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Toure DIA, Parrain de la 39e Promotion du CESTI

Où qu’il se trouve, il doit approuver la décision, bien inspirée, prise par la direction du Cesti de faire de lui, ce jour, après la défunte Daba Sarr, le deuxième ancien de l’établissement à être fait parrain d’une promotion cestienne.


Rédigé par leral.net le Jeudi 17 Novembre 2011 à 00:56 | | 0 commentaire(s)|

Toure DIA, Parrain de la 39e Promotion du CESTI
Quelle belle revanche pour un homme parti de cette vallée des larmes alors qu’il n’était plus que l’ombre de lui-même ! Quand il disparaissait, brusquement, il y a déjà un peu plus de deux ans, le Alioune Toure Dia qui était devenu l’un des enseignants de l’école de journalisme de l’Université de Dakar et l’une des figures les plus connues n’avait plus rien à voir avec l’homme audacieux et plein de punch qu’il avait été quelques années plus tôt.

Je ne doute pas que ses étudiants et collègues de l’institution, au cours des dernières années de sa vie terrestre, parce que l’ayant connu sur le tard, ne pouvaient pas s’imaginer combien cet homme devenu impénétrable avait été si flamboyant auparavant. Parce qu’il fut mon camarade de promotion, de 1977 à 1980, au Cesti, avant que je ne le retrouve ensuite à l’Institut francais de presse à Paris où, avec d’autres anciens du Cesti, je peux en témoigner...

Le Touré Dia dont je peux parler avec autorité est le fringant jeune titulaire d’un Bac B, série économie, qui était venu au Cesti davantage pour suivre les pas de son aîné et mentor Sidy Gaye et qui s’était pris de passion pour le journalisme. De lui, je garde le souvenir d’un talent vif hélas tôt parti sans avoir pu donner la pleine mesure de ce que son ardente volonté, son stakhanovisme, l’autorisait à produire...

Son dynamisme d’alors m’empêche de l’imaginer inerte dans une tombe. Je le vois plutôt dodelinant de la tête, d’un ton approbateur pour saluer la mesure qui fait de lui le parrain de la 39e promotion du Cesti. Et je l’entends de sa voix qu’il sait rendre nazillarde, comme pour convaincre, se dire : "C’est bien, c’est bien..."

Je le vois, amoureux, comme toujours des débats sans fin, expliquant, là-haut, à qui veut entendre, pourquoi cette décision lui fait tant plaisir. Et désormais doté de capacités inaccessibles à ceux restés sur terre, je l’imagine en train de s’exclamer à la vue de celles et ceux, nombreux, qui viendront témoigner, par leur présence, l’attachement qu’il avait pu générer auprès d’eux. Sénégalais ou étrangers, ses liens sociaux étaient vastes, qui résumaient une vie éclectique.

Alioune Touré Dia était un homme particulièrement complexe à saisir. De lui je garde le souvenir de ses audaces et celui de ses positions parfois tranchées, parfois contradictoires mais surtout sa détermination à vouloir briser les obstacles pour atteindre le sommet. Quelques anecdotes permettent de camper cette personnalité multiple qui ne manquait jamais de surprendre. Quand nous sommes entrés au Cesti, Dia frappait par son port vestimentaire. Le voici en costume trois pièces. Et en alignant des séries.

"Ton ami a-t-il un climatiseur dans le corps", soufflaient les jeunes filles du quartier de la Gueule Tapée ou nous avions nos bases estudiantines. Elles s’étonnaient de le voir tous les jours en costume avec cravate. Quelques jours plus tard, pourtant, elles ne comprenaient plus pourquoi le même homme ne mettait plus que des Nietti Abdou, des grands boubous, comme si le souvenir de son Khombole natal lui imposait de retourner aux habitudes vestimentaires qu’affectionnaient alors les "Ndandane" sénégalais...

Insaisissable par ses habits, il l’était encore plus par ses affirmations intellectuelles. A commencer par son rapport à Dieu. Un instant, il vous disait : "Je suis athée." L’instant d’après, il jurait sur la tombe de son guide religieux. Ce n’est pas hasard si son fils aîné porte le nom Khadim.

