Le ministre explique la volonté de vendre le tiers des actions de l’Etat, soit 9 pour cent à France Telecom, générant environ 200 milliards de FCFA, par un besoin urgent d’argent pour financer le développement, les infrastructures et payer les dettes. A-t-il été pour autant convainquant ? Tout permet d’en douter. D’abord, d’un point de vue strictement financier, l’Etat doit faire un arbitrage entre les gains immédiats tirés de la cession de ses parts et les rentes futures qu’il tirera des bénéfices de la Sonatel. Et, considérant la progression fulgurante des résultats financiers de la société, un rapide calcul permet de démontrer que l’Etat a choisi une politique de courte vue, car il aurait pu retrouver (en gardant les 9%), en moins de dix ans, les 137 milliards de FCFA qui seraient effectivement versés par France Télécom (inférieurs aux 200 milliards de FCFA annoncés qui incluent des dividendes exceptionnels et autres). Plutôt que de vendre précipitamment ses actions, il eût donc été plus efficient, financièrement parlant, de chercher, par des moyens innovants, à s’endetter à hauteur de 137 milliards ou à augmenter ses recettes fiscales, tout en conservant intacte sa part dans la Sonatel. Le pays regorge d’expertises, y compris au sein de l’Etat et du ministère de l’économie et des finances, qui auraient pu réfléchir et proposer ces solutions innovantes. En choisissant la facilité, l’Etat a fait preuve d’une certaine naïveté voire d’une légèreté de jugement inacceptable pour un pays qui aspire à l’émergence économique.
Mais, même important, l’aspect financier n’est pas le facteur le plus crucial dans ce dossier. Toute décision concernant la présence de l’Etat à la Sonatel doit se fonder d’abord et avant tout sur des considérations stratégiques, sur l’intérêt général et sur la cohérence globale du schéma retenu.
Aujourd’hui, l’Etat exerce un rôle protéiforme, étant en même temps un stratège qui définit la politique de télécommunications, un actionnaire dans le capital de la Sonatel et un régulateur garant d’une concurrence saine et loyale dans le secteur. Pour éviter d’être écartelé entre ces trois fonctions mettant en oeuvre des intérêts divergents, le plus raisonnable serait que l’Etat choisisse de n’en exercer qu’une seule (la définition des politiques et des stratégies), de cesser d’être un acteur (en se désengageant progressivement de la Sonatel) et de transférer l’exercice de la régulation à une autorité réellement indépendante, dotée d’une autonomie financière et qui rendrait compte non pas au Président de la République mais au Parlement. Tel est le modèle idéal et le Sénégal convergera tôt ou tard vers ce schéma là. Le vrai débat n’est donc pas de savoir si l’Etat doit réduire sa présence à la Sonatel (il doit le faire) mais quand et à quelles conditions. Le tout est donc d’évaluer si le contexte est suffisamment adapté pour que l’Etat s’engage hic et nunc dans cette voie. Très clairement, la réponse est non. Ceci pour une raison principale.
Expresso, Orange et Tigo des concurrents de taille
Le marché des télécommunications demeure peu concurrentiel au Sénégal et l’agence de régulation (ART) ne semble pas encore posséder les capacités nécessaires pour exercer ses compétences comme il se doit. La Sonatel, du fait de sa place d’opérateur historique et de pionnier dans le mobile, occupe une position dominante que les deux autres opérateurs (Tigo et Expresso) ont de la peine à lui contester son hégémonie, en dépit des offres alléchantes faites aux clients. Le plus grand nombre de clients ayant une puce « Orange », il est, en effet, plus économique, d’appeler au sein du même réseau que d’utiliser une puce « Tigo » ou une puce « Expresso » pour joindre un client « Orange ». La neutralisation de ce privilège du premier arrivé devient dès lors une ardente nécessité, en introduisant un plafond unique des prix de communication inter-réseaux, afin de promouvoir une vraie concurrence et de faire bénéficier les consommateurs du mobile d’un coût faible. Des expériences de cette nature existent certainement dans d’autres pays. En tout état de cause, l’introduction de prix administrés pour les communications mobiles s’impose, comme l’Etat l’a fait pour l’électricité et pour l’eau potable, si l’on considère le coût encore élevé imposé par le réseau « orange » et qui pousse tous les autres prix inter-réseaux vers le haut (l’opérateur ne pouvant pas revendre en dessous du prix que lui fixe le réseau « orange »). Et, c’est parce que l’Etat a laissé la Sonatel mobile fixer librement ses prix que, bénéficiant de sa position exorbitante, elle parvient à engranger chaque année des bénéfices colossaux, appauvrissant au passage des consommateurs qui utilisent des revenus anciennement dévolus à l’alimentation pour acheter des services du mobile. De ce fait, les télécommunications, en même temps qu’elles génèrent de la croissance dans le PIB du pays et des richesses pour les actionnaires, enfoncent une bonne partie de la population dans la pauvreté, réduisant du coup le potentiel du pays pour atteindre l’Objectif numéro 1 du Millénaire fixé pour 2015 et qui concerne la lutte contre la faim. L’Etat devrait à cet effet se montrer pro-actif et éduquer les populations dans l’usage modéré des services du mobile qui grèvent, parfois de manière inutile et futile, leur revenu disponible.
