Dans cette enquête, Abdou Latif Coulibaly démontre comment, Philipe Buchbinder, le promoteur, par des manœuvres, a réussi à s’emparer d’une partie du patrimoine national. Aussi, met-il en évidence les différentes étapes de l’opération qui s’est déroulée entre la capitale sénégalaise et les Iles Seychelles.
Il n’y a presque pas âme qui vit ce matin dans le centre commercial « les Quatre C », débaptisé et pompeusement rebaptisé Central Park.sn. Un silence de cathédrale règne à l’intérieur de la bâtisse moderne. Avec son architecture imposante n’ayant rien de particulier, sinon sa manière quelque peu originale de rendre moins laid le bloc de béton posé à la jonction de l’autoroute et de l’Avenue Malick Sy. Un amas de béton qui s’intègre parfaitement dans son environnement largement dominé par ce toboggan quelconque tenant lieu d’ouvrage de fluidification du trafic automobile. Un trafic qui, pourtant, étouffe plus que jamais la ville en cet endroit. Un bâtiment fermé sur lui-même et qui peine à respirer. Rien de ce qui a été vendu aux Sénégalais à l’annonce de l’arrivée des « Quatre C », n’a été vraiment réalisé. A l‘intérieur de ce qui était attendu comme le plus grand centre commercial de l’Afrique de l’Ouest, peu de magasins sont ouverts. Cinq au premier étage et trois au second.
Nous sommes au tout début de l’année 2002. Les Dakarois découvrent dans les rues de leur ville des panneaux publicitaires qui font rêver plus d’un commerçant, mais passionnent également les citoyens aimant lécher les vitrines et se promener dans les couloirs interminables des grands centres commerciaux modernes qui se remarquent par la liberté de mouvements et le sentiment d’évasion qu’ils procurent à leurs visiteurs. Le slogan de campagne est tout trouvé : « Bienvenu dans un nouveau monde, investir aux « Quatre C », le nouveau monde des affaires ». Le plan de communication est rondement mené. Rien n’est laissé au hasard, pour convaincre du sérieux du projet, de sa crédibilité, mais surtout de sa rentabilité, pour tous ceux qui auront investi dans ce projet qui était présenté comme étant l’affaire du siècle à Dakar. Un jeune cadre sénégalais, Taïb Touré qui vient de Bristol (Londres) en est le concepteur. Ce dernier confirme : « Nous avions une vision novatrice de ce projet. C’est ce qui nous avait convaincus de quitter notre travail en Europe pour venir accompagner la mise en place des Quatre C. Tel qu’il avait été conçu à l’origine, le projet visait la mise en place d’un centre commercial, d’une cité des affaires, d’un espace alimentaire, d’un lieu de culte, d’une garderie d’enfants et d’un centre de soins infirmiers.
Tout était imaginé pour faire du site un lieu des affaires et de commerce de très grande envergure. En plus, le projet assurait un taux de rendement de 13 à 17%, à tous ceux qui prenaient le risque calculé de signer un contrat de réservation. » Bernard Madoff vendait le même type de rêve à tous ceux qui venaient vers lui. La même utopie, peut-être ! On sait maintenant ce qu’il en est advenu de ses promesses fantaisistes et du sort qui a été réservé à tous ceux qui lui ont fait confiance. Le 13 janvier 2003, le promoteur, Philipe Buchbinder, tente de rassurer. Il balaie d’un revers de main toutes les accusations et suspicions liées à l’acquisition de ce terrain de 22 mille mètres carrés sur lequel doit être édifié le centre commercial. Il apporte des précisions sur les sources de financement de son projet. Il révèle : « notre projet va coûter onze milliards de FCFA, dont 1 milliard et demi en fonds propres. Le projet bénéficie de l’appui financier de la Société générale de banque au Sénégal (Sgbs) et des aides financières de certains partenaires. Le reste du financement provient des sommes tirées des réservations, des ventes en location ou des ventes de pleine propriété ». Philipe Buchbinder reste muet sur les partenaires qui vont l’aider.
