À 78 ans, Moustapha Niasse, le président de l’Assemblée nationale, demeure un allié indispensable du chef de l’État sénégalais, Macky Sall. Et entend peser de tout son poids lors de la présidentielle de 2019.
« Moustapha Niasse est âgé. Comme Senghor avant lui, il doit passer le témoin à la jeune génération », lance Hélène Tine, l’ex-porte-parole de l’Alliance des forces de progrès (AFP), le parti… de Niasse, précisément. « Au Sénégal, les anciens veulent conserver le pouvoir pour des raisons inavouées, et la nouvelle génération doit les pousser à partir à la retraite politique », clame de son côté Malick Gakou, l’ancien numéro deux de l’AFP. Moustapha Niasse agace.
À 78 ans, il pourrait goûter un repos heureux dans sa belle villa de la corniche de Dakar. Mais le vieux lion s’accroche à son poste de président de l’Assemblée nationale, qu’il occupe depuis juillet 2012. Et pas seulement pour le titre. L’homme a la politique dans le sang. Il entend peser sur la présidentielle de février prochain. Il veut se rendre indispensable.
Rêve de présidence
Longtemps, Moustapha Niasse a rêvé d’être président. Aujourd’hui, il sait qu’il n’y arrivera pas, car il a dépassé la limite d’âge, fixée à 75 ans. Mais comme dit le ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang, un homme clé de l’Alliance pour la République (APR, au pouvoir), « Moustapha Niasse est, avec le président Macky Sall et le socialiste Ousmane Tanor Dieng, l’un des trois piliers de Benno Bokk Yakaar [BBY] » – la coalition qui gouverne le Sénégal depuis mars 2012.
Après les législatives de juillet 2017, beaucoup ont lorgné son poste, à commencer par Moustapha Cissé Lô, l’actuel président du Parlement de la Cedeao à Abuja, au Nigeria. Le challenger était sérieux, mais Niasse a gagné.
« Son parcours force le respect, dit Mame Mbaye Niang. Personne, à part le chef de l’État, n’a une telle maîtrise des dossiers. Et dans une majorité parlementaire où cohabitent huit ou neuf formations politiques, il a l’expertise et l’expérience pour maintenir la cohésion de BBY à l’Assemblée nationale et pour donner au groupe une mentalité de gagneur jusqu’à la présidentielle.»
« Mitterrand et moi »
Si le parcours de Niasse force le respect, c’est d’abord – Hélène Tine elle-même le reconnaît – à cause de sa longue fréquentation de Senghor… et de quelques autres monuments du XXe siècle. Né en 1939 à Keur Madiabel, dans le bassin arachidier, non loin de Kaolack, le jeune Moustapha grandit dans une famille aux ancêtres prestigieux. Par son père, il descend d’une souveraine qui a régné sur le nord du Sénégal au XVIIe siècle. Par sa mère, il est apparenté à El Hadj Omar Tall, le grand érudit musulman qui a résisté aux troupes coloniales françaises.
À 5 ans, première déchirure : il perd son père. Chez les Niasse, on ne tend la main à personne, sinon à Dieu. En 1952, il entre au prestigieux lycée Faidherbe, à Saint-Louis, et s’y lie d’amitié avec son aîné de trois ans, Amath Dansokho. En 1967, le voici major de sa promotion à l’École nationale d’administration (ENA) du Sénégal. Et en 1970, il devient à 30 ans directeur de cabinet du président Senghor, rien de moins !
Le talent du jeune Niasse, c’est d’être un homme de méthode, mais aussi un lettré qui peut converser de longues minutes avec Senghor sur la Grèce antique. En 1974, le président-poète lui demande d’approcher l’opposant français François Mitterrand pour faciliter l’adhésion de l’Union progressiste sénégalaise (UPS) – le parti unique de l’époque – à l’Internationale socialiste (IS).
« Mitterrand et moi, nous partagions l’amour du livre, confie-t-il aujourd’hui. Je l’écoutais parler de Paul Éluard et ne le contredisais jamais. Il pouvait être mon père et je buvais ses paroles. » En novembre 1976, le futur diplomate parvient, avec Mitterrand, Pierre Mauroy et Lionel Jospin, à faire entrer l’UPS dans la grande famille socialiste.
