Dans un procès pénal, avant de se défendre sur le fond, la défense est fondée à invoquer des exceptions qui consistent à développer des moyens pour contester la procédure. Les exceptions suivantes ont été présentées par la défense au cours du procès, exceptions sur lesquelles le tribunal doit se prononcer.
- Exception d’incompétence :
La défense a soulevé l’exception d’incompétence en soutenant que le tribunal correctionnel n’est pas compétent pour juger cette affaire. En effet, suivant les dispositions de la loi organique sur la Cour des Comptes et du Code général des Collectivités locales, la Cour des Comptes est seule juge des comptes des collectivités locales. Exerçant une compétence exclusive, elle est seule habilitée à connaitre de la gestion des collectivités locales. Dès lors, le Tribunal de Grande Instance de Dakar, siégeant en matière correctionnelle, est incompétente pour connaître de cette affaire.
- Exception de prescription pour tous les faits antérieurs au 03 mars 2014 : (sauf pour le délit de détournement de deniers publics)
L’exception tirée de la prescription de l'action publique s’attache aux faits, indépendamment des personnes en cause. Elle entraîne l'extinction du droit de poursuivre après écoulement d'un certain délai. Dans cette affaire, à l’exception du délit de détournement de deniers publics, tous les autres faits qualifiés d’infractions pénales qui auraient été commis avant le 03 mars 2014, sont tous prescrits, c'est-à-dire effacés par le temps et ne pouvaient plus fonder des poursuites.
- Exception de la chose jugée
Les comptes de la Ville de Dakar sont soumis à la Cour des Comptes qui dispose d’un délai de 5 ans pour les juger. Passé ce délai, la loi considère que ces comptes ont été validés. Il s’en évince qu’au moins le compte de gestion de l’année 2011, a été validé par la Cour des Comptes par jugement implicite et qu’en vertu de l’autorité de la chose jugée, le tribunal correctionnel ne peut statuer sur le compte de gestion de l’année 2011. Par ailleurs, le principe de l’intangibilité des comptes interdit au juge de remettre en cause ces comptes de 2011
- Exception de litispendance en raison de la saisine de la Cour des Comptes pour les exercices de 2012 à aujourd’hui
La défense a soulevé l’exception litispendance qui signifie que deux juridictions sont saisies du même litige. Les comptes de gestion des années 2012, 2013, 2014 et 2015 étant en attente de jugement devant la Cour des Comptes, le Tribunal correctionnel ne peut pas statuer sur ces comptes de gestion. En effet, il est interdit à une juridiction de statuer sur une affaire qui est pendante devant une autre juridiction.
- Le Président de la République a saisi l’autorité judiciaire d’un rapport de l’Inspection Générale d’Etat (IGE) sans un décret préalable de dèclassification
La transmission du rapport de l’Inspection Générale d’Etat (IGE) au procureur a été faite sans fondement juridique et sans un décret préalable de déclassification, alors qu’il s’agit d’un rapport classé « secret ».
- Le rapport de l’Inspection Générale d’Etat qui fonde les poursuites, n’est pas versé dans le dossier (seuls quelques extraits sont produits)
Le rapport de l’Inspection Générale d’Etat (IGE) n’a pas été transmis à la défense mais uniquement au procureur, entraînant une rupture d’égalité entre les parties au procès, en violation du droit à un procès équitable conformément aux conventions internationales signées et ratifiées par notre pays.
- Le rapport de l’Inspection Général d’Etat est nul pour violation de la loi car la loi portant création de l’IGE, ne lui permet que de vérifier les entités de l’Etat et non les collectivités publiques
La mission de vérification de l’Inspection Général d’Etat à la Ville de Dakar porte atteinte à la loi portant création de l’IGE. Suivant les dispositions de cette loi, l’IGE vérifie seulement les structures de l’Etat central et non les collectivités locales. En effet, seule la Cour des Comptes est compétente pour juger les comptes des collectivités en vertu des dispositions de la loi organique sur la Cour des Comptes et du Code général des Collectivités locales.
- Le procès-verbal d’enquête préliminaire ne mentionne aucun avis donné aux personnes entendues du droit qu’ils avaient d’être assistées par un avocat
L’article 14-3-d du Pacte international relatif aux droits civils et politiques prévoit : « …toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes : d) à être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ; si elle n’a pas de défenseur, à être informée de son droit d’en avoir un… ».
De même l’article 7-1-c de la Charte Africaine des droits de l’Homme et des peuples prévoit : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :…c. le droit à la défense y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix ;… ».
En outre, l’article 5 du règlement n°05/CM/UEMOA du Règlement relatif à l'harmonisation des règles régissant la profession d'avocat dans l'espace UEMOA, stipule: « Les Avocats assistent leurs clients dès leur interpellation, durant l’enquête préliminaire, dans les locaux de la police, de la gendarmerie, ou devant le parquet.
A ce stade, aucune lettre de constitution ne peut être exigée de l’Avocat.
Les Avocats assistent et défendent leurs clients dès la première comparution devant le juge d’instruction ».
Il est établi que les prévenus n’ont pas été assistés et défendus par un avocat lors de l’enquête préliminaire de la police sénégalaise, en violation des dispositions de l’article 5 du règlement n°05/CM/UEMOA du Règlement relatif à l'harmonisation des règles régissant la profession d'avocat dans l'espace UEMOA et de l’article 55 du Code de Procédure pénale. Il est également établi que la police sénégalaise a interdit à un des avocats de Khalifa Sall, l’accès à ses locaux au moment de son audition.
- Le réquisitoire introductif du Procureur de la République ne vise aucun fait (mais se limite à viser le rapport de l’Inspection Générale d’Etat et le procès-verbal d’enquête préliminaire).