Tout a été mis en œuvre pour rendre parfaites les manœuvres qui ont permis de soutirer du patrimoine de l’Etat un important bien immobilier. Un terrain de 22 000 mètres carrés faisant, aujourd’hui, l’objet de grandes spéculations et de transactions financières en violation totale de tous les engagements de départ du promoteur. De nombreux citoyens, en particulier des commerçants, se retrouvent aujourd’hui grugés et trompés. Ils y ont cru et ont signé de nombreux contrats de réservation. Le projet et le rêve vendu se sont mués en un cauchemar sans nom. Il était bien élaboré et suffisamment persuasif. Morceaux choisis : « parce qu’avec 12 à 17% de rentabilité nette, l’achat d’un magasin aux Quatre C constitue l’un des meilleurs investissements commerciaux et immobiliers en Afrique de l’Ouest. » Le message se décline en plusieurs séquences. Il est placé sur plusieurs supports. L’idée directrice de la campagne de communication est concise. Elle est diffusée avec tact et intelligence. Elle ne varie presque pas : « parce qu’en investissant au Centre commercial les Quatre C, vous accédez enfin aux clés du succès universellement reconnu en matière de distribution : l’emplacement, l’accessibilité, le confort, l’offre, le service et la communication. » Le message est convainquant et a convaincu.
LES PREMIERS « PIGEONS »
Les premiers investisseurs se présentent aux portes des « Quatre C ». Les promoteurs éditent et distribuent des brochures qui subliment avec une rare efficacité le message. L’une d’elle ne tarit pas d’éloges sur Ousmane Loum : le premier investisseur à répondre à l’appel. Le promoteur le présente en ces termes : « M. Ousmane Loum est de la trempe des investisseurs sénégalais autodidactes. Après plus de 35 ans passés en France, il devient le numéro 1 à Marseille dans sa catégorie avec Touba Bazar (magasins de produits cosmétiques).
Son success history fait l’objet de plusieurs reportages sur TV5, en tant qu’étranger vivant en Europe ». Au moment des comptes, Ousmane Loum, premier investisseur, se considère aujourd’hui comme le premier pigeon d’une opération d’arnaque. Le premier investisseur a mis dans la cagnotte du promoteur 82 millions de FCFA. Il réclame à présent un acte de vente, au promoteur qui fait le mort. Les promesses faites dans les prospectus s’évaporent. Pire, le promoteur pose des actes de déloyauté inimaginables à l’endroit des investisseurs.
Au début de ses démêlées avec le promoteur, Ousmane Loum mène un combat solitaire pour que Philipe Buchbinder respecte ses engagements. Les délais de livraison inscrits sur les contrats de réservation s’allongent. De 12 mois, ces délais sont passés à quatre ans. Ousmane se bat seul contre un promoteur qui bénéficie de solides protections officielles. Autant dire qu’il s’agit là d’un « remake » du fameux combat David contre Goliath. David a alors eu la géniale idée d’aller chercher tous ceux qui ont investi et il en trouve plus d’une vingtaine. Ensemble, ils mettent en place une association qui a pris en main la lutte. Ils saisissent alors le juge des référés.
Les plaignants contestent la décision du promoteur « de soustraire des parties communes, en violant les dispositions contenues dans les contrats de réservation, le parking du centre commercial sur lequel il a engagé des travaux qui violent également les dispositions des contrats le liant aux commerçants. Ces mêmes contrats ont mentionné que les parties communes sont la propriété des réservations ». Le juge accède à leur demande et donne tort au promoteur. Ce dernier n’en a cure. La société Corfitex de Philipe Buchbinder qui gère les « Quatre C » nargue la justice et continue de menacer et de harceler les commerçants.
SUR LA ROUTE DES SEYCHELLES
Les îles Seychelles, situées dans l’océan indien, à des milliers de kilomètres du Sénégal, apparaissent dans le dossier des « Quatre C », comme le chemin par lequel est passé le nouvel actionnaire pour entrer dans le projet « Quatre C » qu’il a depuis lors débaptisé et rebaptisé « Central Park.sn ». C’est peut-être, aussi, sur cette même route que passeront les responsables actuels du projet pour faire main basse sur les 22000 mètres carrés de terre qui ont été concédés par l’Etat. Les parcelles sur lesquelles sont édifiées les « Quatre C » sont grevées de quatre hypothèques, toutes établies par l’ancien et le nouvel actionnaire. La Gazette a obtenu copie des bordereaux analytiques de l’ensemble de ces hypothèques.