Débattre était sa seconde nature. En ces années cestiennes, les débats faisaient rage autour de la démocratisation re-naissante au Sénégal. Il avait un faible pour Cheikh Anta Diop dont il suivait assidûment le combat pour la reconnaissance de la langue wolof. Sa curiosité intellectuelle le poussait à s’intéresser à tous les enjeux de l’époque. Rien ne lui échappait. Il avait lu Revel. Parler de Marx, Mao et Marcuse le mettait dans un état second. Il se passionnait également des évolutions sinueuses de la crise du Sahara Occidental qui faisait rage.

Sur l’Angola ou Savimbi, Neto et Roberto se battaient pour l’âme idéologique de ce pays lusophone, ses vues étaient si tranchées qu’un de nos camarades de promotion, Armand Faye, pour ne pas le nommer, en avait eu assez d’en débattre avec lui. Excédé, ce dernier m’avait pris à témoin : "Gaye, dis à ton ami que nous avons maintenant épuisé les arguments intellectuels..." Heureusement qu’ils ne passèrent pourtant jamais aux arguments physiques, l’un et l’autre n’étant au fond passionnés que de débats intellectuels.

Au Cesti, Touré-Dia et deux autres camarades de promotion avaient formé avec moi une bande de joyeux lurons. ‘Vous étiez déjà des adversaires de la pensée unique’, disait El Bachir Sow, notre aîné du Cesti, qui savait combien le journal mural, le dazibao, que nous animions au Cesti faisait mouche, semant la panique chez ceux que nous voulions prendre à parti. "Bla-Bla Soir : le journal de l’extrême droite", comme nous l’avions dénommé, avait réussi le pari d’être le plus lu des journaux muraux de l’école. Nous y attaquions tout le monde, à commencer par l’équipe dirigeante de l’école, et les rares qui recevaient nos fleurs s’en gaussaient auprès de leurs proches, sans s’imaginer que le coup de sabot suivrait peu après. La satire, nous nous en étions rendus compte, était l’un des genres rédactionnels les plus délicats, difficiles...

Déjà, en ces années estudiantines, Touré Dia avait su faire la preuve qu’il n’était pas qu’un intellectuel tête en l’air. Sa capacité à gagner sa vie, plume à la main, faisait merveille. Par ses écrits, il avait certes permis de faire éclore des talents littéraires ou du cinéma sénégalais, notamment les Mariama Ba, Aminata Sow Fall ou encore Mamadou Diop Traoré.

Mais il écrivait aussi pour gagner sa vie. Déterminé et prolifique, il inondait les journaux locaux par ses interviews et autres textes qu’il reprenait ailleurs, en Allemagne, en Italie ou en France. Sa production intellectuelle, quasi-industrielle, était celle d’un pigiste qui savait que plus il alignait les mots plus il gagnait en revenus. Gagner de l’argent lui était nécessaire parce qu’il aimait la vie. ‘Il faut vivre intensément’, était d’ailleurs l’une de ses formules favorites. Sans avoir peur de provoquer quelque scandale.

Comme ce soir-la, en 1978, dans une discothèque nigérienne, ou, en voyage d’études au Niger, il avait insisté pour qu’une fille lui lâche les baskets. Lorsqu’elle le tint par le col de sa veste, Touré Dia lui avait assené : ’Même Seyni Kountché n’ose pas le faire.’ Seul avec lui dans la discothèque, je fus témoin de ce que sa remarque avait déclenché. ‘Il a insulté notre Président’, s’écria la jeune fille. Du coup, ce qui semblait être une boite de nuit paisible se révéla un repaire gorgé d’espions d’un des régimes alors les plus autocratiques d’Afrique. Sans l’arrivée de nos autres camarades de classe, peu après, je me demande ce qui serait advenu de nous deux encerclés que nous étions par un groupe de malabars déchaînés. Je revois Dia resté stoïque et refusant de revenir sur son propos !

