Compagnons de lutte, puis ennemis jurés, avant d’être « un père et un fils » qui se retrouvent… la comédie du pouvoir jouée par le président Wade et son ancien directeur de cabinet (de 2000 à 2002) puis Premier ministre (de 2002 à 2004) Idrissa Seck continue. Les Sénégalais ont parfois l’impression d’être les spectateurs d’une tragédie antique rendue indigeste à force de rebondissements.
Après quatre ans de disgrâce, dont huit mois de prison, celui qui fut accusé d’atteinte à la sûreté de l’État et de malversations financières est en effet revenu dans le giron présidentiel. « En période de guerre, il est plus digne de s’allier à son père et de périr que de s’allier avec l’ennemi pour tuer son père », a lancé l’ancien Premier ministre, sans préciser de quelle guerre le Sénégal était le théâtre… « Tout ce qui m’opposait au président est derrière nous », affirme-t-il. Trois heures d’audience et voilà le « père » et son « fils » s’embrassant aujourd’hui avec autant de sincérité qu’ils se déchiraient hier.
Ancien cadre du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir), le bouillant Moustapha Diakhaté a qualifié l’événement d’« insulte grossière ». D’autres voix se sont élevées, notamment au sein de la société civile, pour réclamer au chef de l’État et à son ex-homme de confiance d’éclaircir le différend qui les avait opposés à propos de la gestion des fonds secrets, qu’il serait indécent d’occulter au nom d’une stratégie d’alliance politicienne.
Faisant fi de toutes ces objections, les directions du PDS et de Rewmi – la formation créée par Seck après son exclusion en juillet 2005 du parti présidentiel – se sont réunies le 14 janvier pour étudier les modalités d’une alliance aux élections locales du 22 mars 2009, prélude à une dissolution de Rewmi dans le PDS. La rencontre a cependant échoué.
Réunion de famille
N’empêche : Idrissa Seck se dit convaincu que « la famille libérale » doit se retrouver pour ne pas connaître le même sort que « la maison voisine » – allusion au Parti socialiste, aux affaires de 1960 à 2000, qui a perdu le pouvoir à la suite des défections de Moustapha Niasse et de Djibo Kâ. Seck a profité d’un appel à l’unité lancé il y a un mois par Iba Der Thiam, le coordonnateur de la Cap 21, le regroupement des partis de la mouvance présidentielle, pour opérer son retour vers la « maison du père ».
Pour faire aboutir ce projet, Iba Der Thiam s’est allié avec un autre pilier du régime, Pape Samba Mboup, chef du cabinet présidentiel. Autrefois membre actif des « faucons » qui ont travaillé au limogeage de Seck de la primature, Mboup s’est depuis réconcilié avec ce dernier et milite ouvertement depuis plusieurs mois pour son retour. Thiam et Mboup ont joué leur partition pour convaincre Wade de réadmettre chez lui son « fils » égaré. L’affaire Macky Sall a fait le reste. La démission du PDS du successeur de Seck à la primature – qui a formé son parti et s’est allié à l’opposition – a créé une conjoncture politique favorable aux retrouvailles entre Wade et Seck.
Y a-t-il eu des négociations d’appareils et de postes avant de sceller cette réconciliation ? Aussi bien Iba Der Thiam que Pape Samba Mboup nient toute tractation de ce type. Les proches d’Idrissa Seck, qui l’avaient suivi dans une guérilla qui coûta leur poste à certains et leur liberté à d’autres, refusent de croire à une reddition si facile. À les entendre, « Idrissa Seck et Abdoulaye Wade ont négocié une alliance équitable qui sécurise et repositionne les cadres de Rewmi ». Une source proche de l’entourage présidentiel va plus loin. Elle n’exclut pas qu’à la faveur d’un prochain remaniement ministériel, « Seck prenne la tête d’un gouvernement qui inclurait certains de ses proches ».
Seule certitude : Wade ne fait plus mystère, depuis plusieurs semaines, de sa volonté de se séparer de son actuel Premier ministre, Hadjibou Soumaré, qu’il estime n’être pas à la hauteur de la tâche. Quoi qu’il en soit, Idrissa Seck, doit franchir de sérieux obstacles pour se refaire une place dans l’espace présidentiel. Dès l’annonce de son retour au PDS, la Génération du concret, le mouvement de Karim Wade, fils et conseiller du chef de l’État, a publié un violent communiqué, dans lequel il indique qu’il ne siégera « dans aucune instance ou parti aux côtés de M. Idrissa Seck ». Non sans ajouter qu’elle croit à des valeurs et principes comme « le travail, la fidélité, le respect, la loyauté, la tolérance et l’honnêteté, valeurs et principes que l’on ne retrouve pas chez M. Idrissa Seck ». Dans la foulée, Mamadou Lamine Keïta, patron de l’Union des jeunesses travaillistes libérales (UJTL, mouvement des jeunes du PDS) et Habib Sy, membre influent du gouvernement et numéro un de la fédération de Linguère, ont donné de la voix, estimant que le PDS n’a aucun intérêt à s’allier à Rewmi. Tous deux ont la particularité d’être proches de Karim Wade.
Le fils du président, dont les ambitions politiques semblent de plus en plus nettes, a des intérêts objectivement opposés à ceux de Seck. Ce dernier estime avoir la légitimité de trente ans de militantisme aux côtés de Wade. Il n’a d’ailleurs pas manqué de distiller une phrase que le chef de l’État lui aurait lancée au cours de leur longue audience : « En trente ans, j’ai passé plus de temps avec toi qu’avec Karim. » La sourde rivalité qui oppose « le fils d’emprunt » et « le fils biologique » (les expressions sont de Seck) n’en finit décidément pas de parasiter l’atmosphère dans la maison du « père ».