A la lumière de ces bordereaux analytiques, on peut affirmer que le terrain sur lequel sont édifiées les « Quatre C » est « grevé d’une réserve de droit de reprise au profit de l’Etat du Sénégal et de quatre hypothèques conventionnelles de 800.000.000, de francs CFA, 2 279 810 000 de francs CFA. 2 470 000 000 de francs CFA provenant du titre d’origine devant faire l’objet d’un titre foncier distinct sur le numéro 8338 de la même circonscription ». Par ailleurs, une société dénommée « OLDRICH International », ayant son siège social aux Seychelles, Francis Rachel Street. PO Boxe 1312 victoria et immatriculée sous le numéro 40 243 a posé une hypothèque sur le terrain à la suite d’un crédit qu’il a concédé à Corfitex Trading propriétaire des « Quatre C ».
Ce qui est étonnant, c’est que la société seychelloise qui fait le crédit de 6 000 000 d’euros qui justifie l’hypothèque n’a jamais jugé utile de se faire représenter au Sénégal ni par un de ses dirigeants ni par un avocat. C’est plutôt un clerc de notaire qui plus est la propre fille du notaire qui a dressé tous les actes concernant les « Quatre C », qui la représente à Dakar. La demoiselle, NG Diop, à peine âgée d’une vingtaine d’années, dispose de la confiance totale d’une société étrangère qui prête un peu plus de 3 milliards de FCFA à une compagnie sénégalaise. Tout cela semble très bizarre.
LE MIC MAC FINANCIER AUTOUR DU PROJET
La Gazette est en mesure aujourd’hui de révéler que le projet a été financé par la mairie de Dakar, pour un montant de 3 milliards 800 millions, par les ventes aux commerçants pour un montant global de 3 milliards 400, par un emprunt concédé par la Sgbs pour un montant global de 1 milliard 200 millions et par un emprunt obligataire sur le marché régional d’un montant de 5 milliards de FCFA. Ce qui donne un montant global de 13 milliards 800 millions de FCFA. Contrairement à ce que le maire sortant de Dakar déclarait dans un communiqué de presse rendu public le 30 décembre 2002 : « la mairie n’a jamais été, ni de près ni de loin, impliquée dans la cession de ce terrain qui, en décembre 1999, a fait l’objet d’un bail de 30 ans entre l’Etat et un promoteur privé. Les investissements prévus pour la création du complexe, compte tenu de leur importance (7,8 milliards) devaient amener les promoteurs, pour des questions de sécurité à solliciter le transfert de propriété du terrain, objet du titre foncier 30 925 Dakar Gorée, devenu 455 de l’arrondissement de Grand Dakar. »
L’emprunt lancé sur le marché financier a été garanti par le Fonds de solidarité africaine et par le Fagace. La mairie a versé un total de 3 milliards 400 millions sur un global prévu de 3 milliards 800 millions. Ce qui aurait représenté un taux de participation au capital de 33%. C’est le conseiller municipal Abdou Salam Basse qui représentait la commune dans le conseil d’administration de la société Corfitex, promoteur du centre commercial. La marie a fait un premier versement pour un montant d’un milliard, un deuxième versement de 2 milliards 400 millions est intervenu. Après ce deuxième versement, un conflit a éclaté entre le maire de Dakar et le promoteur Buchbinder. Et pour cause ! Un ancien collaborateur du maire sortant de Dakar explique : « la mairie avait relevé de graves malversations à la suite du deuxième versement.
Nous avions constaté à la suite d’enquêtes discrètes que nous avions menées, que d’importantes sommes d’argent ont été prélevées sur les montants versés par la commune pour atterrir dans des caisses autres que celles du projet ». Ces montants détournés sont estimés à, au moins 500 millions de FCFA, à en croire nos sources. A la suite de ce différend, en tout état de cause, le promoteur français qui travaillait avec le maire, a trouvé d’autres interlocuteurs au sommet de l’Etat avec qui il a préféré traiter directement. Depuis lors les relations entre le maire sortant et le patron de Corfitex étaient devenues orageuses, mais ce dernier n’en avait cure.
