le prix du baril du pétrole qui pèse à cause du transport, a beaucoup baissé aussi, il est donc normal que le prix du riz baisse. Il ne faut pas avoir le sentiment que c’est l’Etat qui impose des prix. L’Etat n’impose rien du tout : il n’achète pas, il ne vend pas. Mais l’Etat doit veiller au fonctionnement normal du marché. On a l’impression ici que, quand on parle de marché libre, cela veut dire un marché anarchique. Un marché libre est aussi un marché très réglementé. Nous tentons de mettre de l’ordre.
Mais le problème que nous avons sur le riz, c’est que les producteurs locaux risquent, avec la baisse, de ne pas s’y retrouver. Or, la Goana a pour objectif d’assurer l’autonomie en riz. Par conséquent, il ne faudrait pas que les baisses soient si importantes au point que les producteurs locaux soient sanctionnés. Voilà pourquoi nous sommes obligés d’arbitrer.
Wal Fadjri : Quelles sont les mesures à prendre pour promouvoir le riz local dont on estime la production à 370 000 tonnes ? Peut-on s’attendre à une restriction des importations ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : Nous allons nous retrouver, le ministre de l’Agriculture et moi-même, avec les importateurs et les producteurs. L’idée, c’est de regarder le problème et de voir quelle stratégie commune aborder pour le régler. Je n’ai pas de craintes par rapport à cette situation. Nous avons déjà l’expérience. Si vous prenez l’oignon, par exemple, lorsque l’oignon local est sur le marché, nous n’importons pas. Ce n’est pas qu’on interdit l’importation, mais nous nous entendons avec les importateurs. Pour le riz, l’idée est de nous entendre avec les importateurs qui pourraient même acheter les stocks. Mais nous allons aussi devoir faire beaucoup de communication sur le riz local qui est très riche. Il est déjà sur le marché.
Wal Fadjri : La baisse du transport urbain et interurbain n’est pas tout à fait effective. Qu’est-ce qui sera fait à ce niveau ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : Les baisses sur le transport interurbain étaient déjà faites. Les transporteurs avaient pris sur eux d’opérer les baisses avant même le discours du président de la République. Nous pensions que les baisses pouvaient être plus fortes que celles appliquées sur le transport interurbain. Il y a déjà baisse sur le transport interurbain. Mais, quand une décision est prise, la mise en œuvre peut, au départ - et c’est très fréquent - nécessiter quelques réglages. Mais l’essentiel a déjà été fait sur l’ensemble des produits et services sur lesquels les baisses ont été opérées.
Wal Fadjri : Les prix des bonbonnes de gaz de 3 kg et 6 kg sont restés en l’état. Mais l’annonce du ministre des Finances de lever progressivement la subvention sur le gaz n’entraînera-t-elle pas d’ici juin 2009 une hausse des prix ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : Je ne peux pas le dire pour l’instant. Il y a une préoccupation qui est exprimée par les consommateurs sur le gaz. La volonté de l’Etat, en tout état de cause, est de continuer à favoriser la consommation de gaz parce que ceci protège l’environnement. Mais en même temps, j’ai toujours dit qu’il y a un gros problème sur le gaz parce que nous subventionnons tous les pays limitrophes. On achète le gaz ici, on va le vendre beaucoup plus cher dans les pays limitrophes et nous y perdons même les bouteilles de gaz. Ce sont des pertes sèches qui portent sur des milliards. L’Etat doit absolument trouver une solution. Le ministère des Finances va résoudre la question au mois de juin, mais nous n’en sommes pas encore là. Il y a cette préoccupation de l’Etat par rapport au consommateur et à la protection de l’environnement, mais aussi ce souci de veiller à ce que les fonds publics n’aillent pas subventionner d’autres.
Wal Fadjri : Pourquoi le sucre semble-t-il intouchable ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : D’abord, je vous ai dit tout à l’heure que sur tous les prix qui ont baissé, l’Etat n’a pas pris des mesures directives dans le genre, je vous tords le bras. Non. C’est le marché qui décide. Nous discutons avec le secteur privé, les investisseurs et ils nous disent : voilà, sur tel produit, il y a telle et telle évolution favorable ou non. Pour le sucre, la Compagnie sucrière sénégalaise dit : ‘Nous avons investi 40 milliards’ dans divers secteurs pour promouvoir l’agriculture et même les biocarburants. En voie de conséquence, ils (les cadres de la Css, Ndlr) ont dit clairement : on ne peut pas engager tout cela et nous engager dans des baisses. Nous ne pouvons qu’en prendre acte parce qu’on n’est pas là pour faire faire des pertes sèches aux entreprises. Mais nous continuons à discuter avec la Css pour voir s’il est établi que ce sont des investissements qui ne permettent pas de faire un effort sur la baisse.
Il ne faut pas, non plus, faire de la démagogie. Il faut voir le marché du sucre. Je sais que sur certains produits, les subventions européennes ont beaucoup baissé. Je n’ai pas l’impact de ces baisses de subventions sur le cours du sucre, sur le marché mondial. Il s’y ajoute que le sucre de la Css est protégé. Et ça aussi, il ne faut pas avoir le complexe de le dire.
