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Mercredi 29 Novembre 2017

Un couple, un amour et deux traditions… : La mixité, une rupture avec les anciens


L’amour de la différence est le propre des couples « mixtes ». Qu’ils soient d’origines, de couleurs de peau ou de confessions différentes, ces couples ont tous le point commun de vivre la mixité dans leur intimité au quotidien. Parfois, ces différences peuvent être le terreau d’incompréhensions, d’un choc culturel et d’un accueil parfois tiède de la part des familles respectives. Pourtant, cette mixité est aussi un bon moyen de s’enrichir, de cultiver son ouverture d’esprit et d’accepter plus facilement les opinions divergentes. Aujourd’hui, les couples mixtes représentent 30 % des unions et 12 % des mariages. Enquête Leral (Partie II).



Une progression selon Isabelle Lévy, auteure de Vivre en Couple Mixte Quand les Religions S'Emmêlent  (Éditions L'Harmattan) explique que les couples mixtes existent depuis que le multiculturalisme existe. « Nous vivons en France dans une société multiculturelle. Nous sommes souvent entourés de personnes, de cultures et de religions différentes. Si nos parents avaient plutôt tendance à vivre avec des gens de même origine et de même religion, cela est moins vrai pour leurs enfants devenus adultes », découvre-t-elle.

Que ce soit par défiance vis-à-vis de sa famille d’origine ou par volonté de retrouver un climat familial uni, les raisons de se lancer dans une union mixte sont multiples. Mais dans tous les cas, elle marque une rupture avec les anciens. Pour Isabelle Lévy, les causes revêtent plusieurs visages : « L’amour du défi, le moyen de fuir une famille trop pratiquante ou au contraire non pratiquante, le goût de découvrir un pays, une culture différente, retrouver une famille et solidaire, s’attacher à des valeurs spirituelles et non plus au culte du corps, s'éloigner de l'univers de la consommation... Voici quelques raisons pour lesquelles des personnes se mettent en couple mixte ».

Apprendre à accepter la différence de l’autre

Les concessions, relève-t-on, ne doivent pas seulement se faire par rapport au couple. Mais, par rapport aux familles. Pour qu’un couple mixte dure, il faut en faire plus que dans un couple de même origine et de même croyance. Et surtout, ne pas penser que l’amour suffit pour construire un couple. Même si c’est important, il faut d’abord apprendre à accepter la différence de l’autre.
 
Dès le début de la relation, prévient-on, il faut se poser les vraies questions et se demander comment vivre ensemble. « Il faut à tout prix ne pas les remettre à plus tard. Ce serait éviter le problème. Puisque chaque couple mixte ne ressemble à aucun autre. Il va donc falloir inventer des solutions uniques. Il s’agit de faire comprendre à sa famille que renoncer à son couple, c’est renoncer à une partie de soi-même. Finalement, le couple mixte est peut-être un moyen de réussir son couple », a conseillé Isabelle Lévy.
  
Le doute de l’amour
 
La vie de couple mixte entre occidentaux et africains est semée d'embûches. Des jeunes de  différents continents, de différentes cultures font souvent le choix de vivre ensemble pour le meilleur et le pire. « C'est la nuit où je me suis senti le plus désirable. Sur le dancefloor, dans la chaleur moite du soir, plusieurs filles dansaient autour de moi en quête d'un slow. J'étais le seul blanc à bouger du bassin sur la piste de cette boîte de nuit de Nairobi. Il y avait autour de moi des prostituées et des jeunes filles de la classe moyenne de la capitale Kenyane. Ma couleur de peau signifiait pour elles une autre vie, de l'argent, du prestige », a constaté un jeune blanc.  
 
À l'heure de la mondialisation galopante qui transforme profondément le continent africain, il n'y a sans doute jamais eu autant de couples mixtes «Nord-Sud» au sud du Sahara. Chaque année, renseigne-t-on, des dizaines de milliers d'occidentaux débarquent en Guinée ou en Éthiopie pour un job avec une ONG, une mission dans le secteur pétrolier, un projet culturel... 
 
Les voyages provoquent les rencontres, des ébats d'un soir, un flirt de vacances ou le début d'une histoire à deux plus longue. Comme celle de Maxime, auteur de guide de voyages qui a rencontré Jesca, agent d’informations touristiques en Tanzanie. Ou Florence, 27 ans, volontaire à Saint-Louis au Sénégal. Elle a eu le coup de foudre pour Aliou, 40 ans, déjà marié. Mais si la passion amoureuse ne connaît pas les frontières, le poison du doute s'immisce parfois dans ces couples mixtes, composés d'occidentaux et de subsahariens.
 
Les sociologues ont remarqué depuis longtemps, l'hétérogamie, le fait de rechercher involontairement un conjoint dans une classe sociale ou un pays différent du sien. Ces derniers, précisent que cette option est source de séparation relativement rapide des couples. «Dans la sociologie de la conjugalité, on sait que les couples qui restent ensemble le moins longtemps, sont aussi les plus hétérogènes. Plus deux personnes sont éloignées socialement et plus, elles risquent de voir leur couple ne pas durer», explique docteure en sociologie et anthropologie, Altaïr Despres.  
 
Et il n'y pas plus hétérogames que les couples mixtes, composés d'un africain subsaharien et d'un occidental. Le fossé culturel ou économique, constituant un sérieux obstacle pour les relations au long cours y est souvent très important.  
 