Le projet du centre commercial s’est réalisé dans une totale nébuleuse avec des malversations qui ont empêché l’exécution de tous les travaux prévus sur le site. Par exemple, après le versement de la deuxième tranche de l’apport de la mairie de Dakar, plusieurs ordres de virements ont été effectués vers Monaco sur des comptes de personnes n’ayant rien à voir avec le projet, sinon celui d’être lié au promoteur. Par ailleurs, les fonds provenant de l’emprunt obligataire qui ont été garantis par le Fonds de solidarité africaine ont été montés et présentés au Conseil régional des valeurs mobilières sur la base de documents dont le sérieux restait à démontrer. En tout état de cause, sur la base d’une convention signée entre Corfitex et l’Unacois Def, prévoyant la construction et l’achat de 137 petits magasins, du type de ce qui existe aujourd’hui à Sandaga, pour un revenu global prévisionnel d’un milliard 700 millions que la Banque marocaine de commerce (BMC) capital a fait le montage qui a permis de lever les fonds.
Le hic, réside dans le fait que la société Corfitex savait dès le départ que ce montage ne tenait pas la route, car les contrats de réservation s’opposaient dans leurs clauses fondamentales à la réalisation de ce type de petits magasins dans l’enceinte des « Quatre C ». Il y avait manifestement une volonté de tromper le Conseil régional avec la complicité de BMC capital, dont le directeur de l’époque Adnan Chimanti n’avait pas fait preuve de vigilance et de rigueur. C’est le moins qu’on puisse dire. Dès que l’emprunt a été réalisé, le promoteur s’est empressé de jeter à la poubelle la convention signée avec l’Unacois Def, en ordonnant le remboursement de tous les commerçants qui avaient déjà avancé de l’argent sur la base de cette convention. Tous ont été remboursés, moins d’un mois après la mise en place des 5 milliards d’emprunt obligataire. Quand les premières échéances de l’emprunt obligataire sont tombées, la société Corfitex a été défaillante.
Le Fonds de solidarité africaine a alors vite fait de demander qu’on appelle le garant, c’est-à-dire lui-même. Si la procédure avait été menée à terme, le Fonds aurait pris la gestion du centre, en se substituant au promoteur. Cette éventualité effrayait le promoteur et ses amis qui ont alors remué ciel et terre pour l’empêcher. Philipe Buchbinder a vendu un appartement qu’il avait acheté en France pour honorer les échéances. Ce n’était pas suffisant. Il fallait alors trouver les moyens de renflouer Corfitex avec l’appui d’un nouvel actionnaire susceptible d’apporter son concours. L’argent collecté pour édifier le centre commercial les « Quatre C » est estimé à au moins 11 milliards de FCFA. Un peu moins de cinq milliards de ces 11 milliards ont été effectivement dépensé pour construire le bâtiment qui tient lieu de centre commercial.
Où sont passés les six autres milliards ? C’est à cette question que le nouveau maire de Dakar doit répondre. Et les citoyens l’attendent, car la nouvelle équipe municipale ne peut pas passer à pertes et profits les immenses sommes d’argent qui ont été dépensées pour la mise en place du projet « Quatre C ».
QUEL AVENIR POUR LES « QUATRE C »
Tous les Sénégalais qui ont cru en ce projet se posent beaucoup de questions. La Mairie a mis, rappelons-le, la somme de 3 milliards 400 millions dans ce projet. Elle risque de tout perdre. Une société d’Etat, comme la Senelec qui peine à assurer le service qu’on attend d’elle, faute de moyens financiers a acquis des espaces bureaux s’étendant sur une superficie de 141 mètres carrés, pour un coût global de 300 millions. Ces espaces sont fermés, ils n’ont jamais servi. A l’époque, on avait convaincu les dirigeants de la société d’Etat à investir dans le projet, comme la société des Postes avait été également sollicitée. Toutes les sommes d’argent mobilisées ont été distribuées entre les promoteurs, certaines personnalités et de hauts fonctionnaires de l’Etat. Une partie de ces sommes est orientée vers d’autres destinations. Seul le grand bâtiment tenant lieu de centre commercial a été édifié.
Le nouvel actionnaire, assureur de son état, n’a manifestement pas l’intention de garder le projet dans la vision et la philosophie l’ayant fondé. Nous avons appris auprès de nos sources qu’un important projet immobilier qui devrait permettre la réalisation de 15 000 logements affectés à des fonctionnaires choisis de l’Etat verra le jour dans les prochains mois. Sa réalisation est prévue à la Zac Mbao, sur une superficie de 150.000 m2, sur la nationale1. Ce projet sortira de terre sous la houlette de certains hommes étroitement liés au projet initial des « Quatre C ». Espérons que ce projet n’a rien à voir avec la révélation faite par le Chef de l’Etat lors de son dernier discours à la Nation, quand il a informé le peuple qu’il avait en main un projet de construction de 15 000 logements à Dakar.