Plus grave encore, la Sonatel nous habitue depuis plusieurs années à verser à ses actionnaires l’intégralité de ses bénéfices. Pour l’année 2009, la somme à distribuer atteint plus de 156 milliards de F CFA, dont plus de 42% (soit près de 66 Milliards FCFA) iront à l’actionnaire principal France Télécom qui n’avait payé que pratiquement cette somme en 1997 pour devenir l’actionnaire de référence de la Sonatel. Ce transfert financier de la Sonatel vers France Télécom, si on y ajoute les autres services que cette dernière facture à Sonatel (le label orange qui coûte 3% du chiffre d’affaires notamment et d’autres services), représente l’équivalent de l’aide publique que la France verse annuellement au Sénégal (estimée à 81 milliards FCFA en 2007). Ceci doit être médité.
156 milliards de bénéfice
La Sonatel distribue non seulement l’ensemble de son bénéfice net de l’exercice 2008 mais y ajoute une part prélevée sur les réserves antérieurement constituées. Si cette pratique est permise par l’OHADA (l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique), l’expérience montre qu’elle n’est utilisée en pratique que par les entreprises dont le bénéfice est faible pour permettre de mettre en œuvre une politique de distribution de dividendes attractive pour les actionnaires. Dans le cas de la Sonatel, le bénéfice distribuable est tellement important (156 milliards FCFA) qu’on peut s’interroger raisonnablement sur l’opportunité d’effectuer des prélèvements sur les réserves. De surcroît, la situation financière de la Sonatel montrant un volume assez important d’emprunt à moyen et long termes, le surplus distribué aux actionnaires aurait dû servir au moins au remboursement anticipé des emprunts afin d’améliorer corrélativement l’autonomie financière de la société.
En outre, au moment même où la Sonatel gâte ses actionnaires, ses clients ne cessent de fustiger la couverture très incomplète du réseau au niveau national (plusieurs zones rurales n’étant pas accessibles sur le réseau Orange) et de sa qualité insuffisante (le réseau étant inaccessible sur plusieurs segments de la route Dakar-Saint Louis, sans parler des zones lointaines du pays). Les consommateurs se plaignent également des coupures intempestives de communication ; ce qui a valu à la Sonatel Mobiles de faire l’objet d’une sanction pécuniaire de la part de l’Agence de Régulation des Télécommunications (ART).
Le plus étonnant, c’est que l’Etat actionnaire fasse une politique de court horizon (bénéficiant lui-même de près de 44 milliards de FCFA de dividendes dont elle devra néanmoins reverser 37 milliards de FCFA de coûts téléphoniques) et accepte, sans broncher, ce mauvais choix stratégique du groupe Sonatel, coûteux pour l’économie et pour la société, à court, à moyen et à long termes. Il a même contribué à l’encourager à poursuivre dans cette voie, en décidant, il y a quelques années, de faire un cadeau aux grandes sociétés et de réduire l’impôt sur les bénéfices de 33 à 25% du résultat brut, sans fixer de contrainte de réinvestissement. Cette mesure a pour effet de faire perdre à l’Etat près de 13 milliards en 2009, soit 130 milliards sur dix ans, l’équivalent de ce que France Télécom est censée payer pour acquérir 9% de la part de l’Etat. En dehors de toute autre considération, l’Etat devrait donc revenir sur cette décision, et ramener l’impôt sur les bénéfices à 33% pour les sociétés de téléphonie mobile en exigeant qu’elles ne reportent pas cette remise à niveau du taux d’imposition aux consommateurs, comme elles se sont précipitées pour le faire lorsque l’Etat a, récemment, créé une redevance de 2%.