Cheikh Yérim SECK
Jeune Afrique
Après quatre ans de disgrâce, dont huit mois de prison, celui qui fut accusé d’atteinte à la sûreté de l’État et de malversations financières est en effet revenu dans le giron présidentiel. « En période de guerre, il est plus digne de s’allier à son père et de périr que de s’allier avec l’ennemi pour tuer son père », a lancé l’ancien Premier ministre, sans préciser de quelle guerre le Sénégal était le théâtre… « Tout ce qui m’opposait au président est derrière nous », affirme-t-il. Trois heures d’audience et voilà le « père » et son « fils » s’embrassant aujourd’hui avec autant de sincérité qu’ils se déchiraient hier.
Ancien cadre du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir), le bouillant Moustapha Diakhaté a qualifié l’événement d’« insulte grossière ». D’autres voix se sont élevées, notamment au sein de la société civile, pour réclamer au chef de l’État et à son ex-homme de confiance d’éclaircir le différend qui les avait opposés à propos de la gestion des fonds secrets, qu’il serait indécent d’occulter au nom d’une stratégie d’alliance politicienne.
Faisant fi de toutes ces objections, les directions du PDS et de Rewmi – la formation créée par Seck après son exclusion en juillet 2005 du parti présidentiel – se sont réunies le 14 janvier pour étudier les modalités d’une alliance aux élections locales du 22 mars 2009, prélude à une dissolution de Rewmi dans le PDS. La rencontre a cependant échoué.
Réunion de famille
N’empêche : Idrissa Seck se dit convaincu que « la famille libérale » doit se retrouver pour ne pas connaître le même sort que « la maison voisine » – allusion au Parti socialiste, aux affaires de 1960 à 2000, qui a perdu le pouvoir à la suite des défections de Moustapha Niasse et de Djibo Kâ. Seck a profité d’un appel à l’unité lancé il y a un mois par Iba Der Thiam, le coordonnateur de la Cap 21, le regroupement des partis de la mouvance présidentielle, pour opérer son retour vers la « maison du père ».
Pour faire aboutir ce projet, Iba Der Thiam s’est allié avec un autre pilier du régime, Pape Samba Mboup, chef du cabinet présidentiel. Autrefois membre actif des « faucons » qui ont travaillé au limogeage de Seck de la primature, Mboup s’est depuis réconcilié avec ce dernier et milite ouvertement depuis plusieurs mois pour son retour. Thiam et Mboup ont joué leur partition pour convaincre Wade de réadmettre chez lui son « fils » égaré. L’affaire Macky Sall a fait le reste. La démission du PDS du successeur de Seck à la primature – qui a formé son parti et s’est allié à l’opposition – a créé une conjoncture politique favorable aux retrouvailles entre Wade et Seck.
Y a-t-il eu des négociations d’appareils et de postes avant de sceller cette réconciliation ? Aussi bien Iba Der Thiam que Pape Samba Mboup nient toute tractation de ce type. Les proches d’Idrissa Seck, qui l’avaient suivi dans une guérilla qui coûta leur poste à certains et leur liberté à d’autres, refusent de croire à une reddition si facile. À les entendre, « Idrissa Seck et Abdoulaye Wade ont négocié une alliance équitable qui sécurise et repositionne les cadres de Rewmi ». Une source proche de l’entourage présidentiel va plus loin. Elle n’exclut pas qu’à la faveur d’un prochain remaniement ministériel, « Seck prenne la tête d’un gouvernement qui inclurait certains de ses proches ».
Seule certitude : Wade ne fait plus mystère, depuis plusieurs semaines, de sa volonté de se séparer de son actuel Premier ministre, Hadjibou Soumaré, qu’il estime n’être pas à la hauteur de la tâche. Quoi qu’il en soit, Idrissa Seck, doit franchir de sérieux obstacles pour se refaire une place dans l’espace présidentiel. Dès l’annonce de son retour au PDS, la Génération du concret, le mouvement de Karim Wade, fils et conseiller du chef de l’État, a publié un violent communiqué, dans lequel il indique qu’il ne siégera « dans aucune instance ou parti aux côtés de M. Idrissa Seck ». Non sans ajouter qu’elle croit à des valeurs et principes comme « le travail, la fidélité, le respect, la loyauté, la tolérance et l’honnêteté, valeurs et principes que l’on ne retrouve pas chez M. Idrissa Seck ». Dans la foulée, Mamadou Lamine Keïta, patron de l’Union des jeunesses travaillistes libérales (UJTL, mouvement des jeunes du PDS) et Habib Sy, membre influent du gouvernement et numéro un de la fédération de Linguère, ont donné de la voix, estimant que le PDS n’a aucun intérêt à s’allier à Rewmi. Tous deux ont la particularité d’être proches de Karim Wade.
Le fils du président, dont les ambitions politiques semblent de plus en plus nettes, a des intérêts objectivement opposés à ceux de Seck. Ce dernier estime avoir la légitimité de trente ans de militantisme aux côtés de Wade. Il n’a d’ailleurs pas manqué de distiller une phrase que le chef de l’État lui aurait lancée au cours de leur longue audience : « En trente ans, j’ai passé plus de temps avec toi qu’avec Karim. » La sourde rivalité qui oppose « le fils d’emprunt » et « le fils biologique » (les expressions sont de Seck) n’en finit décidément pas de parasiter l’atmosphère dans la maison du « père ».
Cheikh Yérim SECK
Jeune Afrique