Abdou Latif COULIBALY lagazette.com
Il n’y a presque pas âme qui vit ce matin dans le centre commercial « les Quatre C », débaptisé et pompeusement rebaptisé Central Park.sn. Un silence de cathédrale règne à l’intérieur de la bâtisse moderne. Avec son architecture imposante n’ayant rien de particulier, sinon sa manière quelque peu originale de rendre moins laid le bloc de béton posé à la jonction de l’autoroute et de l’Avenue Malick Sy. Un amas de béton qui s’intègre parfaitement dans son environnement largement dominé par ce toboggan quelconque tenant lieu d’ouvrage de fluidification du trafic automobile. Un trafic qui, pourtant, étouffe plus que jamais la ville en cet endroit. Un bâtiment fermé sur lui-même et qui peine à respirer. Rien de ce qui a été vendu aux Sénégalais à l’annonce de l’arrivée des « Quatre C », n’a été vraiment réalisé. A l‘intérieur de ce qui était attendu comme le plus grand centre commercial de l’Afrique de l’Ouest, peu de magasins sont ouverts. Cinq au premier étage et trois au second.
Nous sommes au tout début de l’année 2002. Les Dakarois découvrent dans les rues de leur ville des panneaux publicitaires qui font rêver plus d’un commerçant, mais passionnent également les citoyens aimant lécher les vitrines et se promener dans les couloirs interminables des grands centres commerciaux modernes qui se remarquent par la liberté de mouvements et le sentiment d’évasion qu’ils procurent à leurs visiteurs. Le slogan de campagne est tout trouvé : « Bienvenu dans un nouveau monde, investir aux « Quatre C », le nouveau monde des affaires ». Le plan de communication est rondement mené. Rien n’est laissé au hasard, pour convaincre du sérieux du projet, de sa crédibilité, mais surtout de sa rentabilité, pour tous ceux qui auront investi dans ce projet qui était présenté comme étant l’affaire du siècle à Dakar. Un jeune cadre sénégalais, Taïb Touré qui vient de Bristol (Londres) en est le concepteur. Ce dernier confirme : « Nous avions une vision novatrice de ce projet. C’est ce qui nous avait convaincus de quitter notre travail en Europe pour venir accompagner la mise en place des Quatre C. Tel qu’il avait été conçu à l’origine, le projet visait la mise en place d’un centre commercial, d’une cité des affaires, d’un espace alimentaire, d’un lieu de culte, d’une garderie d’enfants et d’un centre de soins infirmiers.
Tout était imaginé pour faire du site un lieu des affaires et de commerce de très grande envergure. En plus, le projet assurait un taux de rendement de 13 à 17%, à tous ceux qui prenaient le risque calculé de signer un contrat de réservation. » Bernard Madoff vendait le même type de rêve à tous ceux qui venaient vers lui. La même utopie, peut-être ! On sait maintenant ce qu’il en est advenu de ses promesses fantaisistes et du sort qui a été réservé à tous ceux qui lui ont fait confiance. Le 13 janvier 2003, le promoteur, Philipe Buchbinder, tente de rassurer. Il balaie d’un revers de main toutes les accusations et suspicions liées à l’acquisition de ce terrain de 22 mille mètres carrés sur lequel doit être édifié le centre commercial. Il apporte des précisions sur les sources de financement de son projet. Il révèle : « notre projet va coûter onze milliards de FCFA, dont 1 milliard et demi en fonds propres. Le projet bénéficie de l’appui financier de la Société générale de banque au Sénégal (Sgbs) et des aides financières de certains partenaires. Le reste du financement provient des sommes tirées des réservations, des ventes en location ou des ventes de pleine propriété ». Philipe Buchbinder reste muet sur les partenaires qui vont l’aider.