Les résultats astronomiques de la Sonatel
Au demeurant, la Sonatel peut aujourd’hui présenter des résultats astronomiques parce que l’Etat s’est trompé en 1997 dans l’évaluation de l’entreprise publique Sonatel à privatiser, en ne valorisant que le patrimoine physique (approche dite patrimoniale non adaptée à ce type d’entreprise), et en sous-valorisant les bénéfices futurs tirés de l’exploitation (notamment du téléphone mobile). Ce faisant, l’Etat, du fait de son incroyable naïveté, a perdu des centaines de milliards de Francs CFA de la mauvaise gestion des cessions de licences mobiles dans les années 90. C’est la raison pour laquelle, elle a veillé à corriger son erreur lorsqu’il s’est agi de négocier avec les promoteurs du réseau Expresso qui ont du débourser 90 milliards de FCFA, tout en prenant totalement en charge les investissements nécessaires à l’installation du réseau.
Aujourd’hui, il est impérieux pour l’Etat de renégocier ces licences téléphoniques (comme le gouvernement, sous la houlette du président Abdoulaye Wade, y a pensé un moment avant de reculer pour des raisons inconnues) et de pousser la Sonatel à rééquilibrer ses options stratégiques, en donnant autant de poids aux dividendes qu’aux investissements de mise à niveau du réseau, et en réduisant ses prix qui demeurent élevés même comparés à certains pays africains.
En définitive, l’heure n’est pas encore venue pour l’Etat de réduire ses parts dans le champion national qu’est la Sonatel, valeur phare de la BRVM. Car, en demeurant fort dans le capital de la société, l’Etat, à défaut de pouvoir réguler convenablement le marché de l’extérieur, peut toujours réduire l’asymétrie d’information et exercer une certaine influence sur les choix stratégiques de la Sonatel, au delà de la fixation d’objectifs dans le cadre des cahiers de charges. Par conséquent, le préalable au retrait de l’Etat, c’est l’émergence d’une ART forte, crédible et impartiale. Une ART à même notamment de contrôler efficacement la tarification des services offerts et leur qualité, à travers des indicateurs de performances et une comparaison des coûts avec les autres pays, ainsi que de prévenir tout comportement anti-concurrentiel de la part des acteurs. Un autre préalable, c’est l’application par l’Etat de réformes sur le plan technique qui faciliteront l’ouverture des marchés à la concurrence, en séparant la fonction de contrôle des infrastructures et de gestion d’un réseau et en obligeant la Sonatel à procéder au dégroupage de la boucle locale pour favoriser l’accès universel à Internet. Ceci permettra au Sénégal d’émerger au niveau mondial comme un pays modèle en matière de technologies de l’information et de la communication.
Surtout, le désengagement progressif de l’Etat devra se faire en respectant certaines formes, en transférant notamment les actions publiques au secteur privé sénégalais qui renforcerait ainsi ses aptitudes entrepreneuriales dans un secteur névralgique de l’économie. Des solutions existent à cet effet, comme la Malaisie, dans le cadre de la privatisation de ses grandes entreprises publiques, sait en faire un bon usage. Le Sénégal pourrait les étudier et s’en inspirer. La France, adepte du « service public à la française » et de la protection des entreprises publiques de référence, constitue également une bonne école à cet effet.
Moubarack Lô
Président de l’Institut Emergence le dakarois
Mais, même important, l’aspect financier n’est pas le facteur le plus crucial dans ce dossier. Toute décision concernant la présence de l’Etat à la Sonatel doit se fonder d’abord et avant tout sur des considérations stratégiques, sur l’intérêt général et sur la cohérence globale du schéma retenu.
Aujourd’hui, l’Etat exerce un rôle protéiforme, étant en même temps un stratège qui définit la politique de télécommunications, un actionnaire dans le capital de la Sonatel et un régulateur garant d’une concurrence saine et loyale dans le secteur. Pour éviter d’être écartelé entre ces trois fonctions mettant en oeuvre des intérêts divergents, le plus raisonnable serait que l’Etat choisisse de n’en exercer qu’une seule (la définition des politiques et des stratégies), de cesser d’être un acteur (en se désengageant progressivement de la Sonatel) et de transférer l’exercice de la régulation à une autorité réellement indépendante, dotée d’une autonomie financière et qui rendrait compte non pas au Président de la République mais au Parlement. Tel est le modèle idéal et le Sénégal convergera tôt ou tard vers ce schéma là. Le vrai débat n’est donc pas de savoir si l’Etat doit réduire sa présence à la Sonatel (il doit le faire) mais quand et à quelles conditions. Le tout est donc d’évaluer si le contexte est suffisamment adapté pour que l’Etat s’engage hic et nunc dans cette voie. Très clairement, la réponse est non. Ceci pour une raison principale.