Femme blanche, fonds de commerce
 
La sociologue Beate Collet qui a étudié depuis plusieurs années les familles et l'immigration, dresse trois grands profils de couples mixtes. Dans le premier cas, il s’agit d’étudiants africains, venus pour des études en France. Ces derniers, rencontrent souvent leur partenaire blanche française dans le milieu universitaire. Il s’agit de couples avec le même capital intellectuel. Même si économiquement, il existe un fossé de par leurs origines, le niveau intellectuel de l’homme peut-être un catalyseur. 
 
Ayant fait ses études en France, il est à même de comprendre le milieu de sa femme et la discussion peut minimiser les incompréhensions. Lui-même peut être un Ambassadeur de sa compagne auprès de sa famille, pour que cette dernière l’accepte malgré les différences raciales et culturelles. «Il m’a dit je t’aime le premier soir, je veux t’épouser le premier soir. Ce qui était assez risible à ce moment-là », raconte-t-elle.
 
Dans un second cas de figure, ils n’ont pas le même capital économique. Mais, il existe un échange compensatoire où l'africain a un niveau d’études hautement supérieur à celui de la femme occidentale. L’un aspire à intégrer la société européenne grâce à la femme. Elle, en retour, aspire à gravir un échelon de classe sociale. Enfin, il existe un dernier modèle de couple mixte. Celui où l'écart sociologique est béant.  «C'est ce dernier profil qui est à mon avis, le plus problématique. C’est là où il existe non seulement un décalage économique. Mais aussi intellectuel », analyse Beate Collet. 
 
D’après la  sociologue, il peut s’agir de quelqu’un qui est désœuvré au pays et qui cherche par tous les moyens à s’en sortir. Pour cette personne, la femme blanche devient un fonds de commerce. Malheureusement, certaines sont tombées amoureuses et c’est là où il y a un jeu de dupes. « C’est humain, le jeune noir n'a ni travail, ni argent. Il ne peut donc se prendre une femme au pays et la femme blanche devient le rêve», estime-t-elle. 
 
Le couple entre un(e) occidental(e) et un(e) africain(e) saute aux yeux. Il suscite constamment curiosité et interrogation. «Tout oppose, parce qu'en plus d'être inter-racial, parfois inter-religieux, il est aussi post-colonial. Chacun est porteur d'une histoire. Des deux côtés de la société, il y a un jugement», souligne la sociologue Beate Collet. 
 
Dans ces conditions, le couple doit être beaucoup plus fort s'il veut survivre. Et chacun, capable de prendre des distances avec ses propres préjugés. «Nous considérons cette différence comme une sorte d'enrichissement mutuel, de sorte que les incompréhensions et les prises de bec sont sources d'enseignement. Si je fais quelque chose qui lui déplaît ou vice-versa, nous allons nous parler calmement, nous expliquer les choses pour éviter que cela se reproduise à l’avenir», professe-t-elle. 
 
La plupart des couples qui survivent dans la durée, expliquent qu'il faut s'investir plus que dans une histoire «normale» pour donner forme à la mayonnaise amoureuse. «Il faut beaucoup échanger. Dans notre cas, on le faisait le plus souvent par téléphone, parce que nous n'étions pas dans la même ville et on ne se voyait que les week-ends ou les vacances. Il faut une convergence des intérêts: qu’est-ce que je peux apporter à l'autre et recevoir de lui en retour», a exhorté Adriane, une française de 26 ans. 

Le caractère et la personnalité peuvent aussi jouer un rôle important dans la stabilité du couple. Adriane justifie l’échec de sa relation par la froideur de son partenaire. «Mon partenaire laissait très peu transparaître ses sentiments. Alors que, j’avais besoin d’attention d’être dorlotée, chouchoutée par mon mec. Et lui ne s’en rendait presque pas compte », dit-elle. 
 
Et pour la sociologue Beate Collet, le plus important est de se demander si les intérêts de l’un convergent avec ceux de l’autre. S’appuyant sur la théorie de l’échange compensatoire, elle estime que dans la mesure où il n'existe aucune relation désintéressée, l’amour à lui seul ne peut suffire pour maintenir le couple en vie. Il faut une convergence des intérêts pour dire qu’est-ce qu’on peut apporter à l'autre et recevoir de lui en retour. 
 
Les couples non co-habitants
 
Cette théorie sociologique développée à partir de la notion d’hypogamie compensatoire de Robert Merton (1941), se fonde sur l’idée que le mariage est avant tout un système d’échange. Cas d’école de l’époque, l’union entre un jeune homme américain noir et riche et d’une jeune femme blanche de classe moyenne. Le jeune noir acquérait un capital social, en intégrant la société occidentale. Tandis que sa partenaire blanche bénéficiait en retour d’un capital économique. 
 
Les efforts des uns et des autres se heurtent parfois, à un mur invisible. Notamment, la femme blanche à qui on dit «je t'aime» dès la première nuit. Elle se demande si l'amour déclaré est sincère. «Dans les couples mixtes « Nord-Sud », je dirais instinctivement qu’il y a plus de femmes blanches que l’inverse. Les hommes blancs qui s’expatrient, ont accès partout en Afrique à un marché de la prostitution féminine très développé. Le mec qui cherche une relation intime avec une fille, il va tomber à 99% sur une prostituée, en boîte de nuit ou dans un bar… », note l'anthropologue Altaïr Despres.
 
Le doute, existant ne s'empare pas de toutes les histoires. « L’image de l’Europe et de sa richesse est présente dans la tête de certaines personnes. L’histoire et la télé véhiculent encore trop certaines images d’une Europe riche. Et oui, la « chasse aux toubabs » existe pour accéder à un mariage, à des papiers ou à l’Europe », explique Florence.
 
L’ambiguïté existe. Mais beaucoup choisissent le dépassement pour vivre de manière pleine leur histoire à deux.


 
O WADE Leral






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