Tout a été mis en œuvre pour rendre parfaites les manœuvres qui ont permis de soutirer du patrimoine de l’Etat un important bien immobilier. Un terrain de 22 000 mètres carrés faisant, aujourd’hui, l’objet de grandes spéculations et de transactions financières en violation totale de tous les engagements de départ du promoteur. De nombreux citoyens, en particulier des commerçants, se retrouvent aujourd’hui grugés et trompés. Ils y ont cru et ont signé de nombreux contrats de réservation. Le projet et le rêve vendu se sont mués en un cauchemar sans nom. Il était bien élaboré et suffisamment persuasif. Morceaux choisis : « parce qu’avec 12 à 17% de rentabilité nette, l’achat d’un magasin aux Quatre C constitue l’un des meilleurs investissements commerciaux et immobiliers en Afrique de l’Ouest. » Le message se décline en plusieurs séquences. Il est placé sur plusieurs supports. L’idée directrice de la campagne de communication est concise. Elle est diffusée avec tact et intelligence. Elle ne varie presque pas : « parce qu’en investissant au Centre commercial les Quatre C, vous accédez enfin aux clés du succès universellement reconnu en matière de distribution : l’emplacement, l’accessibilité, le confort, l’offre, le service et la communication. » Le message est convainquant et a convaincu.
LES PREMIERS « PIGEONS »
Les premiers investisseurs se présentent aux portes des « Quatre C ». Les promoteurs éditent et distribuent des brochures qui subliment avec une rare efficacité le message. L’une d’elle ne tarit pas d’éloges sur Ousmane Loum : le premier investisseur à répondre à l’appel. Le promoteur le présente en ces termes : « M. Ousmane Loum est de la trempe des investisseurs sénégalais autodidactes. Après plus de 35 ans passés en France, il devient le numéro 1 à Marseille dans sa catégorie avec Touba Bazar (magasins de produits cosmétiques).
Son success history fait l’objet de plusieurs reportages sur TV5, en tant qu’étranger vivant en Europe ». Au moment des comptes, Ousmane Loum, premier investisseur, se considère aujourd’hui comme le premier pigeon d’une opération d’arnaque. Le premier investisseur a mis dans la cagnotte du promoteur 82 millions de FCFA. Il réclame à présent un acte de vente, au promoteur qui fait le mort. Les promesses faites dans les prospectus s’évaporent. Pire, le promoteur pose des actes de déloyauté inimaginables à l’endroit des investisseurs.
Au début de ses démêlées avec le promoteur, Ousmane Loum mène un combat solitaire pour que Philipe Buchbinder respecte ses engagements. Les délais de livraison inscrits sur les contrats de réservation s’allongent. De 12 mois, ces délais sont passés à quatre ans. Ousmane se bat seul contre un promoteur qui bénéficie de solides protections officielles. Autant dire qu’il s’agit là d’un « remake » du fameux combat David contre Goliath. David a alors eu la géniale idée d’aller chercher tous ceux qui ont investi et il en trouve plus d’une vingtaine. Ensemble, ils mettent en place une association qui a pris en main la lutte. Ils saisissent alors le juge des référés.
Les plaignants contestent la décision du promoteur « de soustraire des parties communes, en violant les dispositions contenues dans les contrats de réservation, le parking du centre commercial sur lequel il a engagé des travaux qui violent également les dispositions des contrats le liant aux commerçants. Ces mêmes contrats ont mentionné que les parties communes sont la propriété des réservations ». Le juge accède à leur demande et donne tort au promoteur. Ce dernier n’en a cure. La société Corfitex de Philipe Buchbinder qui gère les « Quatre C » nargue la justice et continue de menacer et de harceler les commerçants.
SUR LA ROUTE DES SEYCHELLES
Les îles Seychelles, situées dans l’océan indien, à des milliers de kilomètres du Sénégal, apparaissent dans le dossier des « Quatre C », comme le chemin par lequel est passé le nouvel actionnaire pour entrer dans le projet « Quatre C » qu’il a depuis lors débaptisé et rebaptisé « Central Park.sn ». C’est peut-être, aussi, sur cette même route que passeront les responsables actuels du projet pour faire main basse sur les 22000 mètres carrés de terre qui ont été concédés par l’Etat. Les parcelles sur lesquelles sont édifiées les « Quatre C » sont grevées de quatre hypothèques, toutes établies par l’ancien et le nouvel actionnaire. La Gazette a obtenu copie des bordereaux analytiques de l’ensemble de ces hypothèques.