A l’Organisation mondiale du commerce (Omc), nous nous sommes beaucoup battus pour la fin des subventions. Mais le cycle de Doha qui porte sur l’agriculture et sur les protections est dans l’impasse. Chaque grand producteur veut que l’autre baisse ses barrières douanières, etc. La protection, elle est de rigueur dans beaucoup de pays. Ici aussi, nous protégeons la production locale de sucre pour éviter la faillite. Parce que si l’on ne protège pas le sucre, il sera vendu beaucoup moins cher (par d’autres) et c’est toute une région qui va faire faillite et peut-être même au-delà. Il faut donc faire un juste arbitrage, à savoir que les entreprises qui sont protégées, doivent aussi beaucoup investir, pour à terme, être en mesure de soutenir la concurrence. Nous protégeons aussi d’autres filières. Par exemple, si l’on ouvrait nos frontières sur l’huile, toutes nos huileries allaient fermer. En Malaisie, vous avez ce qu’ils appellent les subventions à l’exportation. Par exemple, on vous dit que si vous exportez une tonne d’huile, on vous verse 50 mille francs. Vous pouvez vendre trois fois rien et vous en sortir parce que, sur chaque tonne que vous exportez, on vous a subventionné. Dans d’autres cas, ce sont des soutiens internes. On vous dit, si vous produisez tant, on vous verse tant. Si bien que nous, pays en développement, si nous ne produisons pas, nous ne nous en sortons pas. D’ailleurs, on n’a même pas tellement de capacités à pratiquer ces politiques.
Wal Fadjri : Quelles sont les mesures prises pour assurer le contrôle et le suivi pour l’application de la baisse des prix ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : D’une façon générale, il existe une pénurie de ressources humaines au département du Commerce. C’est un phénomène qui date de très longtemps. Au cours des dernières années, des efforts sensibles ont été faits. Vous avez beaucoup de commissaires aux enquêtes économiques qui sortent de l’Ecole nationale d’administration (Ena), des jeunes qui sont très bien formés et qui ont un très bon niveau. Vous avez aussi des jeunes qui sortent pour être des contrôleurs économiques. Mais en dépit de ces efforts louables, le déficit est encore important. Il faut beaucoup former et beaucoup recruter, si on veut avoir un département du Commerce fort. Ensuite, il faut assurer la mobilité. Même avec les effectifs que nous avons, la mobilité pourrait permettre de combler beaucoup de lacunes. Là-dessus, nous avons acquis une dizaine de véhicules. Dans la loi de finances qui sera exécutée au cours de 2009, nous aurons une dizaine d’autres voitures. Et nous avons un programme spécial que le président a défini pour le département du Commerce, d’une vingtaine de véhicules et d’une cinquantaine de motos. Si bien qu’à l’arrivée, on va faire des pas très importants.
C’est vrai que le contrôle est important. Les prix doivent être affichés partout pour que les gens sachent c’est quoi les tarifs. Il faut contrôler aussi la qualité de ce qu’on consomme, les poids et mesures. Tout cela veut dire qu’il faut des moyens humains, matériels et logistiques importants. Et nous sommes sur cette voie.
Wal Fadjri : Où en est le projet des magasins de référence ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : L’idée de magasin de référence a fait feu et flamme dans l’opinion, tout le monde veut son magasin de référence. Il y a une forte pression puisque les besoins exprimés sont énormes. Mais un magasin de référence, ça coûte aussi beaucoup d’argent. Le Comptoir commercial Bara Mboup (Ccbm) installe la boutique de référence à 10 millions, l’apport personnel est d’un million. L’Etat appuie aussi. Nous avons mis 2 milliards de francs au Fonds de promotion économique (Fpe) pour accompagner les promoteurs. Dans le cahier des charges, on devrait avoir 600 magasins de référence sur un an. Ce chiffre n’état pas très important, il faut des règles pour que l’équité soit respectée. L’idée est que chaque collectivité locale puisse avoir quelques magasins de référence. Le président de la République a beaucoup insisté pour que dans les zones rurales, chaque chef-lieu puisse avoir une boutique de référence. L’idée étant que ces magasins puissent relayer la politique de commercialisation des produits de la Goana.
Mais l’engouement provoqué par les magasins de référence est tel que j’y vois, d’une part, une révolution dans le système de distribution, devant nous permettre de régler le problème de l’accessibilité, de la qualité et du juste prix des produits. Ces trois objectifs devraient être atteints, à travers cette politique des magasins de référence. Et en même temps, contribuer, de façon consistante, au règlement du problème de l’emploi. Si nous parvenions à installer dix mille magasins de référence, à raison de quatre personnes par magasin, ça fait quarante mille emplois pour les jeunes.
Wal Fadjri : Combien de magasins de référence ont-il été installés à Dakar ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : Il n’y a que celui qui est à Grand-Dakar. Mais depuis qu’on a mis les 2 milliards, le Ccbm est en train de mettre les bouchées doubles. Il avait annoncé l’installation d’une cinquantaine de boutiques.
Wal Fadjri : Qu’est-ce qui sera la partition du ministre du Commerce pour promouvoir les produits de la Goana ?
Mamadou Diop ‘Decroix’ : Pour promouvoir la production locale, il faut que les producteurs y trouvent un intérêt certain. Si vous produisez du fonio ou du mil, du maïs, etc., pendant un à ans et que vous ne vous en sortez pas, vous laissez tomber. Notre mission est de faire en sorte que tous ceux qui ont produit dans le cadre de la Goana et même au-delà, puissent s’en sortir. C’est ainsi qu’une société a été créée pour accompagner les producteurs de la Goana en achetant leurs produits. Je sais aussi que beaucoup d’acteurs qui sont sur le terrain, achètent des produits de la Goana. Au moment où je vous parle, on n’a encore signalé nulle part de bradage des produits. L’Agence de régulation des marchés vient de faire un grand tour dans le pays. La situation est globalement correcte, mais nous veillons. Et lorsqu’on nous signale des limites ou des lacunes quelque part, nous intervenons immédiatement.
SOURCE WALFADJRI