Eclipse politique
C’est un épisode dont Moustapha Niasse est moins fier, mais qui se révélera historique… En 1974, lors d’un sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) à Mogadiscio, en Somalie, Niasse introduit auprès de Senghor un certain Abdoulaye Wade : « Je connaissais Me Wade depuis l’époque de mes études. J’ai facilité l’audience, et c’est lors de ce tête-à-tête que Wade a proposé à Senghor de créer un parti d’opposition. Le président a donné son accord. Tout s’est passé entre gentlemen. » Ce jour-là, Niasse ne sait pas que, sur les bords de l’océan Indien, il vient de déclencher un raz-de-marée qui conduira à la première alternance de l’histoire de son pays.
Homme de confiance de Senghor, le voilà ministre des Affaires étrangères en septembre 1978. À l’arrivée d’Abdou Diouf au pouvoir, en 1981, il garde le poste. Mais en septembre 1984, premier accroc. En plein Conseil des ministres, il gifle son collègue Djibo Leity Kâ, qui lui reprochait un certain absentéisme. Tout Dakar en parle ! Niasse ne peut pas rester à la tête de la diplomatie. Diouf lui propose un autre ministère, mais il préfère se lancer dans les affaires comme consultant international.
Très vite, les clients pétroliers affluent grâce au président Diouf, qui intercède en sa faveur auprès des monarchies du Golfe. En juin 1993, après neuf ans d’éclipse politique, il est approché par Diouf, qui lui repropose les Affaires étrangères. « J’ai consulté le roi Hassan II, qui m’avait pris en estime, et le président Omar Bongo, qui m’appelait “mon neveu”. J’ai même téléphoné à Yasser Arafat. Tous m’ont conseillé de dire oui », se souvient Niasse, qui peut alors croire que le destin le mènera au sommet de l’État.
Démission du PS
En mars 1996, second accroc, sans doute le plus grave de sa carrière : il se fait chiper le poste de dauphin de Diouf par Ousmane Tanor Dieng, son cadet de sept ans. Tanor ressemble à Diouf. C’est un brillant technocrate, un rien distant, aux antipodes du bouillant Niasse. Lors d’un « congrès sans débat », Tanor, le directeur de cabinet du président, est désigné secrétaire général du Parti socialiste (PS) sénégalais. Pour l’orgueilleux Niasse, l’humiliation est insupportable.
En juin 1999, dans un texte intitulé « Je suis prêt », il franchit le Rubicon. Il annonce sa démission du PS et sa candidature à la présidentielle de février 2000 sous les couleurs de son nouveau parti, l’AFP. Il fait une campagne de milliardaire et finit troisième, avec un beau score de 16,8 %, juste derrière Diouf et Wade. Au second tour, il appelle à voter pour Wade. Celui-ci l’emporte et annonce que Niasse sera son Premier ministre. L’enfant de Keur Madiabel savoure sa revanche.
Wade et Niasse… Un tel équipage ne pouvait pas tenir longtemps. Le fait n’est pas connu, mais, en janvier 2001, c’est le président ivoirien Laurent Gbagbo qui provoque la rupture. Une tentative de coup d’État vient d’échouer à Abidjan. Une chasse à l’étranger africain est ouverte en Côte d’Ivoire. Le 22 janvier, Wade déclare : « Au moment où je vous parle, un Burkinabè subit en Côte d’Ivoire ce qu’aucun Noir ne subit en Europe.»
Fureur de Gbagbo et début de représailles contre les commerçants sénégalais de Côte d’Ivoire. Niasse appelle Gbagbo pour tenter de le calmer. Surtout, il déclare publiquement : « Je suis désolé, mais je ne partage pas l’avis du président Wade. » Le 25 janvier, en Conseil des ministres, Wade ne laisse rien paraître. « J’ai cru qu’il ne m’en voulait pas », assure Niasse aujourd’hui.
