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Samedi 12 Mars 2011

TRAFIC INTERNATIONAL DE BOIS EN CASAMANCE, VIA LA GAMBIE


Un pillage organisé sur fond d’anarchie et de complicité

Les massifs forestiers du nord de la Casamance font l’objet d’un pillage organisé à l’échelle de la sous-région ouest africaine. La complicité des populations autochtones sous le prétexte fallacieux de la pauvreté fait le lit d’infiltration de sujets étrangers. Au banc des accusés, se trouve la République de Gambie dont la capitale Banjul abriterait le siège du réseau composé de multinationaux. Des élus locaux sénégalais craquent à la vue des billets de banque au mépris de l’équilibre de l’écosystème. Et le conflit armé vient porter l’estocade. Les massifs forestiers se tordent sous le dernier soufflé et le désert frappe à la porte !



TRAFIC INTERNATIONAL DE BOIS EN CASAMANCE, VIA LA GAMBIE
Chaque année et depuis plus d’une décennie, les forêts de la région méridionale du Sénégal, sur toute la façade nord de la Casamance, disparaissent à un rythme effréné dont l’hectare est la référence minimale de destruction. Ce constat, pour le moins amer, est partagé par bon nombre habitants de la région. Beaucoup de facteurs ont conduit cependant à un tel état de fait. Selon des sources formelles sur la question, l’insécurité grandissante entretenue par la situation de conflit armé en Casamance prête les conditions d’une surexploitation frauduleuse du couvert végétal. Qui plus est, certaines populations invoquent les affres de la précarité sociale et économique qui les obligeraient à verser dans le commerce illicite de bois pour assurer leur survie. Pendant ce temps, les agents des services forestiers ne disposent pas d’assez de ressources humaines pour couvrir la zone.

Dans cette situation de cafouillage manifeste s’infiltrent, d’après une source avertie, des opportunists et des multinationaux avides de générer des revenus par le massacre des dernières réserves de forêts. Ainsi se dresse une situation de trafic par l’entremise de populations autochtones, outillées de tronçonneuses et hébergées par des élus sans souci de l’impact du drame rampant.

LA COMPLICITÉ DES SUJETS LOCAUX, UN MAL VISCÉRAL
Le scandale qui a éclaté en janvier dernier a mis à nu les agissements d’un réseau dont le cerveau se trouverait à Banjul, la capitale gambienne et Sérakounda, la deuxième grande ville, non loin de là. Dans cette affaire, quatre conseillers ruraux de Tankon ont été interpellés le 25 janvier 2011, puis placés en garde à vue à la brigade de gendarmerie de Bounkiling sur ordre des forestiers pendant vingt-quatre heures avant d’être relaxés sans aucune forme explication. Ils seraient en possession de cinq tronçonneuses au nombre, rapporte un témoin.
Il s’agit de la dame Sana Diao communément appelée Boumel habitant le village de Saré Amath Samba I, de Lamine Diallo de Saré Amath Samba II, Samba Cissé de Ghoutou et Birane Doussouba Diallo du village de Saré Bocar officiellement connu sous le nom de Saré Pathé Sagna. Le cerveau de cette bande se nommerait Abdoulaye Thiam, un natif de la Gambie reconnu par les populations comme pion d’interface entre élus locaux analphabètes et inciviques et les véritables commanditaires de ce commerce illicite et criminel. Des chefs de village sont également interpellés sur le même sujet. Une source interrogée à Tankon explique que « c’est un réseau très dense et dangereux de bandits qui a fini d’infiltrer la Casamance et surtout le secteur de Tankon. Dans ce pacte, il est reversé à chaque conseiller la somme de 50.000F CFA, à la fin de chaque opération. Ils sont par ailleurs outillés de tronçonneuses, de motocyclettes et de vélos de liaison pour la recherche de « marchés ».
Cette complicité a été boostée par un différend social sur fond de caste qui mine le conseil rural dirigé en majorité par de supposées ethnies “nobles”, surveillées à leur tour par celles étiquetées esclaves dans ce milieu à majorité peulh.