J’aurais pu multiplier les anecdotes sur lui... Je suis convaincu que là-haut, voire dans sa tombe, il doit, en ce moment, voir défiler tous ces instants d’une vie trop rapidement abrégée par le destin. Si elle avait été plus longue, et si des écueils imprévus n’étaient venus se dresser sur la route de ses efforts, il serait allé très loin. Car parti de rien, issu d’une famille modeste, il avait pris un beau départ qui l’avait vu gravir progressivement les échelons du savoir jusqu’à terminer son doctorat en Sciences de l’information et de la communication.

Aurait-il du rester en Europe, notamment en France, ou il avait ses habitudes en Lorraine ? Ou, comme il l’avait envisagé quelques années plus tôt, a-t-il eu tort de ne pas tenir une promesse qu’il avait faite alors que nous passions notre formation post-cursus universitaire au Canada ? Il s’était engagé d’y retourner pour retrouver le manteau qu’il y avait laissé "comme gage de son retour imminent", pour s’y installer.

C’est qu’il était là encore un homme partagé entre des extrêmes. Ecartelé qu’il était entre le grand large et le besoin de vivre au Sénégal, à la Sénégalaise, il avait fini par revenir au pays vers le milieu des années 1980. En pensant sans doute, constamment, à ce qu’il aurait pu réaliser s’il n’avait pas cédé, assez vite, trop vite, aux sirènes du pays et de ce qu’on lui promettait sur place.

Ce qui me fait penser qu’il pouvait aller encore plus loin est le souvenir de ce gros travailleur qu’il était en plus d’être un homme de défis. A la fin de la formation du Cesti, porté par sa détermination, il n’avait pas craint de prendre l’avion pour poursuivre ses études doctorales sans bourse ni soutien quelconque. Cette volonté l’amenait encore, pendant que nous rivalisions dans la langue de Vaugelas au cours de nos années universitaires, à s’enfermer dans sa chambre d’étudiant pour réviser des cours de grammaire simplement parce que quelqu’un lui avait fait remarquer une petite faute d’expression linguistique : il n’en ressortait qu’en étant sûr de pouvoir lancer à haute voix qu’il était désormais prêt à répondre à quelque colle grammaticale ou linguistique, sur quelque sujet !

Confronté aux freins d’une société sénégalaise, ce sac de volontés était perdu, au soir de sa vie. C’est comme si un piège sociétal s’était refermé sur lui. Homme libre, amoureux des débats, comment pouvait-il subir les coups tordus venant de cercles inattendus avec lesquels il lui fallait vivre ? Il n’est pas étonnant qu’il se soit laissé aller, baissant les bras, en voyant comment d’autres moins méritants commençaient à être portés au pinacle dans une société où, progressivement, la sanction du mérite n’était plus l’un des baromètres décisifs. Comme s’il n’avait plus la force de continuer le combat, sa mort, il y a deux ans, marquait le terme d’une existence qui avait encore tant à donner. Il ne manquera pas de le penser là-haut, en regardant la cérémonie de remise des diplômes à une fournée de nouveaux journalistes venant s’ajouter à celles et ceux qu’il aura formés de son vivant.

Ce titre de parrain d’une promotion qui lui est attribué à titre posthume n’est donc que trop mérité. Je regrette de ne pas pouvoir être sur place pour vivre cette cérémonie qui réhabilite la vie d’un battant et d’un combattant et tous ceux qui furent ses promotionnaires, y compris l’actuel Premier ministre du Burkina Faso, Luc Adolphe Tiao, ne peuvent que se sentir fiers d’avoir été ses compagnons de route pendant ces belles années cestiennes. Déjà, alors, les pavés cédaient face à la déferlante des débats intellectuels en regain, vers la fin des années 1970. Ce sont les mêmes qui, ce jour, doivent l’animer dans les nouveaux cercles que cet animal social par excellence doit avoir déjà intégré là-haut...

Adama GAYE adamagaye@hotmail.com
(nettali.net)