Analyse. A neuf mois de la présidentielle sénégalaise, le libéral Macky Sall n’a jamais été aussi sûr d’être réélu. Six ans de règne lui auront suffi pour morceler une opposition, qui l’accuse de démanteler l’une des démocraties les plus fortes d’Afrique de l’Ouest à coups d’arrestations de dirigeants politiques et de mesures anticonstitutionnelles. Des critiques auxquelles il oppose une confiance tranquille, promettant « une victoire dès le premier tour » au scrutin du 24 février 2019.
Son assurance frôle parfois l’arrogance, comme ce soir du jeudi 19 avril, où il a profité d’une visite de courtoisie en France auprès de son homologue Emmanuel Macron, pour battre campagne et se féliciter devant ses soutiens de l’adoption d’une loi très contestée par l’Assemblée nationale. Le texte, qui introduit un système de parrainage, vise à freiner l’inflation de candidatures dans un pays qui recensait, en 2016, 272 formations politiques. La mesure, perçue comme discriminatoire par les petits partis et les candidats indépendants, a été adoptée à l’unanimité dans un hémicycle boycotté par l’opposition.
Tandis que M. Sall se félicitait de son bilan depuis Paris, à Dakar, les rues s’embrasaient dans la contestation. Manifestants, mobilisés contre une mesure jugée « antidémocratique », et policiers échangeaient pierres contre gaz lacrymogène. Alors que les principaux leaders de l’opposition réclamaient un « droit de marche » afin d’exprimer leur mécontentement, au moins quatre d’entre eux ont été arrêtés, dont Idrissa Seck, ancien premier ministre de 2002 à 2004 sous la présidence d’Abdoulaye Wade – M. Sall l’avait alors remplacé. Aujourd’hui président du parti Rewmi, il prépare la prochaine présidentielle, bien que candidat malheureux aux deux précédents scrutins.
Au lendemain d’une garde-à-vue de vingt-quatre heures, M. Seck a qualifié M. Sall de « triple violeur de la Constitution » pour avoir porté la loi des parrainages, avoir interdit les manifestations et pour une ancienne promesse non tenue : celle d’être revenu sur son engagement à réduire son septennat à un quinquennat dans le cadre d’une vaste révision de la Constitution en mars 2016. La décision avait laissé un goût amer aux Sénégalais, leur rappelant le wax waxeet (« se dédire d’une promesse », en wolof) du président Wade, qui avait brigué un troisième mandat en 2012, après avoir inscrit la limite de deux mandats consécutifs dans la Constitution.
Accroissement de la dette
Le succès de M. Sall, qui bénéficie de 32 % des intentions de vote des Dakarois, selon un sondage de StatInfo réalisé début mars, peut être imputé à un programme de développement ambitieux, dont le corollaire est l’accroissement de la dette publique, « passée de 24 % des recettes de l’Etat en 2014 à 30 % en 2017 », observe le FMI (Fonds monétaire international). « L’opposition ne nous fait pas peur, surtout si l’on regarde notre bilan, affirme-t-on dans l’entourage du président. Nous avons ouvert des centrales solaires et doublé notre production électrique. En 2011, il y avait des émeutes à cause des coupures. Nous avons maîtrisé les prix des denrées de première nécessité. Nous avons atteint une croissance de 7 % en moyenne et nous visons une couverture médicale universelle pour 2020. »
« Si Macky Sall était totalement sûr de sa réélection, il n’aurait pas besoin de mener ces attaques antidémocratiques », confie un analyste politique, qui voit dans la disqualification de ses adversaires, une méthode de « captation ou d’élimination ». « Lorsque vous avez une majorité, il faut la consolider en allant chercher dans le camp adverse (…) le réduire à sa plus simple expression », avait théorisé le président lors d’une conférence de presse en 2015. Depuis, la coalition présidentielle, Benno Bokk Yakaar, a intégré deux grands partis d’opposition, l’Alliance des forces de progrès et le Parti socialiste, en offrant à leurs caciques des postes confortables. Cela lui a assuré une large victoire aux législatives de juillet 2017.
Divisée, affaiblie, l’opposition a du mal à se remettre de la mise hors jeu de ses deux principaux chefs de file. D’abord, Karim Wade, fils de l’ex-président, pressenti pour succéder à son père. Condamné en 2015 pour enrichissement illicite, il vit retiré au Qatar depuis deux ans. Et, surtout, Khalifa Sall, maire socialiste de Dakar et premier adversaire du président, condamné le 30 mars à cinq ans de prison pour « escroquerie portant sur les deniers publics ».
Dénonciation d’un « procès politique »
Pour l’opposition, la main du pouvoir est derrière ces « éliminations ». Une accusation que la population reprend depuis l’éprouvant procès de l’édile, qui a révélé les failles d’un système où le maire paie pour la corruption de toute une caste. Quant au poids de la peine, jugé excessif, il a alimenté la dénonciation d’un « procès politique ».
Dans son rapport annuel, Amnesty International a condamné « le caractère ciblé des poursuites », qui semblent viser « uniquement des leaders de l’opposition alors qu’aucune suite n’est donnée aux rapports concernant la gestion des personnalités proches du pouvoir ». Khalifa Sall, alors en détention préventive, s’est vu refuser à plusieurs reprises sa libération sous caution malgré une immunité parlementaire obtenue depuis sa cellule aux législatives de juillet 2017 – levée depuis. Tant que Khalifa Sall n’est pas condamné en cassation, il garde l’espoir de se présenter à la présidentielle.
Idrissa Seck et plusieurs opposants veulent déposer un recours auprès de la Cour de justice de la Cedeao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), afin d’attaquer en inconstitutionnalité la loi sur les parrainages. Une initiative qui pourrait contribuer à régionaliser la querelle politique au Sénégal. Une mauvaise nouvelle pour Macky Sall.
Le Monde Afrique