Expresso, Orange et Tigo des concurrents de taille
Le marché des télécommunications demeure peu concurrentiel au Sénégal et l’agence de régulation (ART) ne semble pas encore posséder les capacités nécessaires pour exercer ses compétences comme il se doit. La Sonatel, du fait de sa place d’opérateur historique et de pionnier dans le mobile, occupe une position dominante que les deux autres opérateurs (Tigo et Expresso) ont de la peine à lui contester son hégémonie, en dépit des offres alléchantes faites aux clients. Le plus grand nombre de clients ayant une puce « Orange », il est, en effet, plus économique, d’appeler au sein du même réseau que d’utiliser une puce « Tigo » ou une puce « Expresso » pour joindre un client « Orange ». La neutralisation de ce privilège du premier arrivé devient dès lors une ardente nécessité, en introduisant un plafond unique des prix de communication inter-réseaux, afin de promouvoir une vraie concurrence et de faire bénéficier les consommateurs du mobile d’un coût faible. Des expériences de cette nature existent certainement dans d’autres pays. En tout état de cause, l’introduction de prix administrés pour les communications mobiles s’impose, comme l’Etat l’a fait pour l’électricité et pour l’eau potable, si l’on considère le coût encore élevé imposé par le réseau « orange » et qui pousse tous les autres prix inter-réseaux vers le haut (l’opérateur ne pouvant pas revendre en dessous du prix que lui fixe le réseau « orange »). Et, c’est parce que l’Etat a laissé la Sonatel mobile fixer librement ses prix que, bénéficiant de sa position exorbitante, elle parvient à engranger chaque année des bénéfices colossaux, appauvrissant au passage des consommateurs qui utilisent des revenus anciennement dévolus à l’alimentation pour acheter des services du mobile. De ce fait, les télécommunications, en même temps qu’elles génèrent de la croissance dans le PIB du pays et des richesses pour les actionnaires, enfoncent une bonne partie de la population dans la pauvreté, réduisant du coup le potentiel du pays pour atteindre l’Objectif numéro 1 du Millénaire fixé pour 2015 et qui concerne la lutte contre la faim. L’Etat devrait à cet effet se montrer pro-actif et éduquer les populations dans l’usage modéré des services du mobile qui grèvent, parfois de manière inutile et futile, leur revenu disponible.
Plus grave encore, la Sonatel nous habitue depuis plusieurs années à verser à ses actionnaires l’intégralité de ses bénéfices. Pour l’année 2009, la somme à distribuer atteint plus de 156 milliards de F CFA, dont plus de 42% (soit près de 66 Milliards FCFA) iront à l’actionnaire principal France Télécom qui n’avait payé que pratiquement cette somme en 1997 pour devenir l’actionnaire de référence de la Sonatel. Ce transfert financier de la Sonatel vers France Télécom, si on y ajoute les autres services que cette dernière facture à Sonatel (le label orange qui coûte 3% du chiffre d’affaires notamment et d’autres services), représente l’équivalent de l’aide publique que la France verse annuellement au Sénégal (estimée à 81 milliards FCFA en 2007). Ceci doit être médité.
156 milliards de bénéfice
La Sonatel distribue non seulement l’ensemble de son bénéfice net de l’exercice 2008 mais y ajoute une part prélevée sur les réserves antérieurement constituées. Si cette pratique est permise par l’OHADA (l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique), l’expérience montre qu’elle n’est utilisée en pratique que par les entreprises dont le bénéfice est faible pour permettre de mettre en œuvre une politique de distribution de dividendes attractive pour les actionnaires. Dans le cas de la Sonatel, le bénéfice distribuable est tellement important (156 milliards FCFA) qu’on peut s’interroger raisonnablement sur l’opportunité d’effectuer des prélèvements sur les réserves. De surcroît, la situation financière de la Sonatel montrant un volume assez important d’emprunt à moyen et long termes, le surplus distribué aux actionnaires aurait dû servir au moins au remboursement anticipé des emprunts afin d’améliorer corrélativement l’autonomie financière de la société.
En outre, au moment même où la Sonatel gâte ses actionnaires, ses clients ne cessent de fustiger la couverture très incomplète du réseau au niveau national (plusieurs zones rurales n’étant pas accessibles sur le réseau Orange) et de sa qualité insuffisante (le réseau étant inaccessible sur plusieurs segments de la route Dakar-Saint Louis, sans parler des zones lointaines du pays). Les consommateurs se plaignent également des coupures intempestives de communication ; ce qui a valu à la Sonatel Mobiles de faire l’objet d’une sanction pécuniaire de la part de l’Agence de Régulation des Télécommunications (ART).