A la lumière de ces bordereaux analytiques, on peut affirmer que le terrain sur lequel sont édifiées les « Quatre C » est « grevé d’une réserve de droit de reprise au profit de l’Etat du Sénégal et de quatre hypothèques conventionnelles de 800.000.000, de francs CFA, 2 279 810 000 de francs CFA. 2 470 000 000 de francs CFA provenant du titre d’origine devant faire l’objet d’un titre foncier distinct sur le numéro 8338 de la même circonscription ». Par ailleurs, une société dénommée « OLDRICH International », ayant son siège social aux Seychelles, Francis Rachel Street. PO Boxe 1312 victoria et immatriculée sous le numéro 40 243 a posé une hypothèque sur le terrain à la suite d’un crédit qu’il a concédé à Corfitex Trading propriétaire des « Quatre C ».
Ce qui est étonnant, c’est que la société seychelloise qui fait le crédit de 6 000 000 d’euros qui justifie l’hypothèque n’a jamais jugé utile de se faire représenter au Sénégal ni par un de ses dirigeants ni par un avocat. C’est plutôt un clerc de notaire qui plus est la propre fille du notaire qui a dressé tous les actes concernant les « Quatre C », qui la représente à Dakar. La demoiselle, NG Diop, à peine âgée d’une vingtaine d’années, dispose de la confiance totale d’une société étrangère qui prête un peu plus de 3 milliards de FCFA à une compagnie sénégalaise. Tout cela semble très bizarre.
LE MIC MAC FINANCIER AUTOUR DU PROJET
La Gazette est en mesure aujourd’hui de révéler que le projet a été financé par la mairie de Dakar, pour un montant de 3 milliards 800 millions, par les ventes aux commerçants pour un montant global de 3 milliards 400, par un emprunt concédé par la Sgbs pour un montant global de 1 milliard 200 millions et par un emprunt obligataire sur le marché régional d’un montant de 5 milliards de FCFA. Ce qui donne un montant global de 13 milliards 800 millions de FCFA. Contrairement à ce que le maire sortant de Dakar déclarait dans un communiqué de presse rendu public le 30 décembre 2002 : « la mairie n’a jamais été, ni de près ni de loin, impliquée dans la cession de ce terrain qui, en décembre 1999, a fait l’objet d’un bail de 30 ans entre l’Etat et un promoteur privé. Les investissements prévus pour la création du complexe, compte tenu de leur importance (7,8 milliards) devaient amener les promoteurs, pour des questions de sécurité à solliciter le transfert de propriété du terrain, objet du titre foncier 30 925 Dakar Gorée, devenu 455 de l’arrondissement de Grand Dakar. »
L’emprunt lancé sur le marché financier a été garanti par le Fonds de solidarité africaine et par le Fagace. La mairie a versé un total de 3 milliards 400 millions sur un global prévu de 3 milliards 800 millions. Ce qui aurait représenté un taux de participation au capital de 33%. C’est le conseiller municipal Abdou Salam Basse qui représentait la commune dans le conseil d’administration de la société Corfitex, promoteur du centre commercial. La marie a fait un premier versement pour un montant d’un milliard, un deuxième versement de 2 milliards 400 millions est intervenu. Après ce deuxième versement, un conflit a éclaté entre le maire de Dakar et le promoteur Buchbinder. Et pour cause ! Un ancien collaborateur du maire sortant de Dakar explique : « la mairie avait relevé de graves malversations à la suite du deuxième versement.
Nous avions constaté à la suite d’enquêtes discrètes que nous avions menées, que d’importantes sommes d’argent ont été prélevées sur les montants versés par la commune pour atterrir dans des caisses autres que celles du projet ». Ces montants détournés sont estimés à, au moins 500 millions de FCFA, à en croire nos sources. A la suite de ce différend, en tout état de cause, le promoteur français qui travaillait avec le maire, a trouvé d’autres interlocuteurs au sommet de l’Etat avec qui il a préféré traiter directement. Depuis lors les relations entre le maire sortant et le patron de Corfitex étaient devenues orageuses, mais ce dernier n’en avait cure.
Le projet du centre commercial s’est réalisé dans une totale nébuleuse avec des malversations qui ont empêché l’exécution de tous les travaux prévus sur le site. Par exemple, après le versement de la deuxième tranche de l’apport de la mairie de Dakar, plusieurs ordres de virements ont été effectués vers Monaco sur des comptes de personnes n’ayant rien à voir avec le projet, sinon celui d’être lié au promoteur. Par ailleurs, les fonds provenant de l’emprunt obligataire qui ont été garantis par le Fonds de solidarité africaine ont été montés et présentés au Conseil régional des valeurs mobilières sur la base de documents dont le sérieux restait à démontrer. En tout état de cause, sur la base d’une convention signée entre Corfitex et l’Unacois Def, prévoyant la construction et l’achat de 137 petits magasins, du type de ce qui existe aujourd’hui à Sandaga, pour un revenu global prévisionnel d’un milliard 700 millions que la Banque marocaine de commerce (BMC) capital a fait le montage qui a permis de lever les fonds.