LA GAMBIE, PAYS DE TRANSIT DES MULTINATIONAUX
Toutes les sources dont la fiabilité ne souffre d’aucune ambivalence mettent en cause la République voisine de la Gambie dans ce trafic international de bois opéré sur les forêts de la Casamance. Dans le nord est de la région de Sédhiou, le nom du village de Bourème, situé en territoire gambien, sonne dans la mémoire collective des populations comme un symbole de l’exploitation du bois, une plaque tournante et une véritable industrie de transformation et de vente de bois. Ce village se trouve exactement entre les villes gambiennes de Soma et Bansang et les villages sénégalais de Boukel, dans la communauté rurale de Tankon et Bourouko situé dans le département de Médina Yorofoula (région de Kolda).

De sources bien au fait des mouvements des acteurs de ce réseau de trafic de bois, « les véritables commanditaires de cet abattage des forêts se terrent à Banjul et à Sérakounda. Ce sont des Occidentaux et des Maures du Moyen-orient ». Notre source de rebondir sur la complicité des élus locaux et populations « craquant sous l’effet de la pauvreté ambiante, “Des populations et même des élus locaux acceptent de monnayer notre trésor naturel contre des sacs de riz, de bidon d’huile, de la pacotille ou au mieux contre quelques malheureux billets de banque ».

Ce natif de Tankon atteste avec impétuosité que « chaque jour ou presque, ce sont des camions à remorque de plateau qui sillonnent le secteur sous le regard innocent et impuissant des citoyens. Tantôt, ce sont des charrettes qui assurent la livraison. Pis, il n’ya pas que du bois mort qui est agressé, des arbres sur pieds avec sève bien visible sont tout aussi massacrés. Ajoutez- y le système de mise à mort programmé des arbres, approche qui consiste à blesser l’arbre et provoquer sa mort progressive, on se rend bien compte de la capacité de nuisance de ces bras destructeurs », fait observer cet homme, la cinquantaine bien sonnée.

LE RAPPORT DU CONSEIL RURAL DE KANDION MANGANA ACCABLE ET CHARGE !
Dans un rapport de trois pages établi par la commission du conseil rural de Kandion Mangana, chargée de la gestion des ressources naturelles et environnementales, et intitulé « La poudrière environnementale », le pillage du couvert végétal y est décrit comme un génocide des peuplements de surface. « La communauté rurale de Kandion Mangana sise dans le Nord ouest du département de Bounkiling est une corniche frontalière à la république de Gambie dotée de potentialités énormes ( pastorales, agricoles, (…), forestières). Elle est au bord du chaos écologique à cause de la destruction forestière. Après l’extermination des peuplements de rôniers et des caïlcédras, aujourd’hui, ce sont les espèces appelées vènes qui payent le plus lourd tribut ».
Sans détours, le rapport accable et charge le pays de Yaya Jammeh dans ce pillage « (… ) c’est le fait des Gambiens de connivence avec les populations autochtones qui pénêtrent dans les forêts casamançaises armés d’engins destructeurs appelés tronçonneuses. Dans les villages gambiens frontaliers à notre communauté rurale que sont Kampassa et Kamamoudou, vous trouverez un spectacle macabre des produits de la forêt en provenance de la Casamance».

Corroborant ces accusations pour le moins gravissimes, le document révèle par ailleurs que « dans ces localités ci-haut citées, existent des dépôts de charbon de bois, des planches de vène, du bois de chauffe dont la provenance est assurément la Casamance, preuves à l’appui ». Pis, enfourche le rapport du conseil rural épinglant des autorités locales, « Une enquête menée auprès de certains chefs de village nous a permis de déceler que certains conseillers ou responsables au sommet des institutions locales se font passer pour des agents des eaux et forêts uniquement pour s’enrichir sur le trafic de bois.

Et le rapport de conclure « en menant une enquête judiciaire sur la déforestation dans la communauté rurale de Kandion, on trouvera inéluctablement que les véritables acteurs ne sont personne d’autre que des élus locaux. Et nous sommes prêts à offrir nos services pour dénoncer et débusquer ces criminels ».