Dans son réquisitoire introductif adressé au Doyen des juges pour l’ouverture d’une information judiciaire, le procureur a listé des infractions pénales en visant le rapport de l’Inspection Générale d’Etat et le procès-verbal d’enquête préliminaire. Or suivant les dispositions du Code de Procédure pénale, le procureur doit requérir sur des faits qu’il doit expressément viser, sous peine de nullité du réquisitoire.
- Le doyen des juges ne vise dans aucun de ses actes, le décret l’ayant nommé à ses fonctions
L’ordonnance de renvoi du doyen des juges ne mentionne pas le décret qui l’a nommé à ses fonctions en violation de la loi.
- Les conseils des inculpés n’ont pas été autorisés à assister leurs clients à l’interrogatoire de première comparution.
Le doyen des juges a refusé que les inculpés soient assistés et défendus par un avocat lors de l’interrogatoire de première comparution, en violation des dispositions de l’article 5 du règlement n°05/CM/UEMOA du Règlement relatif à l'harmonisation des règles régissant la profession d'avocat dans l'espace UEMOA et de l’article 55 du Code de Procédure pénale.
- Monsieur Khalifa Ababacar SALL n’a pas été mis en liberté d’office dès que le Conseil Constitutionnel a proclamé les résultats des élections législatives.
A compter de la proclamation des résultats définitifs des élections législatives par décision du Conseil Constitutionnel du 14 août 2017, Khalifa SALL, élu à l’assemblée nationale, bénéficie de l’immunité parlementaire conformément aux dispositions de l’article 61 de la Constitution et de l’article 51 de la loi organique portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
Or, malgré la requête de ses avocats, le juge d’instruction a refusé de lui accorder la liberté d’office. En application des dispositions ci-dessus, son maintien en détention consacre une détention arbitraire et constitue une violation de la loi et une méconnaissance de l’inviolabilité du mandat du député Khalifa SALL.
- Les personnes inculpées de complicité n’ont pas été mises en liberté d’office dans les 6 mois du mandat de dépôt.
En matière délictuelle, le juge est tenu d’accorder une liberté d’office aux personnes inculpées et placées sous mandat de dépôt si elles ne sont pas jugées dans un délai de six mois à compter de leur détention. Dans le cas d’espèce, tous les inculpés de complicité ont été maintenus en détention en violation de la loi pénale.
- Le juge d’instruction a rendu une ordonnance de renvoi en passant outre l’appel formé contre l’ordonnance de refus d’ordonner une expertise.
L’article 181 du Code de procédure pénale dispose : « Lorsqu’il est interjeté appel d’une ordonnance autre qu’une ordonnance de règlement, le juge d’instruction poursuit son information, sauf décision contraire de la chambre d’accusation. »
En violation de cette disposition, le juge d’instruction a clôturé l’instruction alors que même qu’un appel avait été formé devant la chambre d’accusation contre son ordonnance de refus d’audition des témoins et son ordonnance de refus d’expertise. En effet, ces appels qui lui ont été notifiés, l'empêchaient de rendre une ordonnance de renvoi et l’obligeaient à poursuivre l’instruction dans l’attente d’une décision de la chambre d’accusation, et le cas échéant, de la chambre criminelle de la Cour suprême.
- La demande de levée de l’immunité parlementaire de Khalifa Ababacar SALL devait être faite par voie de réquisitoire.
En cours d’instruction, il appartenait au doyen des juges de saisir le Ministère de la Justice pour demander la levée de l’immunité parlementaire du député Khalifa SALL. Le procureur, qui est dessaisi du dossier du fait de l’ouverture de l‘information judiciaire, ne pouvait pas, sans violer la loi, demander la levée de l’immunité parlementaire par voie de réquisitoire.
- L’information a été reprise après la demande de levée de l’immunité parlementaire sans production d’un procès-verbal de l’Assemblée Nationale, autorisant des poursuites contre le député Khalifa Ababacar SALL.
- Le réquisitoire définitif du Procureur de la République est nul pour non constatation de la levée de l’immunité parlementaire
- Le juge d’instruction n’a pas pris un nouvel avis de clôture après la prétendue levée de l’immunité parlementaire.
L’avis de clôture en date du 03 avril 2017 est devenu caduc après la prétendue levée de l’immunité parlementaire du député Khalifa SALL. Le doyen des juges était tenu, par ce fait, de prendre un nouvel avis de clôture et l’adresser à tous les avocats, pour leur permettre de faire des observations avant la clôture de l’instruction.
- Le conseil de la dame Fatou TRAORE n’a jamais reçu un avis de clôture de l’information.
Comme tous les avocats de la défense, Maître Doudou NDOYE, avocat de Fatou TRAORE, devait recevoir l’avis de clôture de l’information pour lui permettre de faire valoir ses observations. Même s’il ne s’est constitué qu’en septembre 2017, le doyen des juges avait l’obligation de lui transmettre cet avis puisqu’il a eu connaissance de sa constitution en faveur de Fatou TRAORE, constitution qui lui a été notifiée par écrit.
- Le juge d’instruction a injustement refusé aux inculpés le droit de faire entendre des témoins.
- Le Procureur de la République n’a pas signifié aux inculpés l’ordonnance du juge d’instruction rejetant la demande d’expertise.
- L’ordonnance de renvoi ne constate pas la levée de l’immunité parlementaire de Khalifa SALL
En conclusion, l’exception de procédure, qui conteste la régularité de la procédure, est définie comme tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours. Dans notre espèce, les exceptions soulevées par la défense visent à faire annuler la procédure. Le tribunal a décidé de les joindre au fond mais se prononcera vendredi, sur l’exception d’incompétence, l’exception de litispendance et sur la demande de liberté provisoire contre cautionnement.