Mais le pape du Sopi rumine sa vengeance. Cinq semaines plus tard, Niasse est limogé. Wade persifle : « Je ne vais pas garder quelqu’un qui passe tout son temps à lorgner mon fauteuil. » Niasse réplique : « Wade ne s’est pas adapté à l’État ; il a adapté l’État à sa personne. »
Éternel candidat
À partir de mars 2001, Niasse court après ce destin que Tanor lui a volé un jour de mars 1996. Deux fois, avec le soutien d’Amath Dansokho, son vieux copain de Faidherbe, il est candidat à la présidentielle et obtient des scores honorables : 5,9 % en février 2007 et 13,2 % en février 2012.
Niasse se disperse-t-il trop ? Lui-même avoue à présent : « En 2012, Macky a eu plus de voix que moi parce que, pendant trois ans, il a fait le tour du pays alors que j’étais consultant à l’étranger. » Avant le second tour de mars 2012, Wade lui propose un drôle de marché : « Tu me soutiens et je te laisse le fauteuil en 2014. » Pas très confiant dans la parole de « Gorgui », Niasse préfère jouer la carte Macky Sall. Et après la victoire de celui-ci, il est élu député, puis président de l’Assemblée nationale.
Pilier de la coalition BBY, Niasse, comme Tanor, est invité à ne pas faire de l’ombre au nouveau chef de l’État. Comme le dit sans fioritures, le ministre Mame Mbaye Niang : « Si on a un candidat [Macky Sall] qui peut rempiler en 2019, on y va au nom de la coalition. » Objectif : la victoire du président sortant au premier tour. Dès mars 2014, Niasse fait donc le choix difficile de décider que l’AFP n’aura pas de candidat à la prochaine présidentielle. Tout laisse penser que Tanor fait le même choix au nom du PS. Deux hommes ruent alors dans les brancards.
Respect des axdversaires
Les dinosaures, Macky Sall a intérêt à les garder auprès de lui, comme des alliés de façade
À l’AFP, Malick Gakou, l’ancien président du conseil régional de Dakar, et, au PS, Khalifa Sall, le maire de Dakar. Tous deux sont exclus de leur parti, Gakou en mars 2015 et Khalifa en décembre 2017. « Khalifa au PS et moi à l’AFP, on incarnait l’avenir, estime actuellement Malick Gakou. Maintenant qu’on a été éjectés par les dinosaures, Macky Sall a intérêt à les garder auprès de lui, comme des alliés de façade. »
Avec sa nouvelle formation, le Grand Parti, Gakou espère se présenter en 2019 avec le soutien de Khalifa Sall, qui risque d’être mis hors jeu par sa condamnation, le 30 mars dernier, à cinq ans de prison. « Faute de candidats de l’AFP et du PS, il faut que la gauche soit présente en 2019 », explique Gakou, qui reproche à Moustapha Niasse, son ex-mentor, d’être désormais « assujetti » au parti au pouvoir, l’APR, et de « conjuguer son avenir au passé ».
Un jour de colère, Niasse a traité les frondeurs de son parti « d’imbéciles et de salopards ». Réaction de Gakou : « Nous lui pardonnons, c’est notre père. » Niasse indispensable ? C’est en tout cas le seul homme politique sénégalais qui force le respect de ses adversaires.
Bientôt la retraite?
« Je ne demande pas à être reconduit. Je souhaite que des jeunes montent au sommet du parti. » La veille de Noël, lors d’une réunion de l’AFP, Moustapha Niasse avait été catégorique : il lâcherait les rênes lors du prochain congrès, en 2018. À l’en croire, il s’évertue depuis huit ans à provoquer un changement générationnel – en vain.
Mais, au Sénégal, les présidents-fondateurs ont du mal à passer la main. Parmi les dinosaures, Amath Dansokho (PIT) et Abdoulaye Bathily (LD) s’y sont tout de même résolus. « Je demanderai à Abdoulaye Bathily comment il a fait pour se libérer de la tête de son parti », a confié Niasse.
Le poids de l’AFP
1 ministre, 6 députés, 31 maires et 10 représentants au Haut Conseil des collectivités territoriales.
Jusqu’au départ de Malick Gakou, le parti pouvait se vanter de peser à Guediawaye, une commune de la banlieue de Dakar qui compte électoralement. Mais, aujourd’hui, son implantation locale est en net recul, y compris à Kaolack (Centre), ravi par l’APR.
Source jeuneafrique.com