En réalité, de telles dénonciations ne sont guerre inédites dans cette partie nord de la région de Sédhiou. Dans le Kabada et le Dator, les populations, sous la houlette du guide religieux El Hadji Mamadou Diallo, ont toujours sonné l’alerte rouge sans écho souhaité. C’est ainsi qu’ils ont créé le 13 décembre 2010 une Association des volontaires pour la protection de l’environnement (AVPE) que dirige El Hadji Mamadou Diallo. Dans ce document administratif, l’objectif est de « contribuer à protéger et entretenir l’environnement et les ressources naturelles, de mobiliser des moyens et des partenaires pour une meilleure exploitation de l’environnement et un meilleur équilibre et l’écosystème, d’harmoniser les relations culture, agriculture et environnement en vue d’un développement durable ».

LE NORD BIGNONA, UN FOYER ARDENT DE L’ABATTAGE, L’INSÉCURITÉ AIDANT
L’agression du couvert végétal remonte à bien des années sur toute la façade nord de la région de la Casamance surtout dans le département de Bignona. Le phénomène a connu une ascendance plus soutenue à partir de 2005. Les raisons sont à chercher principalement dans le remue ménage constaté au sein du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) qui mène la guérilla rurale depuis près de trois décennies pour réclamer l’indépendance de cette partie méridionale du Sénégal. Des mutations internes en son sein et les opérations de ratissage que lance très souvent l’armée dans la zone ont fini d’y installer un cocktail d’insécurité quasi permanent. Et là est « tendu » un chèque en blanc aux bourreaux de la nature qui, de fait, squattent les pauvres villages meurtris par des années de conflit armé pour arracher la complicité des riverains, soit par des billets de banque, soit par des produits alimentaires ou tout cruellement par des menaces ostensibles et ostentatoires. Ici encore, avec éléments à charge, la Gambie voisine est mise en cause.

L’AFFAIRE DES 12 CAMIONS GAMBIENS IMMOBILISÉS CORROBORE!
Par plusieurs reprises, le bois a installé la discorde entre le gouvernement du Sénégal et celui de la Gambie, la plus en vue est celle survenue en juin 2007 dans les périmètres de Bignona dans les forêts de Diouloulou. Il s’agissait de 12 camions gambiens chargés de bois de veine, une espèce protégée au Sénégal. Le jugement avait été rendu par le tribunal de Ziguinchor et les coupables ont été condamnés à six mois de prison avec sursis. Par la suite et sur ordre du Président de la République du Sénégal Me Abdoulaye Wade, les camions avaient été convoyés sur le parc de Hann à Dakar. « Si le Président Wade et Sénégal veulent la paix, ils n’ont qu’à libérer mes compatriotes et nous restituer, dans un court délai, les véhicules immobilisés ainsi que leur matériel » avait menacé le président gambien Yaya Jammeh.

Alors tout nouveau et éphémère ministre d’Etat, ministre de l’environnement et de la protection de la nature, l’encore Premier ministre du Sénégal Soulèyemane N’déné Ndiaye en passation de service avec son prédécesseur Thierno Lô n’avait pas tardé à apporter la cinglante réplique. « Mes connaissances rudimentaires me permettent de dire que le président gambien ne peut pas parler comme ça au Sénégal. Il n’a pas à s’immiscer dans la justice sénégalaise. Nous allons vendre le bois et les véhicules. Notre forêt fait l’objet d’agressions souvent par des individus qui viennent le plus souvent de la sous-région », avait déclaré M. Ndiaye. Les 12 camions avaient été ensuite libérés sans aucune autre forme d’explication.

PLUS DE CENT VINGT TRONCS D’ARBRE SAISIS À KANICOUNDA, SOIXANTE DISPARAISSENT !
A la mi-février dernier, les forestiers ont mis la main sur plus de cent-vingt troncs d’arbre de veine au village frontalier de Kanicounda sur dénonciation des populations. Le butin est confié à une famille du village. A leur retour sur les lieux, une bonne soixantaine manque du lot. Les recherches déclenchées n’ont rien donné jusqu’ici. Mais de sources anonymes en provenance de ce village de Kanicounda soutiennent mordicus que les troncs volés ont été convoyés en direction de la Gambie voisine. Qui aurait donc l’audace de défier les agents des eaux et forêts qui ont mené cette opération de saisie de bois? Ce cas de figure dénote l’ampleur et la légèreté qui font le confortable lit de ce trafic criminel du couvert végétal. Et à un rythme effréné, les massifs forestiers reculent, se meurent et laissent orphelin le système de l’écologie. La faune en pâtit, les peuplements végétatifs aussi et les humains voient la menace venir, impuissants et résignés.