Le plus étonnant, c’est que l’Etat actionnaire fasse une politique de court horizon (bénéficiant lui-même de près de 44 milliards de FCFA de dividendes dont elle devra néanmoins reverser 37 milliards de FCFA de coûts téléphoniques) et accepte, sans broncher, ce mauvais choix stratégique du groupe Sonatel, coûteux pour l’économie et pour la société, à court, à moyen et à long termes. Il a même contribué à l’encourager à poursuivre dans cette voie, en décidant, il y a quelques années, de faire un cadeau aux grandes sociétés et de réduire l’impôt sur les bénéfices de 33 à 25% du résultat brut, sans fixer de contrainte de réinvestissement. Cette mesure a pour effet de faire perdre à l’Etat près de 13 milliards en 2009, soit 130 milliards sur dix ans, l’équivalent de ce que France Télécom est censée payer pour acquérir 9% de la part de l’Etat. En dehors de toute autre considération, l’Etat devrait donc revenir sur cette décision, et ramener l’impôt sur les bénéfices à 33% pour les sociétés de téléphonie mobile en exigeant qu’elles ne reportent pas cette remise à niveau du taux d’imposition aux consommateurs, comme elles se sont précipitées pour le faire lorsque l’Etat a, récemment, créé une redevance de 2%.
Les résultats astronomiques de la Sonatel
Au demeurant, la Sonatel peut aujourd’hui présenter des résultats astronomiques parce que l’Etat s’est trompé en 1997 dans l’évaluation de l’entreprise publique Sonatel à privatiser, en ne valorisant que le patrimoine physique (approche dite patrimoniale non adaptée à ce type d’entreprise), et en sous-valorisant les bénéfices futurs tirés de l’exploitation (notamment du téléphone mobile). Ce faisant, l’Etat, du fait de son incroyable naïveté, a perdu des centaines de milliards de Francs CFA de la mauvaise gestion des cessions de licences mobiles dans les années 90. C’est la raison pour laquelle, elle a veillé à corriger son erreur lorsqu’il s’est agi de négocier avec les promoteurs du réseau Expresso qui ont du débourser 90 milliards de FCFA, tout en prenant totalement en charge les investissements nécessaires à l’installation du réseau.
Aujourd’hui, il est impérieux pour l’Etat de renégocier ces licences téléphoniques (comme le gouvernement, sous la houlette du président Abdoulaye Wade, y a pensé un moment avant de reculer pour des raisons inconnues) et de pousser la Sonatel à rééquilibrer ses options stratégiques, en donnant autant de poids aux dividendes qu’aux investissements de mise à niveau du réseau, et en réduisant ses prix qui demeurent élevés même comparés à certains pays africains.
En définitive, l’heure n’est pas encore venue pour l’Etat de réduire ses parts dans le champion national qu’est la Sonatel, valeur phare de la BRVM. Car, en demeurant fort dans le capital de la société, l’Etat, à défaut de pouvoir réguler convenablement le marché de l’extérieur, peut toujours réduire l’asymétrie d’information et exercer une certaine influence sur les choix stratégiques de la Sonatel, au delà de la fixation d’objectifs dans le cadre des cahiers de charges. Par conséquent, le préalable au retrait de l’Etat, c’est l’émergence d’une ART forte, crédible et impartiale. Une ART à même notamment de contrôler efficacement la tarification des services offerts et leur qualité, à travers des indicateurs de performances et une comparaison des coûts avec les autres pays, ainsi que de prévenir tout comportement anti-concurrentiel de la part des acteurs. Un autre préalable, c’est l’application par l’Etat de réformes sur le plan technique qui faciliteront l’ouverture des marchés à la concurrence, en séparant la fonction de contrôle des infrastructures et de gestion d’un réseau et en obligeant la Sonatel à procéder au dégroupage de la boucle locale pour favoriser l’accès universel à Internet. Ceci permettra au Sénégal d’émerger au niveau mondial comme un pays modèle en matière de technologies de l’information et de la communication.
Surtout, le désengagement progressif de l’Etat devra se faire en respectant certaines formes, en transférant notamment les actions publiques au secteur privé sénégalais qui renforcerait ainsi ses aptitudes entrepreneuriales dans un secteur névralgique de l’économie. Des solutions existent à cet effet, comme la Malaisie, dans le cadre de la privatisation de ses grandes entreprises publiques, sait en faire un bon usage. Le Sénégal pourrait les étudier et s’en inspirer. La France, adepte du « service public à la française » et de la protection des entreprises publiques de référence, constitue également une bonne école à cet effet.
Moubarack Lô
Président de l’Institut Emergence le dakarois