Franco-sénégalais, le conseiller spécial du secrétaire d’État aux Affaires étrangères, plaide pour « une mutualisation des élites » des deux continents.
Costume sombre et cravate bleue, l’élégant Kibily Touré arpente d’un pas assuré les couloirs du Quai d’Orsay. Le conseiller spécial du secrétaire d’État à l’Europe et aux Affaires étrangères reçoit dans un décor impersonnel, n’étaient quelques photographies où il pose en compagnie du président de la République. Malgré la solennité du lieu, le quadragénaire ne se fait pas prier pour se raconter, avec une certaine propension à la digression.
Franco-sénégalais, Kibily Touré est né en 1973, à Tambacounda, capitale de la région est du Sénégal qu’a administrée pendant près de vingt ans Souty Touré, son père. Ce dernier fut également ministre sous l’administration du président Abdou Diouf. « J’ai grandi dans l’ombre d’un homme de pouvoir. Je n’ai jamais eu de complexes. »
Attaché au Sénégal et à la France
Charmeur et décontracté, oui. Humble ? C’est à voir. « J’aime la simplicité », assure-t-il… mais on sent qu’il ne tiendra pas longtemps le rôle du modeste. Kibily Touré se qualifie lui-même d’« inattendu ». Le nouveau collaborateur de Jean-Baptiste Lemoyne, ex-sénateur Les Républicains, qui a pris ses fonctions de secrétaire d’État depuis juillet, est vite entré dans son costume de diplomate. Un rôle d’intermédiaire entre l’Afrique et la France pour celui qui n’a cessé, pendant plusieurs années, de jouer sur tous les tableaux.
Après des études en école de commerce, le jeune homme s’est envolé pour le Sénégal, où il a cultivé ses réseaux auprès des investisseurs français. Progressant dans le secteur aérien dans les années 2000, il se voit promu directeur général du développement Afrique chez Aigle Azur. Il démissionne pour protester contre le refus d’octroi des droits de trafic à la compagnie française. Il n’hésite pas non plus à s’opposer au président Wade lorsque celui-ci revend la société Sonacos à un homme d’affaires libanais, au détriment d’industriels français et de paysans locaux. Kibily Touré assume sa « loyauté » lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts de ses deux pays.
Kibily Touré, « Monsieur Afrique »
Le conseiller spécial milite en faveur d’une « mutualisation des élites », qui contribue, d’après lui, à « accélérer le développement en Afrique ». L’idée « n’a rien de révolutionnaire », nous raconte celui qui s’inscrit dans l’héritage de son oncle, Philippe Bas. Conseiller d’Abdou Diouf, celui-ci fut à la manœuvre de la réforme de la décentralisation aux côtés de Souty Touré, alors ministre délégué de l’Intérieur. « Après avoir servi le Sénégal, il est devenu l’un des plus brillants ministres de la France », nous rapporte, d’un air admiratif, celui pour qui ces allers-retours entre la France et l’Afrique semblent naturels. Lecteur assidu de Léopold Sédar Senghor, le conseiller spécial revendique fièrement l’héritage de l’ancien président sénégalais, militant infatigable des échanges culturels.
Kibily Touré n’est donc pas diplomate de carrière, mais il a été initié à l’intimité des relations franco-africaines. Désormais il met à profit sa connaissance du terrain aux Affaires étrangères. L’ambiance feutrée du Quai d’Orsay permet de « dissimuler la nervosité quotidienne », confie-t-il en énumérant ses déplacements des dix derniers jours : Paris-Dakar ; Dakar-Banjul ; Paris-New York… Mais rien ne rebute le nouveau « Monsieur Afrique ». « Je suis ici parce que j’ai des compétences », martèle-t-il pour justifier sa nomination.
Un homme engagé auprès du président français
Il faut dire que l’actuel secrétaire d’État et son conseiller spécial sont des amis de longue date. Ils appuyaient déjà en 2003 l’élection d’Abdou Diouf à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Dix ans plus tard, Kibily Touré est directeur de campagne de Jean-Baptiste Lemoyne lors des élections sénatoriales. Et le tandem s’est rapidement engagé aux côtés d’Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle. Kibily Touré a même fondé l’association des amis africains du candidat d’En marche !
Désormais, les vieux amis travaillent en binôme dans leur ministère et s’activent à la préparation du prochain sommet de la Francophonie. « La diplomatie française est l’une des plus dynamiques de la planète. L’élection d’Emmanuel Macron représente une opportunité historique que l’Afrique doit saisir », s’exclame le Franco-Sénégalais. Le plus jeune président de la Ve République affiche l’ambition de former une nouvelle relation avec le continent. « Je parie déjà sur sa (ré)élection dans cinq ans », nous dit tout de go le conseiller spécial. En attendant les prochaines élections, Kibily Touré savoure de voir sa destinée s’aligner sur ses ambitions.
Par Chayma Drira (jeuneafrique.com)