MANQUE D’EFFECTIF DES FORESTIERS, INSÉCURITÉ GRANDISSANTE, PAUVRETÉ AVILISSANTE

Le trafic a de beaux jours devant lui
De tout le temps que les populations se plaignent de ce trafic de bois, les agents du service des eaux et forêts invoquent un manque d’effectif pour couvrir la zone. « Il revient à vous de mieux vous organiser pour corriger le mal car on ne peut pas mettre un agent derrière chaque arbre», avait ainsi répondu une autorité à un citoyen de Diallocounda. Aussi, l’insécurité quasi permanente exige des interventions coordonnées et musclées pour ne pas se faire loger une balle dans la tête. Et la coupe est pleine si on comptabilise la pauvreté avilissante des autochtones, l’irresponsabilité notoire des élus et l’ignorance des vertus de l’environnement. A l’inspection régionale des eaux et forêts de Sédhiou, le chef de service Ousmane Fall déclare ne pouvoir trop se prononcer sur la question puisque venant à peine de prendre service, son prédécesseur admis à faire valoir ses droits à la retraite. De même, le lieutenant Camara en charge du secteur de Bounkiling n’a pas souhaité broncher au motif qu’il est en congé. Soit, mais le massacre des massifs forestiers est tel qu’aujourd’hui les acteurs du secteur de l’environnement ont obligation régalienne de poser les vraies questions pour prendre la mesure des véritables mécanismes du trafic et au demeurant, définir les stratégies de protection. Les arbres meurent, les animaux aussi. Les hommes vont indiscutablement en pâtir car la vie est régie en système et le préjudice affectera même la plus petite fourmi ou le bousier ; pourquoi alors bousiller ce qui nous entoure ?


LA DÉFORESTATION À OUTRANCE, UNE BOMBE ÉCOLOGIQUE À RETARDEMENT !
Les massifs forestiers aux arbres de cimes jointives du Kabada, du Dator, du Fogny et du Sonkodou cèdent à grands pas la place à une clairière. Un tour dans le secteur du grand village maraboutique de Boudouk, de N’diamacouta, de Diallocounda et de Tankon permet de faire soi-même ce constat amer. Que de désolation aux yeux de celui qui revient sur ses pas cinq ans, seulement après son absence dans la zone ! le mal est profond ; vraiment.

On a tendance à l’oublier, mais la plupart des forêts du monde rendent de grands services à l’Homme. Grâce à leurs racines, elles servent à la conservation des sols, à la lutte contre les avalanches et les glissements de terrain, à la stabilisation des dunes de sable et à la protection des zones de littoral, renseignent les spécialistes de l’environnement.

L’une des conséquences est sans doute l’émission des gaz à effet de serre qui sont reconnus comme responsables du réchauffement global de la planète et qui conduit actuellement à des modifications climatiques extrêmement graves alors que la végétation a un rôle de purification de l’air et de l’eau. Déboiser, c’est donc influer aussi sur ces paramètres.

Outre l’action sur la biodiversité, la déforestation a aussi un impact sur le ruissellement. Les forêts permettent de ralentir le mouvement des eaux : les feuilles et les autres matières organiques que l'on retrouve sur le sol des forêts absorbent les eaux des pluies diluviennes et la libèrent doucement et progressivement pour le sol situé en dessous. L'eau ressurgit bien plus tard dans des sources qui alimentent les cours d'eau. Favorisant l’infiltration de l’eau grâce à leurs racines, et l’évapotranspiration grâce à leur feuillage, les arbres permettent de retenir l’eau et de réduire l’érosion. Leur rôle est particulièrement important sur les pentes. La déforestation qui, outre l'érosion, entraîne des inondations catastrophiques, puisque l'eau de ruissellement n'est plus freinée par les plantes, voire des glissements de terrain, qui ne sont plus maintenus par l'enchevêtrement des racines.

Moussa DRAME (Sud)
(Plus d'informations demain sur leral .net)






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