Le hic, réside dans le fait que la société Corfitex savait dès le départ que ce montage ne tenait pas la route, car les contrats de réservation s’opposaient dans leurs clauses fondamentales à la réalisation de ce type de petits magasins dans l’enceinte des « Quatre C ». Il y avait manifestement une volonté de tromper le Conseil régional avec la complicité de BMC capital, dont le directeur de l’époque Adnan Chimanti n’avait pas fait preuve de vigilance et de rigueur. C’est le moins qu’on puisse dire. Dès que l’emprunt a été réalisé, le promoteur s’est empressé de jeter à la poubelle la convention signée avec l’Unacois Def, en ordonnant le remboursement de tous les commerçants qui avaient déjà avancé de l’argent sur la base de cette convention. Tous ont été remboursés, moins d’un mois après la mise en place des 5 milliards d’emprunt obligataire. Quand les premières échéances de l’emprunt obligataire sont tombées, la société Corfitex a été défaillante.
Le Fonds de solidarité africaine a alors vite fait de demander qu’on appelle le garant, c’est-à-dire lui-même. Si la procédure avait été menée à terme, le Fonds aurait pris la gestion du centre, en se substituant au promoteur. Cette éventualité effrayait le promoteur et ses amis qui ont alors remué ciel et terre pour l’empêcher. Philipe Buchbinder a vendu un appartement qu’il avait acheté en France pour honorer les échéances. Ce n’était pas suffisant. Il fallait alors trouver les moyens de renflouer Corfitex avec l’appui d’un nouvel actionnaire susceptible d’apporter son concours. L’argent collecté pour édifier le centre commercial les « Quatre C » est estimé à au moins 11 milliards de FCFA. Un peu moins de cinq milliards de ces 11 milliards ont été effectivement dépensé pour construire le bâtiment qui tient lieu de centre commercial.
Où sont passés les six autres milliards ? C’est à cette question que le nouveau maire de Dakar doit répondre. Et les citoyens l’attendent, car la nouvelle équipe municipale ne peut pas passer à pertes et profits les immenses sommes d’argent qui ont été dépensées pour la mise en place du projet « Quatre C ».
QUEL AVENIR POUR LES « QUATRE C »
Tous les Sénégalais qui ont cru en ce projet se posent beaucoup de questions. La Mairie a mis, rappelons-le, la somme de 3 milliards 400 millions dans ce projet. Elle risque de tout perdre. Une société d’Etat, comme la Senelec qui peine à assurer le service qu’on attend d’elle, faute de moyens financiers a acquis des espaces bureaux s’étendant sur une superficie de 141 mètres carrés, pour un coût global de 300 millions. Ces espaces sont fermés, ils n’ont jamais servi. A l’époque, on avait convaincu les dirigeants de la société d’Etat à investir dans le projet, comme la société des Postes avait été également sollicitée. Toutes les sommes d’argent mobilisées ont été distribuées entre les promoteurs, certaines personnalités et de hauts fonctionnaires de l’Etat. Une partie de ces sommes est orientée vers d’autres destinations. Seul le grand bâtiment tenant lieu de centre commercial a été édifié.
Le nouvel actionnaire, assureur de son état, n’a manifestement pas l’intention de garder le projet dans la vision et la philosophie l’ayant fondé. Nous avons appris auprès de nos sources qu’un important projet immobilier qui devrait permettre la réalisation de 15 000 logements affectés à des fonctionnaires choisis de l’Etat verra le jour dans les prochains mois. Sa réalisation est prévue à la Zac Mbao, sur une superficie de 150.000 m2, sur la nationale1. Ce projet sortira de terre sous la houlette de certains hommes étroitement liés au projet initial des « Quatre C ». Espérons que ce projet n’a rien à voir avec la révélation faite par le Chef de l’Etat lors de son dernier discours à la Nation, quand il a informé le peuple qu’il avait en main un projet de construction de 15 000 logements à Dakar.
Abdou Latif COULIBALY lagazette.com